samedi 8 novembre 2025

Le Soudan comme une proie

    Parmi ces guerres qui nous indiffèrent (voir billet précédent), il y a celle du Soudan. L'émission d'Arte Le Dessous des cartes en a donné un excellent résumé ce vendredi (1).
Tandis qu'une guerre interne divise le Soudan du Sud depuis 2013 (deux ans après son indépendance), le Soudan, l'un des pays les plus pauvres de la planète, est tout aussi déchiré par une guerre civile qui fait rage depuis 2023. Elle oppose le général Abdel Fattah al-Burhan, à la tête de l'armée régulière, et son homologue Mohamed Hamdan Dogolo, dit Hemetti, qui commande les Forces de soutien rapide (FSR).

    A l'automne 2021, deux ans après la chute du dictateur Omar al-Bachir, l'armée a viré les civils du pouvoir pour l'occuper seule. Un pouvoir aussitôt contesté par Hemetti, chef d'une milice paramilitaire responsable de massacres au Darfour qui ont fait au moins 300 000 morts entre 2003 et 2020. Les deux camps ont chacun la main sur des parties de territoires qu'ils conquièrent, puis contrôlent en enrôlant de force des civils sur des bases ethniques.

    Les ressources du Soudan - or, pétrole, gomme arabique, produits agricoles - attirent les rapaces voisins qui trouvent aussi des intérêts stratégiques à se positionner dans ce conflit en soutenant l'un des deux camps. Et parfois les deux. L'Egypte et l'Ethiopie s'opposent sur le contrôle du Nil et se mènent une guerre par procuration à travers les acteurs du conflit soudanais : la première soutient l'armée régulière, la seconde les FSR.
L'armée régulière d'al-Burhan est donc soutenue par l'Egypte, mais aussi par l'Iran, la Turquie, le Qatar,  l’Arabie saoudite et l’Erythrée, tandis que l'Ethiopie, les Emirats arabes unis et l'Africa Corps, ex-milice russe Wagner, soutiennent les paramilitaires d'Hemetti qui viennent de commettre de nouveaux massacres en prenant la ville d'El-Fasher (2). Les Russes contrôlent des mines d'or avec le soutien d'Hemetti, mais entendent aussi contrôler Port-Soudan, sur la mer Rouge, avec le soutien d'al-Burhan cette fois. En février 2025, Poutine, le tueur sans frontière, a obtenu d'al-Burhan un accord pour la construction d'une base navale sur la Mer Rouge.

    Résultat - très provisoire - de ce Stratego cynique et sanglant : plus de 150 000 morts, des viols, des crimes contre l'humanité, plus de 13 millions de déplacés, des pillages et des situations de famine qui menacent la moitié des 45 millions de Soudanais. La soif de pouvoir de quelques-uns écrase des populations entières. Dans l'indifférence et le cynisme.

(1) https://www.arte.tv/fr/videos/125533-005-A/le-dessous-des-cartes/
(2) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/11/03/au-soudan-le-jeu-trouble-des-emirats-arabes-unis-et-le-desinteret-coupable-des-occidentaux_6651268_3212.html

jeudi 6 novembre 2025

Ces guerres qui nous indiffèrent

    Il y a les guerres à la mode contre lesquelles les mobilisations sont nombreuses. Et il y a celles qui nous indiffèrent. Telles celle du Soudan ou celle qui ravage l'est du Congo. Ces guerres n'intéressent personne ou presque. Parce qu'elles sont trop lointaines ? Parce qu'elles ne nous parlent pas ? Parce qu'elles sont trop compliquées à comprendre ? Parce qu'on ne sait quel camp choisir ? 

    "La République démocratique du Congo (RDC), rappelle l'organisation Panzi (1), a connu l'un des conflits les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale, avec plus de 6 millions de morts et des millions de personnes déplacées. Souvent motivé par la lutte pour ses vastes richesses minières, le conflit en cours a causé des souffrances indicibles, en particulier pour les femmes et les enfants. La violence sexuelle a été une arme de guerre, avec des atrocités massives commises par des groupes rebelles et des milices soutenues par l'étranger."
Depuis l'afflux de réfugiés suite au génocide rwandais en 1994, les cycles de violence se succèdent dans l'est de la RDC. "Des groupes armés comme le M23 continuent de déstabiliser la région. Malgré plusieurs accords de paix, les causes sous-jacentes (pauvreté, exploitation des ressources et faible gouvernance) n'ont pas encore été résolues, laissant l'est du Congo dans un état d'insécurité chronique."

