mercredi 22 mai 2024

Une voix inquiète

A vingt ans, il a quitté un camp de jeunesse du régime pétainiste pour rejoindre le maquis. Il a pris les armes pour défendre la liberté de son pays et se battre contre le nazisme. Après le débarquement, il s'est engagé dans l'armée. Une fois la paix retrouvée, comme tant d'autres, il s'était dit "plus jamais ça !". Plus jamais de nazisme, de fascisme, de guerre, de rejet de l'autre. Et il y a d'autant plus cru qu'il a vu l'Union européenne se construire pas à pas, il a vu les ennemis d'hier non seulement dialoguer, mais mieux : collaborer, partager et échanger pour avancer ensemble.
Aujourd'hui, ce Berrichon a cent ans et est inquiet pour l'avenir. Inquiet de la montée qui semble irrésistible de l'ultra droite, comme il l'appelle. Il pense qu'elle devrait être exclue pour ses positions excluantes.
Il se désole de voir certaines de ses connaissances manifester contre un projet de centre d'accueil pour réfugiés dans un village voisin. Qu'ont donc fait ces gens qui ont fui la violence et la misère pour mériter tant de rejet et de haine ?, demande-t-il. Il est fâché de voir le maire menacé. 
Il dit qu'il faudrait expliquer aux jeunes le danger qui les menace si l'ultra droite arrive au pouvoir, qu'il faudrait que tout le monde vienne aux commémorations de l'armistice pour se souvenir du prix de la paix,  qu'il faudrait rappeler à chacun tous les bienfaits de l'Europe. Mais il ne veut pas prendre la parole, convaincu que ce qu'il peut dire ne changera pas les opinions de gens aux idées arrêtées. Il pense qu'on le traitera de vieux con, lui, ce vieux sage. *
A l'heure où le parti des Le Pen est donné largement en tête et séduit notamment de très nombreux jeunes par son discours simpliste et excluant, une voix comme la sienne doit pourtant être entendue. 

Tout comme celle de  l'écrivain Laurent Gaudé.
Ma génération a longtemps pensé que cette Europe était acquise, qu'elle serait le cadre fixe de nos vies, et elle découvre avec stupéfaction qu'elle pourrait bien être la génération qui l'enterrera ou, en tout cas, celle qui verra les premiers signes de sa fin. Ceux qui, comme moi, croient en cette aventure, seront coupables, s'ils ont laissé la place à la parole du contre. Il ne s'agit pas de nier les frustrations, les colères, les insatisfactions. J'en ai - et de nombreuses. Mais je fais la différence entre des colères que l'on peut transformer en combats politiques et la négation par principe de ce grand mouvement de fond qui, depuis plus de cinquante ans, bâtit un pays plus grand que nos vingt-sept nations. (...)
Les siècles qui nous précèdent sont des ogres qui ont avalé le courage et le génie par vies entières.
Et nous sommes là,
Nous, 
Avec ces mots qui nous ont été légués : "Nation", "Egalité", Liberté",
Que nous contemplons avec fatigue.
Depuis si longtemps nous sommes citoyens de l'ennui.
Jeunesse !
Jeunesse !
Il nous faut ton sursaut. 
Laurent Gaudé, "Nous, l'Europe - banquet des peuples" (Actes Sud, 2019)

Le dimanche 9 juin, faisons mentir les sondages, faisons barrage à l’extrême droite, votons pour un parti démocratique pro-européen. 

Sur le même sujet, (re)lire sur ce blog : https://moeursethumeurs.blogspot.com/2019/05/ma-plus-grande-patrie.html

(* Tout ceci est véridique)


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