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lundi 29 mai 2017

Et alors?

Cyril Hanouna ressemble à François Fillon. Tous deux sont de ces personnes dont le statut les amène à croire qu'ils peuvent tout faire ou tout dire. Et qui tombent des nues quand on leur reproche d'avoir outrepassé les règles de la morale, du respect ou de la bienséance.
François Fillon, depuis le temps qu'il multiplie les mandats, a cru qu'il était au-dessus des règles, au-dessus de la morale qui veut qu'on ne donne pas un emploi fictif à son épouse en la faisant payer par de l'argent public. "Et alors?", s'est-il étonné face aux indignations.
Cyril Hanouna, le roi de la grossièreté, animateur de l'émission la plus vulgaire de toutes les chaînes françaises, a commis ce qu'il appelle un sketch, qui consistait à se moquer en direct d'un homosexuel qu'il avait appelé par téléphone. Il l'a véritablement livré en pâture à ses téléspectateurs. L'audience et le succès de son émission le poussent à croire qu'il peut tout se permettre, y compris l'abjection, pourvu qu'il rit et fasse rire. "Et alors?, a-t-il réagi, j'ai toujours ri de tout."
Le succès politique et l'audience cathodique n'autorisent pas tout. Peut-être faudrait-il limiter, comme le nombre de mandats politiques, le nombre d'années qu'un présentateur passe à l'antenne. Histoire de l'aider à garder les pieds sur terre et le sens de la mesure, de la dignité et de la décence. (Mais sans doute est-ce là trop demander à Hanouna.)


mardi 8 mars 2016

Quoi, ma gueule?

Les violences faites aux femmes restent extrêmement nombreuses et toujours inexcusables. Peu de pays sont épargnés. Partout, des hommes ne peuvent s'empêcher de penser, et parfois d'affirmer, que leur femme leur appartient, qu'elle est à leur disposition et qu'ils ont sur elle tous les droits. Y compris celui de la frapper si elle n'agit pas comme ils l'entendent. Les religions n'ont jamais été très féministes. C'est un euphémisme de le dire. Certaines ne reconnaissent des droits qu'aux seuls hommes,   ne concédant aux femmes que ceux de mettre au monde des enfants et de faire la cuisine. Sacré  projet de vie!
Les lois sont faites par et pour les hommes et les tribunaux leur donnent systématiquement raison, même en cas d'agression. C'est que constatent des femmes afghanes, iraniennes ou somaliennes (1).
48 % des migrants sont des femmes. Elles sont les cibles de violences diverses, violées par leur mari, par leurs collègues, par des hommes qu'elles croisent, migrants, passeurs, policiers,  enrôlées de force, mariées de force, excisées. En Arabie saoudite, un congrès tout récemment s'est penché sur la question de savoir si la femme est une personne humaine, signalait  en cette journée internationale des droits des femmes la journaliste et écrivaine Fawzia Zouari (2)
C'est dans ce contexte qu'un jeune chanteur  qui se fait appeler Orelsan écrit et chante des textes d'une violence inouïe. On appelle cela de l'art. Pas de l'art brut, mais l'art de brute. Epaisse.
Extrait d'un morceau qu'il a intitulé "Sale pute" dans lequel un homme s'adresse à sa compagne qu'il a surprise avec un autre;
" Je rêve de te voir imprimée de mes empreintes digitales (...)
On verra comment tu fais la belle avec une jambe cassée
On verra comment tu suces quand j'te déboiterai la mâchoire
T'es juste une truie tu mérites ta place à l'abattoir. (...)
J'vais te mettre en cloque (sale pute)
Et t'avorter à l'opinel." (3)
La chanson est longue et le reste du même tonneau, d'une brutalité qu'on croyait condamnable. Alors qu'il n'en est rien. C'est qu'on a affaire là à de l'art parfaitement respectable. Ainsi en a jugé la cour d'appel de Versailles. Le chanteur avait été condamné en première instance pour "provocation à la violence", suite à une plainte déposée par des associations féministes pour des propos violents à l'égard des femmes dans plusieurs de ses chansons. Cette fois, il a été relaxé, la cour estimant qu'il faut respecter "des modes d'expression, souvent minoritaires, mais qui sont aussi le reflet d'une société vivante et qui ont leur place dans une démocratie" (4). 
La femme qui se verra casser la jambe ou déboîter la mâchoire le devra donc à "une société vivante". Après tout, le cassage de gueule a été de tous temps un mode d'expression. 

