dimanche 12 mai 2024

Cette guerre qui s'avance

Depuis quelques jours, les troupes de Poutine intensifient leurs bombardements sur Kharkiv et sa région où plus de quatre mille personnes ont dû être évacuées. Cette nouvelle pression russe n'est pas une surprise pour ceux qui suivent la situation. Et contredit ceux qui estiment qu'il suffirait de laisser à la Russie les régions déjà conquises pour qu'elle mette fin à cette guerre. Ubu Trump, par exemple, toujours aussi prétentieux et méprisant, qui affirme que, s'il était président, il mettrait fin à la guerre en vingt-quatre heures en faisant pression sur le gouvernement ukrainien pour qu’il fasse définitivement une croix sur les territoires actuellement occupés par la Russie. Etrange moyen de mettre fin à une guerre : accepter les victoires de l'agresseur-voleur.

Le projet russe est terrifiant et s'apparente, si on écoute certains de ses zélateurs les plus monstrueux, à un projet de génocide.
Il y a un peu plus d'un mois, le traducteur et poète André Markowicz exprimait son impression que le discours poutinien se radicalise. "Maintenant, c’est par dizaines que l’on trouve des déclarations selon lesquelles, l’Ukraine, il faut la détruire complètement, totalement, qu’il n’y a aucune place pour une Ukraine  quelconque, pour le nom même de l’Ukraine, même à l’intérieur de la Fédération de Russie, (...).  Chez Soloviov (note : propagandiste en chef de Poutine), on entend de plus en plus souvent des appels à raser toutes les villes, parce qu’il n’y a rien à garder, culturellement parlant, dans ces villes (même Kiev, berceau de l’orthodoxie russe), et surtout pas les gens. Les gens, explique le député Lougovoï, en particulier les habitants de Kharkov, il faut qu’ils soient anéantis, que la ville soit frappée par une « catastrophe de masse » telle qu’il n’en reste rien, ou en tout cas que personne n’y ait plus aucun moyen d’y vivre, et qu’ils partent, les habitants, « à pied ou en voiture » (...), « avec leurs baluchons » , – ces gens qui y habitent en ce moment, qu’ils partent à l’Ouest, ceux qu’on n’aura pas tués, et qu’on ne les revoie plus. Les 800.000 habitants de Kharkov aujourd’hui (...). En gros, personne (en dehors, donc, de quelques rares voix) n’a dit que ces paroles étaient un appel au génocide. Parce que, le génocide, il est aujourd’hui considéré comme nécessaire et sain, – et, finalement, ce qui est nouveau, c’est le caractère massif de ces déclarations, pas les déclarations elles-mêmes, qui ne font que poursuivre la ligne de Timoféï Serguéïevtsev énoncée il y a exactement deux ans, fin mars - début avril 2022."
Et puis, il y a eu cette déclaration solennelle de l’Église orthodoxe russe, qualifiant de « guerre sainte » ce qu'on ne pouvait appeler jusqu'alors que Opération militaire spéciale. "Ça, c’est nouveau à double titre, dit André Markowicz : d’abord, parce que, dès lors, c’est officiel, cette « opération militaire » qui, si vous la qualifiez de « guerre » en Russie, peut vous valoir jusqu’à dix ans de prison, est bien devenue une guerre – puisqu’elle est « sainte ». Ça n’a l’air de rien, mais c’est fondamental, parce que ça signifie que, pour l’État russe et la hiérarchie de l’Église orthodoxe de Moscou, c’est l’essence même de la nation qui est aujourd’hui engagée dans une guerre, et que, donc, cette guerre ne peut se régler que par une victoire totale sur les forces du mal." L’Église orthodoxe russe est très claire : « Après l’achèvement de l’opération militaire spéciale, tout le territoire de l’Ukraine contemporaine doit appartenir à la zone d’influence exclusive de la Russie. La possibilité de l’existence sur ce territoire d’un régime politique russophobe, ennemi de la Russie, doit être totalement exclue ».
L'Eglise russe en revient à des positions qu'on croyait appartenir définitivement au Moyen-Age : la Russie mène cette guerre sainte contre l’Antéchrist, contre les « assauts du globalisme et contre l’Occident tombé dans le satanisme ».  Et les prêtres orthodoxes ont l'obligation "de prier tous les jours pour la victoire des forces russes".
"Ça veut dire, estime André Markowicz, que, peu à peu, mais d’une façon très claire, Poutine a mobilisé la société tout entière, – tout le pays, et que cette guerre contre l’Ukraine est devenue une guerre existentielle." Jusqu'à l'intérieur de la Russie, explique encore André Markowicz, où des personnes  sont agressées, victimes de ratonnades, simplement à cause de leur physique asiatique ou caucasien. Dès lors, "les immigrés, par centaines aujourd’hui (mais le mouvement va s’amplifier) rentrent chez eux, du jour au lendemain (...)".

