samedi 31 janvier 2015

Le sens de la famille

Près d'un Français sur trois a fait un choix cohérent. Selon un récent sondage, s'il devait aujourd'hui se choisir un nouveau président, ce serait une présidente. Quelqu'un qui est en parfait accord avec son programme qui se résume au bon vieux temps. On l'a compris, il s'agit de la fille à papa Le Pen, présidente d'un parti clanique. Celui de sa famille. Quoi de plus cohérent qu'une famille qui se partage un parti quand celui-ci voudrait en revenir au Moyen-Age? Les nobles ont toujours fonctionné de la sorte, se distribuant postes et pouvoir au sein de la famille. Les dictateurs en ont fait et en font tout autant. On comprend que la fille à papa a parfaitement raison quand elle affirme que son parti est très différent des autres. 
Résumons nous: Marine a hérité du parti de papa. Celui-ci, Jean-Marie, en est aujourd'hui le président d'honneur (ou de déshonneur, on ne sait plus très bien, tant la moindre de ses déclarations ressemble à un pet tonitruant et nauséabond). La nièce de Marine, Marion Maréchal - Le Pen, en est députée. Bon sang ne peut mentir: elle a, quand elle s'exprime, autant de délicatesse et de sens de la nuance que son grand-père (1). Louis Aliot, le compagnon de Marine, en est l'assistant parlementaire et le vice-président du parti (2). Yann, autre fille à papa, sœur de Marine donc et mère de Marion M.L.P., est "chargée de l'organisation des plus grands événements" au F.N. (3). On retrouve aussi, dans ce jeu des 7 familles qui n'en est qu'une, Marie-Caroline Le Pen, autre fille à papa et donc sœur des deux autres, qui n'est plus militante au F.N., mais "dirige National Vidéo qui produit les cassettes vidéo du Front national (4)". On voit par là que les cotisations des militants du F.N. et les subventions publiques que celui-ci perçoit servent, pour une part non négligeable, à faire vivre le clan.
Donc, ce parti n'est - en effet - pas comme les autres. Il l'a d'ailleurs encore prouvé lors des rassemblements de soutien à Charlie Hebdo le 11 janvier dernier, manifestant sur ses terres, à Beaucaire, se désolidarisant ainsi du reste du pays. On le comprend: quand on est habitué à fonctionner en famille, c'est difficile de se mélanger à d'autres. Et à n'importe qui. Surtout quand on ne l'est pas.
Marine Le Pen avait un grand projet en prenant le relais de son cher papa avec qui elle semble jouer un jeu d'amour-haine: banaliser le FN. Visiblement, elle y arrive puisque une majorité de Français considère que ce parti est un parti comme les autres. Ce qui ne fait pas son affaire, puisqu'elle ne cesse de dire qu'il est différent des autres. Et on voit bien, en effet, qu'il l'est. Quoique, tout aussi visiblement, il semble aussi empêtré dans les querelles internes et les affaires que certains autres partis. On le sait depuis un moment (5), le micro-parti de la fille à papa, "Jeanne", est soupçonné d'avoir joué un rôle plus financier que politique. Voilà aujourd'hui que Frédéric Chatillon "ami" de Marine Le Pen, en charge de sa communication, est mis en examen pour "escroquerie", "faux et usages de faux" et "abus de biens sociaux". Un système de prêt aux candidats du FN et de surfacturation d'outils de campagne aurait permis d'apporter dix millions d'euros à ce micro-parti de la présidente banalisée (6).
Que comprendre de tout cela? Qu'il est très difficile de se banaliser quand on veut être différent des autres. Et inversement. 
On voit aussi qu'un Français sur trois est prêt à voter pour soutenir une famille anti-système qui a tout mis en place pour profiter au maximum de celui-ci.

