jeudi 19 mars 2020

Nouveau monde

Ici à la campagne, les voitures ont quasiment disparu. Comme le passage des avions là-haut. Le silence a pris plus d'épaisseur encore. La vie confinée au grand air nous amène à penser que c'est le moment. Le moment de préparer le changement. De mettre ce vieux monde cul par-dessus tête.
Nous ne voulons plus de ces bagnoles partout, de cette vitesse qui nous empêche de penser. Nous ne voulons plus de ce bruit, de cette pollution, de ces pesticides et de ces déchets que nous vomissons quotidiennement. Nous ne voulons plus de ces navires de croisière arrogants, de ces avions qui volent pour deux sous. Nous ne voulons plus de la suffisance des puissants, de ces inégalités sociales, de ce mépris pour les autres. Nous ne voulons plus de ces villes qui étouffent. De ce gaspillage monstrueux, de ces marchandises qui voyagent en tous sens à travers la planète. De ces supermarchés qui nous poussent à consommer toujours plus, puis s'affolent parce que nous le faisons. De ces émissions de télé qui nous abrutissent.  De ces hyènes qui aboient et mordent sur Internet. Nous ne voulons plus participer à l'esclavage et à la guerre économique en achetant sur Amazon ou en consommant des fraises espagnoles. Nous ne voulons plus de malbouffe, ni de gadgets, pas même de trottinettes électriques. Nous ne voulons plus des discours populistes et nationalistes et des murs qu'ils construisent. Nous ne voulons plus de la folie et du cynisme de ce monde qui nous possède.
Nous voulons un monde apaisé, assaini, plus convivial, plus solidaire, plus respectueux, plus égalitaire. Nous voulons voir les campagne se repeupler. Nous voulons que revivent toutes ces vieilles bâtisses abandonnées, vendues pour le prix de trois ou quatre billets de croisière en Méditerranée. Nous voulons planter des arbres, redonner du sens à nos vies dont nous touchons du doigt la fragilité.
Nous voulons voir les étoiles, écouter les rossignols et les grenouilles, marcher dans les chemins de traverse, lire, écrire, dessiner, jouer au cerf-volant et de la musique, souffler, regarder. Et rire aussi. Nous voulons échanger, nous parler, nous entraider. Pouvoir nous embrasser sans craindre le baiser de la mort.
Nous voulons, comme le dit Edgard Morin, détoxifier notre mode vie. Nous voulons être passeurs de rêves, pas de virus (1).  Etre lents comme des arbres. Moins mesquins qu'aujourd'hui et sûrement plus beaux. Plus grands peut-être. En tout cas moins courbés.
Nous voulons redevenir des femmes et des hommes sensibles au vent, pas à la publicité, attentifs aux autres, pas aux buzz. Nous voulons sortir de l'invective et de la dépendance, nous retrouver, redevenir autonomes. Intelligents enfin. Responsables et conscients. Humains.

Tu pourras dire plus tard
J'aurai connu la fin d'un monde
En attendant plus tard
Occupe-toi des prochaines secondes
Dominique A, "La fin d'un monde"

Texte d'Arièle Butaux, publié sur Facebook:
"Je vous écris d’une ville coupée du monde. Nous vivons ici dans une parfaite solitude qui n’est pas le vide. Nous prêtons chaque jour un peu moins attention à ce que nous ne pouvons plus faire car Venise, en ces jours singuliers, nous ramène à l’essentiel. La nature a repris le dessus. L’eau des canaux est redevenue claire et poissonneuse. Des milliers d’oiseaux  se sont installés en ville et le ciel, limpide, n’est plus éraflé par le passage des avions. Dans les rues, à l’heure de la spesa, les vénitiens sont de nouveau chez eux, entre eux. Ils observent les distances, se parlent de loin mais il semble que se ressoude ces jours-ci une communauté bienveillante que l’on avait crue à jamais diluée dans le vacarme des déferlements touristiques. Le tourisme, beaucoup l’ont voulu, ont cru en vivre, ont tout misé sur lui jusqu’à ce que la manne se retourne contre eux, leur échappe pour passer entre des mains plus cupides et plus grandes, faisant de leur paradis un enfer. 
Venise, en ces jours singuliers, m’apparaît comme une métaphore de notre monde. Nous étions embarqués dans un train furieux que nous ne pouvions plus arrêter alors que nous étions si nombreux à crever de ne pouvoir en descendre!  A vouloir autre chose que toutes les merveilles qu’elle avait déjà à leur offrir, les hommes étaient en train de détruire Venise. A confondre l’essentiel et le futile, à ne plus savoir regarder la beauté du monde, l’humanité était en train de courir à sa perte. Je fais le pari que, lorsque nous pourrons de nouveau sortir de nos maisons, aucun vénitien ne souhaitera retrouver la Venise d’avant. Et j’espère de tout mon coeur que, lorsque le danger sera passé, nous serons nombreux sur cette Terre à refuser de réduire nos existences à des fuites en avant. Nous sommes ce soir des millions à ignorer quand nous retrouverons notre liberté de mouvement. Soyons des millions à prendre la liberté de rêver un autre monde. Nous avons devant nous des semaines, peut-être des mois pour réfléchir à ce qui compte vraiment, à ce qui nous rend heureux. 

La nuit tombe sur la Sérénissime. Le silence est absolu. Cela suffit pour l’instant à mon bonheur. Andrà tutto bene."

(1) https://www.passeursdereves.be/fr/

2 commentaires:

Pierre Guilbert a dit…

Cette crasse de virus nous bouleverse tous, et fait mal. Au-delà des nombreux décès, perspective qui menace tous les entourages, on peut craindre évidemment les effets directs sur l'économie, les finances publiques, l'emploi, le pouvoir d'achat de la plupart d'entre nous.
Mais oui, cette crasse, du fait des changements de comportement radicaux qu'elle a générés, a amené des aspects positifs flagrants. Pour l'environnement en premier lieu. Cela va-t-il laisser des traces ? Va-t-on pouvoir inventer un nouveau modèle plus vertueux ? Sans doute sommes-nous nombreux à l'espérer. Mais à y croire ?... Peut-être un peu moins.

Unknown a dit…

vous avez une longueur d'avance!
je garde un souvenir extraordinaire de cette nuit passée dans votre hameau sans éclairage public et à ce ciel criblé d'étoiles que je n'avais pu admirer depuis longtemps ... un vrai choc! bienfaisant ...
et voilà qu'ici, à Maubray, il se passe quelque chose qui s'en rapproche et quelque chose en moi voudrait que ça dure, parce que ça nous rapproche de l'essentiel !
mais le prix à payer est si fort, pour tant d'autres moins privilégiés ...
arriverons nous à faire le tri ?