    Les conséquences, constate Oxfam, sont catastrophiques pour les populations locales.
"5,2 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays pour fuir les affrontements militaires dans la région. C’est colossal.
28 millions de personnes souffrent de la faim. Soit un quart de la population.
1 viol toutes les 4 minutes. Le viol est largement utilisé comme arme de guerre avec plus de 123 000 cas recensés par l'ONU.
Les camps de réfugiés débordent, les conditions sanitaires sont désastreuses. Les populations survivent sans accès à l'eau potable, à la nourriture ou aux soins essentiels. C’est d'ailleurs une cible stratégique des attaques. 
Epidémie de choléra qui se propage dans toute la région à cause du manque d'eau potable, aggravant une situation sanitaire déjà précaire."

    Le 27 juin 2025 à Washington, un accord a été signé entre le Rwanda et la RDC. Il affirme l’intégrité territoriale de la RDC, prévoit le retrait des troupes rwandaises sous conditions, la fin du soutien du Rwanda et de la RDC aux milices, la mise en place d’un mécanisme conjoint de sécurité et un cadre d’intégration économique régionale. "Mais cet accord, signé en grande pompe devant les caméras, n’a pas changé la réalité du terrain", estime Lydia Mutyebele Ngoi (2). Les derniers rapports soulignent même une accélération du nombre de morts." Selon la députée fédérale belge (PS), "cet accord est en l’état un malheureux symbole du désintérêt de l’Occident pour une crise et une région dans lesquelles il est plus impliqué qu’il aimerait l’admettre." Un désintérêt dont profite le Rwanda. "Le président rwandais Paul Kagame mène sa guerre, conscient d’être protégé par la passivité internationale. Il agit à l’instar de nombreux leaders qui ferment les yeux sur les violations du droit et privilégient leurs intérêts, dans un monde qui sombre dans le cynisme le plus profond, aussi profondément que le mutisme dans lequel le droit international a coulé."
Lydia Mutyebele Ngoi appelle à "appliquer des sanctions ciblées contre Paul Kagame, les responsables militaires rwandais et les chefs du M23, ainsi que contre les entreprises profitant illégalement des minerais congolais. Une traçabilité stricte des ressources est indispensable pour tarir le financement de la guerre. Nous appelons à la création d’un mécanisme international de justice chargé de juger les crimes de guerre, à un financement massif de l’aide humanitaire et à une politique étrangère belge et européenne fondée sur le droit international, rejetant la diplomatie transactionnelle."

    A l'initiative du Togo et de la France, une conférence a réuni à Paris le 30 octobre une soixantaine de pays et d’organisations qui ont "mobilisé plus de 1 milliard et demi d’euros d’assistance pour les populations les plus vulnérables", s'est réjoui le président français. Son collègue togolais, Faure Gnassingbé, a noté, souligne Le Monde (3) que l’urgence ne devait pas faire oublier « une autre vérité » : « On ne peut pas répondre indéfiniment au long terme avec des outils de court terme », a-t-il déclaré, appelant l’Afrique à participer à son propre effort humanitaire, « non pas seulement par devoir moral, mais parce que c’est une question de dignité et d’efficacité ». Il a aussi exhorté à faire toute la transparence sur l’aide humanitaire, qui dans un contexte de guerre « a tendance elle-même à devenir un enjeu de pouvoir »."
« Il faut, a-t-il déclaré, que l’aide soulage sans nourrir la dépendance, qu’elle stabilise sans figer les rapports de force. C’est pourquoi, pour protéger les bienfaits de l’aide et ceux qui la portent, il faut un contrôle africain renforcé ». Il a aussi plaidé pour que chaque ressource soit traçable.

    Si les populations de l'est de la RDC peuvent enfin être tirées du bourbier mortel duquel elles sont prisonnières, ce le sera aussi par la mobilisation de la communauté internationale. Si ce mot a un sens.