(1) www.lalibre.be/actu/international/marion-marechal-le-pen-a-un-journaliste-franchement-c-est-minable-on-va-vous-avoir-54ca113e35700d752244725f
(2) selon sa fiche Wikipedia.
(3) La famille Addams Le Pen, le Canard enchaîné, 28 janvier 2015.
(4) selon sa fiche Wikipedia.
(5) lire, sur ce blog, "Pauvre petite fille riche", 17 avril 2014.
(6) www.liberation.fr/politiques/2015/01/30/au-fn-des-boulets-en-batterie_1192463

A (re)lire aussi, sur ce blog (parmi tant d'autres) "Difficultés de la filiation", 27 février 2012 et "Vieilles marmites", 16 janvier 2012.

jeudi 29 janvier 2015

Le devoir de penser

Chaque jour dans le monde, des gens sont menacés, agressés, emprisonnés, torturés ou même tués pour avoir commis un crime horrible: s'être déclarés athées.
En Egypte, l'athéisme est une attitude quasiment interdite. "La révolution nous a apporté la liberté, dit un homme âgé, mais ce n'est pas parce qu'on accepte la liberté qu'on doit accepter l'athéisme." (1) Un jeune homme, après avoir dénoncé dans une émission la violence inhérente à l'islam, a été agressé. Voulant porter plainte auprès de policiers, il a été tabassé par ceux-ci. Depuis lors, il a été licencié et a dû déménager plusieurs fois. Un étudiant égyptien a été condamné à trois ans de prison pour insulte à l'islam. Ne pas croire croire en Dieu, c'est insulter l'islam. On voit par là que le crime de blasphème n'a strictement aucun sens. On est toujours, que l'on croit ou non en un dieu quelconque, le blasphémateur de quelqu'un d'autre. "L'athéisme est un danger pour l'individu et pour la société égyptienne", affirme un imam qui défend sa boutique et croit que les athées diffusent "une pensée retorse" qui n'apporte rien ni à la société ni aux athées. Et aux croyants ne leur apporte-t-elle pas une occasion de voir les choses autrement ? On aimerait le croire.
La jeune avocate Shaïmaa al Sabbagh, figure de la gauche laïque, a été abattue samedi au Caire alors qu'elle voulait déposer des fleurs au pied du monument commémorant les martyrs de la révolution (2). Difficile de savoir si elle a été expressément visée par les tirs de la police (ou d'une milice?) pour ses convictions. Mais cette jeune femme de 31 ans, mère de deux ans, était bien connue pour son franc parler et ses positions claires et courageuses.

Tous ceux, ici comme ailleurs, qui critiquent les caricatures du Prophète et la dernière une de Charlie Hebdo apportent de l'eau au moulin des censeurs et des agresseurs d'athées, à celui des prédicateurs de haine. Plus ceux-ci feront plier de gens devant leurs ukases, plus ils se montreront exigeants, menaçants et violents. Ici comme ailleurs. Pourquoi les religions, qui insultent les athées, devraient-elles seules être respectées? Donc, que les esprits politiquement corrects (et donc mal pensants) cessent leurs appels à ne pas se moquer. Ces frileux compatissants se rangent du côté de la violence, qu'ils le veuillent ou non. Mais avec qui compatissent-ils? Avec les tenants d'une idée qu'on n'aurait pas le droit de critiquer?

"J'ai été choqué par les manifestations anti-Charlie Hebdo qui ont eu lieu au Niger, au Sénégal, ainsi que dans mon pays d'origine, l'Algérie", dit Abdel Merah (frère aîné de Mohamed). "Ce sont ces fous qui se prétendent envoyés par Dieu qui salissent l'islam à mes yeux, et pas Charlie Hebdo. J'ai grandi avec Cabu et ces humoristes qui rient de tout! Je n'étais pas d'accord avec tous leurs dessins, en particulier avec les caricatures danoises (...), mais j'ai de la peine, beaucoup de peine." (3) Le jeune homme appelle chacun à rester maître de son cerveau et l'islam à former ses imams. "Les prédicateurs sont toujours à l'œuvre dans la plupart des quartiers, on les voit lancer leurs messages de haine et de mort. Ils ont fait basse sur nos jeunes, nos petits frères, nos enfants. Ils cherchent à endoctriner les plus faibles, en leur servant un prêt-à-penser qui fait mouche. Pour contrer ces prédicateurs, il faudrait de vrais imams bien formés. J'aimerais que tous les Maghrébins et que tous les musulmans, comme moi, au lieu de se soulever contre les caricatures, se soulèvent contre ces fous de Dieu."

