jeudi 17 décembre 2015

De si gentils électeurs

Dans le village  où j'habite, aux confins du Berry, du Poitou et du Limousin, c'est le Front Le Pen qui est arrivé en tête tant au premier qu'au deuxième tour. Ici, les seuls étrangers, à des kilomètres à la ronde, sont des Anglais et quelques Néerlandais qui ont une résidence secondaire dans le coin. Ici, l'insécurité, on ne la connaît que par les télés nationales. Ici, le conseiller municipal néerlandais organise durant les mois d'été des rencontres de pétanque entre les habitants. Il déplore qu'elles n'attirent que les étrangers, les gens du cru les boudent. Ici, personne ne connaît les candidats du F.N., mais 82 électeurs sur 200 votants ont choisi les représentants de Marine Le Pen.
Dans le village voisin, le maire UMP est reconnu comme un actif, même s'il a la réputation de décider seul. Il a attiré dans sa localité quelques entreprises et un centre d'accueil pour personnes handicapées, fait installer un champ de panneaux photovoltaïques, rénové le moulin à eau, créé un musée, aménagé et équipé le plan d'eau en espace de détente, équipé un bâtiment communal en boucherie pour y attirer un artisan, fait venir une médecin de Roumanie. Mais, peu importe, les habitants de ce village ont choisi, au premier tour, le Front familial.
Alors, qu'est-ce qui explique un tel choix? Le chômage sans doute pour certains. Mais pour les autres? La peur? Mais de quoi? Peut-être la peur d'avoir peur. 
Dans les communes rurales, écrit Antonio Fischetti (1), 15% des personnes se disent préoccupées par les violences urbaines... alors qu'elles ne sont que 7% à les craindre dans les grandes villes, où ces violences sont bien plus présentes." Et de citer le démographe Hervé Le Bras: "plus les personnes vivent loin des banlieues populaires où se produisent des violences urbaines, plus elles en ont peur."

Beaucoup d'analystes dédouannent les électeurs du FN, les considérant dans leur grande majorité comme des abandonnés "du système". Même si les faits disent autre chose, même si le soi disant système les prend en compte. On a l'impression que le F.N. rassemble ceux qui râlent, ceux qui en ont marre, sans trop savoir de quoi. Marre de tout, des impôts, des radars routiers, du prix de la viande, des élus, du temps qu'il fait, de celui qu'il fera. C'est le vote café du commerce.
Le vote F.N. n'est pas le même dans le nord et dans le sud. Evidemment, l'industrie du Nord - Pas de Calais est sinistrée, les mines de charbon sont fermées depuis longtemps, l'industrie textile a migré et tout le monde achète des vêtement fabriqués au Bangladesh ou au Vietnam. Et certaines familles connaissent le chômage depuis deux, si pas trois générations. Mais l'image du Nord, de Lille s'est totalement et positivement renouvelée. Notamment grâce à la culture. La création du Louvre-Lens, par exemple, témoigne du souci de l'Etat d'investir dans ces régions et, même si elle ne peut tout résoudre à elle seule, cette réussite est jusqu'ici porteuse d'espoir. Et bien sûr, il faut en faire plus, beaucoup plus. C'est l'affaire des politiques et du privé, en ouvrant plus encore vers l'extérieur cette région frontalière plutôt que de refermer les frontières.
Dans le sud, ils sont nombreux les nantis qui votent pour le F.N. parce que c'est le parti des murs, de ceux qu'ils aimeraient bâtir tant autour de leur propriété qu'aux frontières de l'Etat. C'est le parti de ceux qui ne veulent voir qu'eux, ne rien donner, tout recevoir.
Et puis, il y a les cathos intégristes, ceux de la dite Manif pour tous, qui sont contre le mariage des couples homos, contre les plannings familiaux, contre l'égalité homme-femme. Ceux qui rêvent d'un retour de bâton de maréchal à la modernité.
Bref, on peut évidemment comprendre beaucoup de choses, admettre que trop d'élus dans différents partis sont dans des stratégies politiciennes, voire personnelles, que trop de promesses n'ont jamais été tenues, qu'on n'investit toujours pas assez dans le social, dans l'éducation, dans la culture, mais tout cela justifie-t-il le soutien à un parti dangereux pour la démocratie? Le F.N. apparaît comme le parti des râleurs et des réacs, des abandonnés et des nantis, de ceux qui sont contre par principe, de ceux qui pensent que la politique, c'est simple. Qu'il suffit de fermer les frontières et ses volets, de quitter l'euro et l'Europe, de regarder en arrière et de se mettre la tête dans le sable pour voir l'avenir en rose. 

Et puis, il y a les non-électeurs, ceux qui laissent les autres décider à leur place, même si c'est pour choisir l'extrême droite. Parce qu'ils estiment que tout ce qui ne va pas est de la faute du gouvernement, des gouvernements successifs, n'imaginant pas que l'évolution de la société est aussi le fait des entreprises, des indépendants, des associations, des citoyens. Pour eux (je l'ai entendu plus d'une fois), les politiques, de gauche comme de droite, n'ont rien fait depuis quarante ans (certains remontent, allez savoir pourquoi, jusqu'à quarante-cinq ans). Pourtant, la France est un Etat qui fonctionne, avec un système de sécurité sociale performant, d'excellentes écoles, des hôpitaux et des services sociaux efficaces, des infrastructures de transport modernes, un système judiciaire et des forces de l'ordre à la hauteur, un important parc de logements sociaux, des centres culturels et des salles de sport même dans les petites villes, un régime de travail de trente-cinq heures par semaine, une retraite à soixante-deux ans, etc. Tout cela, évidemment toujours perfectible, existerait difficilement si les politiques ne prenaient pas de décisions et ne faisaient vraiment rien pour faire évoluer la société. Mais il est sans doute plus simple de jeter le bébé avec l'eau du bain. On est ensuite plus tranquille. Mais très seul. Et Gros-Jean comme devant.

(1) "Idées reçues sur l'électeur FN", Charlie Hebdo, 16 décembre 2015.
voir la carte des communes de France indiquant, commune par commune, quelle liste est arrivée en tête:
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/12/14/elections-regionales-quelle-liste-est-arrivee-en-tete-dans-votre-commune-au-second-tour_4831192_4355770.html

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