lundi 31 mars 2014

Une odeur de moisi

Etrange phénomène dans mon salon ce dimanche soir: une odeur nauséabonde s'y était répandue. Je me suis rendu compte que ma télé possédait des propriétés olfactives que je ne lui connaissais pas. Elle dégageait une odeur de vague brune marine. Je l'ai éteinte et j'ai ouvert les fenêtres. De l'air!
Voilà donc le Front national et autres listes d'extrême droite à la tête de onze communes: Hénin-Beaumont (Pas de Calais), Béziers (Hérault), Fréjus et Cogolin (Var), Beaucaire (Gard), Hayange (Moselle), Villers-Cotterêts (Aisne), Mantes-la-Jolie (Yvelines), et  Camaret-sur-Aigues, Bollène et Orange (Vaucluse). Je note soigneusement le nom de ces villes où je ne mettrai pas les pieds. Une des caractéristiques du FN est de ne pas aimer les étrangers. Ils lui font peur. Je ne voudrais pas déranger.
Une consolation: le si distingué (1) Louis Aliot, compagnon de la fille à papa Le Pen et à ce titre numéro deux du FN, est battu. Son collègue Philippot également.
Voilà donc Robert Ménard maire de Béziers. On l'a connu à la tête de "Reporters sans frontières", dénonçant les régimes autoritaires, défendant la liberté de presse. Depuis, il a attrapé un étrange virus en tombant dans la vague brune marine. Le voilà qui défend la peine de mort.
Les habitants de Fréjus ont de la chance: ils ont élu un tout jeune maire. David Rachline a 26 ans. Il est de cette génération nouvelle qui n'a rien à voir avec le FN raciste et puant d'autrefois. Il est la preuve vivante que le parti de la fille est radicalement différent de celui du père. David Rachline est le rédacteur du compte Twitter de la fille à papa, le responsable d'Internet au sein du parti aussi. S'il est tombé dans la marmite FN, c'est par admiration pour... Jean-Marie Le Pen, il l'a enthousiasmé lors de la campagne de 2002. Il avait alors 14 ans. "J'ai vu en lui un homme qui ne se pliait pas au politiquement correct et à la pensée unique", explique-t-il. Il précise ce qu'est pour lui la pensée unique: "que l'immigration est un bien pour la France. Et tout ce qu'on n'a pas le droit de dire, d'après les médias et la classe politique." Il s'oppose à la construction d'une mosquée dans un quartier à majorité musulmane et il compte bien démanteler les campements roms dont les habitants sont "des délinquants". Il veut aussi s'opposer à l'invasion des étrangers sur le marché de la ville: "nous favoriserons les commerçants de Fréjus", dit-il. Il y a à Fréjus "trop d'emplacements pour des commerçants de Paris et d'Aix-en-Provence" (2). Etranger, passe ton chemin. David Rachline doit aimer les films de cow boys. Les habitants de Fréjus ont de la chance: ils se sont choisi un jeune maire avec de grandes idées révolutionnaires et en avance sur son temps.  Il a juste un siècle de retard.

Sur le "nouveau" FN, lire aussi le billet de Caroline Fourest "Le FN enfin responsable", 25 mars 2014: 
http://carolinefourest.wordpress.com/
(1) qui traite une journaliste de "pute" parce qu'elle écrit ce qu'il voudrait taire.
(2) informations et citations extraites de "A Fréjus, un boulevard pour le FN", Sascha Lehnartz, Die Welt, 23 mars 2014, in Le Courrier international, 27 mars 2014.

samedi 29 mars 2014

Têtes basses

Tous les naïfs qui s'apprêtent à voter pour le Front national, pensant qu'il va mener une gestion saine et honnête de leur commune seraient bien inspirés de se pencher sur le sinistre bilan des équipes d'extrême droite. Elles promettaient toutes qu'elles seraient irréprochables. Elles furent calamiteuses. "Tête haute et mains propres", annonçait le père Le Pen. Les mains furent bien sales, les fronts bas. 

lire
www.lalibre.be/actu/international/le-calamiteux-bilan-municipal-du-front-national-5335cb3e35705fe5e3c6f825

