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lundi 28 avril 2025

Les cahiers au feu et le prof au milieu

La bande de philistins qui tente de diriger les Etats-Unis s'est donné une grande mission : tout casser. A commencer par la science et l'éducation. "Nous devons, honnêtement et agressivement, attaquer les universités dans ce pays." C'est ce qu'avait déclaré en 2021 celui qui est devenu au début cette année vice-président des Etats-Unis, J.D. Vance, qui n'a visiblement jusqu'à présent impressionné personne par la finesse de ses analyses, sa hauteur de vue ou sa sagesse "Nous avons besoin de sagesse, avait-il affirmé, et il y avait de la sagesse dans ce que Richard Nixon a dit il y a quarante, cinquante ans : Les professeurs sont l'ennemi". 
On aurait aimé qu'il explique ce que signifie attaquer honnêtement ou encore en quoi il serait sage de s'attaquer aux enseignants, mais en est-il capable ?
Ces béotiens n'ont pas besoin de se justifier, l'échange, le débat, la discussion leur sont aussi étrangers que l'intérêt collectif. Donc, ils cognent, ils coupent, ils dépècent, ils mentent, ils insultent. Il faut leur reconnaître cela : dans ces domaines, ils ont de grandes compétences.
Ils coupent les vivres aux universités qui ne s'alignent pas sur leurs ukases, ils suppriment des organismes de recherche ou taillent dans leurs subventions, ils dépècent le ministère de l'Education.
Les universités ont été sommées de retirer de leurs programmes toute référence à la recherche sur l'environnement, sur les inégalités ou les discriminations. Quand on a cassé le thermomètre, on ne constate plus de fièvre. Ainsi le veut l'idéologie trumpienne, "improbable cocktail de nationalisme chrétien et de techno-fascisme crétin mixé dans le bureau ovale" (1). "Soyez (et soyons) encore plus stupides", serinent ceux que Giuliano da Empoli appelle "les ingénieurs du chaos". L'irrationnel devient la norme, "le savant est moqué et l'ignorant porté aux nues". L'ignorance n'empêche rien, au contraire : Ubu Trump est devenu président de la première nation mondiale. 

Avant lui, son collègue illibéral Vikor Orban avait déjà agi de la sorte : en 2010, il supprimait le ministère hongrois de l'Education nationale. Il ne cesse de restreindre l'autonomie des enseignants (ceux du public, les écoles catholiques et protestantes étant favorisées), d'augmenter leur charge de travail, d'intervenir dans le contenu des manuels scolaires. Il leur a même interdit la grève. Des milliers d'enseignants ont préféré démissionner. Ceux qui restent se résignent, par peur d'être dénoncés. (2)

Pendant ce temps (3), le tueur en série Poutine transforme les lycées russes en antichambres de l'armée. Plusieurs fois par semaine, les élèves, vêtus d'une tenue militaire, sont conditionnés au nationalisme et à la nécessité de prendre prochainement les armes pour défendre la patrie. 

"L'ignorance, c'est la force", proclame le Parti dirigé par Big Brother dans 1984  de George Orwell. 

(1) Olivier Pascal-Moussellard, "La guerre au savoir est déclarée", Télérama, 26.3.2025.
(2) Marc Belpois, "Orban, touche pas à ma fac !", Télérama, 16.4.2025.
(3) Un reportage dans le Journal d'Arte en témoignait récemment.

