lundi 5 mai 2014

Chèque en blanc

La démocratie connaît son lot d'indécis. Ils ne peuvent choisir, balancent d'un pied sur l'autre, restent insatisfaits. Ils ont parfois une large palette de partis entre lesquels choisir, de l'extrême gauche à l'extrême droite, mais ne trouvent pas chaussure à leur pied. Ils l'ont pourtant large, disent-ils. Ils votent donc blanc. Laissant ainsi aux autres électeurs le soin de poser un choix à leur place. Mais ils voudraient surtout que la classe politique entende leur message: ils ne sont séduits par aucun parti.
En France, jusqu'il y a peu, le vote blanc était comptabilisé avec les votes nuls. Les électeurs blancs étaient vexés: on ne peut les confondre, eux qui ne votent pas pour n'importe quoi, avec ceux qui votent n'importe comment.
Désormais, à partir des prochaines élections européennes, ce ne sera plus le cas. Ils s'en réjouissent et  espèrent ainsi diminuer le nombre de votes protestataires qui se dirigent vers l'extrême droite.
Mais il sont visiblement définitivement insatisfaits, ils ne trouvent pas leur bonheur dans les 22 listes qui se présentent aux élections européennes en France le 25 mai prochain. Il y en a pourtant pour tous les goûts et tous les positionnements: les partis dits traditionnels, du Front de Gauche au national, en passant par les Verts, le PS, Alternative (au Centre) et l'UMP, mais aussi Debout la République, le Nouveau Parti anticapitaliste, Démocratie réelle, Nouvelle Donne, le Parti pirate, la Bretagne pour une Europe sociale et une bonne dizaine d'autres listes encore (1). Les insatisfaits le sont tellement qu'aucune ne correspond à leurs souhaits. Il y aurait trente-sept listes ou cinquante-trois ou deux cent vingt-neuf, ils resteraient toujours sur leur faim. Ils n'envisagent de présenter une liste qui remplirait leurs attentes en portant un programme qui serait le leur puisque ces attentes ne sont évidement pas exprimées, et si elles l'étaient elles risqueraient d'être contradictoires: on imagine aisément que parmi les militants du vote blanc certains sont pour plus d'Europe, d'autres pour moins; certains pour une Europe plus sociale, d'autres pour une Europe plus capitaliste; pour une Europe végétarienne ou pour une Europe carnivore; pour une Europe  qui roule en 4x4 ou pour une Europe en rollers; pour une Europe qui se lève tôt ou pour une Europe qui se couche tard; pour une Europe à trois ou pour une Europe à nonante-neuf. Bref, le vote blanc ne veut rien dire en termes d'idées, sinon que ceux qui le pratiquent se refusent à faire un choix.
Se rendant compte que la comptabilisation des votes blancs n'influencera pas fondamentalement le résultat des élections, ceux qui le défendent annoncent maintenant qu'ils présenteront, aux élections européennes, des listes "Citoyens du vote blanc". Ces éternels insatisfaits se transforment ainsi en escrocs de la démocratie. Il s'agit de "donner aux citoyens la possibilité d'exprimer une insatisfaction et de dire non, je ne m'y retrouve pas dans les choix proposés, sans être condamnés à voter par défaut, explique Stéphane Guyot, tête de liste "Citoyens du vote blanc" en Ile-de-France (2). 
Et si un candidat blanc venait à être élu? "Il irait siéger au Parlement pour y défendre une vraie reconnaissance du vote blanc et il voterait blanc sur les sujets de société pour conserver sa neutralité", annonce Stéphane Guyot (2). La probabilité est évidemment quasi inexistante qu'une telle liste qui n'en est pas une ait des élus, mais on peut donc, dans l'absolu, imaginer que des membres du Parlement européen seraient payés, comme tous leurs collègues, de 6000 à 11000 euros par mois (3) pour ne rien proposer ni ne rien décider. Si le FN est le degré zéro de la politique, on est ici dans le degré - 3. Peut-on imaginer un seul citoyen qui voterait pour un parti qui n'a ni idée, ni programme, ni souhait, qui se présente aux élections pour affirmer qu'il est insatisfait et est prêt à siéger pour dire qu'il ne pense rien? Quand la démocratie verse dans un tel non-sens, elle se fait inquiétante.

(2) La Montagne, 2 mai 2014.

1 commentaire:

gabrielle a dit…

En Belgique, initiative pleine d'humour d'une plate-forme de la société civile - à savoir des associations d'éducation permanente et des organisations syndicales - pour inciter les citoyens à aller voter le 25 mai:

http://www.faussesbonnesexcuses.be/