(1) https://panzifoundation.org/fr/war-in-congo/#
(2) https://www.levif.be/international/afrique/rdc-une-paix-trahie-les-congolais-abandonnes/
(3) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/10/30/emmanuel-macron-annonce-une-aide-internationale-de-plus-1-5-milliard-d-euros-pour-la-region-des-grands-lacs_6650333_3212.html?search-type=classic&ise_click_rank=2

lundi 3 novembre 2025

Padamalgam

Si ce n'est pas de l'antisémitisme, alors qu'est-ce ? 
Le 16 octobre dernier, une librairie de Séville a annulé, en dernière minute, la venue de l’essayiste Javier Leibiusky. Il devait venir y présenter le lendemain son dernier livre, Sefarad, l’Empire ottoman et Villa Crespo : un travail universitaire sur l’immigration des juifs ottomans vers Buenos-Aires à la fin du XIXe siècle.
"L’ouvrage, reconnu pour sa rigueur historique et son intérêt sociologique, ne traite ni d’Israël ni du conflit israélo-palestinien, relève Céline Masson, professeur à l’Université de Picardie Jules Verne et directrice du Réseau de recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme (1). Il explore la coexistence entre juifs et musulmans dans l’Empire ottoman, ainsi que le processus d’assimilation culturelle des communautés judéo-espagnoles en Argentine." Mais voilà : "la librairie a une position ouvertement pro-palestinienne, sans équivoque et frontale, et elle condamne le sionisme", affirme le libraire que sa "position frontale" amène donc à refuser qu'un auteur vienne présenter un ouvrage sur la coexistence entre juifs et musulmans.
On voit les librairies comme des espaces d'ouverture au monde, de dialogue, de partage de réflexions. Celle-ci s'affiche comme un lieu de censure qui a choisi le camp du bien. Contre celui du mal donc.
"La tiédeur n’a pas sa place ici", a déclaré le libraire qui appelle à "se positionner pour ou contre". Et conclut : "Je suppose qu’il s’agit d’un désaccord sérieux, suffisamment pour annuler cet événement". 
Javier Leibiusky a exprimé son refus de toute instrumentalisation politique : "Je n’ai pas de position “pour” ou “contre” ; ces postures font partie du problème, non de la solution. Je me définis plutôt comme pacifiste, défendant le droit des deux peuples à exister et à vivre en paix. (...) Il est dangereux d’amalgamer “juif” et “israélien”."

"Cet épisode, écrit encore Céline Masson, dépasse le cadre d’un simple malentendu. Il illustre les nouvelles formes de censure idéologique qui s’exercent dans les espaces culturels et universitaires au nom d’un prétendu « antisionisme de principe », lequel masque une hostilité à toute voix juive. Dans ce cas précis, il apparaît nettement que le sujet du livre ne portait pas sur Israël ni sur la politique israélienne, que l’auteur ne défendait aucune position militante ; et pourtant, son identité et le thème juif de son travail ont suffi à déclencher la suspicion et la disqualification." Les censeurs, tous les censeurs, sont toujours sûrs d'être des modèles de vertu. Ils ne sont que des censeurs. "L’argument avancé par le libraire, « la tiédeur n’a pas sa place ici », révèle un climat de polarisation morale où toute nuance est suspectée de complicité. Le refus d’accueillir un auteur juif et associé à l’histoire juive, sous prétexte de la ligne pro-palestinienne d’un lieu culturel constitue une forme de discrimination fondée sur l’appartenance et participe d’un antisémitisme maquillé d’humanisme."

Ce sont parfois les mêmes qui, après chaque attentat, chaque tuerie commise au nom du Prophète, appellent à ne pas faire d'amalgame avec l'islam et donnent dans les amalgames les plus grossiers et haineux entre gouvernement israélien et juifs.
Où est la solution ? Dans le boycott mutuel ? Cette attitude de censure participe de ce grand mouvement général qui veut que chacun est raison contre l'autre, voire à cause de l'autre. 
Javier Leibiusky a raison : ces postures, qui se veulent vertueuses, font partie du problème, pas de la solution.

(1) https://www.leddv.fr/actualite/quand-lantisemitisme-emprunte-la-voie-de-la-cancellation-20251020



vendredi 31 octobre 2025

Une voix vers la paix

    En ces temps où pullulent les va-t-en-guerre - contre les autres, contre les voisins, contre ceux qui ne sont pas comme nous, qui ne pensent pas comme nous, qui osent avoir une opinion différente de la nôtre - les voix des pacifistes sont précieuses. Celle de Sari Nusseibeh est de celles-là.
Ce philosophe palestinien, qui fut président de l'Université Al-Qods (Jérusalem-Est), a été, en 2002, à l'initiative d'un plan de règlement du conflit israélo-palestinien, rédigé avec Ami Ayalon, un ancien chef du Shin Bet (le service de renseignement intérieur israélien). Son engagement pour la paix - "la seule solution" - lui a parfois coûté cher. En 1987, pour avoir été approché par des membres du Likhoud à la recherche d'interlocuteurs palestiniens, il fut frappé à coups de bâton par des étudiants de son université. Quatre ans plus tard, alors qu'il essayait d'induire une stratégique pacifique à la première Intifada, il fut emprisonné durant trois mois par Israël.