De nombreux laïcs issu du monde islamique ont signé un appel à une double réforme: religieuse de l'islam et politique des pays musulmans. Non, disent-ils, la guerre menée par les islamistes n'est pas étrangère à l'islam et certains passages du Coran devraient être mis à l'index, tels que la sourate 9, verset 5, qui dit: "tuez les infidèles où que vous les trouviez". Il faut, estime Ghaleb Bencheick, islamologue franco-algérien, "prêcher que tel ou tel passage martial, violent, que ses incidences politiques et morales sont inacceptables, inapplicables" (5). Il attend des imams qu'ils déclarent que certains extraits du Coran sont "attentatoires à la dignité humaine et anti-humanistes".
Il faut exclure la loi coranique du droit des Etats, affirme l'historienne franco-tunisienne Sophie Bessis (5). Il faut investir dans l'éducation, dans la culture, "des chantiers laissés en friche par les dictatures arabes qui ont une responsabilité écrasante dans la permanence de cette normativité religieuse dont ils se sont servi." 

Résumons-nous: ne plions pas les genoux.

Téméraire!
On devient sacrilège alors qu'on délibère.
Loin de moi les mortels assez audacieux
Pour juger par eux-mêmes,
et pour voir par leurs yeux.
Quiconque ose penser n'est pas né pour me croire:
Obéir en silence est votre seule gloire.

Voltaire: Le fanatisme ou Mahomet le Prophète, éd. Mille et une nuits, n° 506.

(1) Arte Journal, 27 janvier 2015, 19h45.
(2) www.lefigaro.fr/international/2015/01/25/01003-20150125ARTFIG00255-egypte-shaimaa-al-sabbagh-icone-d-une-revolution-assassinee.php
www.huffingtonpost.fr/2015/01/26/revolution-egyptienne-mort-photo-militante-shaimaa-alsabbagh-boulverse-reseaux-sociaux_n_6545060.html
(3) "J'ai beaucoup de peine", Télérama, 28 janvier 2015.
(4) Arte Journal, 28 janvier 2015, 19h45.

mardi 27 janvier 2015

Comprendre (essayer de)

Les massacres perpétrés au siège de Charlie Hebdo et dans une épicerie casher ne cessent de susciter commentaires et analyses. Pour détourner tant de jeunes de la tentation djihadiste, il faut sortir les banlieues du désespoir. Les monumentales (c'est le cas de le dire) erreurs architecturales et urbanistiques commises dans les années '60-'70, le chômage endémique, les discriminations à l'embauche, les trafics qui permettent à des jeunes de gagner en une journée autant que ce que gagnent leurs parents en un mois, toutes ces causes doivent être combattues fermement et des moyens doivent être mobilisés pour ce faire. Mais elles n'expliquent pas tout. On aimerait bien que les choses soient simples à comprendre. Elles ne le sont jamais. Il faut donc entrer dans leur complexité. C'est fatigant.

Les djihadistes occidentaux ne sont pas tous - loin s'en faut - des jeunes qui peuvent prétendre avoir été rejetés par la société. "On a vu récemment que des profils très différents étaient concernés par les départs en Syrie, dit Philippe Faucon, réalisateur du film La Désintégration, et ne correspondaient pas forcément à ce portrait habituellement fait du djihadisme français: Jeunes issus de l'immigration en pertes de repères. (0)"
Dans la région de Montargis, deux frères sont partis faire le djihad. Leur entourage se dit sidéré. L'un était étudiant, l'autre vendeur dans une boutique (1). Hayat Boumeddiene, la compagne d'Amedy Coulibaly, avait un emploi. Sur des photos, on peut, paraît-il, les voir tous deux en vacances, elle en bikini, "elle a les cheveux lâchés et des lunettes de starlette" (2). Ce qui ne l'empêchera pas de revêtir, peu après, le niqab, le voile intégral des salafistes. Les frères Belhoucine, qui ont emmené Hayat Boumeddiene en Syrie juste avant les crimes commis par Coulibaly, semblaient eux aussi "intégrés". Mohamed, l'aîné, avait accédé aux études supérieures (l'Ecole des Mines où il a choisi comme thème de recherche, en première année, "la correction de la trajectoire d'un missile"!)  et, après avoir flirté avec l'islamisme, était employé par la mairie d'Aulnay-sous-Bois, où il aidait les jeunes en difficulté scolaire. Son frère Mehdi était, dit-on, un "étudiant brillant" (3).

