vendredi 4 février 2011

Vergogna

On n'est jamais si bien servi que par soi-même. Silvio Berlusconi le sait. Il s'aime beaucoup, ça fait plaisir, on voit tant de gens qui manquent de confiance en eux. "Je suis le meilleur président du conseil qu'ait connu l'Italie depuis cent cinquante ans", dit-il. On se réjouit pour lui. Mais on a des doutes. On pense même que ce serait le contraire. D'autres aussi: des magistrats, des journalistes l'attaquent. Mais il est inattaquable, le parlement italien a adopté trente-six lois ad personam pour qu'il en soit ainsi. Le reportage de Maria-Rosa Bobbi et Michael Busse (1) le démontre. Prouve aussi son appartenance avec la sinistre loge P2, ses liens avec la mafia, notamment via Marcello Dell'Utri, son bras droit, et les investissements de la mafia dans Forza Italia, le parti berlusconien.
Le président du conseil répond coup pour coup à chaque attaque; il ne supporte pas la magistrature, la presse. Il les insulte. Le seul pouvoir, c'est lui. Il a interdit tout débat électoral sur la RAI aux dernières élections. Ce pouvoir, il l'exerce en mêlant argent, coups bas, mensonges, kitsch, populisme, suffisance et menaces.

Un Italien imagine ses journées, sa vie avec Berlusconi. Le matin, il quitte son appartement, propriété d'un groupe immobilier qui appartient à Berlusconi. Il se rend à son travail à Mondadori, la société d'édition qui appartient à Berlusconi. Au passage, il achète un journal qui appartient à Berlusconi. Le soir, soit il regarde une chaîne de télé qui appartient à Berlusconi, soit il va au cinéma voir un film produit par une société qui appartient à Berlusconi, dans un complexe qui appartient à Berlusconi, soit encore il va voir un voir un match de foot d'un club milanais qui appartient à Berlusconi. Il a encore une autre possibilité: lire un livre édité par Mondadori, qu'il a acheté dans une librairie qui appartient à Berlusconi. On voit par là qu'on n'échappe pas à qui vous savez. En fait, entre la Tunisie et l'Italie, la différence est faible. Elle tient au nombre de gens qui disent "basta!". Et à la légalité de l'élection. Mais les deux pays appartiennent à une seule personne, ont été vendus, pillés, la corruption est la même. La confusion des intérêts, économiques et politiques, aussi. L'Etat n'est plus que gangrène.

Berlusconi s'est associé - acoquiné serait un verbe plus juste - avec la Ligue du Nord, dont certains membres se plaisent à faire le salut fasciste et à se référer à Mussolini. L'un d'entre eux traite les immigrés d'animaux. Faut-il considérer de la même manière les centaines de milliers d'Italiens qui ont émigré en Belgique, en France, en Argentine, aux Etats-Unis, au Venezuela? "Tous les étrangers, dehors!", dit-il.

Le tout-puissant a ses supporters: "c'est un chef d'entreprise doté d'un grand sens de la communication", admire l'un d'eux. "Un homme riche et puissant, les autres ne pensent qu'à s'enrichir", dit un autre. On voit par là que celui qui possède suscite l'estime, plus que celui aimerait posséder. "Il faut un chef", dit un troisième. Et tant pis si le chef a assis son pouvoir sur une corruption qui a gagné tous les étages de la société italienne.
D'autres Italiens protestent, se battent, dénoncent le personnage. Le "Peuple violet" est né sur internet, il n'est lié à aucun parti. Il s'oppose à la "lobotomisation totale du peuple italien", à son "abrutissement". D'autres expriment leur honte: "il est embarrassant pour un Italien de parler de cette situation avec un non-Italien, dit le patron d'une chaîne de télé numérique condamnée à vivoter, " le sentiment qui domine, c'est la honte". C'est ce que me disait aussi récemment une amie italienne, contente que son travail ne l'amène plus à voyager hors d'Italie pour y représenter un pays dirigé par semblable personnage.
Nanni Moretti fut l'un des plus virulents contre le Cavaliere, mais n'est guère optimiste. A la fin de son film, "Le caïman", il imagine la condamnation de Berlusconi, mais à la sortie du tribunal, le président du Conseil est applaudi par la foule, quand les juges sont agressés. Après lui, le chaos. "L'Italie est un pays du tiers-monde", dit un interlocuteur dans le documentaire.

(1) diffusé sur Arte mardi dernier

1 commentaire:

gabrielle a dit…

Les Italiens sont "formatés et lobotomisés" par les télés berlusconniennes disait aussi le reportage.

On peut voir une belle affiche politique au Mundaneum de Mons qui illustre bien la considération pour la presse qu'a le président du Conseil italien (THE PRESSident):
http://www.posterpage.ch/div/news09/n091209.htm