lundi 6 mai 2019

La comique troupière

On ne peut pas dire que ce qui caractérise la fille à papa Le Pen soit l'humour. Elle n'en a jamais exprimé. Ou alors il ne fait rire qu'elle et les nuisibles qui l'entourent.
Mais voilà qu'elle fait rire toute la Belgique francophone: elle appelle les francophones belges à voter pour le Vlaams Belang/Blok (1), ce parti qui passe son temps à cracher sur ces mêmes francophones et dont le programme se résume quasiment à la fin de la Belgïe. Qu'elle crève! est le slogan préféré des Blokers. En draguant le Vlaams Belang, cette grande mêle-tout de Marine Le Pen n'hésite pas à dire n'importe quoi et à se rendre ridicule. Mais après tout qu'importe ? : elle n'est pas non plus connue pour sa grande intelligence, mais doit (quand même) savoir que son appel n'a aucune chance d'être entendu. Ce qui compte pour elle, c'est d'entretenir ses liens avec l'extrême droite flamande. Ensemble, ils font partie, avec d'autres formations extrémistes, du même groupe au Parlement européen. Et ils aimeraient être plus nombreux le soir du 26 mai. Ils auront cependant bien des difficultés à fédérer tous les partis européens qui n'aiment pas les autres.
Les partis nationalistes polonais ou hongrois, qui n'ont rien oublié de ce qu'ils ont vécu sous l'ère soviétique, n'ont guère envie de frayer avec leurs homologues français et italiens qui entretiennent des liens très étroits avec Vladimir Poutine. Mais tout est possible chez ces gens-là. On vient de voir Matteo Salvini, le super-ministre italien, tomber dans les bras de Viktor Orban. Le même Orban qui refuse que son pays, la Hongrie, assure sa part dans l'accueil des demandeurs d'asile, ce que réclame l'Italie qui les voit arriver très nombreux sur ses côtes. Tous ces gens parlent haut et fort, sans aucune crainte d'apparaître incohérents ou ridicules, sachant que leurs électeurs n'attendent pas d'eux des positions intelligentes. Juste d'entendre qu'ils rejetteront les étrangers et qu'ils haïssent l'Union européenne. Orban n'hésite pas à dire que les réfugiés sont des parasites. "Les migrants apportent de nombreux problèmes", affirme le porte-parole du gouverenment hongrois (2).
L'apport positif des migrants à nos sociétés est évidemment nié par les partis tels le RN-ex-FN qui ne vivent que de la caricature du méchant migrant qui vient jusque dans nos bras imposer sa propre culture ou, pire, égorger nos fils et nos compagnes.
Autre son de cloche en Allemagne où le secteur automobile se réjouit de l'arrivée d'une main d'œuvre motivée dans un pays où elle commence à manquer et où la population vieillit. Sur 1,2 million de migrants accueillis ces dernières années, 400.000 sont en contrat salarié ou en formation (2).
De son côté, le maire de Castelnuovo di Porto, en Italie, considère que les migrants représentent une aubaine pour les territoires ruraux, ils trouvent des emplois dans des secteurs en manque et favorisent le PIB.
Mais cela, la fille à papa, ses amis du Vlaams Belang ou de la Ligue ne l'admettront jamais. Dans aucune langue.

(1) https://www.lavenir.net/cnt/dmf20190505_01330871/marine-le-pen-invite-les-francophones-a-voter-vlaams-belang
(2) Vox Pop, Arte, 5.5.2019.

