jeudi 19 novembre 2020

Politique de l'ostrich

Enfermés dans une forme de défense du communautarisme, les médias anglo-saxons ne comprennent pas - ou ne veulent pas comprendre - ce qu'est la laïcité à la française. La plupart se rangent dans le camp des aveugles angéliques qui refusent de voir la différence entre islam et islamisme, qui ne peuvent appeler un chat un chat et un islamiste un terroriste.

La police française tire et tue un homme après une attaque meurtrière au couteau dans la rue, voilà comment The New York Times a titré son article annonçant que Samuel Paty, professeur de la région parisienne, avait été décapité par un islamiste pour avoir travaillé avec ses élèves sur des caricatures et sur la liberté d’expression. "Après une vague d’indignation sur les réseaux sociaux, rapporte Inna Shevchenko (1), le quotidien américain de référence a modifié son titre, tout en continuant à mettre l’accent sur l’action de la police : La police française abat l’homme qui a décapité un professeur dans la rue. Visiblement tiraillé entre sa tendance obsessionnelle au politiquement correct et le devoir de rapporter les faits, le journal a finalement changé une troisième fois son titre pour : Un homme décapite un enseignant dans la rue en France et est abattu par la police. Il aura fallu du temps, mais ils y seront arrivés." Mais, poursuit Inna Shevchenko, "dans ses articles sur l’assassinat de Samuel Paty, The New York Times n’a cependant pas hésité à souligner que des questions sont soulevées quant à l’utilisation par M. Paty des caricatures de Mahomet en classe, citant des experts qui affirment qu’il est difficile d’utiliser ces caricatures à des fins éducatives". NBC News a eu la même attitude et "a choisi de couvrir l’attaque terroriste de Conflans-Sainte-Honorine sur l’air de il l’a bien cherché : Un professeur français décapité avait été averti de ne pas montrer des images du prophète Mahomet avant une « attaque islamiste »  – notez les guillemets qui encadrent soigneusement les mots « attaque islamiste ». Sur le même ton, d’autres médias anglo-saxons ne mentionnent que rarement le terme islamisme dans leurs comptes rendus, et quand ils le font, c’est généralement aussi avec des guillemets, comme une mise en doute de la pertinence du terme." Dans son article, Inna Shevchenko cite encore d'autres organes de presse américains qui refusent de voir la réalité et de hiérarchiser les problèmes, tel le Washington Post qui suggère que la laïcité française favorise l’islamophobie. "Les médias anglo-saxons, constate-t-elle, se sont donc majoritairement refusés à voir l’assassinat du professeur français comme un acte de terrorisme religieux. En revanche, ils ont largement insisté sur l’islamophobie et les insultes à la religion – qu’ils mettent sur le même plan –, comme seules explications vraisemblables à ces actes de violence. Pour ces ardents défenseurs des politiques communautaires et identitaires, le problème vient avant tout de la laïcité française, qui autorise le blasphème." Ce qui l'amène à affirmer que "la ligne éditoriale de ces grands médias sur ces sujets est aujourd’hui à peine différente de celle des plateformes d’information religieuse au prosélytisme affiché qui plaident ouvertement en faveur du mode de vie islamique en Europe".  Rappelons (2) qu'il y a un an et demi, The New York Times avait courageusement décidé la suppression des dessins de presse dans ses éditions, suite à la publication dans ses pages d'un dessin de Trump et Netanyahu qui avait été jugé antisémite par certains. Pas de vague, était la consigne, pas de scandale. Une décision qui ressemblait à un auto-sabordement. 

