vendredi 3 mars 2023

La peur de l'autre

C'est une petite commune comme il en existe tant, dans une région de France qui se désertifie comme il en existe tant. En 1851, elle comptait 2346 habitants. Depuis, comme tant d'autres communes rurales, Bélâbre a connu un déclin progressif pour ne regrouper aujourd'hui que 934 habitants (1). La vallée dans son ensemble a perdu 16,4% de sa population de 1968 à 1999.  La cause principale : l'émigration due à la mutation du monde agricole, à la sous-industrialisation, au départ des jeunes lié à la hausse du niveau d’instruction. D'où un vieillissement bien visible de la population (2). 
Sollicités par une association qui accueille des demandeurs d'asile, le maire et son équipe ont décidé de vendre une usine à l'abandon qui sera réhabilitée en un centre d'hébergement pour 38 personnes. De quoi apporter non seulement un toit et un accompagnement à ces personnes qui ont fui la guerre, la violence, la misère, mais aussi du sang neuf à la commune. Un peu d'immigration pour lutter contre beaucoup d'émigration. 
Mais des opposants se sont vite manifestés. Ils étaient une bonne centaine à exprimer leur peur et leur rejet des autres. Un de leurs calicots associe brutalement CADA (centre d'accueil de demandeurs d'asile), délinquance et invasion. Les choses sont simples pour eux : celui qui vient d'ailleurs est forcément un délinquant et un envahisseur.  Ça s'appelle racisme. "La scolarisation et l’instruction de nos enfants sont menacées par un tel projet", indique la pétition des opposants. On ne sait en quoi. On se dit qu'au contraire l'arrivée d'enfants devrait permettre à l'école de mieux vivre, que des liens se créeront vite et que l'intégration se fera ainsi aisément. On l'espère en tout cas, mais les opposants ont décidé de ne voir l'avenir qu'en noir. Ils affirment ainsi que le projet aura "des conséquences sur la vie de la commune, la valeur de l’immobilier, la fréquentation du plan d’eau et des terrains de loisirs". Une mère va déjà interdire à ses enfants de sortir : ils seront en danger en allant au jardin public.
"On est chez nous !", clament les opposants, reprenant le cri de guerre de l'extrême droite. C'est où chez eux ? Leur village leur appartient donc ? Qui peut y venir ou non et qui en décide ? On a vu parmi les manifestants des gens de Bélâbre et des environs, mais aussi d'autres venus de l'autre bout de la France clamer leur haine et dire qu'ils sont chez eux. Ils viennent d'ailleurs s'opposer à la venue de personnes venues d'ailleurs... 
Savent-ils, ces gens qui sont chez eux, que leurs ancêtres viennent d'ailleurs, que nous sommes tous des descendants de migrants, que l'humanité trouve sa source en Afrique ?
On ne leur propose pas d'aller si loin à la rencontre de l'autre, mais, s'ils n'ont pas trop peur, qu'ils aillent faire un tour dans le quartier du Merle blanc à Argenton-sur-Creuse, à une trentaine de kilomètres de chez eux. Là vivent, comme les autres, quelques dizaines de réfugiés depuis des années, sans que cela pose problème. Au contraire. Une habitante du quartier relevait qu'ils disent facilement bonjour, eux.

Note : La salle des fêtes de Bélâbre a été rebaptisée récemment Espace Joséphine Baker. La chanteuse, danseuse, actrice et résistante avait adopté douze enfants de toutes origines et avait appelé sa famille la « tribu arc-en-ciel ». La proposition de la mairie de Bélâbre aujourd'hui s'inscrit dans le même esprit.

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9l%C3%A2bre
(2) « Gens du Val d’Anglin » (divers auteurs, Histaval, 2021), pp. 450-451.
(Re)lire sur ce blog : "Le pays de l'accueil", 12.10.2007 
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2007/10/le-pays-de-laccueil.ht

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