lundi 25 janvier 2016

Le club international des sangliers

On l'a dit et écrit (1), les agressions sexuelles qu'ont subies un millier de femmes - si pas plus encore (2) - en Allemagne le soir du nouvel-an sont totalement inacceptables, les responsables de ces actes doivent être poursuivis et aucune excuse d'ordre culturel n'est tolérable. C'est pourtant ce que s'évertue à faire une série de personnalités, y compris dans les rangs féministes. Avec parfois des arguments qui laissent sans voix. Comme ce tweet de Clémentine Autain: "entre avril et sept. 1945, environ 2 millions d'Allemandes ont été violées par des soldats. la faute à l'islam?". Que cherche donc à démontrer cette élue du Front de Gauche? Que l'Armée rouge a fait bien pire que les agresseurs du 31 décembre? En quoi cela les excuserait-il? Caroline De Haas, fondatrice d'Osez le féminisme s'en est pris, elle, à ceux qui déversent "leur merde raciste". Comme s'il ne s'était rien passé à Cologne et ailleurs, comme si elles refusaient de prêter la moindre attention aux victimes, à toutes ces femmes qui se sont fait agresser. "Que les jeunes femmes qui témoignent au quotidien de leur difficulté à marcher dans certains quartiers vêtus d'une jupe courte ou d'un pantalon moulant se le tiennent pour dit: leur souffrance est raciste. Qu'elles passent leur chemin, et de préférence en talons plats", écrit Anne Rosencher dans Marianne (3). Et elle cite l'essayiste Djemila Benhabib qui dénonce "le prisme différentialiste et culturaliste" de ces néoféministes: "elles définissent la victime uniquement en fonction d'une origine: à savoir les musulmans, forcément victimes de la violence et du racisme de l'Occident. Le problème, à Cologne, c'est qu'on a eu affaire à des mauvaises victimes! Et à des mauvais coupables! (...) Elles ont largué le droit des femmes au passage. C'est cela qui est impardonnable."
Ce n'est pas aux victimes qu'il faut donner des leçons, lui répond en écho Elisabeth Badinter (4), mais à leurs agresseurs: "oui, il va falloir trouver le moyen d'exposer clairement à des personnes qui ne sont pas de culture européenne ce que l'on peut faire ou ne pas faire dans nos pays, notamment vis-à-vis des femmes". La philosophe rappelle que "le féminisme, depuis une dizaine d'années, a pour principal objet, pour leitmotiv même, la lutte contre les violences faites aux femmes, ici, en France" et elle constate que les agresseurs de Cologne, "ces voyous qui ont violenté des femmes", ont porté "un coup de couteau dans le dos des réfugiés".
"Jusque dans la hiérarchie du politiquement correct, les droits des femmes se situent au bas de l'échelle, constate Gérard Biard (5) qui affirme par ailleurs - et qui pourrait le contester ? - que "l'islam a un sérieux problème avec les femmes, et il est criminel de s'entêter à le nier, sous couvert de particularisme culturel ou de droit à la différence. De là à dire qu'il est le seul..." Et le rédacteur en chef de Charlie Hebdo de rappeler les viols collectifs en Inde, au Caire et ailleurs. "Le machisme, le mépris social des femmes et l'indulgence pour les violences qui leur sont faites sont les choses les mieux partagées au monde."

Si on accepte que des gens originaires de tel ou tel pays agressent sexuellement des femmes sous prétexte qu'ils ont été élevés dans le mépris de la femme et qu'il s'agit donc d'un héritage culturel, on pourrait alors imaginer aussi qu'on trouve normal que des élus politiques français traitent de dinde une actrice canadienne parce qu'elle a le toupet de s'attaquer à cette magnifique tradition culturelle française qu'est le gavage des oies et des canards.
Parce qu'elle s'était rendue, à l'invitation d'une députée verte, à l'Assemblée nationale pour y défendre une proposition de loi interdisant le gavage des oies, Pamela Anderson, végétalienne et visiblement très impliquée depuis longtemps dans la défense des droits des animaux (sa fondation œuvre dans la protection de l'environnement), s'est fait copieusement insulter par la fine fleur des élus (6) et a suscité, affirme Myriam Weil (7), "un déluge de réactions négatives, notamment sur Twitter. Des réactions consternantes de sexisme pour la plupart."
Frédéric Nihous, président du parti "Chasse, Pêche, Nature et Charcuterie" (ou quelque chose du genre), assume ses initiales avec ce tweet délicat: "Une dinde gavée au silicone parade à l'assemblée contre le gavage des oies... Quelle farce! Qui en sera le dindon?"
Un conseiller régional d'Aquitaine est tout aussi précieux: "oui au gavage des canards et des oies à la purée de maïs. Non au gavage des lèvres et des seins au botox".
Et Patrick Ollier, député LR, émet les mêmes grognements de vieux sangliers gaulois: "Pamela n'y connaît rien. Pas de silicone dans le foie gras."
On voit par là que tous ces coqs ont de solides arguments pour défendre la torture des oies et des canards. Cette tradition culturelle française mérite bien qu'on s'asseye lourdement sur celles de la galanterie et de l'art de l'argumentation.
Résumons-nous: les traditions culturelles sont rarement à l'avantage des femmes et des animaux.

(1) voir sur ce blog: "La sociologie de l'autruche", 16 janvier 2016,
et "La nuit des prédateurs", 6 janvier 2016.
(2) http://www.lalibre.be/actu/international/allemagne-les-agressions-du-nouvel-an-encore-plus-etendues-qu-initialement-annonce-56a3ac7b3570ed3895459be6
(3) "La trahison des néoféministes", Marianne, 22 janvier 2016.
(4) "Cologne - Ne détournons pas le regard", Marianne, 22 janvier 2016.
(5) "Main au cul et modernité", Charlie Hebdo, 20 janvier 2016.
(6) http://www.meltybuzz.fr/pamela-anderson-des-propos-sexistes-sur-twitter-apres-son-passage-a-l-assemblee-nationale-a492619.html
(7) rédactrice en chef de l'émission "Le grand 8" sur D8, dans "L'Instant M", sur France Inter, 21 janvier 2016: http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1223247
A lire aussi:  http://www.huffingtonpost.fr/marlene-schiappa-bruguiere/cologne-ou-legarement-feministe_b_9049756.html?utm_hp_ref=france

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