mardi 15 avril 2014

Nombriland

Sommes-nous au temps des imbéciles malheureux qui sont nés quelque part? On pourrait le croire. On ne compte plus, en Europe, les partis nationalistes qui veulent fermer les frontières et les régionalistes  qui espèrent en créer de nouvelles. Les Catalans estiment que le temps est venu de quitter l'Espagne, les Ecossais de désunir le Royaume. Et on ne parle pas des Flamands, des habitants de Transylvanie ou des Italiens du Nord. Et de tous les régionalistes qui sentiront leur sentiment identitaire se réveiller et les emporter, si une de ces régions devait acquérir son indépendance.
En général, ce sont des régions riches qui ne veulent plus assurer leur part de solidarité avec le reste de leur pays, considéré comme plus pauvre et donc coûteux pour elles. Les populisto-nationalistes voudraient quitter l'Europe et rétablir des droits de douane pour protéger leur marché. Sans penser que, s'ils taxent les produits étrangers, les leurs le seront aussi. Les régionalistes, certains d'entre eux en tout cas, entendent rester dans l'Europe. Sans se rendre compte que, ce faisant, ils continueront à assurer leur part de solidarité avec leur(s) voisin(s), mais cette fois via l'Europe plutôt que via leur Etat. Mais la fierté identitaire est-elle raisonnable?
Les poussées séparatistes ne craignent pas le ridicule. On apprend ainsi qu'au début de ce mois a été démantelé "un groupuscule de séparatistes qui préparaient l'invasion de la Place Saint-Marc à Venise pour proclamer l'indépendance de la Vénétie" (1). Et que "le 21 mars, deux millions de personnes ont participé à un référendum en ligne et voté à 90% de faveur de l'indépendance de la Vénétie". On se demande évidemment où peuvent s'arrêter de tels mouvements, où sont les limites, la logique. Si la Vénétie devenait indépendante, combien de temps faudrait-il pour que Murano réclame son autonomie? Chaque hameau, chaque quartier, chaque famille pourrait vouloir son indépendance.
Voici venue l'heure où l'homme cesse de regarder l'horizon pour mieux contempler ses pieds. Ils sont sans chaussures. Il n'en a pas besoin. Il s'enracine là où il est. Il a raison de se méfier de son voisin: il n'est pas comme lui.

(1) Le Courrier international, 10 avril 2014.

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