Jan Palach et l'Europe

Arte diffusait ces jeudi et vendredi la mini-série d'Agniezska Holland "Sacrifice" (Burning Bush - Le Buisson ardent, en v.o.) (1). Magnifique hommage à Jan Palach, ses proches, son avocate, les étudiants, les jeunes, tous ceux qui se sont battus, ont été jusqu'à donner leur vie parfois pour que leur pays connaisse la liberté.
On les voit prisonniers d'un système autoritaire, glacial, arbitraire, qui ment, manipule, terrorise, broie des vies, écrit la vérité à sa façon. Ce système a vécu de serviteurs dociles et de bras armés arrogants, fiers de leur pouvoir.
Un pouvoir qui a été jusqu'à faire disparaître le corps et la tombe de Jan Palach. Ce système-là tuait même les morts. Mais ces morts-là restent vivants. Vingt ans après la mort de Jan Palach, la Tchécoslovaquie a connu la plus grande manifestation anticommuniste de son histoire. Quelques mois plus tard, le régime s'effondrait. Au sein du premier gouvernement démocrate qui lui a succédé, Dagmar Buresova, avocate de la famille Palach, devenait ministre de la Justice.
De toute cette histoire, où se mêlent héroïsme et crapulerie, Agniezska Holland, a tourné une fiction pour mener un travail de mémoire. "Autant qu'un travail d'actualité, dit-elle. C'est périlleux pour le présent de vouloir évacuer le passé. Sans mémoire, on ne peut comprendre l'actualité, encore moins l'empêcher de devenir dangereuse." (2)
Polonaise, elle était étudiante à Prague, contemporaine de Jan Palach. Ces événements, elle les a vécus. Elle sait, elle, ce que représente l'Europe. "L'Europe d'aujourd'hui est le résultat de la guerre. Nos institutions ont été créées pour faire barrage aux pulsions nationalistes et populistes. Ce sont des garanties qui nous permettent de vivre en paix, dans un monde où les citoyens sont des sujets et non les objets de tyrannie. Pourtant, tout cela est terriblement fragile, estime-t-elle. Nous oublions trop souvent ce qui nous a menés là."  (2)
Aujourd'hui, à travers l'Europe, ils sont nombreux et de plus en plus puissants ces partis qui voudraient mettre fin à cette Europe. Elle doit être, c'est vrai, plus sociale, plus créative, plus combattive, plus ancrée dans le quotidien de ses habitants. Mais vouloir y mettre fin est imbécile et assassin. "Je ne cherche qu'une chose pour l'Union européenne, c'est qu'elle explose", a déclaré la députée européenne Marine Le Pen (3). L'Europe est aujourd'hui menacée par ces terroristes, ces pyromanes qui - par calcul électoral, par nostalgie d'une gloire nationale qu'ils ne retrouveront jamais, par peur et/ou par haine de l'autre - mettent en péril les liens qui nous unissent.
La bête n'est pas morte.

(1) à voir sur www.arte.tv/guide/fr/050183-001/sacrifice-1-3
(2) Télérama, 26 mars 2014.
(3) Christopher Dickey, The Daily Beast, in Le Courrier international, 27 mars 2014.
A lire aussi
http://tempsreel.nouvelobs.com/elections-municipales-2014/20140328.OBS1783/comment-lutter-contre-le-gentil-front-national.html 

vendredi 28 mars 2014

Je suis partout

Je ne veux voir qu'une seule tête: la mienne. C'est ce qu'a décidé le si sympathique chef de l'Etat nord-coréen (1), Kim Jong-Un. Désormais, tous les mâles nord-coréens sont priés de se coiffer de la même manière que lui. Il n'en est pas de plus seyantes. On l'appelait, nous dit-on, dans les années 2000, "la coupe du contrebandier chinois". Aujourd'hui, tout les hommes nord-coréens devront avoir une tête de dictateur. On voit par là que les régimes forts sont aussi de beaux modèles de démocratie.
Voilà qui devrait donner à réfléchir en France: si la fille à papa Le Pen poursuit sa progression, les Françaises devront-elles se décolorer les cheveux?