    "Le 7-octobre fut un moment horrible, dit-il (1), et pour moi totalement inattendu. En Israël, ce fut une aubaine pour Benyamin Netanyahou, dont l'avenir politique était compromis par ses affaires de corruption. Pour les Palestiniens, il était clair que cela n'améliorerait pas la situation, mais de là à imaginer ce qui allait se produire..." Aujourd'hui, dit-il encore, le sentiment d'impasse est tangible. "Comme si les deux côtés étaient saisis par une quasi-impossibilité à réfléchir à la façon de s'en sortir. (...) Même si Israël montre sa puissance dans tout le Proche-Orient, le problème central demeurera : comment faire pour que des Juifs et des Arabes, qui revendiquent la même zone, parviennent à vivre côte-à-côte ? A eux de trouver la solution."
Sari Nusseibeh parvient malgré tout à rester optimiste, non pas grâce aux gouvernements mais grâce aux personnes. "Au niveau des individus, avant le 7 octobre, il y avait de nombreux cas où des Juifs et des Palestiniens s'étaient rapprochés, aidés, avaient travaillé ensemble , étaient même devenus amis. Après 1967, les gens ont commencé à se connaître. Cele montre qu'un jour les deux côtés pourraient créer une relation humaine qui permette la paix."
Si on considère les leaders actuels, c'est désespérant. D'un côté, Netanyahou, "un cas pathologique", qui "n'agit pas pour le bien de son propre pays" et qui "détruit les forces, au sein d'Israël, qui pourraient lui permettre de vivre en paix". De l'autre, le Hamas : "sans même parler de son rapport à la religion, il ne mise que sur la violence, ce qui est une impasse (...), la marque d'une grande faiblesse politique."
Depuis les années 1930, dit-il encore, "les deux côtés ont été insensés. Et pourtant, en Israël comme en Palestine, il y eut aussi des périodes - celle du processus d'Oslo, par exemple - où une grande partie des populations avaient compris l'intérêt de s'entendre. Sans doute que cela reviendra, mais il faudra de la patience, et parvenir à travailler de nouveau conjointement sur le terrain". 
C'est pour cela que au-delà des positions de principe de boycott, il soutient "la coopération académique entre les Palestiniens et les Israéliens, qui a existé dans une multitude de domaines. Il demeure des passerelles, très peu, qu'il est important de préserver, car demain, nous devrons les franchir ensemble pour traverser le précipice...". Et il appelle ceux qui veulent mener des boycotts à mettre tout en bas de leur liste la culture et les universités. 

     S'il dénonce avec force les tueries dont est responsable l'armée israélienne, Sari Nusseibeh n'utilise cependant pas le mot génocide. "Certains mots sont des armes, et génocide en est un. Je n'utilise pas de mots-armes. Si j'étais juriste, je tenterais de déterminer si la situation correspond ou pas à la définition d'un génocide. Je ne suis pas juriste. Et je n'ai pas besoin d'un tel mot pour savoir la peine et la douleur que je ressens."
Pour en sortir, il faudra de la créativité, dit-il. "Entre êtres humains, tous les agencements sont imaginables, tant qu'on en a la volonté."

(1) "C'est aux Israéliens et aux Palestiniens de se considérer comme des partenaires", propos recueillis par Valérie Lehoux, Télérama, 8.10.2025.

mardi 28 octobre 2025

Tous des barbares

    D'où viens-je ? C'est la première question que devraient se poser les identitaires, tous ceux qui sont convaincus qu'ils appartiennent à une nation homogène depuis toujours. Ils devraient d'abord se rappeler que nous venons tous du rift est-africain. 