lundi 10 octobre 2016

A la mémoire de Zsuzsanna

Aîné d'une famille nombreuse, j'ai eu, durant quelques années, une grande sœur. Une très grande sœur puisqu'elle avait douze ans de plus que moi. Zsuzsanna avait quinze ans quand elle est arrivée en Belgique, dans notre famille, hébergée par nos parents. Les siens avaient voulu la mettre à l'abri de l'invasion soviétique qui mettait fin à une brève phase de libéralisation. C'était il y a soixante ans exactement. Ils furent quatre cent mille Hongrois à trouver asile en Europe de l'ouest où ils ont pu échapper à un régime autoritaire.
Mais les Hongrois ont la mémoire courte. Aujourd'hui, une bonne partie d'entre eux semble avoir oublié cet épisode de leur histoire nationale et s'oppose à l'accueil de 1294 demandeurs d'asile que leur imposent les quotas de répartition de migrants de l'Union européenne. Ils se sentent menacés dans leur identité, disent-ils. Dans ce pays de 9.900.000 habitants (à la démographie en baisse), 0,01 % de la population pourrait donc constituer un risque de déséquilibre. Certains ont l'identité très fragile. Dans le même temps, la Suède, qui compte autant d'habitants, a accueilli 160.000 réfugiés et connaît, de ce fait, une croissance économique inattendue (1).
L'autoritaire premier ministre Viktor Orban pensait emporter facilement un plébiscite en sa faveur en invitant ses concitoyens à une consultation populaire sur la question de l'accueil des migrants. Etant entendu qu'ils se prononceraient à une écrasante majorité contre leur arrivée. Ceux qui se sont déplacés se sont effectivement quasiment tous (98%) exprimés en ce sens. Mais ils n'étaient que 40% à participer au scrutin. Les autres ont préféré boycotter ce référendum piégé. Comme il fallait 50% de participation pour que la consultation soit validée, elle reste lettre morte. Mais les régimes autoritaires savent détourner les chiffres à leur avantage et pour le pouvoir seul doit être retenu celui des 98% qui s'opposent aux migrants (2).
"C'est, explique avec un humour amer le philosophe et ancien député Gaspar Miklos Tamas, seulement un symbole de notre victimisation et de la haine contre tous: contre l'Occident, contre l'Orient, contre le Nord, contre le Sud, contre les Etats-Unis, contre l'Union européenne, contre les peuples orthodoxes, contre les Russes, contre les migrants qui vont nous tuer dans nos lits. Tout le monde est notre ennemi, c'est un sentiment très chouette qui nous rend heureux. Nous sommes très heureux (3)."
Hier, la parution du principal quotidien d'opposition a été suspendue par Orban, le chef suprême et incontestable (4). Et ce n'est sans doute qu'un début: "les instituts de recherche, les programmes scientifiques, théâtres, musées, cinémas, lycées, tout est colonisé par la droite et l'extrême droite, constate encore Gaspar Miklos Tamas. Quand ce genre de structures soutenues par l'Etat sont dirigées par des démocrates, elles sont remplacées par des personnes d'extrême droite. Il y a des dizaines de milliers d'intellectuels de gauche limogés depuis six ans. Si vous êtes fasciste, toutes les carrières vous seront ouvertes."
Même l'école doit s'adapter: "dans les manuels scolaires, les grands auteurs européens sont peu à peu remplacés par des auteurs nationalistes, poètes, écrivains, et par des auteurs moyens, oubliés", explique la féministe Kata Kevehazi, qui constate aussi que "le féminisme n'a pas sa place dans la tradition intellectuelle hongroise. Ici, le féminisme, c'est une injure".
Viktor Orban est de ces populistes autoritaires à la mode aujourd'hui. On lui trouve des ressemblances, par exemple, avec la famille Le Pen: "il est resté très loin des milieux intellectuels, affirme l'historien Gyozo Lugosi, et a comme un sentiment d'infériorité. De revanche aussi, ce n'est pas par hasard s'il a acheté une grande maison dans un quartier chic dans laquelle il ne se sent pas très à l'aise."
La Hongrie d'aujourd'hui fait peur. Quand on demande (3) à Agnès, qui est rom, et à son mari Janos, qui est juif, comment se définissent leurs enfants, ils répondent: "nos enfants choisiront leur pogrom!".

Suzanne, comme nous l'appelions,  a passé toute sa vie en Belgique, elle y a eu des enfants et des petits-enfants. Elle m'avait toujours promis de m'emmener un jour découvrir son pays natal. J'ai longtemps rêvé de Budapest et des steppes hongroises, comme d'un pays exotique qui serait aussi un peu le mien. Je n'y ai jamais mis les pieds. La vie nous a un peu éloignés, puis elle est décédée voilà douze ans d'une méchante chute dans son escalier. Aujourd'hui, la Hongrie ne m'a jamais paru aussi lointaine. Allez savoir pourquoi, elle a cessé de me faire rêver.