Post-scriptum: voir le commentaire de Grégoire. Ce ne serait là que rumeur.

(1) Pourquoi les coiffeurs nord-coréens ne gagneront jamais un prix | Air du temps - lesoir.be

mercredi 26 mars 2014

Tour de passe-passe

La confection des listes pour le deuxième tour des municipales donne lieu au meilleur et au pire. 
Courageusement, des listes de gauche se retirent pour empêcher le FN de l'emporter. C'est le cas à Carpentras où le candidat du PS a décidé de jeter l'éponge - une décision qu'on imagine douloureuse - pour éviter que le si délicat Aliot (qui traite une journaliste de "pute" parce qu'elle a simplement fait son travail) ne l'emporte.
A Châteauroux, autre cas de figure: le socialiste Marc Bottemine a été sèchement battu par son concurrent UMP, arrivé largement en tête. Il vient de conclure, avec le soutien du ministre Michel Sapin,  une alliance avec deux listes de "divers droite" pour tenter de l'emporter quand même. Il apparaît désormais comme un candidat sans étiquette (1). Tout ceci pour le bien de la ville et de ses habitants, nous dit-il. On n'en doute pas une seconde. Pas un instant, on ne soupçonnerait qu'il conclue de telles alliances contre nature par ambition personnelle.
Tout aussi courageux, Jean-François Coppé et l'UMP ont choisi le ni-ni: ni le Front républicain, ni le Front national. Et tant pis, si cette position lâche permettra à l'extrême droite de conquérir d'autres mairies. De toute façon, 55% des sympathisants de l'UMP sont favorables à des alliances avec le FN.
Celui-ci a presque réussi à se dédiaboliser. Des candidats de droite l'aident à terminer le travail en concluant des accords avec lui. C'est le cas en Moselle et dans le Val de Marne.
A Avignon, le FN est arrivé en tête avec quasiment 30%. Le directeur du Festival de Théâtre menace de déménager celui-ci en cas de victoire de l'extrême droite: "je ne vois pas comment le festival pourrait vivre, défendre ses idées qui sont des idées d'ouverture, d'accueil de l'autre, avec une mairie FN, ça me semble inimaginable" (2). Les électeurs avignonnais sont-ils conscients de la contradiction, qu'on ne peut voter pour le parti du repli sur soi et avoir un festival ouvert sur le monde?
La menace FN est toujours plus précise. Il est urgent de sonner le tocsin. Où sont les artistes, surtout les populaires, ceux qui peuvent parler "aux gens"? Qu'attendent-ils pour se manifester?

(1) JT France 3 Centre, 25 mars 2014, 19h.

lundi 24 mars 2014

Le diable au corps

Voilà, on s'y attendait, on le craignait, le FN et la fille à papa Le Pen triomphent. Ils ont déjà gagné Hénin-Beaumont (1). Ils entendent bien prendre d'autres communes dimanche prochain.
La grande entreprise de dédiabolisation de l'extrême droite fonctionne bien, même si elle n'est que poudre aux yeux. Le racisme, l'antisémitisme, l'homophobie ne peuvent plus s'exprimer en public, mais dans les locaux, entre frontistes, ils ont la voix libres. Deux anciens militants, bernés par le discours de la cheffe, en témoignent dans un livre (2): en côtoyant d'autres militants, ils ont découvert "les propos racistes, homophobes, néonazis".
Un peu partout, ce parti présente de bien étranges candidats. Des malades d'Alzheimer, candidats contre leur gré; des centenaires dont on ne peut être sûr qu'ils seront toujours vivants le jour des élections; des femmes qui sont invitées à se présenter avec leur second prénom et sous leur nom de jeune fille; des candidats, à Morlaix notamment (3), "qui ne veulent ni se montrer, ni se faire photographier"; bref, des candidats malgré eux ou honteux de l'être pour un parti pourtant dédiabolisé.
Il y a les candidats étrangers, belges notamment, qui apportent leur soutien aux listes de cette extrême droite qui ne veut plus dire son nom. Même si le FN est contre le droit de vote des étrangers. Mais s'ils peuvent rapporter des voix, ils constituent sans doute une exception intéressante (4).
Et puis, il y a aussi des candidats qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales de la commune dans laquelle ils se présentent. Rien de grave, juste une impression de manque de sérieux, pour dire les choses gentiment. Mais l'écrire a valu à une journaliste de L'Indépendant un sms d'insulte de Louis Aliot, vice-président du FN et compagnon de la fille à papa: "je viens de signifier à cette pute de Michalac que dimanche je ne me déplacerai pas dans sa boutique", voilà le délicat message qu'il lui a envoyé. Par erreur, on le comprend (5). Le compagnon de la présidente du FN n'a pas encore été dédiabolisé. Il reste du travail.
La fille à papa se rengorge: "le seul adversaire du système, c'est le FN", affirme-t-elle (6). On ne peut, pour une fois, que lui donner raison. C'est le seul parti qui s'illustre autant en tripatouillant le système démocratique. Voilà qui n'empêche pas de plus en plus d'électeurs de penser, apparemment sérieusement, pour certains naïvement, pour d'autres cyniquement, que ce parti est celui du renouveau, différent de ce qu'il était du temps du père Le Pen.
La fille à papa donne l'image de cette évolution, mais "elle est plus dangereuse que lui, estime Nadia Portheault. On ne la voit pas venir, mais derrière, en coulisses, c'est du pareil au même" (2). 

