jeudi 23 juin 2011

Le pouvoir des imbéciles

Culture et populo-nationalisme ne font pas bon ménage. Le second n'aime pas la première. Sauf s'il parvient à l'instrumentaliser. Ce qui n'est pas simple. Alors, il la menace ou lui coupe les vivres.
Il y a quelques mois, Guy Duplat constatait "le divorce entre la culture et la NVA" (1). Il rappelait que "l'écrivain Tom Lanoye et le peintre Luc Tuymans s'en sont pris en termes parfois très vifs aux thèses de Bart De Wever. Luc Tuymans estimant que ce dernier était par certains points encore pire que le Vlaams Belang". Il faut dire que la NVA est plutôt forte en gueule: elle a reproché à Clouseau de chanter "Lieve Belgïe", elle a reproché à Ozark Henry de remercier son public en disant... "merci", elle reproche aux acteurs culturels de ne pas suffisamment soutenir son combat flamand. Les populo-nationalistes aiment une culture aux ordres, incapables de comprendre que ce qui fait la force de la culture est précisément son indépendance. Ou peut-être l'ont-ils trop bien compris... Guy Duplat fait remarquer le paradoxe dans lequel se trouve aujourd'hui la Flandre: "jamais les artistes flamands n'ont été aussi célébrés et aussi peu complexés". Ecrivains, dramaturges, metteurs en scène, cinéastes, plasticiens remportent, loin au-delà des frontières flamandes, un succès dont la Flandre peut être fière. "On ne voit pas ce que la Flandre aurait à gagner à obliger ses artistes à devenir des militants nationalistes", écrit l'éditorialiste de la Libre. "Le populisme, selon lui, consiste ici à s'en prendre au monde culturel taxé d'être trop à gauche et trop élitiste. Des attaques qui, aux Pays-Bas, virent à la kunsthaat, la haine de l'art."
Là, le monde culturel est sous le choc ces derniers jours, nous apprend Guy Duplat dans la Libre de ce 21 juin: la semaine dernière, "le secrétaire d'Etat à la culture (2) a dévoilé sa nouvelle vision de la culture". Vision particulièrement courte et étroite qui passe par une diminution des budgets de 200 millions d'euros, soit 22 % du budget. Si seules quelques grandes institutions internationales sont préservées, les secteurs de l'innovation, de la création, de l'édition, du développement, de l'éducation sont touchés de plein fouet. Le secrétaire d'Etat à la Culture présentera ses plans au Parlement le 26 juin. Ce jour-là, une "marche de la Civilisation" aura lieu à La Haye.
En Italie, la culture est traitée de la même manière, sous les bannières réunies du marché et du populisme. "Le financement des films par les chaînes de télévision dépend plus ou moins directement du pouvoir. C'est Berlusconi ou Berlusconi, résume le producteur Angelo Barbagallo" (3), ancien associé de Nanni Moretti. Et ce sont les comédies qui sont évidemment privilégiées. Le Fonds de création du cinéma et des spectacles vivants est sous la tutelle de Giulio Tremonti, ministre de l'Economie, pour qui "con la cultura non si mangia" (ce n'est pas avec la culture qu'on se nourrit). Mais le producteur Riccardo Tozzi ne désespère pas: "L'Italie est pleine de talents, et le cinéma y a de l'avenir, même si le gouvernement est composé d'imbéciles". Toute la force de la culture est là: dans la résistance aux imbéciles incapables de comprendre en quoi elle nous nourrit.

(1) LLB, 1er mars 2011
(2)VVD, membre du gouvernement minoritaire libéral-chrétien-démocrate, soutenu de l'extérieur par le parti extrémiste de Geert Wilders
(3) Télérama, 11 mai 2011

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