Les frères Kouachi ont commis le lâche massacre de Charlie Hebdo pour venger le Prophète, ont-ils déclaré. Est-ce en son nom que Chérif Kouachi visionnait et stockait sur son ordinateur des images pédopornographiques très violentes (4)?
Il y a aussi tous ces jeunes, très croyants, voire dévots, choqués par les caricatures du Prophète qui estiment que "il n'y a rien de pire qu'être athée". C'est même pire, visiblement, que "délinquant et trafiquant de drogue", comme ils se présentent eux-mêmes (5). On s'interroge sur leurs valeurs, sur leurs notions de bien et de mal.
Mais les musulmans, les vrais, n'ont rien, mais alors rien du tout, à voir avec ces dérives radicales et violentes. "Fréquenter une mosquée, ce n'est pas se radicaliser, affirme l'imam de Montigny-les-Corneilles (Val d'Oise), c'est exactement le contraire: c'est apprendre, connaître, s'élever. (6)". Il a cependant dû quitter Cergy-Pontoise "où la communauté des fidèles était, dit-il, sous l'influence rétrograde de l'Arabie saoudite, on lui reprochait  ses opinions différentes, et notamment de donner trop de place à la femme dans ses prêches. La femme est une honte pour eux, dit-il." On croit donc pouvoir comprendre que toutes les mosquées n'aident pas à comprendre, à connaître et à s'élever. 

L'Arabie saoudite, parlons-en: "Le jour où les pays occidentaux arrêteront d'entretenir des liens  avec l'Arabie saoudite ou le Qatar, ils auront une crédibilité à mes yeux", affirme le journaliste (français et vivant en Algérie) Kamel Haddar. Qui vend des armes à Daech? Qui a financé le terrorisme au Nigéria, au Moyen-Orient? Les terroristes se nourrissent au sein des wahhabites. Que les pays occidentaux en tirent les conséquences. (7)." Et qui a été, ces derniers jours, se recueillir devant la dépouille du roi saoudien Abdallah? La plupart des chefs d'Etat qui entendent faire la guerre à Daech, à Boko Haram et au radicalisme islamique (8). "Comment pouvons-nous continuer à considérer l'Arabie saoudite comme un pays ami?, demande Hind Meddeb, alors qu'elle rémunère depuis les années 1960 des prêcheurs qui vident l'islam de sa spiritualité et réduisent le Coran à un un mini-kit halal/haram de lois à respecter, au mépris de sa civilisation et de son histoire? (9)"

De toute façon, ces attentats sont des complots des services secrets français ou des Américains ou des Juifs ou de tous ceux-là ensemble, laissent entendre sur Internet (qui n'en demande pas tant) des fous furieux qui ont tout compris et vomissent leur bêtise, semblant oublier (ou ne pas vouloir voir) qui sont les victimes.
"Il y a ce point commun entre Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, dit encore Philippe Faucon, c'est la haine à l'encontre d'Israël, généralisée à tous les juifs. Le ressentiment de chacun vis-à-vis de la société française ayant été probablement récupéré, exacerbé, téléguidé de façon meurtrière, pour des motifs géostratégiques. (0)"
Si le conflit israélo-palestinien trouvait enfin une solution, tout le monde se calmerait, entend-on dire. On ne demande que cela. Ce qui ne semble pas être la position de nombreux protagonistes. Là-bas comme ici. Chaque fois qu'Israël repart en guerre contre les Palestiniens, on déplore les agressions dont les Juifs sont victimes dans nos pays, de la part de gens qui confondent Juifs, Israéliens et  gouvernement israélien. Mais qui vient en France consoler des Juifs qui ont perdu des proches? Le premier ministre israélien. Et il en profite pour inviter les Juifs de France à s'exiler dans son pays, où ils seront mieux protégés. Où les accueillera-t-il? Selon toute probabilité, dans de nouvelles colonies de peuplement, créées sur des terres volées aux Palestiniens. On voit par là que l'attitude de Nethanyaou n'aide pas plus que les actes violents des djihadistes à trouver une solution à ce conflit qui serait, nous dit-on, à la base de tant d'autres à travers la planète.

