mercredi 25 mars 2020

Les temps sains

Nous aimerions passer des temps assassins aux temps assainis. Plus et mieux qu'assainis: renouvelés. Nous voulons des temps nouveaux.

L'écrivain voyageur Sylvain Tesson constate (1) que nous sommes passés, en quelques jours à peine, de cette période où "tout doit fluctuer, se mêler sans répit, sans entraves, donc sans frontières" à ce moment de confinement que nous vivons. "L'ultra-mondialisation cyber-mercantile sera considérée par les historiens futurs comme un épisode éphémère", pense-t-il. On veut le croire avec lui. Il voit dans la chute du mur de Berlin, et la fin de l'Histoire prophétisée alors par certains, le début du règne du matérialisme global dont le dogme principal est le mouvement. "Circuler est bon. Demeurer est mal. Plus rien ne doit se prétendre de quelque part puisque tout peut être de partout. Qui s'opposera intellectuellement à la religion du flux est un chien." 
Puis arrive brutalement ce grain de sable nommé virus qui profite de ce monde où tout circule - touristes, conteneurs, informations, affaires, messages - pour se répandre. "Il est comme le tweet: toxique et rapide. La mondialisation devait être heureuse. Elle est une dame aux camélias: infectée." Et le mouvement s'arrête d'un coup ou presque. Nous voilà forcés de nous tenir éloignés des autres, si nombreux, avec qui nous vivions quotidiennement et de nous enfermer dans nos logements. " La mondialisation aura été le mouvement d'organisation planétaire menant en trois décennies des confins au confinement. Du No Borders au Restez chez vous. Il est probable que la globalisation absolue n'était pas une bonne option. L'évènement majeur de cette crise de la quarantaine sera la manière dont les hommes reconsidèreront l'option choisie, une fois calmé le pangolingate."

On se réjouit, bien sûr, de voir les taux de pollution s'effondrer. Les Chinois, nous dit-on, avaient oublié à quoi ressemble le ciel bleu. Ils l'ont retrouvé. Les habitants de Lima montent chaque matin sur leurs toits pour voir au loin la Cordillère des Andes, depuis si longtemps effacée par une brume si peu naturelle. L'eau de la lagune de Venise est redevenue transparente, les poissons et les cygnes s'y baignent à nouveau.
Les échanges, les coups de main, la solidarité, la bienveillance entre voisins, les achats de produits de proximité sont aussi nombreux que les messages d'humour qui aident à surmonter l'angoisse et la solitude.
François Gemenne, chercheur et membre du GIEC, estime (2) qu'à certains égards et en déplorant évidemment les milliers de morts et les souffrances qu'il aura engendrés, le bilan du Covid 19 pourrait être positif. En Chine, il aura épargné davantage de vies qu'il n'aura tué, grâce à la diminution de la pollution. Un million cent mille personnes y meurent chaque année de maladies développées par une pollution que le coronavirus a enfin rendue contrôlable.
Les effets du ralentissement de la production industrielle et de tous les types de trafic resteront éphémères et la pollution risque, pense François Gemenne, de repartir à la hausse une fois cette crise passée. Les plans de relance de certains pays vont dans ce sens. Ce sont des mesures structurelles fortes et pérennes qui doivent être prises pour lutter contre le réchauffement climatique. "Beaucoup de forces souhaiteront relancer la machine comme avant." A quoi consacrera-t-on les paquets de milliards d'euros ou de dollars que les Etats annoncent? A relancer les énergies fossiles ou à se diriger vers une économie post-carbone? Les conséquences sur notre santé du réchauffement climatique nous semblent lointaines, alors que l'impact du coronavirus sur nos vies est immédiat. Nous acceptons des mesures drastiques, totalement inenvisageables hier encore, pour préserver celles-ci. Serons-nous capables d'en accepter d'autres, proposées depuis quarante ans,  pour nous sauver, nous, les générations qui suivent et la Terre?

Les populistes ne les envisagent pas une seule seconde. Ils montrent, à ceux qui ne l'avaient pas encore compris, leur vrai visage. Le peuple? Il n'en ont pas le moindre souci. C'est moi, moi, moi. Ils témoignent, un peu plus encore, de leur bêtise, de leur haine des sciences, de leur égocentrisme. Un seul objectif: être réélu. Et pour cela, faire tourner l'économie à toute vapeur. Même si cette vapeur tue.
Les vrais attardés mentaux, ce sont eux, eux à qui échappe totalement l'évolution des opinions, des pratiques, du monde même. Ils pensent être à la tête du monde, ils n'en sont qu'à la traîne. Même s'ils ont encore aujourd'hui le pouvoir. Quoi qu'ils pensent d'eux-mêmes, ils resteront dans l'Histoire comme des freins néfastes à l'évolution de l'humanité.
Ubu Trump, l'homme qui a tout compris mieux que quiconque, n'a jamais pris le coronavirus au sérieux: il présente "un risque très faible pour les Américains", déclarait-il en conférence de presse il y a un mois (le 26 février). Il ne voyait derrière ce virus qu'un coup des Démocrates pour le faire perdre. Et puis, lui qui a mis en pièces l'Obamacare, lui qui a toujours été critique vis-à-vis des vaccins responsables de l'autisme (sic), intime maintenant aux chercheurs l'ordre de faire vite, de trouver de toute urgence un vaccin. "Faites-moi une faveur, accélérez, accélérez!", les implore-t-il à genoux. C'est que l'élection de novembre approche à grand pas alors que les bourses dévissent et que l'économie trinque.
Le plus grand pays de la planète ne peut quand même pas s'arrêter de tourner, affirme, péremptoire, son président (3). Il veut absolument faire ses Pâques et a décidé que les Etats-Unis devraient reprendre une activité normale ce jour-là. Les églises seront pleines, annonce le président prophète. Ce serait génial!, dit-il. On a les rêves qu'on peut.
Son collègue brésilien Bolsonaro ne va pas mieux que lui: il serre des mains, se moque de ce virus qu'il appelle grippette, refuse le confinement, avant tout préoccupé par la poursuite de la déforestation de l'Amazonie, signe de bonne santé de l'économie.

