L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été arrêté, il y a plusieurs jours, à son arrivée à l'aéroport d'Alger. Les motifs de son arrestation sont flous et clairs à la fois. Certaines de ses déclarations relatives au territoire algérien ont dérangé le pouvoir, de même que des positions du président Macron ou encore que le Prix Goncourt attribué à Kamel Daoud. Boualem Sansal a surtout le grand tort d'être un esprit libre. On sait ce que l'islamisme a fait vivre à l'Algérie dans les années '90. Sansal n'a jamais craint de dénoncer, dans ses romans et dans ses interviews, la terreur ultra-violente qu'ont fait régner les barbus et qui semble avoir figé à jamais l'Algérie. On peut craindre pour son sort quand on pense, comme Sophia Aram le faisait hier (1), "à l’écrivain Rachid Mimouni, mort en exil au milieu de la décennie noire, au chanteur Lounès Matoub, assassiné en 1998 sur la route de Tizi Ouzou, à l’écrivain Tahar Djaout et tous ceux qui sont morts d’avoir eu le courage de parler, d’écrire ou de chanter la détresse des Algériens pris entre un régime militaire, autoritaire et corrompu et des islamistes ayant massacré près de 200 000 personnes pendant la décennie noire". Sophia Aram salue "un homme qui a le courage de dire, dans un pays dont le pouvoir pactise avec l’islamisme, que "si la religion fait peut-être aimer Dieu, rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité ".
De nombreux écrivains - Annie Ernaux, J.M.G. Le Clézio, Orhan Pamuk, Wole Soyinka, Salman Rushdie, Peter Sloterdijk, Andreï Kourkov, Roberto Saviano, Giuliano da Empoli, Alaa el Aswany, Erri De Luca, Johan Sfarr et bien d'autres - réclament la libération immédiate de Boualem Sansal (2).
"Désormais, (en Algérie) tout est possible, écrit son ami Kamel Daoud, à l'origine de l'appel : la perpétuité pour un texto, la prison pour un soupir d'agacement. Sansal ressemble à un vieux prophète biblique, souriant. Il provoque les passions et les amitiés autant que la détestation des soumis et des jaloux. Il est libre et amusé par la vie. Il écrit des livres sur les orages et les lumières abstraites de notre époque, et il s'amuse de la haine des autres. Sansal écrit, il ne tue pas et n'emprisonne personne. Son innocence face à la dictature lui fit oublier la réalité de la Terreur en Algérie depuis quelques années. Il a négligé de regarder la meute qui l'attendait, il est retourné visiter son pays ce samedi-là. Il l'a payé cher."
"Boualem Sansal est emprisonné pour ses opinions, rien d’autre, affirme l'avocat Richard Malka (3). Il n’a agressé, tué, ou blessé personne. Mais ses idées dérangent un pouvoir totalitaire. C’est le propre des régimes les plus abjects. Il ne devrait pas y avoir de débat : nous devrions être unanimes dans notre soutien à Boualem Sansal, en particulier dans le monde de la culture. On doit tous être Boualem Sansal."
Mais ce n'est pas le cas. "Certains pseudo-intellectuels, dans un mépris insupportable, disent qu’il faut le défendre… mais ajoutent un oui, mais. Ce mais est misérable et odieux. Boualem Sansal est victime d’un régime obscurantiste et corrompu jusqu’à la moelle, qui n’hésite pas à emprisonner un écrivain sans motif, sans procès, sans durée. La mobilisation n’est pas à la hauteur. C’est une atteinte grave, non seulement à la liberté d’expression, mais aussi au plus élémentaire droit de l’homme : ne pas être emprisonné par le fait d’un autocrate ou le bon vouloir d’un tyran."