Laissez-moi vous parler des hommes de demain...

Ils seront force et douceur
Ils déchireront le masque de fer du savoir
Pour laisser lire enfin une âme sur son visage.
Ils embrassent le pain, le lait
Et de leurs mains caresseront la tête de leurs enfants.
Ils extrairont les minerais,
Le fer et tous les métaux.
Ils bâtiront des villes en mettant à contribution les montagnes;
Calmes et puissants, leurs poumons
Aspireront la tempête, l'ouragan
Et les océans s'apaiseront.
Toujours ils attendront l'hôte inattendu
Pour qui ils mettront la table
Et disposeront leur cœur.
Ils sont, comme nous tous, les frères cadets, les amants de Dieu.

Soyez semblables à eux,
Et que puissent vos frêles enfants
Sur leurs jambes sveltes comme lys,
Traverser la mer de sang qui demain nous sépare. 

Attila Jozsef, Leçons (extrait), traduction de Georges Kassai et Jean-Pierre Sicre, "Attila Jozsef, Aimez-moi", Œuvres poétiques, Phébus, 2005.
(Re)lire sur ce blog "Le sort du poète", 12 mars 2012.

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/les-histoires-du-monde/les-histoires-du-monde-10-octobre-2016
P.S.: à examiner avec des nuances... (cf "28 minutes", 18.10.2016)
(2) http://www.lalibre.be/actu/international/hongrie-le-referendum-anti-refugies-invalide-orban-contre-attaque-57f13e71cd70e9985fe8c4aa
http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/10/02/hongrie-le-manque-de-participation-au-referendum-sur-l-accueil-des-refugies-pourrait-invalider-la-victoire-du-non_5006966_3214.html
(3) "Hongrie, le pays de l'identité pleurnicheuse", excellent reportage en quatre pages d'Angélique Kourounis avec des dessins de Riss, Charlie Hebdo, 5 octobre 2016.
(4) http://www.lalibre.be/actu/international/hongrie-bruxelles-tres-preoccupee-par-la-situation-du-principal-journal-d-opposition-57fb77f4cd7004c05d087919


lundi 12 mars 2012

Le sort du poète

Même mort depuis septante-cinq ans, le poète est encore rejeté. La statue d'Attila Jozsef, poète hongrois (1905-1937), sera déboulonnée. Ainsi en a décidé le premier ministre hongrois, le populiste Viktor Orban.
La vie d'Attila Jozsef fut un long chemin de croix. Abandonné tout jeune par son père, il est confié par sa mère à une famille adoptive qui lui change son prénom et lui mène la vie dure. Au point qu'il s'enfuit. Il se met à écrire. C'est sa vie. Mais ses poèmes sont jugés tantôt provocateurs, tantôt idéalistes. Ce qui lui vaut d'être exclu du parti Communiste hongrois. Il se suicide à l'âge de trente-deux ans. Il devra s'y reprendre à deux fois: la première fois qu'il se couche sur les rails du train, celui-ci n'arrive jamais: il s'est arrêté en amont à cause... d'un suicide (1).
Aujourd'hui, sa statue, installée près du Parlement hongrois à Budapest, sera déboulonnée. Viktor Orban trouve le poète "politiquement trop marqué à gauche" (2). On voit par là qu'on peut continuer à mener la vie dure même à des morts.

Il a quitté le parti
Qui ne l'a pas accepté
Il a pris part et parti pour l'éternité
Il a quitté la maison
Pour faire un tour pour toujours
Il a quitté le perron aller sans retour

Qu'est-ce que je sais de ce poète-là
Sauf qu'il avait le verbe bref
Et qu'il s'appelait Attila, Attila Joszef

Dick Annegarn

(1) Voir l'introduction de l'œuvre poétique d'Attila Jozsef "Aimez-moi" (éditions Phébus)
(2) "L'exception hongroise", in Télérama, 29 février 2012