(1) Arte Journal, 8 mars 2016, 19h45.
(2) "28 minutes", Arte, 8 mars 2016 - lire l'excellent texte de Fawzia Houari:

mardi 6 octobre 2015

La Pravda si je mens

Je l'ai écrit ici plus d'une fois - en particulier suite aux réactions à mon billet "Ma vie (de Belge) en pays grognon (la France)" qu'avait publié rue89 (1) - Internet offre le meilleur et le pire. L'information et la désinformation, le partage et le rejet, l'ouverture et l'abjection. La violence et la bêtise de certains "commentateurs" m'avait choqué. Mais je suis bien conscient que ce que j'ai reçu personnellement n'est rien à côté de ce que d'autres sont amenés à lire quotidiennement.
Le journaliste de Libération Jean Quatremer a été, comme plusieurs de ses collègues, l'objet de quasi appels à lynchage, de la part de la "gauchosphère" et de la "fachosphère" (2). Des victimes parmi tant d'autres de ceux que le philosophe Marcel Gauchet appelle les "twitteux en folie" et les "internautes déchaînés".
"Notre faute?, écrit Jean Quatremer. Ne pas être béat d'admiration devant Syriza (...), montrer une réalité grecque un peu plus complexe que celle que s'imaginent des gens qui plaquent sur un pays qu'ils ne connaissent pas leurs a priori idéologiques". Le grand tort de ces journalistes est en fait de faire leur métier, de donner et rappeler des faits et de les analyser, de contextualiser, de nuancer. Quatremer dénonce une "violence hystérique", une "volonté d'interdire le débat, en opposition frontale avec les valeurs démocratiques". Comme si chacun avait raison sans devoir argumenter, au-delà de tout raisonnement, comme si seules l'émotion et la passion étaient justes, comme s'il n'y avait qu'une vérité: leur conviction. Que vaut l'opinion d'un citoyen lambda (qui le plus souvent reste courageusement anonyme) face aux explications ou aux analyses d'un scientifique, d'un juriste, d'un journaliste, d'un politique, d'un historien? "Tout le monde a le sentiment d'être sur un pied d'égalité, ce qui n'est évidemment pas le cas", estime Jean Quatremer.
Internet favoriserait-il la suffisance, la conviction qu'on est seul à avoir raison et que les autres sont au mieux des ignares ou des cons, au pire des vendus? Marcel Gauchet pense que "l'heure de la revanche du café du commerce a sonné" et dénonce "l'irruption de la culture du ressentiment et de la haine qui fleurit dans l'univers numérique".
Dans le dernier numéro de Charlie Hebdo (3), le journaliste Philippe Lançon (survivant du massacre de Charlie) raconte les suites du débat qu'il a eu sur France Culture avec Florence Aubenas et Alain Finkielkraut à l'invitation de celui-ci. Leur échange qui avait pour pour but de raconter la France fut, dit Philippe Lançon, respectueux, courtois, avec des touches d'humour. "Dans les jours qui ont suivi, écrit-il, nous avons reçu ou lu des réactions, venues par mail ou circulant sur les prétendus réseaux sociaux, stupéfiantes par ce qu'elles révélaient de violence, de manque de nuances et d'équilibre. Les uns traitaient Finkielkraut de réac obtus et identitaire, les autres Florence et/ou moi de bobos ravis de la crèche, voire de communistes. Or rien de cela ne correspondait au ton de l'émission ni aux propos échangés." Philippe Lançon dit qu'il a appelé ces réseaux asociaux, "tant la brutale couardise et le parfum d'anonymat dénonciateur qui s'en dégageait m'ont d'emblée hérissé. Leur fonction ne me semblait pas être de créer du lien, fichue expression, mais de permetre à des esprits solitaires, abandonnés, souvent maladifs, d'exprimer leur rancœur, leur désarroi, leur haine, à propos de tout de n'importe quoi. (...) Je pense aujourd'hui que, loin d'être asociaux, ces réseaux sont en effet horriblement sociaux: ils font la morale et ils ne font que ça. C'est le Jugement dernier sur tout, sur tous, toujours recommencé, toujours jetable, instantané comme le potage, vivant d'être menacé par sa date de péremption."
On se le demande: combien parmi ces imprécateurs sont Charlie? Que retirent-ils des émissions de France Culture, s'ils ne savent qu'aboyer? Quelle capacité ont-ils à écouter, à comprendre? Résumons-nous: l'homme reste un mystère. 

