jeudi 28 janvier 2016

Taubira, présidente!

Elle a donc fini par démissionner, par partir la tête haute. Christiane Taubira a pris la seule décision qu'elle pouvait encore prendre: quitter un gouvernement qui, dans trop de positions, semble vouloir plus complaire à la droite que mettre en œuvre ses propres valeurs. Quoi qu'on en dise, rappelait-elle en 2014, ce gouvernement avait plutôt bien commencé: "mariage pour tous et accord sur l'emploi; refondation de l'école et augmentation de la prime de rentrée scolaire; contrat de génération et emplois d'avenir; lutte contre la prostitution et contrôle des loyers; lutte contre les marchands de sommeil et répression de la fraude fiscale" (1).
Mais aujourd'hui, les crétins malfaisants de l'islamisme, même s'ils ne sont pas parvenus à diviser la nation française en dressant les une contres les autres les communautés qui la composent, sont arrivés à provoquer une droitisation de la question de la sécurité, amenant l'Etat à prendre des mesures qui ne serviront à rien, qui risquent de stigmatiser certains de ses ressortissants, mais qui rassureront sans doute une partie de l'opinion publique.
Christiane Taubira, pour l'extrême droite, pour les enragés de la soi-disant "Manif pour tous", pour une partie de la droite dure, a le grand tort d'être à la fois femme, noire et extrêmement brillante. Qui oserait contester son talent oratoire, son art de la rhétorique, sa culture universelle, sa connaissance de la poésie dont elle n'hésitait jamais à illustrer ses discours? Sa pugnacité pour faire adopter le droit au mariage pour les couples homosexuels et sa volonté de réformer la justice pénale en ont fait l'ennemi à abattre. Le petit et mesquin mouvement de la Manif pour tous a laissé s'exprimer en son sein, à son égard, des propos d'un racisme abject et intolérable qui le disqualifie totalement aux yeux de tout démocrate. "Sur les réseaux sociaux, écrit-elle (1), sur Facebook et Twitter, là où la bêtise peut circuler même quand le mazout de la haine et de la vulgarité lui englue les ailes, des doigts bouffis par la lâcheté flasque de l'anonymat tapaient, dans la rage de leur insignifiance, des mots qui se voulaient méchants, blessants et meurtriers. Pour ce qui me concerne, bien entendu, ces mots s'échouèrent dans la mer Morte."
Sa réforme pénale (2) n'est pas allée aussi loin qu'elle l'aurait voulu, ce qui ne l'a pas empêchée d'être considérée comme laxiste par la droite et l'extrême droite qui essaient de faire croire à l'opinion publique que la prison, avec les plus longues peines possible, est le seul remède contre tout délit.
A lire l'album "Murs murs, la vie plus forte que les barreaux" (3), ce reportage dessiné que Tignous a réalisé dans plusieurs centres pénitentaires et maisons d'arrêt en France, on se rend compte combien les prisons manquent cruellement de moyens pour mener une politique de réinsertion des détenus, et combien la prison peut être criminogène, modifiant l'attitude de gens qui auraient pu autrement réparer leur faute. Dans la préface de cet album posthume (Tignous a été assassiné le 7 janvier dans les locaux de Charlie Hebdo), Christiane Taubira écrit que "les crimes qui nous choquent tous, mais constituent 3% des affaires judiciaires, ne peuvent être la toile d'ajustement de la politique pénale portant sur les 97% d'affaires correctionnelles, dont la moitié de délits routiers. C'est comme ces prisons de haute sécurité, extraordinairement budgétivores, anxiogènes pour le personnel, ajustées au niveau maximal requis pour à peine 1% de la population qui y est emprisonnée. Comme s'il était intimé de ne plus réfléchir, de ne plus penser, de ne plus rien discerner." Ceux qui font la fête suite à la démission de la Garde des Sceaux sont précisément ceux qui ont fait ce choix: ne pas réfléchir, ne pas penser, juste frapper fort en faisant semblant que tout ira mieux et que les braves gens pourront dormir tranquilles.
Une grande dame quitte (pour l'instant?) la scène politique; de très petites gens s'en réjouissent. "Le départ des uns fait le bonheur des cons", disait ce matin Vincent Dedienne sur France Inter (4).

(1) Christiane Taubira, Paroles de liberté, Flammarion, coll. Café Voltaire, 2014
(2) http://www.liberation.fr/desintox/2016/01/27/taubira-et-le-laxisme-quatre-ans-d-intox-de-la-droite_1429290
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/07/17/01016-20140717ARTFIG00259-ce-que-va-changer-la-reforme-penale-de-christiane-taubira.php
(3) Glénat, 2015.


1 commentaire:

gabrielle a dit…

Femme, Noire, intelligente, pugnace, cultivée, brillante, différente.
Too much pour ce gouvernement de droite.