samedi 23 octobre 2010

Synergétiques cumuls

Jacques Gobert joue bien son rôle de lobbyiste. Il faut le reconnaître. Jacques Gobert est bourgmestre Ps de La Louvière, il est aussi président de l’Union des villes et communes de Wallonie. C'est à ce dernier titre que, dans le courrier des lecteurs de LLB de ce vendredi, il regrette le récent décret wallon interdisant le cumul de mandats. Il plaide pour les synergies, regrette qu’elles ne puissent désormais plus être mises en œuvre si on interdit à un bourgmestre ou un échevin d’être en même temps député wallon. Ne dites donc pas "cumuls", utilisez le terme politiquement correct de "synergies".
Jacques Gobert estime que l’argument selon lequel les députés utiliseraient leur position pour favoriser leur commune ne tient pas la route : « qu’on nous cite un exemple de décret qui favoriserait une ville ou une commune », dit-il. Les députés wallons ne sont pas assez bêtes, il le sait, pour tomber dans ce piège. Là où certains députés abusent de leur position, c’est en entretenant avec les ministres et les membres de leur cabinet des relations privilégiées qui permettent de faire avancer leurs dossiers locaux. Un député-bourgmestre et un bourgmestre ne sont pas sur pied d’égalité. Jacques Gobert le sait. Ou alors, il est sourd et aveugle. Ou naïf, ce qu'on a du mal à croire. Maurice Dehu, qui est du même parti que Jacques Gobert, est moins sourd, aveugle ou naïf que lui, en tout cas plus sincère: « je peux vous donner une liste de vingt hommes politiques qui ont financé la rénovation de leur ville lorsqu’ils étaient ministres. C’est humain… » (LLB, 01.01.04)
Jacques Gobert réfute également l’argument selon lequel les députés « ne sont jamais au Parlement puisqu’ils sont trop sollicités localement » : « je connais, dit le président de l’Union des villes et communes de Wallonie, beaucoup de députés-bourgmestres, et je les vois assidus et engagés, tant dans les fonctions parlementaires que maïorales. Ils sont dévoués à leurs tâches locales tout en s’investissant pour le bien de tous au niveau régional. » On voit par là que Jacques Gobert est un bon lobbyiste. Mais qu’il méconnaît (ou nie) la réalité. Pour le nouvel élu que je fus, en 1999, aux parlements régional et communautaire, la première surprise fut l’absentéisme. C’est que les députés-bourgmestres ont parfois divers chats à fouetter… Combien de fois n'avons-nous pas dû attendre des collègues (du parti de Jacques Gobert en particulier) qui n'avaient pas cru bon de venir en réunion de commission, accaparés qu'ils étaient par leur commune? Le quorum n'était pas atteint, la réunion ne pouvait se tenir. Les assistants de groupe, gênés, téléphonaient à l'un ou l'autre de leurs députés, pourtant si dévoués, pour les convaincre de venir en quatrième vitesse. Zoé Genot, ma collègue d'alors, au Parlement fédéral, disait la même chose en 2003: « les cumulards : ces députés-bourgmestres-échevins-etc. cumulent les fonctions et n’ont pas le temps de venir aux commissions parlementaires. Or, lorsque nous travaillons sur des projets ou propositions, nous devons avoir le quorum. Lorsque nous ne l’avons pas, nous reportons la commission pour deux heures. C’est de cette manière que nous avons perdu des centaines d’heures durant la législature précédente. (…) Tous les parlementaires sont payés à plein temps, donc la moindre des choses, c’est de bosser à plein temps ! » (JDM, 21.10.2003)
Je me souviens d'un collègue du Parlement wallon, membre du parti de Jacques Gobert, aujourd'hui député européen et toujours fils de son "papa", qui s'étonnait du temps plus que plein que nous disions consacrer, nous, députés écologistes, à notre mandat: "allez, ne me dites pas que le Parlement wallon vous prend plus de quinze heures par semaine", disait-il avec son accent liégeois.

Pour A. Destexhe, A. Eraly et E. Gillet, « le cumul des mandats constitue un lourd handicap pour la démocratie. Il provoque des conflits d’agenda. Il conduit à une augmentation de l’absentéisme parlementaire. Il détourne le député de l’intérêt général qu’il est censé défendre, au profit d’intérêts trop particuliers. Il crée la confusion dans l’esprit des électeurs. Il accorde au « cumulard » un avantage sur le député qui n’exerce qu’un seul mandat et qui se prive ainsi d’une occasion de se constituer un « capital de voix » dans son fief. Il contribue à renforcer les baronnies locales… » (LLB, 01.01.2004). Zoé Genot fait écho: « Je constate qu’à quelques exceptions près les parlementaires qui exercent également un mandat local sont moins actifs que les autres. Cela vaut d’ailleurs aussi pour le députés qui continuent à exercer leur métier dans le privé. (…) Si les députés bourgmestres faisaient vraiment entendre leurs voix au Parlement fédéral, la réforme des polices ne serait pas passée comme elle l’a fait. (…) Certains ministres se comportent comme s’ils étaient toujours bourgmestre de leur commune.» (LLB, 01.01.2004)

En attendant, le décret diminuant la possibilité de cumul de mandats est passé. Avec ses limites et ses incohérences, d'accord, mais il est passé. Malgré les combats d'une arrière-garde synergétique.

lire "Les abonnés à Cumul + (sur ce blog, billet du 11 juin 2009)

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