mercredi 8 novembre 2023

Une guerre sans fin ?

Quand et comment cette satanée guerre entre Israël et le Hamas pourra-t-elle prendre fin ? 
Le quotidien israélien de gauche Ha'Aretz s'interroge (1) : "Qu'entendent précisément l'armée et le gouvernement israéliens en affirmant vouloir éradiquer le Hamas ? Assassiner seulement les dirigeants politiques et militaires de cette organisation ou démobiliser de force plusieurs dizaines de milliers de miliciens islamistes et de simples fonctionnaires ?" Le journal rappelle qu'on ne pourra se passer de l'administration civile (non partisane) constituée par le Hamas après qu'il a expulsé, en 2007, l'Autorité palestinienne de la bande de Gaza. Une administration qui rassemble quelque 40.000 fonctionnaires qui répondent aux besoins quotidiens des habitants : enseignants, médecins, policiers, ingénieurs, etc. C'est ce qui s'est passé en Irak après la chute du dictateur : un grand nettoyage qui a occasionné "un échec colossal et retentissant". Des milliers de fonctionnaires furent licenciés parce que membres du parti Baas de Saddam Hussein. Beaucoup avaient été contraints à faire allégeance au parti et, renvoyés, rejoignirent les rangs d'Al-Qaida ou de Daech, tandis que l'Etat irakien ne pouvait plus fonctionner.
Ha'Aretz fait remarquer que le Hamas a des partisans dans presque tous les pays arabo-musulmans, qu'il dispose de forces armées au Liban qui ont prouvé leur capacité de nuisance et qu'il pourrait trouver en Syrie une base d'opération supplémentaire. Par ailleurs, le Qatar héberge une partie de la direction du Hamas, mais on imagine difficilement Israël entrer en guerre avec ce pays. Donc, vaincre le Hamas à Gaza ne le tuera pas. "Il faut soupeser les nouvelles menaces que cette campagne militaire risque d'engendrer." La plus grave : le Hamas pourrait passer du statut de mouvement politico-militaire, cherchant à stabiliser son pouvoir sur la bande de Gaza et à mener la guerre contre Israël, au statut d'organisation coopérant avec d'autres groupes terroristes à travers le monde. Déjà les milices chiites en Irak et les houthistes au Yemen - "mandataires iraniens dans la région" - menacent de frapper des cibles américaines au nom de la guerre en Palestine. 
De plus, écrit encore Ha'Aretz "la guerre contre le Hamas ne pourra se terminer sur une absence de plan de sortie censé garantir un nouvel ordre dans la bande de Gaza". Il faudra pour cela un nouveau gouvernement israélien, débarrassé de ses membres d'extrême droite, tel son ministre chargé des Territoires, "un pyromane qui (...) n'a démontré d'autre compétence que celle d'embraser les territoires palestiniens en Cisjordanie". Et il faudra "rapidement se mettre d'accord sur qui contrôlera Gaza, de préférence en se fondant sur une source d'autorité considérée comme légitime par la majorité de la population palestinienne. Sans cela, le Hamas récupèrera rapidement sa capacité de nuisance, à Gaza et sur de nouveaux théâtres. Et Israël s'embourbera durablement, comme au Liban entre 1982 et 2000."

Pendant ce temps, en Israël, le camp de la paix est décimé. Parmi les 1.400 tués lors du massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre, on compte de nombreux militants de la paix. Les habitants des kibboutz attaqués, les jeunes fêtards du festival de musique étaient, dans leur majorité, engagés à gauche. Certains entretenaient de bonnes relations, parfois d'entraide, avec des Gazouis. La plupart de leurs proches ont cessé de croire en la paix. Un reportage dans le Journal de 20h de France 2 hier l'indiquait. Le NewYork Times a également recueilli des témoignages (2). 
J’ai toujours cru qu’une mère d’un côté de la frontière voulait exactement la même chose qu’une mère de l’autre côté, témoigne l’une des rescapées. Que nos enfants aillent à l’école, qu’ils rient, mangent une glace. Les choses simples du quotidien. Je ne sais pas si j’arriverai encore à y croire.” Cette femme explique avoir “vraiment élevé [ses] enfants à voir l’être humain en tout un chacun” et raconte que sa voiture a même souvent été utilisée par des habitants du kibboutz pour “emmener bénévolement des patients de Gaza jusqu’à des hôpitaux israéliens”.
Je suis profondément de gauche, pose une autre jeune femme interrogée. Pendant les autres conflits, quand je voyais des vidéos de mères et d’enfants [à Gaza], je pleurais. Ça me brisait vraiment le cœur. Maintenant, je les vois, et je n’ai plus cette compassion. Je ne l’ai plus en moi, elle est partie.