Soyons de bon compte: ce système démocratique se met lui-même à mal et nombreux sont les électeurs dont on aimerait comprendre les critères de choix. Le slogan qu'on entend sans doute le plus, c'est "tous pourris". Mais comme ils sont aimés ceux qui sont traités de la sorte! Déjà douze maires qui ont quelques problèmes avec la justice ont été réélus (7).
Et on garde le meilleur pour la fin: cette candidate qui l'est sans l'être: elle se présente en n'ayant "aucune envie de commencer une carrière politique". Elle était tête de liste à Propriano en Corse, à la place de son mari, maire sortant mais inéligible jusqu'en mai. Elle ne connaît rien au programme, n'entend rien à la politique, ne comprend pas les questions qu'on lui pose. A chacune d'entre elles, elle répond qu'elle fera comme son mari a fait, même si le journaliste relève les erreurs du passé. Elle a été élue. A 69% (8).
Les électeurs, tous pourris.


(1) lire http://rue89.nouvelobs.com/2014/03/24/quand-steeve-briois-15-ans-jubilait-bus-rempli-dimmigres-250929
(2) Nadia et Thierry Portheault: "Revenus du Front", Grasset
(3) Ouest-France - édition Quimperlé, 17 mars 2014.
(4) http://www.lalibre.be/actu/international/un-belge-tete-de-liste-aux-municipales-francaises-532ab89b35707711f4ab4416
(5) http://www.lindependant.fr/2014/03/22/le-candidat-fn-derape,1862113.php
(6) La Nouvelle République, mars 2014.
(7) http://rue89.nouvelobs.com/2014/03/24/balkany-woerth-deja-douze-maires-delicatesse-justice-reelus-250925 
(8) http://www.lalibre.be/light/insolite/cette-candidate-incompetente-a-fait-69-532fdd2535709734f4195864 

