mardi 15 décembre 2015

Au boulot!

Certains de mes amis ne font pas la même analyse, voyant le verre à moitié vide. Personnellement, je l'ai trouvé plutôt beau ce week-end. Pas exceptionnel, mais de belles journées pour la France, pour l'Europe, pour le monde. Si tous les engagements sont tenus, évidemment.

Cent nonante-cinq Etats ont réussi à trouver un accord pour tenter d'infléchir la courbe des températures sur terre. Les fines bouches le critiquaient avant même qu'il ne soit signé, relevant qu'il ne s'agit que de mots. Certes. Et c'était bien là l'objectif poursuivi. La COP21 n'était pas un atelier de construction d'éoliennes, mais une réunion visant à dépasser les opinions et les volontés opposées d'Etats et de groupes de pression très divergents. Et cet accord, bien sûr imparfait (mais qui pouvait imaginer qu'il serait décidé que dès ce lundi tout le monde roulerait à vélo et deviendrait végétarien?) est, dans les grandes lignes, une réussite en soi. Sa concrétisation dépendra de la volonté et de la mobilisation des Etats, des entreprises, des ONG, des citoyens. On y reviendra.

La France a réussi à éviter le pire, le Front familial ne remporte aucune région. Ce qui n'enlève rien à l'importance des scores d'un parti aux propositions aussi faibles que dangereuses. Ses candidats nous font frémir, mais aussi rire. Notamment quand, alors qu'ils caricaturent depuis des années l'attitude et les pratiques des autres partis et des médias, réunis en ce qu'ils appellent "le système", ils se plaignent d'être "les victimes du rouleau compresseur du système". A cracher sur les autres, on peut difficilement se plaindre d'être rejetés par eux.
Reste que tout le monde a perdu et que personne n'ose triompher. Et qu'une évidence s'impose aujourd'hui en France:  la nécessité d'un vrai sursaut à tous les niveaux. Xavier Bertrand, qui a tenu un discours digne et grave dimanche soir, est le premier à annoncer le changement: il démissionnera de tous ses mandats et ne sera pas candidat à la primaire de droite pour se consacrer entièrement à son mandat de président de la région Nord-etc. Mais Jean-Yves Le Drian, grand vainqueur en Bretagne, entend être à la fois président de région et ministre. N'a-t-il rien entendu des appels? NiNicolas Sarkozy, de son côté, continue à vivre sa vie à lui: il s'est empressé de courir assister au match du PSG dès son discours terminé dimanche soir. Il est temps de prendre les électeurs pour des adultes et d'abandonner les slogans idiots. Valérie Pécresse entend "donner aux Parisiens des preuves d'amour". En demandent-ils tant?  Un élu régional ex-UMP en Ile-de-France indique (1) dans ses priorités l'installation de systèmes de sécurité à l'entrée des salles de spectacles: "vous trouvez normal qu'il n'y ait pas de portiques de sécurité à l'entrée de salles où entrent des milliers de spectateurs? Moi pas!", dit-il, faisant les questions (idiotes) et les réponses à la façon de Sarkozy. Il y a un mois, personne n'y pensait. Même pas lui. Bref, il est temps que les candidats et les élus cessent de prendre les électeurs pour des crétins. Et que ces électeurs entrent dans le débat.

Le magazine Marianne pointe une série de remèdes (2), parmi ceux-ci:
- renouveler et rajeunir le personnel politique. Un appel notamment à Sarkozy et Hollande pour qu'ils ne se présentent pas à l'élection présidentielle de 2017. La fille à papa ne peut apparaître comme le seul visage "neuf" en politique.
- rénover le modèle social: "chaque jour, on nous annonce que les résultats vont être au rendez-vous: que les fonds publics versés aux entreprises (sans contrepartie) vont bien finir par stimuler l'investissement et donc l'emploi. (...) Pourtant, le non-résultat est là. On a beau flexibiliser, dérèglementer, alléger les "charges" sociales, aucune éclaircie n'est en vue." 
Il est temps que les politiques, tous partis confondus, osent reconnaître que le temps du plein emploi est terminé, que les citoyens puissent l'entendre et qu'on remette à plat les problématiques emploi-chômage et répartition du temps de travail et des richesses.
- réinventer les partis, suggère Marianne, et, me permets-je d'ajouter, quitter le sytème majoritaire à deux tours, particulièrement pervers.
- mettre sur pied un plan Marshall pour la ruralité, débloquer l'ascenseur de l'intégration, réinvestir la laïcité, inventer une autre politique européenne et faire rêver la jeunesse. Quand on voit qu'au premier tour des régionales, seul un tiers des jeunes de 18 à 25 ans a été voter et que parmi eux 35% ont voté pour le parti de la famille Le Pen, on ne peut qu'être effrayé en voyant cette jeunesse croire que l'extrême droite peut apporter une solution. Comment le parti qui regarde en arrière peut-il apparaître comme porteur de futur pour tant de jeunes? 