L'archéologue français Jean-Paul Demoule (1) est remonté à la première présence humaine attestée sur l'actuel territoire français. C'était il y a à peu près un million d'années. Il rappelle que l'homo erectus né en Afrique a parcouru la planète, du Pacifique à l'Atlantique, et s'est établi en Asie et en Europe. Cet homo erectus a évolué à l'est en dénisoviens et à l'ouest en néandertaliens. Ceux qui sont restés sur le continent africain ont continué à évoluer jusqu'à se transformer, voilà trois cent mille ans, en homo sapiens, notre véritable ancêtre. En se déplaçant, très lentement, celui-ci se mélange en Europe avec les néandertaliens qui disparaissent peu à peu mais dont nous conservons quelques gènes. "Ce buissonnement donne tort à l'extrême droite, mais aussi, sans vouloir leur manquer de respect, au général de Gaulle (La France venue du fond des âges) et à l'un des grands historiens français du XXe siècle, Fernand Braudel, qui parlait de la France comme d'une nation forgée à partir d'un peuple homogène depuis le paléolithique. Ceux qui sont restés en Afrique sont, en fait, les seuls sapiens "purs" ! "
Ensuite, rappelle encore l'archéologue, sont arrivés, vers 6000 avant notre ère sur le territoire de ce qui sera la France, des agriculteurs venus du Proche-Orient. On retrouve trace aussi de personnes venues des steppes d'Europe centrale. Vers 600 avant JC, des Grecs venus de Phocée sur la côte turque fondaient la ville de Marseille. Puis, des Wisigoths, des Etrusques, des Romains s'installèrent en France. Et ensuite, des Burgondes (venus d'Allemagne) en Bourgogne et en Savoie, des Vikings en Normandie, des Arabes dans le sud. Les communautés juives et tziganes arriveront au Moyen-Age. Plus tard, la révolution industrielle et le besoin de main d'œuvre amèneront en France des travailleurs de pays voisins, puis des réfugiés polonais et arméniens, des républicains espagnols, des pieds-noirs, des Italiens, des Algériens, des Turcs, des Marocains, etc. "Etant donné que la France est le fruit d'un mélange permanent, on ne voit pas quelle pourrait bien être cette race pure, génétiquement identifiable, qui viendrait du fond des âges."

Jean-Paul Demoule rappelle aussi les origines du terme barbare : "dès l'origine, le mot barbare vient du grec barbaros, qui désigne ceux qui font des borborygmes. C'est le nom qu'on donne aux Gaulois, dépeints par les auteurs grecs et latins sous les couleurs de hordes de combattants mal éduqués et avinés, qui ne rasaient pas la barbe alors que les Romains s'épilaient et qui mangeaient donc de manière dégoûtante". Les Gaulois étaient donc qualifiés de barbares. Aujourd'hui, leurs descendants traitent du même mot les autres.
Contre qui le parti Reconquête, le RN-FN et tous les identitaires français sont-ils en guerre ? L'homo sapiens ? Au nom des néandertaliens ?

(1) "Un perpétuel grand remplacement", propos recueillis par Marion Rousset, Télérama, 1.10.2025.
Jean-Paul Demoule, "La France éternelle, une enquête archéologique", éd. La Fabrique, 2025

dimanche 26 octobre 2025

L'inhumanité qui se soulève

Le dégout. Une fois encore, le dégout.
Le massacre du 7-octobre ne leur suffit pas. Pas plus que les dizaines de milliers de morts à Gaza. Ils en veulent toujours plus.
Pourquoi pour défendre un peuple faut-il en haïr un autre au point d'applaudir un massacre d'une cruauté inouïe ? Des meetings de soutien à la Palestine se transforment rapidement en rassemblements antisémites et en apologie du pogrom du 7-octobre. C'est ce qui arrivé, notamment, le 15 octobre dernier, quelques jours après l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, à l'Université de Vincennes-Saint-Denis (Paris 8) lors d'un "meeting anti-impérialiste" (1).