(1)voir sur ce blog "Nausée", 8 janvier 2014.
(2) http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2015/07/22/de-lhysterisation-du-debat-lheure-numerique/
(3) "La France en transe", Charlie Hebdo, 30 septembre 2015.

mercredi 15 juillet 2015

On est peu de choses

Situations vécues:
- Vous êtes sur scène dans un chapiteau, le public vous suit et semble apprécier votre récital. Mais, après une bonne demie-heure, il se fait de plus en plus nombreux et les nouveaux venus s'agglutinent au bar. Ce public-là n'est pas venu pour vous et le bruit augmente. Au point que vos trois comparses et vous ne vous entendez plus, malgré la bonne sonorisation dont vous disposez. Vous terminez votre récital au plus vite et quittez la scène avec l'impression de fuir, dans un brouhaha insupportable.
Le groupe qui vous suit est bien connu dans le coin et a son public de fidèles qui lui fait un accueil chaleureux. Mais, autour du bar, s'accrochent toujours de nombreux festivaliers qui sont venus pour se voir, pas pour écouter le récital. Et quand les morceaux se font plus intimistes, le bruit des conversations ne permet pas d'entendre la chanteuse.
- Vous êtes dans la rue, au premier rang devant un podium où un groupe de type fanfare donne tout ce qu'il a. Ce qui est beaucoup. Juste derrière vous, trois jeunes femmes discutent entre elles. Sans s'arrêter une seconde durant les quarante-cinq minutes du concert.
Situation lue dans la presse:
Benjamin Clementine chante, dans un festival à Liège, ses balades calmes et un peu mélancoliques. Au-delà du troisième rang, écrit un critique, personne ne l'écoute. Les festivaliers sont venus pour se retrouver entre amis, discuter, rire, boire un coup (et quelques autres).
Combien de ces festivaliers seraient prompts à réagir, à pétitionner, parce que des pouvoirs publics retirent des moyens à une organisation? Ils seraient les premiers à stigmatiser le manque de respect de ces pouvoirs publics vis-à-vis des artistes.
Qu'est-ce qu'un artiste dans un festival? Une occasion de se voir, un bruit de fond dans les conversations, un arrière-fond sympa pour les selfies.

Post-scriptum: dans un dossier de Siné Mensuel (juillet-août 2015) intitulé "Ces festivals qui nous éclatent", un dessin de Mix et Remix nous montrent deux festivaliers qui discutent, un verre à la maison. L'un d'eux crie "Moins fort!", l'autre "On ne s'entend plus discuter!". Ils s'adressent à un chanteur.

mercredi 8 janvier 2014

Nausée

Un pavé (belge) dans la mare (française). Voilà ce qu'était ce billet d'humeur qu'a bien voulu publier rue89. Je l'ai repris dans la figure. Certains diront sans doute que je l'ai bien cherché. 
Intitulé "Ma vie (de Belge) en pays grognon (la France)", je l'avais écrit encouragé par quelques amis belges, effarés comme moi de l'ambiance qui règne en France ces derniers temps. Je peux me réjouir qu'il ait été lu par quelques dizaines de milliers de personnes et commenté par près de trois cents d'entre eux.
Des commentaires sont argumentés, ils me soutiennent ou s'opposent à ma vision des choses, mais expliquent leurs points de vue. C'est ce qu'on peut attendre d'un forum de discussion. D'autres sont assez abscons, on a l'impression que leur auteur se comprend lui-même sans chercher à se faire comprendre. D'autres contributions ne contribuent à rien d'autre qu'à faire savoir que leurs auteurs n'ont rien à dire, mais tiennent à être présents dans la discussion.
Le problème, c'est non seulement de lire cette masse de commentaires et de comprendre ce que veulent dire certains intervenants et à qui ils s'adressent, mais c'est surtout la virulence de certains "commentarteurs". Ce sont des commentaires qui ne le sont pas, des messages assassins, des exécutions sommaires. On est dans le rejet brutal, dans l'invective, dans l'insulte, dans le racisme même. Pourquoi faut-il exprimer tant d'agressivité pour dire que non, vraiment non, on n'est pas grincheux?
Dans mon billet, je n'attaque personne nommément. Mais moi, en revanche, que ce soit sur mon blog ou sur rue89, j'en prends personnellement plein la figure.
J'ai pris le temps de rédiger ce billet ("Ma vie etc."), de solliciter l'avis de proches, de le nourrir, de le nuancer. Et dès qu'il est publié, bardaf, c'est l'embardée, c'est l'assaut, c'est l'hallali. De l'autre côté de l'écran, des locuteurs (à ne pas confondre avec interlocuteurs) tirent leurs salves sans prendre le temps d'arriver au bout de leur réflexion (s'il y en a une).
On est loin d'une expression assertive, d'une capacité à dire les choses clairement, fermement s'il le faut, mais en respectant ses interlocuteurs. On n'est plus dans la communication, on est dans la boxe.
Tous ces commentaires me viennent de parfaits inconnus, tous masqués par un pseudonyme. J'ai l'impression de croiser des gens en burqa qui savent qui je suis, m'identifient, sans que je ne sache rien d'eux. La relation est pervertie, elle est malsaine.