On le voit, le monde n'est pas facile à comprendre. Nous ne sommes ni dans "La Guerre des étoiles" ni dans Tintin. Il n'y a pas les bons et les méchants, il y a plein de gens gris, flous, incohérents et la compréhension réclame un certain sens de la nuance. Reste qu'il est tellement plus facile de s'envoyer à la tête des clichés, des injures, des imprécations, des explications simplistes et des solutions toutes faites. 
Résumons-nous: rien n'est simple.

(0) Il n'y a pas de profils types, L'Obs, 22 janvier 2015.
(1) France 3 Centre, Journal, 22 janvier 2015, 19h.
(2) La fugitive, L'Obs, 22 janvier 2015.
(3) Ses complices de l'ombre, L'Obs, 22 janvier 2015.
(4) Comment Chérif Kouachi s'est rendu invisible, L'Obs, 22 janvier 2015.
(5) Des banlieues divisées, The Daily Beast (N.Y.), 13 janvier 2015, in Le Courrier International, 22 janvier 2015.
(6) La journée d'un imam du "juste milieu", L'Obs, 22 janvier 2015.
(7) J'étais un sale Arabe, mais je suis français, L'Orient-Le Jour (Beyrouth), 16 janvier 2015, in Le Courrier International, 22 janvier 2015.
(8) http://deredactie.be/cm/vrtnieuws.francais/Politique/1.2220151
(9) "C'est à l'Islam de s'adapter à l'Europe", L'Obs, 22 janvier 2015.

Sur l'Arabie saoudite, écouter (et voir!) l'excellent billet de Sophia Aram hier matin sur France Inter:
www.huffingtonpost.fr/2015/01/26/sophia-aram-burqa-france-inter-replay-video-abdallah-arabie-saoudite_n_6544970.html?utm_hp_ref=france

dimanche 25 janvier 2015

Les djihadistes du Standard

L'apostasie existe aussi dans le milieu du football. Le joueur qui a le culot de changer d'équipe ne mérite rien d'autre que la mort, estiment de nombreux supporters du Standard de Liège, à travers des calicots inspirés des pratiques et des images des djihadistes (1).
Si on ferme des cinémas, des salles de spectacle et d'expos par crainte d'attentats, qu'attend-on pour fermer ces stades de foot qui puent la haine et la violence?

(1) www.lesoir.be/767600/article/sports/football/2015-01-25/supporters-du-standard-accueillent-defour-par-une-mise-mort-photos
www.lesoir.be/767725/article/debats/editos/2015-01-25/standard-anderlecht-pire-du-football-belge-en-90-minutes

Quitter les clichés

Ce qui mine les débats sur les attentats qu'a connus la France, c'est la généralisation. On dit les musulmans, les juifs, les Français, les journalistes, les politiques. C'est trop souvent le même sac qui est utilisé pour y fourrer tous ceux qui, vus de l'extérieur, ont l'air semblable. Pour certains, tous les blancs sont forcément chrétiens; pour d'autres, tous les journalistes mentent; pour d'autres encore, la communauté musulmane n'a strictement rien à voir avec ce qui s'est passé ou est au contraire responsable de tout. "Charlie, c'est pour les chrétiens", dit un gamin à son copain (1), ignorant que depuis sa création l'hebdomadaire a bouffé du curé bien plus que de l'imam.  "Tous les musulmans sont responsables", lancent des irresponsables d'extrême droite. C'est tellement pratique de pouvoir comprendre que les uns sont comme ceci, les autres comme cela. Les clichés sont censés aider à maîtriser une situation qui est en réalité extrêmement complexe. Les premiers à faire des amalgames avec les autres sont parfois ceux qui les dénoncent quand ils en sont victimes. L'ignorance est la mère de l'incompréhension qui elle-même s'alimente de rumeurs, de stigmatisations, de manque de recul et de réflexion.
D'où - on ne cesse de le dire et il semble que le Gouvernement français ait décidé d'investir dans le secteur - la nécessité de soutenir l'éducation et les enseignants. L'éducation permanente devrait également jouer son rôle, tant ces problèmes ne sont pas l'apanage des jeunes. Ils sont nombreux les adultes à qui on ne la fait pas et qui se la jouent Café du Commerce avec le premier copain croisé.
Il est temps d'équiper les enseignants, les éducateurs, les animateurs d'outils qui permettent de faire la part des choses entre science et croyance, entre critique des idées et attaques de personnes, entre humour et haine, entre travail journalistique et diffusion d'opinions et de rumeurs.
Il faut, disait une enseignante (2), que certains jeunes découvrent les gens qui vivent autour d'eux. On peut espérer la même ouverture de quantité d'adultes. Mais les amalgames sont confortables, les théories du complot fascinantes et l'auto-critique fatigante. On voit par là qu'il vaut mieux penser que croire.