"On continue à se mobiliser pour la Palestine. C'est la Palestine de la mer au Jourdain. Libérée intégralement", déclare un jeune militant. Opposé donc à une solution à deux Etats, donc pro-guerre. Ces militants qu'on ne sait où situer politiquement (à l'extrême, mais gauche ou droite ? on s'y perd) sont fascinés par la violence. Le terroriste George Ibrahim Abdallah, présenté par les organisateurs comme un héros, devait y intervenir en vidéo. Il ne pourra finalement pas se faire entendre. Au contraire de Mariam Abou Daqqa, cadre du FPLP, organisation terroriste : "le sionisme constitue un danger pour le monde entier", selon elle.
"Condamnez-vous le 7-octobre ?", demande une organisatrice. "Non !", répond tout l'auditoire.  Le 7-octobre est, pour eux, un acte "de résistance héroïque du peuple palestinien". Les massacres d'enfants, de femmes, de jeunes pacifistes, les viols, les tortures, les éventrations ne comptent pas. Ils n'ont que mépris pour ces victimes-là qui ne sont qu'israéliennes, que juives (même s'il y avait de nombreux non-juifs parmi les victimes et les otages). "Nous n'avons eu aucun problème à revendiquer ce 7-octobre". En fond de scène, cette phrase : "Vive la jeunesse qui se soulève". Contre quoi se soulève-t-elle ? La dignité ? La compassion ? Les droits humains ? La vie ? Ces jeunes ont choisi le camp de la mort, de la haine, de la violence. Les personnes qui filment cet écœurant meeting se sont fait expulser par des espèces de miliciens, qui n'appartiennent pas au service de sécurité de l'université.
Ces gens qui veulent témoigner de leur compassion pour les Palestiniens font surtout preuve d'inhumanité.

Le Ministre de l'Enseignement supérieur, scandalisé par ces propos haineux, a demandé au rectorat de saisir le procureur de la République et annonce des sanctions. L'université affirme avoir « signalé les éléments portés à sa connaissance au procureur de la République, en application de l’article 40 du Code de procédure pénale », et lancé une enquête interne. Dans une université, une institution censée rendre intelligent, aider à cerner les points de vue divers, à réfléchir. Ce qui s'est passé à Paris 8 se passe aussi dans d'autres universités françaises, belges, américaines et ailleurs encore.
"Je suis très conscient du privilège qu'il y a à être américain au XXe siècle, particulièrement si vous êtes juif, déclarait il y a une bonne vingtaine d'années Philip Roth. J'écris sur cette chance, la chance de ce qui est, mais en montrant ce qui pourrait être. Ce qui m'intéresse, c'est la fragilité de cette réussite. La facilité avec laquelle les choses pourraient tourner autrement qu'elles ne le font." (2)

Notre siècle étroit et bête me pèse sur les épaules comme un vêtement qui n'est pas à ma taille.
Félicien Rops (1863)

(1) https://www.marianne.net/societe/condamnez-vous-le-7-octobre-non-enquete-ouverte-apres-un-rassemblement-aux-relents-antisemites-a-paris-8
(2) cité par Marc Weitzmann dans "La part sauvage", Grasset, 2025.


vendredi 24 octobre 2025

Ciel, mes bijoux !

La France est en pleine neurasthénie. On lui a volé ses bijoux. Des bijoux que personne ne lui connaissait, sinon les cambrioleurs. Depuis, elle pleure, elle a perdu une part de son âme. Elle a honte.
Certaines chaînes d'information continue n'en finissent pas de se rouler par terre en se lamentant.
Ces bijoux, quasiment personne n'en connaissait l'existence, mais les trois-quarts de la France en sont orphelins. 

Comme l'écrit ironiquement Michel Guérin, rédacteur en chef au Monde (1), "ce ne sont pas seulement des bijoux qui ont été dérobés, mais l’âme française. Pas des bijoux mais le Louvre, le plus grand musée au monde et l’ancien palais des rois. C’est le hold-up de notre mémoire, d’une certaine idée de la nation, celle d’hier et d’aujourd’hui. Depuis dimanche, la droite et surtout l’extrême droite, notamment via des médias, multiplient les figures de style pour dire ce que signifie le braquage : « Jusqu’où ira le délitement de l’Etat ? » (Jordan Bardella, sur X) ; « Une nouvelle épreuve pour notre pays » (Marine Le Pen, sur X) ; « Une nation menacée » (Eric Ciotti, sur X) ; « Une France en décadence » (un anonyme cité par Europe 1) ; « Un désastre français » (Valeurs actuelles)". 
Il semblerait que ce cambriolage marque la fin définitive de la monarchie française. Ce qui afflige une affligeante extrême-droite. Mais même Ian Brossat du PCF a parlé de "honte nationale".
"Diable ! Peut-on encore dire que l’avalanche des réactions est disproportionnée et qu’elle est alimentée par d’autres ressorts ? Hors des frontières, l’occasion est belle de titiller l’arrogance française, voire celle du Louvre. Chez nous, les mots s’inscrivent souvent dans le calendrier électoral. Ajouter un vernis identitaire à l’affaire, c’est faire l’impasse sur la nature des objets dérobés." Si ces objets, écrit encore Michel Guérin, ont une valeur inestimable, ce n'est pas sur le plan artistique ou historique, mais au regard du cours des métaux précieux.
Depuis une dizaine d'années, rappelle-t-il, les cambriolages se sont multipliés dans de nombreux musées à travers le monde. "Tous sont devant une équation complexe : une ouverture généreuse au public et la sécurisation d’objets encombrants, plus à leur affaire dans une banque."
Ce que révèle ce vol, c'est surtout le niveau de réflexion politique de l’extrême droite et d’une certaine pratique du journalisme.

