mardi 14 novembre 2023

Femmes de paix

Un jour ou l'autre - mais quand ? - la paix s'imposera entre Israéliens et Palestiniens. Ou plutôt grâce aux Palestiniens et aux Israéliens. Et peut-être plus précisément grâce aux Israéliennes et aux Palestiniennes.
Le mouvement pacifiste et féministe israélien Women Wage for Peace (WWP), créé il y a une dizaine d'années, est allié à son équivalent palestinien Women of the Sun, créé plus récemment. Le premier rassemble quelque quarante-cinq mille adhérentes, le second deux mille (1).
Quelques jours avant le 7 octobre, les deux mouvements lançaient ensemble un nouvel appel à un accord entre les deux peuples.
En 2022, les femmes des deux communautés avaient adressé aux dirigeants palestiniens et israéliens "L'appel des mères" : "Nous, femmes palestiniennes et israéliennes de tous horizons, sommes unies dans le désir humain d'un avenir de paix, de liberté, d'égalité, de droits et de sécurité pour nos enfants et les générations futures. (...) Nous appelons nos dirigeants à faire preuve de courage et de vision pour provoquer ce changement historique auquel nous aspirons tous."
"Ce n'était pas simple de rédiger un appel acceptable par les deux parties, leurs sociétés et leurs dirigeants, constate Pascale Chen, militante de WWP. Les Palestiniennes de WOS ont surtout une légitimité à s'exprimer en tant que mères. Elles (...) sont courageuses, c'est bien plus difficile pour elles, qui subissent un patriarcat puissant. Notre mouvement peut, lui, tenir des propos plus politiques, plus féministes." 

Pascale Chen déplore que parmi les otages du Hamas figurent deux membres de WWP : Vivian Silver, 74 ans, et Ditza Heyman, 84 ans. On vient d'apprendre que Vivian Silver, qui fut l'une des fondatrices de WWP,  a en fait été tuée lors du massacre du 7 octobre. "Originaire de Winnipeg, au Manitoba, Vivian Silver s’était installée en Israël il y a une cinquantaine d’années, rappelle Le Devoir (2). Au fil du temps, elle s’est impliquée dans de nombreux groupes communautaires, notamment afin d’offrir du soutien aux résidents de la bande de Gaza, sous blocus israélien depuis 2007. « Une autre personne éprise de paix, qui a consacré sa vie à rapprocher les Israéliens et les Palestiniens, a été massacrée par l’ennemi des Israéliens et des Palestiniens, et par l’ennemi de la paix », a écrit sur Facebook l’écrivain et militant israélien Hen Mazzig, qui a décrit Vivian Silver comme l’une des militantes « les plus connues pour la paix avec les Palestiniens »."
"Nous ne faisons pas l'amalgame, affirme encore Pascale Chen. C'est bien le Hamas qui est l'auteur de cette attaque terroriste, non le peuple palestinien, qui connaît une réelle tragédie lui aussi... et en premier lieu, ce sont les femmes et les enfants qui en paient le prix. Il va falloir à présent reconstruire ce qui a été détruit. (...) Et les femmes, israéliennes comme palestiniennes, ont un rôle essentiel à jouer, parce que les hommes, qui nous gouvernent depuis tant d'années, n'ont pas fait leurs preuves. Il est temps de penser différemment."
Les guerriers s'enorgueillissent de voir leurs enfants transformés en martyrs quand les femmes n'en peuvent plus de voir leurs enfants mourir à cause de la haine entretenue par ceux qui y trouvent leur intérêt.

Dans une résolution d'octobre 2000, l'ONU soulignait que 80% des victimes des conflits modernes sont des femmes et des enfants et réaffirmait "le rôle important que les femmes jouent dans la prévention et le règlement des conflits et dans la consolidation de la paix". Et l'ONU insistait pour "qu'elles participent sur un pied d'égalité à tous les efforts visant à maintenir et à promouvoir la paix et la sécurité". 
Les deux mouvements pacifistes s'appuient sur l'exemple nord-irlandais : "un conflit tout aussi dévastateur que le conflit israélo-palestinien, très sanglant, empli de haine, d'actes terroristes, de destructions et de deuils. Et qui semblait sans fin ! Il a pourtant cessé avec le Good Friday Agreement, l'accord du Vendredi saint du 10 Avril 1998. Et les femmes des deux camps n'y ont pas été étrangères : pendant des années, elles ont continué à dialoguer entre elles, en catimini, pour leurs jeunes, pour leur sécurité, œuvrant au rapprochement des communautés. Ce travail souterrain a contribué à ce que les sociétés civiles finissent par adhérer aux initiatives de paix des politiques, lorsqu'ils s'y sont décidés. Les femmes ont formé un parti intercommunautaire, la Nothern Ireland Women's Coalition. Et si les Irlandaises y sont arrivées, pourquoi pas nous ?"

Et puis ces mots (3) de l'écrivaine libanaise Dominique Eddé. Engagée auprès de réfugiés palestiniens depuis 1971, elle a ensuite pris ses distances avec le mouvements de la résistance, puis a rencontré des militants israéliens "en lutte contre la politique de leur pays, contre la répression, l'oppression, l'apartheid".
"La religion a perdu Dieu de vue, dit-elle ; la plupart des régimes arabes qui tiennent tête aux intégristes sont des monstres habillés autrement ; l'actuel régime israélien est un régime barbare ; la défaite est totale ; les sociétés sont divisées, Israël inclus, le nord et le sud fracturés. Les enfants de Gaza nous demandent, nous supplient d'arrêter le massacre, de libérer les enfants israéliens, et notre reste d'humanité nous supplie de libérer tous les otages israéliens, de reconnaître l'injustice faite aux Palestiniens, de leur donner une patrie, de rendre Jérusalem aux trois monothéismes, d'en faire une capitale ouverte, neutre, cosmopolite, de protéger l'avenir de son passé mortifère, de l'ancrer dans son passé de vie commune, de rester humain, de comprendre avant d'avoir raison et de vouloir vraiment la paix."

(1) "Les femmes israéliennes et palestiniennes ont un rôle essentiel à jouer", propos recueillis par Lorraine Rossignol, Télérama, 25.10.2023.
(2) https://www.ledevoir.com/societe/801887/guerre-israel-hamas-activiste-canado-israelienne-vivian-silver-ete-tuee-pendant-attaques-hamas
(3) https://www.arte.tv/fr/videos/117555-000-A/proche-orient-penser-l-apres/

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