Pendant ce temps, le directeur de la rédaction du quotidien libanais Al-Akhbar (qui est également l’un des porte-voix officieux de l’Axe de la résistance, qui lie notamment les milices pro-iraniennes de la région, le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais et les houthistes du Yémen) relativise les pertes humaines dans la bande de Gaza : les mères palestiniennes feront d'autres enfants...
"Pour le Hamas, écrit le Courrier international (3), la situation militaire “n’est pas si mauvaise”, et il n’est pour l’heure pas question de faire des concessions, estime Ibrahim Al-Amine. La raison, selon lui, c’est “qu’environ 50 000 femmes sont enceintes à Gaza” et que celles sur le point d’accoucher “vont donner naissance à 5 500 enfants en un mois”, a-t-il affirmé sur la chaîne de télévision libanaise Al-Jadeed, le dimanche 5 novembre. “Dans deux mois, si Dieu le veut, les Palestiniennes auront compensé la perte de tous les martyrs”, à savoir les personnes mortes sous les bombes israéliennes.
Choquée, la journaliste et romancière libanaise Najwa Barakat dénonce les “Ibrahim Al-Amine et consorts”, pour lesquels la mort d’enfants et d’innocents n’est qu’un “dégât collatéral” dans la bataille inévitable de “la résistance contre l’ennemi”, écrit-elle sur le site qatari Al-Araby Al-Jadeed."
De tels propos démontrent, dit-elle, "une insensibilité aux souffrances des Gazaouis". “On dirait qu’ils assistent en spectateurs aux drames de la population de la bande de Gaza", voire “applaudissent la hausse du nombre de morts”. “Ils ne diffèrent pas beaucoup de l’ennemi en ce qu’ils minimisent” l’importance des morts et n’y voient que “des nombres qu’il est possible de remplacer par d’autres nombres”. “Les Palestiniennes donneront naissance à d’autres enfants, certes, mais ce n’est pas pour qu’ils soient [à la disposition] de ceux qui leur brisent le cœur”, ajoute-t-elle, en déplorant que la vie de ces femmes ressemble à un chemin de croix sans fin.
La situation de ces femmes enceintes est particulièrement difficile et les accouchements se font dans les pires conditions, les hôpitaux étant détruits, surpeuplés ou en manque d’électricité, d’eau et d’équipements, rappelle CNN. Le site de la chaîne américaine rapporte les paroles de l’une de ces femmes, Reham Ahmed Al-Sadi, enceinte de neuf mois : “La guerre a détruit la joie que devait être ma grossesse.”
Selon le Hamas, écrit encore le Courrier international, le bilan aurait dépassé les 10 000 morts. Parmi ces victimes, près de 40 % – quelque 3 900 personnes – seraient des enfants, selon une estimation onusienne.

(1) Zvi Barel, "En finir avec le Hamas à Gaza, et après ?", Ha'Aretz, 17.10.2023, in Le Courrier international, 2.11.2023.
(2) https://www.courrierinternational.com/video/video-ils-croyaient-en-la-paix-le-hamas-leur-a-ote-leur-empathie-des-rescapes-israeliens-temoignent
(3) https://www.courrierinternational.com/article/polemique-les-femmes-de-gaza-ne-sont-pas-des-uterus-au-service-de-la-resistance

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