(1) L'école de la désunion, L'Obs, 22 janvier 2015.
(2) France Musique, 13 janvier 2015, vers 8h15.

samedi 24 janvier 2015

Sans José Artur

"Je suis un vivant presque incurable", disait-il. Il est cependant mort ce matin, même s'il aurait préféré que ce fût la nuit dernière: "si je meure un jour, j'aimerais que ce soit une nuit", avait-t-il écrit. Le voilà affaire classée: "Pour Dieu, chaque être qui meurt est une affaire classée". Mais ils n'étaient pas proches tous deux: "Galilée à genoux, Salman Rushdie mort vivant... je ne suis pas fou de Dieu en ce moment." Beaucoup de ses réflexions restent, hélas, d'actualité", telles que celles-ci: "La bêtise est aussi dangereuse en temps de paix que l'étaient les nazis pendant la guerre" ou encore "Le vrai mystère de la religion: il y a des gens pour la pratiquer".
José Artur était la radio. 
"Aujourd'hui, il fait un temps à faire autre chose."

(Citations extraites de Les Pensées, José Arthur, Le Cherche-midi éditeur, 1993.

vendredi 23 janvier 2015

Quand j'entends le mot culture

Ceux qui croient et ne pensent pas veulent qu'on en fasse autant. Qu'on arrête de réfléchir, de voir le monde autrement, de se parler, de se rencontrer, d'échanger, de débattre. Les annulations de manifestations culturelles se succèdent, à cause de menaces d'attentats prises au sérieux par la police, en Belgique comme en France. Et ailleurs aussi sans doute.
Voilà qu'à Tournai le Festival Ramdam, excellent festival "du film qui dérange", est annulé deux jours après son ouverture(1) et le complexe cinématographique Imagix qui l'accueille est fermé durant une semaine. Les fous de Dieu (ou de fascisme ou d'eux-mêmes ou de tout cela) gagnent. Ils ont seuls le droit de déranger.
Le Musée Hergé à Louvain-la-Neuve annule son exposition consacrée à Charlie Hebdo. La bibliothèque de Welkenraedt ferme son expo sur la censure vingt-quatre heures après son vernissage (2). A Paris, la pièce de théâtre "Lapidée" n'aura été jouée que trois jours (3). Ailleurs, en France, en Belgique, ce sont des débats, des rencontres, des projections de films qui sont annulés.
C'est toujours à la culture que s'en prennent, d'abord, les fascistes qui ne craignent rien plus que l'intelligence et l'ouverture d'esprit.
Les religieux de tous bords n'ont pas le droit de dire qu'on ne peut tuer, tout en ajoutant qu'on ne peut blasphémer, excusant ainsi certaines violences. Tout est aujourd'hui devenu blasphème pour les fous furieux qui dévoient les religions. Mais les pires blasphémateurs, ce sont eux qui par leurs actes et leurs menaces sont devenus les plus grandes injures qu'on puisse faire à leurs dieux, si ceux-ci sont vraiment des dieux de tolérance et d'amour. Il faudra continuer à le dire haut et fort.
Ceux qui veulent empêcher les rencontres culturelles marchent dans les pas des assassins du chanteur kabyle Lounes Matoub, dans ceux des tueurs de Daech qui ont - monstrueuse lâcheté - massacré treize enfants irakiens coupables d'avoir regardé un match de foot à la télé (4). La même logique de terreur est à l'œuvre.

