dimanche 31 janvier 2016

Et moi et moi, émoi

Ils crient au jeunisme, n'acceptent pas qu'on leur retire leur émission, même s'ils ont largement dépassé l'âge de la retraite. Ces animateurs télé estiment que le public de l'émission qu'ils présentent est leur public, que sans eux celui-ci serait orphelin, déboussolé, inconsolable. L'ego n'a pas de limite. Il est parfois boursouflé.
Julien Lepers a une explication à son licenciement de la présentation de "Questions pour un champion" qu'il anime depuis vingt-sept ans: "c'est de la dictature!" (1). A 66 ans, qu'espérait-il? Présenter encore l'émission pendant vingt ans et mourir en plein enregistrement?  A ne pas être capable de sentir soi-même qu'il est temps de céder la place et de passer à autre chose, on en devient pathétique. De qui est-on victime, sinon de son propre ego? (2) "Si je pouvais être le dernier des seniors, je ne serais pas mécontent", affirme Michel Drucker, 73 ans, qui estime que "les seniors ont aussi besoin d'un repère". Ce qu'il est, bien entendu: un phare pour le troisième et le quatrième âge. Les malades d'Alzheimer ne reconnaissent plus leurs proches, mais ont le sourire dès qu'ils voient Drucker sur leur écran.
La télé française vieillit. Son public et ses présentateurs n'aiment pas les bouleversements. Combien d'animateurs et de journalistes sont à l'antenne depuis vingt à trente ans, et parfois plus? Et si on ne veut plus d'eux sur une chaîne, ils sont récupérés par une autre. Arte avait, un temps, remis en selle PPDA et voilà que c'est France 5 - le service public encore - qui met à l'antenne Claire Chazal, éjectée du JT du week-end de TF1 (elle y gagnait 120.000 euros par mois, soit douze fois plus qu'un ministre...) (3).

La télévision est tout doucement devenue une immense maison de retraite, avec des animateurs de grand luxe, aux salaires scandaleusement indécents (4). Qui ne veulent pas voir qu'ils ont fait leur temps, tellement sûrs qu'ils sont indispensables à un public qui vieillit autant qu'eux. L'âge moyen des téléspectateurs d'Arte est de 62 ans, il est de 61 ans à France 3, 60 ans à France 5 et 59 à France 2 (5). Jean-Pierre Pernaut aura bientôt 66 ans, William Leymergie en a 68, Dave 71. Comment comprendre qu'on retrouve encore sur LCP Jean-Pierre Elkabbach présentant le magazine littéraire? Il aura quatre-vingts ans l'an prochain. Ce ne sont certes pas les soucis d'argent qui motivent tous ces présentateurs à rester à l'antenne. Mais cette grande question qui doit les angoisser: peut-on être et avoir été?
Et ce sont les mêmes qui dissertent sur ces hommes politiques qui s'accrochent au pouvoir. Les mêmes qui se demandent ce que font les gouvernements pour favoriser l'emploi des jeunes.
"Dans un pays où l'on grogne parce que l'âge de la retraite vient d'être reporté à 62 ans, dans un pays où l'on se moque de l'âge avancé des hommes politiques, dans un pays qui s'extasie surtout devant la jeunesse, politique et culturelle, des autres pays de l'Europe, comment ne pas applaudir à la mise à la retraite des présentateurs de plus de 65 ans?", demande Laurent Nunez dans Marianne (1). "Ne nous faites pas croire, dit-il aux animateurs figés, par la simple itération de votre présence, lustre après lustre, décennie après décennie, que rien ne change en France. Ne nous faites pas tomber dans ce piège malheureux, dans cette illusion défaitiste. C'est justement parce que notre société change, qu'il faut que les visages télévisés changent. Allez! Soyez plus responsables que nos hommes politiques."

(1) Laurent Nunez, Le renouvellement n'est pas le jeunisme!, Marianne, 22 janvier 2016.
(2) (re)lire sur ce blog "Coïtus interruptus", 28 juin 2014.
(3) http://www.journaldunet.com/economie/magazine/le-salaire-des-politiques-et-des-elus/ministre.shtml
(4) http://www.lepoint.fr/medias/les-salaires-des-animateurs-de-television-devoiles-26-03-2015-1916227_260.php
(re)lire sur ce blog "Le plus vieux métier du monde", 17 octobre 2011.
(5) Ménage à la trois, Télérama, 27 janvier 2016.


2 commentaires:

gabrielle a dit…

L'âge d'un animateur/d'une animatrice m'importe peu. Sa compétence, l'intérêt ou la curiosité que cette personne suscite, oui. Un Pivot, un Chancel ou d'autres auraient pu sans doute prolonger puisqu'ils ont toujours été bons. Modestes, respectueux, qualifiés. Exactement l'inverse de celles et ceux qui s'accrochent comme des berniques à leur rocher en se considérant comme irremplaçables et se voyant accrochés pour l'éternité au panthéon audiovisuel.

gabrielle a dit…

http://www.rtbf.be/lapremiere/emissions_matin-premiere/nos-rubriques/cafe-serre/article_bruno-coppens-cafe-serre-en-pyjama-rouge-a-bananes?id=9199195&programId=60