Parlementaire, journaliste, présentateur télé, j'ai reçu parfois des lettres d'insulte et, plus rarement, des menaces.  C'était, à l'époque, des courriers papier, toujours anonymes. Chaque fois, c'est difficile à vivre, mais ils furent très peu nombreux.
Avec Internet, on a changé d'échelle. Les forums ne sont plus seulement des espaces de rencontre, mais aussi des rings où tous les coups semblent permis, et arrivent en rafales via quelques mots à peine réfléchis. Je l'ai écrit souvent sur ce blog: l'anonymat que permet Internet normalise la parole "déchaînée". On confond liberté d'expression et liberté d'agression. La pensée régresse au profit d'une parole vomie.
Aucun site, visiblement, n'est épargné. On pouvait espérer qu'un site d'information de gauche, participatif, comme rue89 aurait un public plus policé, plus assertif. Il n'en est hélas rien et je ne suis pas le premier à le constater (1). Je n'ose imaginer ce qui s'écrit sur le site de Minute.
Un "commentateur" de mon blog m'a, un jour, demandé, de quelle maladie mentale je souffrais pour ne pas supporter l'anonymat. Qui est le malade? Celui qui s'exprime à visage découvert ou celui qui ne peut parler que masqué?
En Belgique, le groupe de presse Roularta a décidé, en octobre 2012, d'obliger ses interlocuteurs à s'identifier par leur vrai nom sur ses forums en ligne. Résultat immédiat: une perte de la moitié des réactions aux articles, mais "des réactions plus intéressantes et de bien meilleure qualité", selon le rédacteur en chef adjoint de la rédaction web de Roularta (1).

Internet peut être et est un formidable outil de communication et de mobilisation. C'est aussi un inquiétant vecteur d'agressivité, de populisme et de lâcheté.
Je sais faire la part des choses et constater que, par rapport aux dizaines de milliers de lecteurs de mon billet et aux quelques centaines de commentaires, les attaques violentes dont j'ai été l'objet sont peu nombreuses. Mais elles le sont trop en même temps et leur brutalité est difficile à  vivre.
Sincèrement désolé pour les commentateurs respectueux et intéressants qui se sont manifestés, je me refuse à jeter encore un œil sur les commentaires à mon billet. Une question de protection et d'équilibre personnel.
La contribution qui fut la mienne aura été la première et la dernière sur un autre site que mon blog où je sais me protéger.

En guise de conclusion qui n'a rien à voir (quoique...), cette jolie phrase d'une boulangère entendue hier sur le JT de France3, Région Centre: "on a le printemps à 500 mètres de chez nous". Elle est boulangère à Bourges.