Si ces "pseudo-intellectuels" éprouvent quelques difficultés à défendre Boualem Sansal, c'est qu'ils estiment qu'il penche vers l'extrême droite. Ils disent la même chose de Kamel Daoud. En fait, ce que ces tartuffes reprochent aux deux écrivains, c'est que leur dénonciation des dangers et des ravages de l'islamisme est applaudie par l'extrême droite. Alors que ce sont eux, ces braves gens confits de bons sentiments qui, en se taisant, en fermant les yeux sur ce qu'ils ne veulent pas voir, laissent toute la place à l'extrême droite. C'est leur silence qui laisse tant de place au bruit et qui permet aux dictateurs d'enfermer ses intellectuels à la voix libre. Incapables, par peur de passer pour islamophobes, de dénoncer le totalitarisme islamiste et celui d'un pouvoir algérien racrapoté sur lui-même, ces braves gens n'ont que mépris pour ce que vit la population algérienne. Selon Kamel Daoud, "le régime d'un côté et les islamistes de l'autre ont réussi à mettre en place un tribunal itinérant de l'identité pure et de l'hypernationalisme". C'est Daoud aussi qui affirme que tous les écrivains algériens francophones sont coincés entre les islamistes "qui estiment que le seul roman à lire est celui écrit par Allah" et le régime "qui s'oppose à toute concurrence avec le récit national ".
Ceux qui font la fine bouche face à l'arrestation de Boualem Sansal sont tranquillement assis chez eux quand lui a pris le risque de retourner chez lui. "Résister a du sens si je reste là-bas Si je viens ici (en France), ce n'est plus le mot qu’il faut utiliser, ce serait parler, papoter. La résistance se fait là où il y a la vraie guerre."
Allez, ouste, les dictateurs, les usurpateurs, les mafieux, les crapulards, l'avenir appartient aux gens de bien. Tiens, je crois que c'est ça la bonne définition de cet objet non identifié qu'est l'humanité, que je cherche depuis des années : l'humanité, ce sont ces gens de bien qui, vaille que vaille, assurent le service de la vie. (Boualem Sansal, "Vivre - Le compte à rebours", Gallimard, nrf, 2024)
(1) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-25-novembre-2024-7974755
(2) https://www.lepoint.fr/societe/des-prix-nobel-de-litterature-se-mobilisent-pour-boualem-sansal-23-11-2024-2576089_23.ph
(3) https://www.marianne.net/agora/entretiens-et-debats/richard-malka-le-oui-mais-au-sujet-de-l-arrestation-de-boualem-sansal-est-odieux?
https://www.marianne.net/societe/medias/sur-le-plateau-de-c-politique-boualem-sansal-et-kamel-daoud-executes-par-de-petits-procureurs-mediatiques?
5 commentaires:
Je m'inquiétais depuis longtemps pour Kamel Daoud et Boualem Sansal. Le premier a choisi de se réfugier en France, le second est resté en Algérie qui a choisi de l'embastiller. J'ai lu Sansal, en particulier "2084" (une dystopie sur l'islamisme) et "Gouverner au nom d'Allah : Islamisation et Soif de pouvoir dans le monde arabe". Deux livres remarquables et courageux.
A lire aussi cette tribune, dans Le Monde, du sociologue Smaïn Laacher qui explique que Daoud et Sansal "incarnent ce qu’il peut y avoir de « pire » dans leur société d’origine : la liberté de penser en dehors des catégories de la pensée d’Etat". Il dénonce aussi la mollesse coupable de "la défense de ces consciences universelles" en France.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/29/smain-laacher-sociologue-des-deux-cotes-de-la-mediterranee-boualem-sansal-et-kamel-daoud-sont-consideres-comme-des-traitres_6420829_3232.html
A lire aussi dans Marianne ce billet d'Amaury Giraud. Extrait :
"Héros et martyr de la liberté d’expression, pourfendeur des autoritarismes militaires comme islamistes, passeur de mémoire traumatisé par la Décennie noire et la furie djihadiste comme étatiste, l’écrivain Boualem Sansal, embastillé depuis le 16 novembre en Algérie, n’aura de toute évidence pas le droit de bénéficier, en France, de cet unanimisme indigné que pourtant impose d’ordinaire – toujours et invariablement pour de mauvaises causes – la nouvelle doxa « éveillée » et son habituelle logorrhée pseudo-savante et anti- « systémique ». La « lutte légitime contre l’oppression » étant vraisemblablement réservée au seul camp du Bien, du déni du réel et du relativisme tartuffe."
https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/amaury-giraud-boualem-sansal-a-le-tort-de-presenter-le-visage-dun-humanisme-universel-et-libertaire
A voir absolument : l'émission consacrée à Sansal sur Arte. Il y raconte notamment l'indépendance, puis la montée de l'islamisme. Quel bonhomme...
C'est là : https://www.arte.tv/fr/videos/041888-000-A/boualem-sansal/
Merci, Bernard. Je regarderai.
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