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/24/les-bijoux-voles-au-louvre-qui-ne-valent-que-pour-leurs-metaux-precieux-sont-surtout-des-objets-desuets-et-encombrants_6649087_3232.html
A écouter : Tanguy Pastureau sur France Inter : 
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/tanguy-pastureau-maltraite-l-info/tanguy-pastureau-maltraite-l-info-du-mercredi-22-octobre-2025-9485674

mardi 21 octobre 2025

Une misogynie plus puissante qu'un séisme

Autant prévenir les braves âmes : ce billet pourrait leur paraître islamophobe.
Les talibans, ces fous furieux de Dieu, confinent les femmes afghanes dans leurs cuisines. Elles ne sont bonnes qu'au repos du guerrier, à son nourrissage et à son entretien. Elles n'ont plus aucun droit, doivent se cacher entièrement sous leur burqa et sont même à présent obligées de masquer leurs fenêtres pour ne pas être vues des voisins ou des passants. 
Suite aux séismes ravageurs qui ont secoué l'Afghanistan début septembre et qui ont fait plus de 2200 morts, les talibans ont donné priorité à la charia. Des femmes n'ont pu être sauvées par les hommes qui ont interdiction de les toucher. Et il n'y a plus de médecins femmes, ni d'infirmières, les talibans ayant privé les femmes de tout enseignement médical. De plus, depuis le retour au pouvoir des talibans, en août 2021, une grande partie des fonctionnaires et technocrates ont été remplacés par des personnes choisies pour leur orthodoxie au regard de l’islam. Beaucoup de travailleurs de la santé ont été licenciés ou se sont exilés (1).

L'école leur étant interdite au-delà de l'âge de douze ans, les filles et femmes afghanes n'avaient plus qu'Internet pour se former, communiquer entre elles et s'ouvrir à l'extérieur. Même cette fenêtre leur est aujourd'hui fermée. Les talibans ont fait couper la liaison à la fibre optique. Son installation en 2007 avait coûté soixante millions de dollars au gouvernement afghan de l'époque et ses neuf mille kilomètres de réseau permettaient de relier aux réseaux mondiaux vingt-six des trente-et-une provinces du pays. Aujourd'hui, cette infrastructure ne sert plus à rien. Il ne faudrait pas que les Afghanes puissent se former. "Le plus terrifiant est la date choisie, écrit Khadija Haïdary (2). Cette décision coïncide en effet avec le quatrième anniversaire de la promulgation par les talibans de la loi interdisant aux adolescentes d'aller à l'école : les cours en ligne étaient l'une des dernières bouffées d'oxygène des jeunes Afghanes privées d'instruction ; pour des centaines de milliers de jeunes filles, la fin brutale d'Internet signe la disparition de leur seul accès au savoir et de tout lien avec le monde extérieur."

Les réfugiés afghans qui vivaient en Iran, au Pakistan, en Europe et d'autres pays sont à présent renvoyés en grand nombre vers leur pays désormais considéré comme apaisé. Apaisé mais en guerre contre ses femmes, victimes de la haine pathologique des talibans. Toutes les femmes afghanes devraient pouvoir se réfugier dans des pays qui respecteront pleinement leurs droits. Et laisser les talibans entre eux. De toute façon, ce pays sent déjà la mort.