Ils sont les massacreurs de la vie
Ils n'ont pas le pouvoir, quel saccage déjà!
S'ils l'ont, désolation, chaos, mort!

Hé oui! Nous les voyons se répandre,
Ils ont pénétré les arcanes du pouvoir,
Après avoir changé leur fusil d'épaule.
L'esprit s'asphyxie de son ignorance,
Ils l'asservissent à leur guise,
Jusqu'à la soumission de notre peuple tout entier.

Lounes Matoub: "Lettre ouverte aux...", 1998.

Post-scriptum à propos du Ramdam: ouf! le festival a pu redémarrer ce dimanche 25!
www.lalibre.be/actu/belgique/tournai-le-cinema-imagix-rouvert-le-festival-ramdam-autorise-a-reprendre-54c4b0ea3570af82d50f98f8

(1) www.lalibre.be/culture/cinema/menace-terroriste-au-ramdam-je-regrette-que-les-valeurs-du-festival-soient-attaquees-54c2023c3570af82d50787e6
www.lalibre.be/regions/hainaut/menace-terroriste-le-festival-ramdam-annule-a-tournai-54c1219c3570af82d50488f6

(2) www.rtbf.be/info/regions/detail_auto-censure-d-une-exposition-sur-la-censure-a-welkenraedt?id=8806032
(3) www.lefigaro.fr/theatre/2015/01/21/03003-20150121ARTFIG00387-la-piece-lapidee-reportee-apres-les-attentats-jihadistes.php
(4) www.lalibre.be/actu/international/des-enfants-tues-pour-avoir-regarde-un-match-de-foot-54bf8e4535701f354347d3fc

jeudi 22 janvier 2015

Tiré par les cheveux

Un sourire, dans le ciel noir qui nous recouvre ces dernières semaines: un nom de salon de coiffure à ajouter à ma collection (1): Aur' Kidécoiff. Un salon qui se situe au Dorat (Haute-Vienne), au nom à relire deux fois (au moins) pour le comprendre. Mais tellement dans l'esprit de cet humour typique des coiffeurs.

(1) lire, sur ce blog "Humour de coiffeur (2)", 17 novembre 2014.

mercredi 21 janvier 2015

The times, they are a changin'

Les barbares qui ont massacré l'équipe de Charlie Hebdo ont marqué des points. Et même des poings. Là où on ne s'y attendait pas. Voilà que le si gentil pape François déclare que "si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s'attendre à un coup de poing" (1). Peut-on être rassuré quand on n'est pas un grand ami du pape? Peut-on alors dire ce qu'on veut? On comprend en tout cas qu'on peut répondre par la violence physique à une critique verbale. Le temps du "si on te frappe sur la joue gauche, tends la joue droite" est fini. Ou alors c'était juste des mots. Comme les critiques par rapport aux religions, par exemple. Juste des mots ou des dessins. Pas de quoi fouetter un mécréant. Eh bien si, fini de rire. Pour les religions, la violence est une réponse juste aux critiques ou aux moqueries.
"Pardonnez-moi, écrivait l'an dernier Abnousse Shalmani (dont la famille a dû fuir le régime théocratique iranien), mais le progrès c'est rire de Dieu et surtout de ses légionnaires. Pardonnez-moi, mais rire de ceux qui détiennent le pouvoir séculaire ou le pouvoir religieux, qui maintiennent un carcan au-dessus des têtes craignant que le ciel leur tombe dessus, qui tiennent toutes les couilles entre leurs mains de fer, c'est avoir beaucoup moins peur, c'est être dans le changement. Pardonnez-moi, mais il n'y a aucune raison de s'excuser de rire des religieux, de rire des figures du pouvoir. Aucune. Et même si les locaux de tel journal satirique sont plastiqués, même si des dirigeants de pays amis - ou pas - râlent, même si des contrats sont foutus, même si les politiques ne savent pas comment régler le problème diplomatiquement, il faut continuer de caricaturer l'absurde, il faut continuer de manquer de respect, il faut continuer de rire. C'est toujours le moment de la caricature, c'est toujours l'instant du sourire, c'est toujours le bon bâton quand c'est le bâton de la liberté de la presse. Point barre." (2)

A propos de rire, le magazine Spirou vient de sortir un hors-série en hommage à Charlie Hebdo: 150 auteurs pour défendre la liberté d'expression.