La guerre est qualifiée de sainte mais donc aussi d'existentielle, "non pas parce qu’elle est existentielle pour le pays, mais pour lui (le régime poutinien). Ce que dit Poutine (ou plutôt ce qu’il ne dit pas mais ce qu’il montre) c’est que, maintenant qu’il a les mains libres grâce à Trump (qui gouverne déjà, quoi qu’on puisse dire), il n’y aura pas de quartier, – il veut conquérir l’Ukraine tout entière et, réellement, concrètement, en remplacer les habitants. Les Ukrainiens qui ne comprennent pas qu’ils sont russes ou doivent vivre « l’influence exclusive de la Russie » seront détruits, « totalement », soit ils iront « à l’Ouest » – de nouveaux millions de réfugiés, donc, – libre à l’Europe sataniste de les accueillir ou pas."

André Markowicz est inquiet : "combien il y en a, de voix en France, de la gauche à la droite, pour dire que « non, la France ne fera jamais la guerre à la Russie »... Et combien ne comprennent pas que ce n’est pas la France qui fera ou ne fera pas la guerre à la Russie, mais la Russie qui fera, ou ne fera pas (mais qui fera) la guerre, – et plutôt non, disons-le autrement : qui la fait déjà, la guerre, sauf que nous, dans la vie quotidienne, on ne s’en rend pas compte. Et combien, en France, ne comprennent pas que, ce qui va arriver, c’est ça. Que nous sommes, aujourd’hui, entrés dans une période dont un dirigeant polonais (est-ce Donald Tusk lui-même ?) a dit que c’était une « avant-guerre ».
C’est la guerre qui s’avance. Pas une « opération militaire spéciale » Non, une guerre, d’annihilation. Et nous regardons ailleurs."

Oui, le monde n'a les yeux tournés que vers Gaza. Les jeunes (et moins jeunes) indignés ont raison réclamer la fin de la guerre à Gaza et de défendre le peuple palestinien. Mais qui se soucie de cette guerre à nos portes, qui menace la démocratie en Ukraine et chez nous ? Qui s'inquiète du sort des Ukrainiens ? Et pendant ce temps, Biden, coincé entre Israël et Gaza, perd des points (ce qui signifie que Trump en gagne), pendant ce temps, l'extreme droite européenne, qui trouve beaucoup de charme au régime poutinien, progresse partout. Le vacarme de cette guerre fait de moins en moins de bruit chez nous.
Il fait froid dans le monde.

2 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

C'est effectivement une guerre longue, voire "totale", qui s'annonce. Contre l'Ukraine d'abord etl'Europe ensuite, par morceaux. C'est la technique du "salami" de Staline en Europe centrale après 1945. Elle a des racines historiques russes profondes, bien antérieures à l'avènement de Poutine Ier. Ici, nombreux sont ceux qui vivent comme des "somnambules", ne voyant rien venir. Et parmi eux, nombre de politiques des deux bords extrêmes, voir d'ailleurs. Il n'y a qu'une seule issue, hors le déshonneur : la guerre défensive intense pour sauver l'Ukraine "et les autres" (Moldavie, Géorgie, Pays baltes, etc.).C'est pour moi, et depuis 2014 (voire bien avant), un enjeu vital pour la démocratie européenne.

Bernard De Backer a dit…

Complément à mon commentaire précédent. Il ne faut certainement pas perdre de vue les actions militaires, économiques et politiques du régime Poutine en Afrique (Sahel, Libye, Tunisie..). Cela fait partie de la stratégie d'encerclement de l'Europe, de la "lutte contre l'Occident global" et de l'instrumentalisation des flux migratoires (comme à la frontière entre Belarus et Pologne - voir le film "Green Border").