jeudi 9 mai 2024

Dialoguer

Ils veulent la fin de la guerre, mais pas la paix. C'est ce qu'il faut comprendre de l'opposition de certains étudiants à une conférence, prévue en juin à l'ULB (l'Université Libre de Bruxelles), d'Elie Barnavi, historien, essayiste et ancien ambassadeur d’Israël en France, sur la situation entre Israël et la Palestine.
“Elie Barnavi est une voix équilibrée pour la paix. Nous sommes beaucoup à avoir cette voix en disant qu’il faut qu’il y ait deux Etats qui vivent en pays côte à côte”, a déclaré la députée bruxelloise Viviane Teitelbaum. “Nous avons en face de nous des gens qui ne veulent pas la paix, ni le dialogue, qui ne veulent pas jeter des ponts et qui veulent construire des murs.”. Même point de vue chez Henri Goldman, membre de l’Union des progressistes juifs de Belgique (UPJB) : ”En même temps que je suis aux côtés du principe de l’occupation de ces étudiants, je trouve que cette demande de boycott est une stupidité”. (1)
L'intellectuel israélien rejeté se présente comme "pro palestinien depuis toujours", convaincu que les Palestiniens ont les mêmes droits que lui et favorable à un Etat palestinien. "Je me bats pour ça, nous sommes nombreux en Israël à le faire. S’en prendre à moi et aux universités qui sont des lieux de débats, […] c’est tout simplement contre productif” (...) “Ce qui est extraordinaire dans ces lieux d’élites, […], c’est l’abyssale ignorance de ces jeunes. Comme ils ne veulent pas entendre ce que des gens comme moi ont à leur dire, ils se complaisent dans cette espèce d’ignorance”.

On a du mal à comprendre qu'une opposition aussi ferme au dialogue puisse venir d'étudiants en sciences politiques. Ou alors on craint le pire par rapport aux politiques qu'ils pourraient mener plus tard, s'ils devaient être d'une manière ou d'une autre, au pouvoir, sans dialogue, sans écoute, sans nuance, sans analyse. Visiblement, pour eux, le monde est facile à comprendre : il y a les pauvres victimes et les méchants oppresseurs. Il y a les bons Palestiniens et les affreux Israéliens (ou plus largement Juifs). Le 7 octobre 2023 est une date qui n'a pas existé pour eux dans l'histoire du monde.
La situation des Palestiniens est suffisamment dramatique pour qu'ils soient soutenus par semblables hargneux fermés au dialogue. Peut-on dans le même temps vouloir la fin de la guerre et refuser d'écouter les voix pacifistes ?

Dans Le Monde, ce jour (2), un collectif de dix professeurs de Sciences Po Paris dénonce la volonté de boycott des universités israéliennes. Ils rappellent que la mission d’une université dans une démocratie est d'être "un lieu de savoir où sont élaborées de nouvelles idées en réponse à des questions difficiles". Ils déplorent "la fermeture de la pensée, le radicalisme et les simplifications à outrance (qui) ont prospéré depuis plusieurs jours". "Nous appelons, écrivent-ils, au retour à une forme de civilité intellectuelle et républicaine qui repose sur le respect de la parole de ceux qui pensent différemment et sur l’acceptation des règles essentielles du pluralisme critique, en vue de créer des ponts au lieu de les détruire."
Ils s'opposent au boycott : "aux barricades, aux slogans outranciers et aux formules offensantes proposons un débat constructif avec toutes les parties prenantes. Faisons en sorte que Sciences Po offre un espace de dialogue entre Israéliens et Palestiniens, et plus largement entre les citoyens des différents pays de la région. Sans les universités israéliennes et leurs voisines, dans le contexte d’une véritable communauté globale du savoir, ce projet ne peut pas avoir lieu."

On se permet de conseiller aux étudiants (et à toute personne prête à entrer dans la complexité de l'histoire et de l'actualité de ce sac de nœuds qu'est le Moyen-Orient) de lire "Holocaustes" de Gilles Kepel, ouvrage sorti tout récemment aux éditions Plon.

(1) https://www.lalibre.be/belgique/societe/2024/05/08/blocage-des-etudiants-sur-le-campus-de-lulb-ce-qui-est-extraordinaire-cest-labyssale-ignorance-de-ces-jeunes-MBJVDXFKJVG3BOG6M54SMUHW2A/
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/09/sciences-po-l-accentuation-des-clivages-est-une-impasse-voyons-comment-construire-un-dialogue_6232366_3232.html

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