lundi 23 novembre 2020

Contre la mauvaise foi, encore et toujours (et jusque quand?)

Il faut, une fois encore, une fois de plus, répondre aux pécheurs qui gravissent sur les genoux les marches du Golgotha en se fouettant, leur dire que non, l'islamisme n'est pas de leur faute, n'est pas de notre faute, que leur auto-flagellation n'y fera rien, qu'elle n'arrêtera pas la violence des fous-furieux de Dieu. Il y a assez de sang versé. N'y ajoutez pas le vôtre.

Quelques artistes peu inspirés avaient publié un texte peu novateur (1), ressucé de tant d'autres déjà écrits qui encombrent nos poubelles, qui affirmaient un lien entre actions djihadistes et actions militaires occidentales. Des chercheurs leur répondent, dans un texte qu'il faut lire (2), pour réfuter leurs arguments. Où trouvent-ils ce lien? "Historiquement, lorsque la France a été frappée par un terrorisme d’origine moyen-orientale, c’était généralement sans intervention dans les pays concernés", disent les chercheurs. Comment expliquer, si les opérations militaires étaient la cause des attentats, ceux qui ont été commis en Allemagne, en Finlande, en Autriche, en Suède, aux Pays-bas? Comment expliquer que 80% des attentats commis au nom d'Allah ou de son prophète le soient dans des pays où l'islam est majoritaire? Ajoutons que si la France intervient au Mali, c'est à la demande de ce pays, précisément pour protéger la population malienne des exactions djihadistes. Que ça plaise ou non aux fustigeurs, François Hollande y a été bien plus populaire qu'il ne l'a jamais été dans son propre pays. "Faire de ces interventions une cause majeure de terrorisme, c’est inverser la causalité, affirme de groupe de chercheurs. Il n’y aurait pas eu d’intervention significative des Occidentaux en Afghanistan ou en Syrie sans la montée en puissance d’Al-Qaïda et de Daech. La principale opération extérieure conduite actuellement par la France, soutenue par nombre d’autres pays dont beaucoup d’acteurs régionaux, contribue à protéger une population composée à 90 % de sunnites des exactions de groupes armés terroristes. L’intervention au Mali, un Etat membre de l’Organisation de la conférence islamique, a été engagée sur demande de son gouvernement, en pleine conformité avec le droit international. Non seulement il est douteux que les interventions militaires génèrent un « nouveau » terrorisme mais, en l’espèce, elles entendent porter un coup d’arrêt à des franchises islamistes dont les crimes frappent d’abord les communautés musulmanes locales."

Les braves artistes peu au fait de l'actualité ignorent totalement le rôle d'un Bachar el-Assad, "l’un des principaux pourvoyeurs de terroristes en Syrie (...) qui n’hésita pas à libérer des milliers de djihadistes des prisons de Damas pour attiser la guerre civile. Rappelons d’ailleurs que les régimes autoritaires de la région ne sont pas étrangers à l’émergence du terrorisme en leur sein : en l’absence de toute respiration démocratique, ils favorisent l’émergence des formes les plus radicales de contestation et facilitent le passage à la violence." Une fois encore, répétons-le: c'est aux valeurs de la démocratie que veulent s'en prendre les djihadistes. "Les djihadistes sont d’abord et avant tout des ennemis du modèle libéral. La France est bien attaquée pour ce qu’elle est, pas pour ce qu’elle fait. (...) Si le terrorisme djihadiste réagit à quelque chose, c’est bien plus à l’héritage des Lumières qu’aux interventions militaires qui constituent une manière - imparfaite et insuffisante - de réduire la menace."

Comme trop souvent, les bonnes âmes qui nous invitent au repentir sont très euro-centrées. Ce sont, souvent, les mêmes, qui, sous couvert de position décoloniale, nous fustigent, nous Occidentaux, hommes blancs, hétéros et patriarcaux, pour notre vision qui serait réduite à nous-mêmes ,et qui ignorent superbement la violence djihadiste subie par les populations musulmanes. On a envie de les inviter à écouter les démocrates du monde musulman qui appellent l'islam à se remettre en question,  les inviter à sortir de leur vision nombriliste et à se débarrasser de la culpabilité judéo-chrétienne. Qu'ils arrêtent de se faire souffrir et de tenter de justifier l'injustifiable.