dimanche 23 mars 2014

Une question d'étiquette

Dans son livre "Paroles de liberté" (1), Christiane Taubira se plaint, avec raison, d'avoir été cataloguée, par une grande partie de la presse française, comme "la candidate des minorités" lors de la campagne pour les présidentielles françaises de 2002. Sa couleur de peau et sa région d'origine l'avaient placée d'office dans un tiroir. Alors, dit-elle, que son programme touchait à l'ensemble du rôle et du fonctionnement de la République et concernait tous les Français, sans exception.
D'autres élections s'annoncent tant en Belgique qu'en France. Permettons-nous dès lors quelques suggestions d'étiquettes pour les journalistes en mal de catégorisations:
* en France,
- Nicolas Sarkozy: candidat de ceux qui téléphonent sous pseudonyme;
- François Hollande: candidat des conducteurs de scooter;
- Jean-François Copé: candidat des annonciateurs de l'apocalypse s'ils ne sont pas au pouvoir;
- Dominique Strauss-Khan: candidat des sosies du loup de Tex Avery;
- Marine Le Pen: candidate de ceux qui disent que "l'humour français est de retour" quand on leur pose une question gênante.
* en Belgique,
- Paul Magnette, candidat de ceux qui ont le menton en galoche du gendre idéal;
- Rudy Demotte, candidat de ceux qui souffrent d'alopécie (la concurrence est importante: Jean-Luc Crucke et Charles Michel revendiquent la même étiquette);
- Daniel Senesael: candidat des fans de Michou, de Liberace et de Gérard Depardieu;
- Elio Di Rupo: candidat de ceux qui ont un beau dos et aiment le montrer;
- Didier Reynders: candidat de ceux qui entre leurs cheveux d'argent et leur cravate bleue ne peuvent cacher un sourire narquois;
- Laurette Onkelinx: candidate de ceux qui appuient sur les consonnes pour faire croire aux slogans qu'ils multiplient;
- Bart De Wever, candidat de ceux qui perdent 80 kilos pour le bien de la Flandre;
- Philippe de Eerste, candidat de ceux qui en ont longtemps bavé pour succéder à leur père.

Si vous avez d'autres suggestions, elles sont les bienvenues.

(1) Flammarion, 2014.

samedi 22 mars 2014

Understand who can

Quand on passe sur la route express qui relie Vannes à Quimper, on ne peut pas ne pas les lire: d'énormes graffiti sur des ponts qui surplombent la voie. Ils sont d'une délicatesse exquise. On les suppose écrits par des proches des Bonnets rouges. Quelques exemples: "Taubira, casse-toi!", "Pas d'écotaxe!" ou "Euthanasie = état nazi". On voit qu'on a affaire là à de grands penseurs. Mais le plus surprenant est la langue utilisée pour certains d'entre eux: "No gender!" ou encore "Gender child killer". On est surpris de découvrir combien la langue de Bretagne est proche de celle de Grande-Bretagne. Mais peut-être s'agit-il d'un appel au "grand frère"? David Cameron va-t-il mettre la main sur la Bretagne comme Poutine l'a fait sur la Crimée, parce qu'on l'y a appelé? On s'interroge. On se perd en conjectures.

vendredi 21 mars 2014

Quand j'entends le mot culture

Les partis d'extrême droite n'aiment pas la culture. On sait pourquoi. Il n'est de bons électeurs qu'ignorants et soumis. Et ne regardant que leurs pieds. Des imbéciles heureux qui sont nés quelque part.

Jacques Bompard, qui en 2004 a quitté le FN (1), parce qu'il a été mis de côté par Le Pen père pour son soutien à Bruno Gollnisch (2), est maire d'Orange depuis 1995. Depuis, la Ville a perdu son label de Ville d'art et d'histoire. Mais le maire, avec la délicatesse qui semble le caractériser, estime  que "les Orangeois s'en tamponnent le coquillard". C'est que Jacques Bompard n'aime pas la culture, "les cultureux de gauche", "les spectacles pour sous-branchés". Aussi veut-il faire naître "une contre-culture populaire", faite de séances d'aromathérapie, de comédies de boulevard et même, excusez du peu, d'une œuvre de Jean-Pierre Pernaut, qui cultive quotidiennement sur TF1 la nostalgie de la vieille France. Le théâtre antique d'Orange accueille des reconstitutions de peplums et des rallyes de voitures anciennes. La grande entreprise de crétinisation qui est devenue l'affaire de la grande majorité des chaînes de télévision ne suffit pas. La culture n'est appréciable que si elle fait oublier leurs soucis aux braves gens, qu'elle les détend. Et puis surtout, il faut "faire plaisir au bon peuple", estime Jacques Bompard qui trouve "scandaleux le financement public du pipi-caca des spectacles d'Avignon, qui choquent le petit peuple et ravissent l'intelligentsia".
Le maire n'a jamais prétendu terminer le chantier de la médiathèque, initié par son prédécesseur socialiste. Il a placé devant le bâtiment un panneau dénonçant sa "laideur indéniable". L'adjoint à la culture n'entend soutenir que des spectacles français et classiques et a fait savoir au responsable du Théâtre du Sablier qu'il voulait que celui-ci lui soumette ses projets "pour approbation". Le cinéma d'art et essai n'a pas droit de cité à Orange. "Le maire a fait supprimer les projecteurs et dallé de béton les balcons de la salle municipale" qu'utilisait l'association cinéphile. Il a bloqué l'achat de certains livres par la bibliothèque et l'a contrainte à acheter des ouvrages de militants FN (3). Bientôt les autodafés?