(1) Sur ce blog: "Vomir, dit-elle", 18 mars 2013.
Et puis aussi:
- "Le grand complot", 10 mai 2011.
- "L'anonymat d'Internet", 29 avril 2008.
- "Les roquets d'Internet", 5 janvier 2008.


dimanche 5 janvier 2014

Liberté chérie

La culture ultralibérale a envahi tout l'espace. Je fais et je dis ce que je veux quand je veux et comme je veux. Je suis l'unique guide de ma vie, ma propre référence. Les règles collectives ne devraient pas exister (sauf si elles peuvent me protéger).
Voilà pourquoi certains pensent que racisme et antiracisme sont juste deux opinions différentes qui doivent avoir les mêmes droits de s'exprimer.
Voilà pourquoi certains pensent que Dieudonné et les extrémistes ont le droit de dire ce qu'ils veulent, même s'il s'agit d'appels à la haine.
Voilà pourquoi tout gouvernement a toujours tort, quoi qu'il fasse.
Voilà pourquoi il faut détruire les radars.
Voilà pourquoi l'impôt que l'on paie est toujours trop élevé et les subventions que l'on reçoit ne le sont jamais assez.
Voilà pourquoi on doit avoir le droit de vendre et d'acheter ce qu'on veut (y compris le corps des autres)  quand on veut (y compris la nuit et le dimanche).
Voilà pourquoi certains défendent - même (et surtout) à gauche - le droit  (et parfois l'obligation)  de vivre selon les règles de sa communauté d'origine.
Voilà pourquoi nous devons pouvoir satisfaire nos besoins au moment même où nous les ressentons.
Voilà pourquoi les commentaires postés dans les forums sont souvent aussi agressifs qu'incompréhensibles.

Le philosophe Jean-Claude Michéa constate (1) qu'on trouve peu d'esprits à gauche "encore capables de critiquer - comme jadis Engels - la dynamique aveugle qui conduit peu à peu le marché capitaliste à désagréger l'humanité en monades dont chacune a un principe de vie particulier et une fin particulière (ou - version saint-simonienne - à transformer la société en une agrégation d'individus sans liens, sans relations et n'ayant pour mobiles que l'impulsion de l'égoïsme)".
Selon Jean-Claude Michéa, ce sont aujourd'hui principalement "des intellectuels issus de la droite anticapitaliste qui parviennent le plus souvent (sous des formes, on s'en doute souvent très ambiguës et parfois ouvertement antisémites) à proposer (...) certaines des critiques les plus lucides de l'individualisme libéral, de ses fondements anthropologiques et de ses conséquences morales et culturelles sur la vie quotidienne des gens ordinaires". Il constate que ces critiques ont aujourd'hui presque entièrement disparu du discours de la gauche: "cette situation paradoxale - qui n'est, encore une fois, que la contre-partie logique de la conversion de la gauche à l'idée que le capitalisme est l'horizon indépassable de notre temps - n'a évidemment rien pour enthousiasmer les partisans d'une sortie aussi civilisée que possible du système capitaliste".

Question particulièrement sensible aujourd'hui: comment vivre-ensemble? Dans une société de dictature du moi et de disparition du surmoi, quelles lois, quelles normes, quelles valeurs, quels codes peuvent fonder une culture commune? Qu'est-ce qui est normal, qu'est-ce qui ne l'est pas? Quelles règles collectives nous permettent de vivre ensemble si chacun a les siennes, si le démolisseur de radar est juste un automobiliste en colère, si l'homme qui oblige sa femme à se couvrir entièrement n'est qu'un croyant dont il faut respecter la foi, si les propos de l'antisémite ou du raciste sont juste une opinion? Tant de gens sont aujourd'hui dans une surestime de soi qui les amène à l'irrespect de l'autre.
Le respect, écrit Alain Finkielkraut (2) marque la différence entre les hommes et les autres réalités naturelles: "le respect nous inhibe. Le respect nous tient en respect et nous interdit d'envahir le monde comme une force qui va. Le respect, c'est-à-dire, écrit Kant, une maxime de restriction, par la dignité de l'humanité en une autre personne, de notre estime de nous-même."
"Et toute la question, poursuit Finkielkraut, est de savoir ce qui va l'emporter du respect au sens défini par Kant de restriction de l'estime de soi-même ou du respect au sens dénoncé par Hobbes de volonté manifestée par chacun d'être évalué par son voisin au prix qu'il s'évalue lui-même. Deux régimes de respect se disputent aujourd'hui notre vivre-ensemble."

(1) Marianne, 20 décembre 2013.
(2) L'identité malheureuse, Stock, 2013.