(1) http://tempsreel.nouvelobs.com/charlie-hebdo/20150115.OBS0036/charlie-on-ne-peut-insulter-la-foi-des-autres-estime-le-pape-francois.ht
(2) Abnousse Shalmani, Khomeiny, Sade et moi, Grasset, 2014.

lundi 19 janvier 2015

Comment l'islam crée lui-même l'islamophobie

Naïvement, à lire le titre de l'article du Monde (1), j'ai été - un instant - juste un instant seulement - un peu rassuré. Lisant que "Les futurs imams vident leur sac", j'ai pensé que les futurs "cadres de l'islam", en formation à la grande mosquée de Paris, pleuraient sur le sort que font à l'islam les islamistes, sur les morts atroces commises en son nom.
Et c'est l'inverse. C'est pas eux, ils n'ont rien à voir là-dedans. Le Mahomet dessiné par Luz en couverture du dernier Charlie est plus empathique qu'eux. Eux n'expriment pas un regret, pas une excuse pour les crimes commis au nom du même dieu. Au contraire, ils crachent sur les morts, en n'hésitant pas à relayer les théories du complot. Un homme voit "un scénario préparé d'avance". Là, on est d'accord, mais les comploteurs ne seraient pas ceux que l'on pense selon lui, puisqu'on n'a jamais vu le visage des tueurs, ils étaient cagoulés. On voit qu'on a affaire à un fin limier. Il devrait "faire" policier, pas imam. Une femme va plus loin encore, laissant entendre que c'était là l'occasion pour le journal de se refaire une santé. Des explications qui donnent envie de vomir. D'autres ne veulent pas voir la différence entre antisémitisme et islamophobie, comme si, pour eux, ce qu'on pense était inhérent à ce qu'on est. Ils sont, selon l'expression de Sophia Aram ce matin (2), "ceux qui ne font que croire ce qu'ils pensent". Un homme voit même dans le dessin de la dernière couverture des sexes cachés. Il connaît mal l'hebdomadaire: quand dans Charlie on dessine une bite, c'est une bite. Elle n'est pas cachée, elle ose se montrer. Mais des esprits tordus en voient partout et sont donc incapables de voir "la tendresse et l'intelligence"(3) que traduit le dessin de Luz.
J'ai été formateur durant des années. Mon ambition essentielle était d'aider mes étudiants à réfléchir, de les rendre plus intelligents, plus capables de comprendre et d'agir. Pas d'en faire des autruches qui éructent avec la tête dans le sable, relaient des rumeurs stupides et injurieuses, sortent des monstruosités. Comment ces futurs imams et ceux qui les forment ne comprennent-ils pas que des propos aussi idiots et infâmes sont dommageables pour l'ensemble des musulmans? Ce ne sont pas les caricaturistes qui donnent une mauvaise image de l'islam, disait Cabu, mais ceux qui tuent en son nom. Ceux qui crachent en son nom ternissent un peu plus cette image.
Comment ne pas comprendre que cet islam-là fait peur, qu'il crée une vraie phobie? Qu'il est aussi dangereux pour les musulmans que les attaques et les raccourcis répugnants de l'extrême droite et des identitaires?
Est-ce ainsi qu'Allah est grand?

Post-scriptum: les manifestations contre les caricatures de Charlie Hebdo organisées un peu partout dans le monde musulman (comme, par exemple, en Tchétchénie) sont des caricatures de manifestations (4). De véritables insultes à la démocratie. Qui se lèvera contre elles?

(1) www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/17/a-la-grande-mosquee-de-paris-les-futurs-imams-vident-leur-sac_4558443_3224.html
(2) www.franceinter.fr, ce 19 janvier 2015, 8h55. Excellent billet sur les rumeurs et les complots!
(3) www.liberation.fr/societe/2015/01/14/aujourd-hui-le-prophete-est-aussi-charlie_1180802
(4) France Inter, Journal, 19 janvier, 13h.