A Forbach, en Moselle, des responsables culturels craignent le pire. Ici, c'est Florian Philippot, numéro deux du FN, qui est en embuscade. "Je suis là pour ouvrir les esprits, pas pour les fermer, estime Frédéric Simon, directeur de la scène nationale le Carreau. Ce n'est pas une insulte de vouloir se cultiver en dehors de la culture de masse et du prêt-à-penser." Mais il craint l'après-élections: "les deux listes de droite veulent ma disparition pour installer un théâtre de notables bien-pensant, et Philippot va nous rendre la vie impossible" (4).

Pour les partis autoritaires, notamment d'extrême droite, la culture n'existe qu'au singulier et se conjugue au passé. Elle ne nous projette pas, ne nous libère pas; elle nous tire vers l'arrière, nous arrime au sol qui nous a vu naître et n'est qu'outil au service d'un projet politique de "pureté" et d'abrutissement des masses.

Philippe Val, actuel directeur de France Inter, estime que "la civilisation, la culture est toujours composite, impure, négociatrice, c'est pourquoi elle a fini par produire une théorisation politique de cette impureté: la démocratie qui est, entre toutes, la bête noire de (ce qu'il appelle) l'espèce" (5).

"Considérer la culture comme un domaine parmi d'autres ou comme un moyen d'agrémenter la vie pour une certaine catégorie de personnes, estime Amin Maalouf, c'est se tromper de siècle, c'est se tromper de millénaire. Aujourd'hui, le rôle de la culture est de fournir à nos contemporains les outils intellectuels et moraux qui leur permettront de survivre - rien de moins." (6)

Hannah Arendt définissait la culture comme ce qui relie l'homme au monde, ce qui donne sens à l'existence humaine. "La société moderne, écrit Jean Fleury qui la cite (7), en valorisant la marchandise, c'est-à-dire l'utile et la fabrication, minore ce qui intègre vraiment l'homme au monde dans lequel il vit. L'homme produit et consomme de l'utilité et réduit ainsi les relations à des fonctions. (...) La culture est opposée à l'utilité. L'homme utilitaire ne peut avoir de jugement dans la mesure où il est soumis au cycle de la vie".

Les partis d'extrême droite, qu'ils s'appellent Front national, Ligue du Sud, Vlaams Blok ou Belang ou autres n'ont aucune envie que l'homme se relie au monde. Juste qu'il se replie sur lui-même, qu'il rie de ceux qui ne sont pas comme lui, qu'il n'ait aucun jugement, hors ceux qui mènent au rejet de la différence et surtout qu'il ne songe pas un instant à réfléchir. Il risquerait de comprendre, l'homme, que ce type de parti le prend pour un crétin.

(1) dont il est à nouveau proche à l'occasion des prochaines municipales - lire "Un FN identitaire malgré lui", Jean-Yves Camus, Charlie Hebdo, 19 mars 2014.
(2) "Le Front national expliqué à mon père", Charlie Hebdo, hors-série, janvier-février 2014.
(3) informations extraites de l'article "A Orange, pas de quartier pour la culture", Juliette Bénabent, Télérama, 12 mars 2014.
(4) "Forbach, ville minée", Olivier Milot, Télérama, 26 février 2014.
(5) Philippe Val: "Traité de savoir-vivre par temps obscurs", Grasset, 2007.
(6) Amon Maalouf: "Le dérèglement du monde", Grasset, 2009.
(7) Jean Fleury: "La culture", éditions Bréal, 2002 - Annah Arendt: "La crise de la culture - Huit exercices de pensée politique", NRF Gallimard, 1972.




