dimanche 5 mai 2024

Fascination de la violence

En France, ces dernières semaines, de manière aussi incompréhensible qu'inquiétante, on a vu des adolescents tués par d'autres. Pour des raisons diverses. Souvent très futiles. A chaque fois, au couteau. Pourquoi des jeunes se promènent-ils avec un couteau dans leur poche ? Comment peuvent-ils l'utiliser pour tuer ?
Ici et là, on voit des gens fascinés par ce tueur en série qu'est Poutine. D'autres attirés par la violence islamiste. Aux Etats-Unis, posséder une et même plusieurs armes est considéré comme normal, mais fumer un joint est criminel. Dans le conflit Hamas-Israël, certains ont été jusqu'à applaudir les viols, les éventrations, les assassinats de juifs, quand d'autres se réjouissent de la mort de musulmans. 
Comment expliquer une telle fascination pour la violence et les violents ?

Dans "Un monde flamboyant" (1), Siri Hustvedt fait dialoguer deux de ses personnages tous deux artistes plasticiens : "Comme je lui disais que Marinetti était un fou répugnant, il a répliqué qu'il aimait ce qui était fou et répugnant. Qu'il aimait le feu, la haine et la vitesse. Il y a de la beauté dans la violence, a-t-il dit. Personne ne veut le reconnaître, mais c'est vrai. (...) J'ai réagi à ses propos. J'ai dit que c'était une esthétique fasciste, et que pour voir de la beauté dans les mutilations et les effusions de sang, il fallait être complètement distancié des individus concernés. Mais Rune a appris qu'une vive décharge verbale ou visuelle provoque des réactions fortes, qu'il peut alors savourer à son aise. Il est séduit par une insurrection facile, de l'espèce qui ne coûte rien à personne."

Dans son dernier ouvrage, "Le Couteau" (2), récit de l'agression qui faillit lui coûter la vie, Salman Rushdie imagine un dialogue avec l'homme de vingt-quatre ans qui a tenté de l'assassiner au nom de sa religion. Rushdie lui cite Bertrand Russel qui, dans The Faith of a Nationalist, dit ceci : "Les gens tendent à aligner leurs croyances avec leurs passions. Les hommes cruels croient un dieu cruel et prennent prétexte de leurs croyances pour excuser leur cruauté. Tandis que les bonnes personnes croient un dieu de bonté, et elles auraient été bonnes de toute façon." Rushdie imagine que, enfant, "le A.", comme il l'appelle, était "un brave garçon qui a bon cœur et n'aurait fait de mal à personne" et se pose ces questions : "un tel enfant, à peine adulte, peut-il se voir enseigner la cruauté ? La cruauté était-elle déjà en lui, dans quelque recoin intime, attendant les mots qui allaient la libérer ? Ou a-t-elle pu être véritablement semée dans le sol vierge de votre caractère pas encore formé, y prendre racine et s'épanouir ? Ceux qui vous connaissaient ont été surpris de votre geste. Le meurtrier en vous n'avait pas encore montré son visage. Ce sol vierge a eu besoin de quatre années d'Imam Yutubi pour devenir ce qu'il est, ce que vous êtes devenu." Juste après, Rushdie a cette réflexion sur l'humour : "la seule façon de comprendre la polémique autour de ce livre (Les Versets sataniques) c'était d'y voir une querelle entre ceux qui ont le sens de l'humour et ceux qui ne l'ont pas. Je vous comprends bien à présent, mon assassin raté, hypocrite assassin, mon semblable, mon frère. Vous pouviez envisager un meurtre parce que vous étiez incapable de rire."

Peut-on enseigner l'humour ? C'est une arme désarmante. Le monde s'en trouverait meilleur.

(1) Babel - Actes Sud, 2014, traduction de Christine Le Bœuf.
(2) Gallimard, 2024, traduction de Gérard Meudal.


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