Plus que jamais, par les temps et les virus qui courent, nous avons besoin des Etats et d'hommes  et de femmes d'Etat. Trump et Bolsonaro (tout comme la fille à papa Le Pen, Salvini, Orban et consorts) ne sont pas des hommes d'Etat. Juste des egos boursouflés. Des gens assoiffés d'eux-mêmes. Avez-vous remarqué? Ceux qui hier encore plaidaient pour "moins d'Etat" se taisent aujourd'hui. 
"Se rend-on compte de notre chance?, demande Sylvain Tesson (1). Pendant quinze jours, l'Etat assure l'intendance de notre retraite forcée. Il y a un an, une part du pays voulait abattre l'Etat. Soudain, prise de conscience: il est plus agréable de subir une crise en France que dans la Courlande orientale. L'Etat se révèle une providence qui n'exige pas de dévotions. On peut lui cracher dessus, il se portera à votre secours. C'est l'héritage chrétien de la République laïque. (...) Subitement, on a moins envie d'aller brûler les ronds-points, non?".
La majorité des Etats (avec parfois des stratégies différentes et donc discutables) jouent leur rôle de protection de leurs populations. A eux demain de s'engager, au sens premier du terme, dans  des politiques durables de santé publique (notamment en redonnant des moyens aux hôpitaux publics), de justice sociale et d'écologie (en prenant des décisions radicales).

Les temps sains seront ceux des citoyens sereins. Pour cela, à ceux-ci aussi de s'engager. Cette crise devra nous avoir donné des habitudes que nous n'abandonnerons pas, de solidarité, d'économie d'énergie, d'achats responsables, de déplacements non polluants. Pas simple à mettre en œuvre. Mais indispensable. A moins que parmi les effets du coronavirus il n'y ait aussi celui du suicide collectif. Mais cela, c'est à nous de choisir de le subir ou non. 

(1) https://www.lefigaro.fr/vox/societe/sylvain-tesson-que-ferons-nous-de-cette-epreuve-20200319
(2) Emission "28 minutes", Arte, 23.3.2020.
(3) https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/25/coronavirus-le-souhait-de-trump-de-lever-les-mesures-de-protection-pour-paques-se-heurte-aux-autorites-locales_6034321_3210.html


4 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Il est assez curieux d'entendre un "hyper-mobile" comme Sylvain Tesson affirmer (de manière critique, évidemment) : ""Circuler est bon. Demeurer est mal. Plus rien ne doit se prétendre de quelque part puisque tout peut être de partout. Qui s'opposera intellectuellement à la religion du flux est un chien." Où est-il allé pour écrire son dernier livre, "La panthère des neiges" ? Comme si son immobilité plus ou moins forcée suite à son accident en avait une vertu, encore transgressée.

Michel GUILBERT a dit…

Je n'ai pas cité l'ensemble de cet entretien. Mais il y dit aussi ceci: "La circulation permanente du genre humain est tantôt une farce : le tourisme global (je m’inclus dans l’armée des pitres). Et tantôt une tragédie (les mouvements de réfugiés)." Il est conscient d'en être...

Bernard De Backer a dit…

En effet, je vois actuellement sur Arte : "Besoin d'air et de grands espaces ? Sur les traces d'un cavalier solitaire en Mongolie, aux côtés des derniers nomades d'Iran ou à l'assaut des sommets du Tadjikistan avec Sylvain Tesson, le vaste monde est à portée de clic." Je le trouve mal placé pour donner des leçons, mais cela fait sans doute partie du personnage. J'ai toujours préféré Bouvier, plus "effacé" (le voyage est "un exercice de disparition", écrivait-il), plus attentif à l'autre, plus drôle, plus érudit sans trop le faire paraître. Et une plume superbe.

Michel GUILBERT a dit…

Personnellement, je n'ai pas vu ses propos comme une leçon, mais je trouve intéressante cette réflexion sur le passage de ce monde en "open space" au confinement.