vendredi 14 mars 2014

Egotismes

Peut-on vivre en société sans en respecter les règles? En lui prenant tout ce qu'on peut sans rien lui donner en retour? On sent qu'on est, plus qu'hier sans doute, dans une période où sont nombreux les hommes et les femmes qui veulent vivre comme ils l'entendent. Pour eux. Rien que pour eux. Les autres, on s'en fout, disent-ils. Ils attendent que la société les prenne en charge. Pour tout. Et pour le reste aussi. Mais eux ne prétendent rien donner, rien respecter.

Dans sa série "La vie secrète des jeunes" (publiée dans Charlie Hebdo), Riad Sattouf dessine des scènes auxquelles il a assisté, dans un bistrot, dans le métro, dans la rue. Elles sont rarement réjouissantes, exceptionnellement tendres, le plus souvent navrantes, voire désespérantes. Dernière épisode (1): une femme explique à une copine que jamais elle ne nettoiera son palier, malgré les injonctions qu'elle reçoit: "c'est des cons dans cet immeuble de toute façon".  Elle n'apprécie pas que sa voisine se plaigne que son fils soit réveillé à deux heures du matin par la musique qu'elle écoute évidemment fort: "je vais arrêter de vivre pour que vous soyez tranquille? Non!", a-t-elle répondu à sa voisine avant de lui claquer la porte au nez. "Chuis en mode je vous emmerde avec les voisins, avec leurs petites vies pépères, leurs petits travails, leurs petits sommeils. J'ai le droit de vivre et je leur fais bien comprendre." En fait, elle est en mode "moi, moi, moi, les autres, on s'en fout" et aveuglée par son égoïsme ne peut voir qu'elle est elle-même une voisine avec sa petite vie à elle.  Elle se croit sans doute rebelle. Alors qu'elle n'est que remoche (2).

Dans la Nouvelle République (3), Candide écrit que "dans les attitudes qui découlent du principe solipsiste les autres, je m'en fous, il y en a pas mal qui les énervent, les autres". Et de citer des exemples: ceux qui s'étalent sur les banquettes de bus, ceux qui écoutent leur musique très fort dans leur appart, ou encore ceux qui se garent sur deux places parce qu'on est plus à l'aise pour monter et descendre de sa voiture. Ceux-là, ajoute-t-il, l'activiste américain Jason Roberts sait comment leur faire comprendre leur grossièreté: il peint sur leur carrosserie - à la peinture à l'eau - les lignes de démarcation des emplacements de parking.

Dans la série "les autres, rien à foutre", il y a aussi le modèle des électeurs non-citoyens. Ceux qui se plaignent que la politique se fait sans eux, qu'ils ne sont jamais consultés, qu'on ne leur demande pas leur avis. Mais qui ont autre chose à faire (ou même à foutre) que de donner leur avis. A Issoudun, dans l'Indre, le Collectif "Paroles de citoyens" (4) a distribué un questionnaire auprès des habitants de la ville (qui en compte 13.000) pour leur demander leurs avis sur l'avenir de leur ville. Soixante questionnaires seulement lui sont revenus remplis. Quand le Collectif a organisé une rencontre avec les candidats aux élections municipales et les habitants, seuls quinze personnes étaient présentes et une candidate. Le maire, en poste, depuis six mandats (5), a refusé de venir: son programme ne sera pas bouclé avant le 19 mars, dit-il (pour des élections qui ont lieu le 23). On imagine la déception des membres du Collectif. Prenons les paris: le maire méprisant sera réélu par des électeurs non-citoyens dont il se fout qui, eux, continueront à se plaindre durant six nouvelles années de la politique dont ils se foutent.

Mais de quoi se plaint-on finalement? On se le demande.

(1) 12 mars 2014.
(2) pour paraphraser cette formule "plutôt belle et rebelle que moche et remoche".
(3) 12 mars 2014.
(4) La Nouvelle République, 14 mars 2014.
(5) lire sur ce blog "Des urnes, des hommes et des moines", 23 février 2014.