mardi 3 novembre 2020

The Ugly

Ce 3 novembre marquera-t-il la fin du règne d'Ubu Trump? Une bonne partie de la planète l'espère. Cet homme adore être candidat. Voilà quatre ans et demi qu'il l'est. Il ne sait faire que cela. Gouverner n'est pas son truc. La crise du coronavirus l'a montré dans une incapacité totale. Non seulement, il n'a pas le temps de travailler, mais en plus il ne sait pas comment on fait et visiblement il déteste cela. Ou plutôt il croit que travailler c'est regarder Fox News et envoyer des tweets, le plus souvent agressifs, grossiers, incultes, rageurs, stupides, mensongers. Quand ce n'est pas le cas, c'est pour faire connaître tout le bien qu'il pense de lui-même. Son slogan n'est pas America first. C'est Me First, Myself. Il faut reconnaître qu'il a réalisé une partie de son programme: casser les avancées de son prédécesseur, quitter l'Accord de Paris sur le climat, mener une guerre économique avec la Chine, rompre l'accord avec l'Iran. Cet agent immobilier ignore le verbe construire. Mais c'est pour cela que ses fans l'idolâtrent. L'incarnation du déclin américain ne s'exprime que par bras d'honneur et ça, ça leur parle. Détruire, dit-il. Certains de ses fanatiques, ces derniers jours, ont empêché un bus de campagne de Biden-Harris d'arriver à destination. Le cortège des pro-Trump, armés dans leurs pick-ups avec des drapeaux flottant au vent, ressemblait étrangement à un convoi de Daech (1). Glaçant. 

L'écrivaine libanaise Dominique Eddé a écrit un portrait au vitriol, mais très juste, de celui que Spike Lee a baptisé L'Agent Orange. Quelques extraits de "Mon virus d'Amérique" (2).

"On ne peut pas dire de lui qu'il est un phénomène de la nature. Il est un phénomène de recyclage. Tout ce qu'il n'a ni vu, ni appris, ni connu - la masse d'ignorance qui l'habite - est recyclé en une formidable provision d'énergie. Sa carrure à nuque engoncée l'oblige à hausser le menton pour s'inventer un cou. Il porte son corps comme un privilège et comme un poids. Cette ambivalence se lit à la débandade de son sourire. Il est toujours très content de lui, jamais content tout court." (...)

"Sa voix (...) est un raz-de-marée. Elle s'adresse au monde entier en n'ayant consulté que lui. Elle est bourrée de son désir: un désir irrépressible, mais sans objet précis. Une sorte de pulsion mi-chair, mi-métal. (...) Elle s'écoute sans s'entendre, elle a le charisme d'un tank en temps de guerre. Elle sécurise ceux qui ne savent pas quoi faire de la paix. Elle leur sert de berceuse." (...) Elle change de registre. C'est la voix d'un acteur qui joue si bien son rôle qu'il ne voit pas pourquoi il en essaierait d'autres." (...)

"Toute sa personne est attroupée dehors. Le peu qui reste à l'intérieur est installé devant un miroir. Il est le roi impassible de la façade. L'amour qu'il se voue est si passionné qu'il lui arrive de craindre la trahison: un lâchage inopiné de lui par lui. Cet homme est sans mystère, mais il a un secret: il manque un lien entre son personnage et sa personne." (...)

"Il se sent revivre chaque fois qu'il change d'avis, chaque fois qu'il peut dire sans broncher: C'est comme ça et pas autrement. Ses retournements ne sont pas que sa marque de fabrique, ce sont ses points d'équilibre. Il compte sur eux pour déstabiliser l'adversaire. C'est un des moments qu'il préfère. C'est là qu'on le voit lever une lèvre et hésiter entre ricaner et sourire. Pour finir, il ne fait ni l'un ni l'autre, il s'amuse de ne pas rire. Il s'en vante. Est-ce qu'il sait rire? Rien n'est moins certain. S'esclaffer sûrement, mais rire comme on se lâche lorsqu'à l'intérieur de soi, l'enfant et l'adulte ne font qu'un? Impossible." (...)

"L'excitation, l'exaltation, il connaît. Mais la joie? On a beau retourner son cas dans tous les sens, on ne voit pas comment il pourrait y goûter. La joie, c'est le contraire du gain. Il faut n'avoir rien d'autre qu'elle à obtenir pour y accéder. Il faut s'être un instant oublié. Comment pourrait-il?" (...)

"Il y a deux humanités à ses yeux: celle qui le suit, l'applaudit, le prolonge, et l'autre, qui, en un mot, l'importune. Elle le gêne au même titre qu'un lacet qui résiste ou qu'une allumette qui ne prend pas. Quand son impatience l'aveugle, la Bourse et son gendre lui tiennent lieu de boussole." (...)

"En somme, il a pitié de ceux qui ne savent pas qui il est et il souffre en permanence, sans savoir pourquoi, de ne pas être un autre. Comment le saurait-il? Il n'a jamais connu que lui. Cet homme est un virus qui révèle parfaitement le piteux état de notre planète: tout le monde l'a identifié, personne n'arrive à le mettre hors d'état de nuire."

(1) https://www.lalibre.be/international/amerique/elections-us/des-militants-pro-trump-armes-menacent-le-bus-de-campagne-biden-harris-au-texas-5f9d8a109978e20e7059cacf

(2) Dominique Eddé, "Mon virus d'Amérique", L'Orient - Le Jour, 10.4.2020, in Le Courrier international, 22.10.2020.



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