Il y a aussi urgence à redonner sens et intérêt à la vie politique et aux élections. Ou alors il faut changer radicalement le système démocratique. Personnellement, je suis effaré de constater que plusieurs personnes autour de moi, intelligentes, investies dans la vie sociale, n'ont pas été voter, au premier, au deuxième ou aux deux tours. Certains n'ont pas pris le temps, d'autres ont préféré rester chez eux que de voter pour un candidat pas assez à gauche, d'autres encore trouvent que les partis qui se sont succédé depuis quarante ans n'ont rien fait. Tous sont de ce pays tellement convaincu qu'il est un modèle de démocratie où chacun se passionne pour la res publica.

Les élus changeront vraiment leurs pratiques si les citoyens s'investissent dans la vie politique, plutôt que tout attendre des pouvoirs publics, en se contentant d'aller voter (ou non) tous les cinq ou six ans.

(1) France Inter, 15 décembre 2015, 8h50.
(2) "14 idées pour faire barrage...", Marianne, 11 décembre 2015.
A lire, ces commentaires des résultats des élections:
http://www.huffingtonpost.fr/thomas-guenole/analyse-resultats-elections-regionales-2015-fn_b_8801106.html?utm_hp_ref=france
http://www.huffingtonpost.fr/mohamed-sifaoui/regionales-2015-front-national-islamisme_b_8799870.html?utm_hp_ref=france
et ces réflexions (que je partage) de Luc Le Vaillant, de Libération, qui avait fustigé le retrait des candidats socialistes au second tour: http://www.liberation.fr/debats/2015/12/14/se-desister-pas-si-benet_1420702


2 commentaires:

Grégoire a dit…

Que Xavier Bertrand annonce sa démission de tous ses mandats ne fait paradoxalement que conforter l'électeur FN dans son choix. Sans la possible victoire du FN, Xavier Bertrand aurait continuer sa petite vie de cumulard.
"Partager l'emploi"?, C'est ce que suggère le philosophe Bernard Stiegler. J'applaudirai des deux mains, si j'étais assuré que, si je ne pouvais compter que sur l'Etat le jour où j'ai des difficultés de santé ou financières, ce dernier remplira son rôle. Il s'agit donc, dans la situation actuelle, d'assurer son propre futur en travaillant autant qu'on peut quand on a un emploi, évidemment.
"Renouveler le personnel politique"? Limiter les mandats à une seule législature, plutôt. Et, limiter le salaire des ministres (presque 15.000 euros brut par mois) à celui du salaire moyen national. Puissante motivation pour avoir envie de rehausser le niveau de vie général.

Michel GUILBERT a dit…

C'est sûr que X. Bertrand aurait continué à cumuler. Mais le FN n'est en rien un exemple en la matière, au contraire. Puisque plusieurs de ses élus, et non des moindres, cumulent ou s'apprêtaient à le faire. Alors, si la crainte du FN pouvait amener à ue réforme des pratiques politiques, tant mieux.
Sur le partage de l'emploi, c'est évidemment globalement qu'il faut réfléchir et prendre des mesures. L'emploi ne va que diminuer dans les années à venir, vu la révolution numérique (voir, par ex., Daniel Cohen, "Le monde est clos et le désir infini"). Mais il semble que personne (ou si peu de gens) s'en préoccupe. Les politiques et les citoyens font semblant de continuer à croire qu'on peut revenir au plein emploi...
Quant à limiter les mandats à une seule législature, je pense que ce serait du gaspillage. Le temps de comprendre le fonctionnement d'une assemblée, de maîtriser ses matières, de comprendre un budget, et hop, changez! Avec deux législatures, on peut rentabiliser le temps d'apprentissage.
Ou alors, il faut complètement changer de système et fonctionner par tirage au sort (voir David Van Reybrouck: "Contre les élections").