(1) https://www.nouvelobs.com/idees/20201114.OBS36086/guerres-et-terrorisme-sortir-du-deni.htm

(2) https://www.nouvelobs.com/idees/20201121.OBS36387/guerres-et-terrorisme-ne-pas-se-tromper-de-cible.html

4 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Oui, ce repentir est un phénomène marquant et important par ses conséquences, notamment politiques. Il a une longue histoire et, aujourd'hui, une large extension, y compris dans l'anthropologie et l'écologie contemporaine (j'y reviendrai, travaillant sur ce sujet à partir de Baptise Morizot). J'ai été frappé, en relisant "Le passé d'une illusion" de l'historien François Furet, de trouver des formules quasiment similaires d'une haine de la modernité occidentale dans la passion des partisans des totalitarismes européens du 20e siècle. En dehors de cette longue filiation, le phénomène contemporain que tu décris dans ce billet est effectivement très euro-centré, dans le sens où il n'y a pour lui qu'un seul acteur actif dans le monde, "cause de tout", l'Occident (et ses relais), et, de l'autre, des victimes. Je me dis parfois qu'il s'agit d'une sorte de néo-colonialisme pénitentiel qui s'ignore comme tel. Cela ne ne sous-estime évidemment d'aucune manière le colonialisme occidental (ou les deux colonialismes : ibériques et nordiques), mais il n'a pas été le seul et n'est pas le seul.

Michel GUILBERT a dit…

Je suis en train de lire "L'Imposture décoloniale" de Pierre-André Taguieff. Il cite Cheikh Anta Diop qui a retourné le point de vue raciste blanc, exprimé notamment par Hitler, en point de vue raciste noir: "Le Nègre ignore que ses ancêtres (...) sont les plus anciens guides de l'humanité dans la voie de la civilisation". Ce sont eux qui sont à l'origine de tout, dit-il. Il entre ainsi dans une opposition noirs-blancs qui ignore totalement une part très importante de l'humanité. Oubliés les Chinois, les Japonais, les Mayas, les Khmers, les Indiens, les Aztèques, les Arabes et tant d'autres civilisations. Comme s'il n'y avait que l'Europe et l'Afrique noire en opposition. Il a écrit cela dans les années '50. Avant les décolonisations donc. Mais j'ai l'impression qu'aujourd'hui, soixante ou septante ans plus tard, à l'heure de la mondialisation et d'Internet, on est plus que jamais dans l'ère du nombril. On le fouette ou on l'admire. Mais on oublie que le monde est plus vaste. On oublie d'ouvrir le regard. On méprise ainsi, en les ignorant volontairement, celles et ceux qui pourraient gêner nos analyses.

Bernard De Backer a dit…

Une dernière réflexion rapide. Je lis ce matin un petit texte très éclairant et synthétique de Jean Birnbaum dans Le Monde : "La gauche et l’islamisme : retour sur un péché d’orgueil. Croyant en une force internationaliste capable de briser la domination de l’Occident, certains militants de gauche étaient persuadés que, tôt ou tard, la religion serait abandonnée au profit de l’émancipation."

On peut y lire notamment : "Cette formule résume le credo durable d’une partie de la gauche européenne, credo qui repose sur trois articles de foi : 1) il n’y a qu’une domination réelle, celle qu’exerce l’Occident ; 2) la seule force qui peut en finir avec cette domination sans frontières est une gauche internationaliste, qui connaît le sens de l’histoire ; 3) quand les dominés se soulèvent au nom de Dieu, il ne faut pas juger le « détour » qu’ils empruntent, car tôt ou tard ils délaisseront les chimères de la religion pour la vérité de l’émancipation."

Et encore : "De même que Lénine définissait le « gauchisme » comme la maladie infantile du communisme, on peut affirmer que l’« islamo-gauchisme » constitue la maladie sénile du tiers-mondisme. Celle d’une gauche occidentalo-centrée, qui n’imagine pas que l’oppression puisse venir d’ailleurs. Celle d’une gauche anti-impérialiste qui voit en tout islamiste un damné de la terre, même quand il est bardé de diplômes ou millionnaire. Celle d’une gauche qui plaçait naguère sa fierté dans son aura mondiale, et qui été surclassée par un mouvement qu’elle a longtemps regardé de si haut : l’internationale islamiste."

Michel GUILBERT a dit…

Analyse très juste. Hélas!