De son côté, le magazine américain Politico qualifie la laïcité de dangereuse religion française. "Une partie des médias américains peine à admettre la réalité du problème que l'extrémisme musulman pose à la France, estime le site d'information britannique Unherd (3). L'emploi du mot islamisme lui-même est rare, hormis pour citer Macron, comme si tout ça n'était que le pur produit de son imagination." Unherd considère que les médias américains ont tendance à plaquer "sur la France leur propre grille de lecture". Et surtout à craindre que la dénonciation de l'islamisme soit vue comme un reproche adressé aux musulmans. Une manière d'éviter de nommer et d'affronter le problème, en refusant de dénoncer ce que l'éditorialiste algérien Mustapha Hammouche (4) appelle une idéologie à vocation expansionniste: "sa stratégie de conquête repose sur la haine hissée au nom de valeur. Son credo est de semer le chaos pour imposer son ordre sur les décombres de l'ancien. Là où il le peut. Là où il ne le peut pas, il s'adonne au terrorisme d'attentats pour entretenir la haine, qui entretient le moral des troupes, dans ses rangs. Sa cible est alors aisément identifiable: l'ordre issu du génie humain, c'est-à-dire la science, l'art, l'harmonie sociale..." Mustapha Hammouche termine en affirmant que "par nature, un péril global appelle une réaction globale". Mais tant de braves gens font le dos rond face à l'islamisme...

(1) "Médias anglo-saxons: le terrorisme n'a jamais existé", Charlie Hebdo, 28.10.2020.

(2) (Re)lire sur ce blog "Autocensure", 11.6.2019.

(3) "Des médias anglo-saxons hors sujet?", Le Courrier international, 19.11.2020.

(4) "L'islamisme rime toujours avec terrorisme", Liberté (Alger), 5.11.2020, in Le Courrier international, 19.11.2020.


3 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

C'est instructif et cela explique en partie le trumpisme.

En Belgique, le fondateur de la revue Politique, Henri Goldman, a écrit un article après la mort de Samuel Patty. Il était titré : "France : une névrose de l'atérité."

On pouvait notamment y lire : "Les «caricatures de Mahomet» ont été publiées en 2005 dans le quotidien danois Jyllands-Posten. Cette publication a mis le monde musulman en ébullition. Puis, petit à petit, l’affaire s’est calmée partout. Sauf en France, où on a trouvé judicieux de souffler sur les braises en transformant les caricatures en fétiches agités en permanence. Pourquoi ? Pourquoi est-ce en France, et nulle part ailleurs, qu’un jeune Tchéchène commet un assassinat horrible, après qu’un jeune Pakistanais s’en soit pris à l’ancien siège de Charlie Hebdo ? Il y a pourtant des réfugiés tchétchènes et pakistanais dans tous les pays d’Europe."

C'était avant l'attentat de Vienne (et après beaucoup d'autres : New York, Bruxelles, Stockholm, Londres, Madrid, sans oublier Kaboul où la dernière salle de cinéma a été fermée). Sans doute "la névrose afghane" dans le dernier cas.

Michel GUILBERT a dit…

Je ne comprends vraiment pas pourquoi tous ces gens, tel Goldman, s'aveuglent totalement sur cette question et en arrivent à ces attitudes tellement compassionnelles qu'elles les amènent à des analyses stupides (et très souvent européano-centrées).
On en trouve partout:
https://charliehebdo.fr/2020/11/societe/au-journal-de-saint-denis-la-censure-vient-de-linterieur/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=QUOTIDIENNE_18112020___ABONNES&utm_medium=email

Philippe Dutilleul a dit…

Je ne possède pas les connaissances suffisantes pour porter un jugement sur tes différentes chroniques sur ce sujet brûlant de l'islamisme. J'ai effloré le sujet dans les deux dernières chroniques de mon blog (blogandcrocs.blogspot.com).
Par contre, je suis en accord complet avec la carte blanche du sociologue Michel Wierviorka dans "Libération " du 18 novembre intitulée "Démocratie en sursis" et plus encore avec la lumineuse analyse d'Edgar MORIN dans le "Monde" du 21 novembre intitulée "Que serait un esprit critique incapable d'autocritique".
Ce qui paraît évident à notre raison et à notre sensibilité doit toujours être confronté à l'avis d'autrui quand celui-ci est argumenté et basé sur une réflexion objectivée.
L'essentiel cependant dans la conjoncture actuelle est bien exposé dans les deux articles repris en rubrique, me semble-t-il.
Bien cordialement.
Philippe Dutilleul.