Boycotter et censurer sont aussi à la mode que insulter et annuler. Triste époque, dirait-on au risque de passer pour un vieux con. On le serait plus encore si on disait O tempora, o mores. Disons-le sans crainte au point et à l'âge où nous en sommes.
Le problème de la censure est que chacun appelle à l'exercer contre le camp d'en face, tout en s'indignant que ceux du sien puissent en être victimes.
Heureusement, on se rend compte qu'on est loin d'être seul à soupirer.
Par exemple, en écoutant hier Christophe Bourseiller sur France Inter (1) qui rappelait l'importance de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, roman qui évoque un futur dystopique où le savoir est rejeté le savoir, la mémoire annihilée et les livres brûlés. Bourseiller y voit un livre prémonitoire repensant, notamment, à la campagne d'épuration littéraire qui, en 2019 au Canada, a vu la bibliothèque d'une trentaine d'écoles catholiques détruire près de cinq mille livres "dans un but de réconciliation avec les nations premières". Ont ainsi disparu des albums d'Astérix, de Tintin, de Lucky Luke et tant d'autres. L'initiatrice de la campagne a même organisé, toujours sous couvert de bienveillance, une cérémonie de "purification par la flamme". Une trentaine de livres ont été brûlés dans un but "éducatif". On n'était alors pas loin du concept d'art dégénéré qui a amené les nazis à pratiquer des autodafés. Pas loin non plus des pratiques de l'Inquisition.
On se réjouit aussi en lisant que, sous l'impulsion notamment du sympathique et toujours militant Sam Touzani, artiste citoyen, 530 artistes belges, issus de toutes les disciplines, ont signé une carte blanche récemment publiée dans Le Soir, dans laquelle ils s'opposent aux boycotts culturels des institutions et des artistes israéliens. "Une vieille recette qui promet tout, en ne résolvant rien. Sous prétexte de solidarité, on réclame aujourd’hui que des ponts culturels soient détruits par le bulldozer du moralisme. Nous, citoyens libres et artistes, refusons de céder à ce mirage dangereux. Boycotter les institutions culturelles et les artistes israéliens pour défendre la cause palestinienne ? Un raccourci séduisant, certes, mais derrière la rhétorique enflammée, ce geste refuse d’affronter la complexité et choisit la facilité de l’exclusion."
Les signataires rappellent que ce boycott vise les institutions culturelles, prétendument au nom de la justice, institutions qui constituent autant d'espace de rencontre où peuvent se croiser et même s'affronter des voix multiples, y compris les plus critiques. "Boycotter ces espaces, c’est museler précisément ceux qui osent défier les dogmes, dénoncer les injustices et rêver d’un autre monde." Briser une boussole, éteindre la lumière n'a jamais aidé à mettre fin à une guerre ou à une injustice.
Les signataires rappellent que ce boycott vise les institutions culturelles, prétendument au nom de la justice, institutions qui constituent autant d'espace de rencontre où peuvent se croiser et même s'affronter des voix multiples, y compris les plus critiques. "Boycotter ces espaces, c’est museler précisément ceux qui osent défier les dogmes, dénoncer les injustices et rêver d’un autre monde." Briser une boussole, éteindre la lumière n'a jamais aidé à mettre fin à une guerre ou à une injustice.
Et puis, la censure est une spirale sans fin. "Imaginons un instant appliquer la logique du boycott culturel à d’autres nations. Les artistes chinois ? Écartés, car Pékin n’incarne pas vraiment un modèle de libertés. Les Russes ? Boycottés, histoire de prolonger la guerre froide. Et que dire des Iraniens, des Afghans ou des Syriens ? Adieu la poésie persane, le cinéma iranien et la littérature afghane, car leurs gouvernements échouent au test démocratique. Le Maroc, la Tunisie, l’Algérie ? Pas exactement des phares de démocratie. Et que dire encore de l’extrême droite en Hongrie ou en Italie ? Jusqu’où pousser cette logique absurde, où chaque nation est tour à tour exclue pour les péchés de son gouvernement, confondant nations et individus, États et œuvres ?"
"Ce dont le monde a besoin, affirment encore les signataires, ce n’est pas de murs culturels, mais de ponts solides. La paix ne se construira jamais en fermant les portes, mais en les ouvrant, même aux idées qui nous dérangent. En dynamitant les ponts culturels, on ne fait pas pression sur les oppresseurs : on étouffe les opprimés. En croyant dénoncer l’injustice, on la perpétue."
De son côté, Sam Touzani ajoute ceci : "Quoi que vous pensiez du conflit au Proche-Orient, quel que soit votre degré d’implication ou d’indifférence, sachez ceci : boycotter des artistes israéliens n’est pas un acte de résistance, mais une erreur tragique. Boycotter des artistes, c’est étouffer les voix qui, souvent, portent elles-mêmes des messages de justice et d’ouverture. Des horreurs du pogrom du 7 octobre 2023 à la tragédie qui se joue à Gaza, les souffrances humaines nous rappellent une vérité essentielle : face à ces tensions, la meilleure posture est claire : empathie pour tous, aveuglement pour personne". (...) "Je défends depuis toujours la solution de "deux peuples, deux États", vivant côte à côte dans une paix juste et durable. Mais cette paix restera une chimère tant que les héritiers des assassins d’Itzak Rabin et d’Anouar El Sadate dicteront l’histoire de ce confetti, un territoire qui, sans être Israël, n’attirerait guère plus d’attention que le Soudan. Seul un leadership dépassant la haine, éclairé et ouvert aux artistes, pourra œuvrer à la paix."
Et il invite à agir, "non contre quelqu’un, mais pour quelque chose de plus grand. Signez, partagez cette pétition, et faites entendre une voix de résistance créative" :
Il y a des jours où on est content de ne pas être à la mode. Même peut-être d'être un vieux con. Mais heureux de l'être parmi tant d'autres.
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