lundi 25 octobre 2010

Derrièrologie et devantologie

Bart De Wever a le verbe franc. Pour lui, un chat est un chat. Il y a quelques semaines, il déclarait: "ce qui est derrière mon dos, c'est mon cul", voulant signifier que lui importe peu ce qui se dit à son sujet. D'autres que moi ont souligné l'erreur manifeste. De Wever imagine mal sa constitution: il n'a pas le cul derrière, mais dans le bas de son dos. Ainsi sommes-nous faits. En tout cas toutes les personnes que je connais. En attendant, beaucoup de gens se sont pincés. D'autres indignés. La phrase fait un buzz sur internet, nous dit-on.
Sans doute, le nationaliste flamand a-t-il pris conseil auprès de l'orateur que Lydie Salvayre fait s'exprimer dans "La Conférence de Cintegabelle" (1): "Exprimez-vous ouvertement, dit-il, et d'un ton résolu qui est la marque des grands esprits. Fuyez les faux semblants. Tel est précisément le genre de trouvailles stylistiques qui empeste l'artifice et que j'essaie pied à pied de combattre. Ne mâchez pas vos mots, quitte à choquer les cagots tout en pudibonderies et en érubescences, et les vierges effarouchées qui ne s'expriment qu'à mots couverts de trente-six pelisses. (...) Appelez un derrière un derrière et une connerie une connerie", dit-il.
En parlant du sien, Bart De Wever s'inscrit dans une longue tradition. Celle de la "derrièrologie" en laquelle il a d'illustres prédécesseurs français. C'est en lisant Alexandre Vialatte qu'on l'apprend: "lorsque j'étais petit garçon, on me défendait de montrer mon derrière, écrit-il. Je le dissimulais de mon mieux. Qu'on m'en excuse. C'était alors la civilisation. Notre littérature a changé tout cela, ces cachotteries ne sont plus de mise, la vogue est aux journaux intimes, la mode est de montrer son derrière, et surtout celui des grands hommes: Vigny, Hugo, Michelet, Colette si je puis dire, Elise, Rachilde, etc. Ce ne sont qu'augustes volumes. Il en est de honteux, il en est d'arrogants." (2) Celui de Bart De Wever appartient à la seconde catégorie. On n'ose pour autant le qualifier de callipyge. Bref, il dit se moquer qu'on parle de lui dans son dos.
D'autres voix cependant s'élèvent clairement face à lui. Des voix flamandes, pour lui dire qu'il a tort.
On a entendu les syndicats nationaux, francophones et néerlandophones confondus, dénoncer le repli nationaliste de la NVA et regretter la perte d'une valeur fondatrice de tout Etat, celle de la solidarité.
On a entendu Frank Vandenbroucke de la SP.A et des universitaires flamands démonter les calculs du nouveau héros flamand: le mécanisme de financement qu'a imaginé la NVA pour les régions appauvrirait considérablement la Wallonie, dit l'ancien ministre socialiste flamand. Et les chiffres avancés par les nationalistes ne tiennent pas la route, estiment certains professeurs.
On a lu les artistes: deux cents d'entre eux ont publié une carte blanche pour "rejeter le discours sur la culture et l'identité qu'on nous propose", disent-ils. "Ce discours vide les concepts de culture et d'identité de leur contenu pour les transformer en instruments de manipulation à des fins politiques. Nous avons déjà une culture et une identité. Les deux sont plurielles. Elles sont aussi flamandes, mais pas exclusivement." Les artistes flamands disent aussi se révolter contre l'image désastreuse des francophones véhiculée par les nationalistes flamands. Ils regrettent "la perspective peu réjouissante d'une Flandre dominée par les objectifs économiques et où les acquis sociaux seront démantelés". Ils estiment que "le repli sur des communautés toujours plus petites et toujours plus précisément identifiées à une culture unique est un obstacle qui nous empêche d'évoluer vers une Europe plus sociale et plus solidaire". Et c'est cette valeur de solidarité, liée aux notions de multilinguisme et de multiculturalité qu'ils veulent mettre en avant": "ce qui fait défaut dans le discours nationaliste flamand, c'est l'idée de solidarité. Cette valeur humaine est tout le contraire de l'égoïsme, de la cupidité et de l'intolérance. (...) Une grande culture, une culture ouverte, c'est une culture qui quitte le chemin étroit de l'égocentrisme et qui adopte la solidarité comme valeur fondatrice. C'est la solidarité qui fait la grandeur d'une culture" (3), concluent les artistes flamands.
S'il se moque de ce qu'on dit dans son dos, le leader flamingant semble supporter difficilement qu'on lui parle en face. Il s'énerve, il laisse entendre qu'il ne sera jamais d'accord. Il se retourne, il boude. On ne voit plus que le bas de son dos.

(1) Seuil/Verticales, 1999
(2) Chronique de la Montagne n°105, intitulée "Les frères Goncourt", 21.12.1954
(3) "Deux cents artistes du Nord du pays contre le nationalisme borné - Des artistes flamands élèvent la voix", notamment in LLB, 20.10.2010

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