(1) https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/09/12/seisme-en-afghanistan-les-femmes-privees-de-soins-en-raison-des-regles-religieuses-edictees-par-les-talibans_6640616_3244.html
(2) Khadija Haïdary, "Afghanistan - L'éducation ne tient plus qu'à la fibre", Zan Times, 23.9.2025, in Le Courrier international, 9.10.2025. 
Zan Times est un site d'information et d'enquêtes créé par des femmes journalistes suite à la reprise de Kaboul par les talibans an 2021. Dirigé depuis le Canada, il couvre l'actualité de l'Afghanistan.

dimanche 19 octobre 2025

La guerre sans fin

Il y a une et une seule personne au monde qui fait confiance à Vladimir Poutine. Ça tombe mal : c'est le président des Etats-Unis. Lui qui allait mettre fin à la guerre d'Ukraine en vingt-quatre heures n'est capable que de rouler des mécaniques. Chaque fois qu'il devrait enfin se montrer offensif, il fait un pas en arrière.
On l'a compris : il faut définitivement cesser de croire que le Père Ubu pourrait être d'une aide quelconque pour s'opposer à Vladimir le Terrible. Il ne fera rien contre lui. Sans doute, comme le soupçonnent de nombreux observateurs, Poutine a-t-il les moyens de faire chanter Trump (1). 
« Je pense que le président Poutine veut mettre un terme à la guerre », déclarait vendredi Fanfaron Ier (2). A nouveau, il est le seul à le croire. En fait, on a l'impression de voir deux chefs mafieux faire semblant de se menacer alors qu'ils ne font que marquer leurs territoires respectifs.

Le philosophe d'origine russe Alexander Mozorov, rappellent Borukh Taskin et Aaron Lea (3), estime que "la guerre d’usure sans fin n’est pas un résultat, mais un objectif de Poutine, car elle maintient l’Ukraine dans un état de déstabilisation et les Russes dans un état de mobilisation permanente, et empêche l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, atteignant ainsi ses objectifs sans occuper complètement l’État voisin. La propagande du Kremlin, qui présente la guerre comme un affrontement entre la civilisation russe unique, partie intégrante du « Sud global » (n’est-ce pas paranoïaque de penser ainsi pour un peuple si nordique ?), et « l’Occident décadent », martèle cette idée dans l’esprit des citoyens malheureux, ralliant la société russe et la forçant à s’habituer à la guerre sans fin et au programme impérial de Poutine".
Mais qui est décadent ? Celui qui mène la guerre ou celui qui veut la paix ? Avec Poutine, on assiste à un retournement des normes. On plonge dans 1984 d'Orwell. Faire la guerre, c'est être fort. Est faible celui qui prône la paix.
Et est stupide et naïf celui qui prend Poutine au mot. Borukh Taskin et Aaron Lea rappellent que le 28 mai 2002, après la réunion constitutive du Conseil Russie-OTAN, Poutine déclarait : « L’Ukraine est un État souverain et a le droit de décider de manière indépendante de son adhésion à l’OTAN». Huit ans plus tard, il commençait à envahir l'Ukraine. L’extrémisme de Poutine se manifeste également dans le démantèlement des accords multilatéraux de sauvegarde, dans le retrait de la Russie du Conseil de l’Europe et de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la suspension de sa participation au traité New START, dans le rejet des conventions internationales, y compris la Convention contre la torture. Ce "ne sont pas des « signaux » diplomatiques, mais des obus lancés contre la normalité qui a vu le jour dans le monde d’après-guerre", affirment Borukh Taskin et Aaron Lea. 
Poutine impose dans la violence et la terreur sa normalité à lui, ses règles et ses lois (celle du plus fort d'abord). "La guerre, écrivent-ils encore, offre de nombreux avantages à l’autocratie, dont la suppression de toute opinion alternative et l’exploitation de sentiments nationalistes généralement dangereux. Et c’est précisément cette guerre en Ukraine et la menace d’une extension de l’agression de la Fédération de Russie à d’autres pays qui servent d’appui au régime de Poutine, en créant des incitations économiques et politiques inattendues (apparues littéralement de nulle part, c’est-à-dire de la guerre elle-même) tant pour les élites que pour la population."

Mais le roi Donald qui s'impose lui aussi comme un autocrate ne veut rien savoir de tout cela et veut réduire la guerre d'Ukraine à une querelle de voisinage. Jamais il ne fera quoi que ce soit pour gêner l'empereur Vladimir pour qui il a tant d'admiration (ou dont il a peur ?).  

(1) https://desk-russie.eu/2025/07/28/le-cloaque-et-le-chaos-la-russian-connexion-de-laffaire-epstein.html
(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/18/donald-trump-presse-l-ukraine-et-la-russie-de-conclure-la-guerre-affichant-a-nouveau-sa-confiance-en-vladimir-poutine_6647943_3210.html
(3) https://desk-russie.eu/2025/10/12/la-guerre-sans-fin-de-poutine-ambitions-imperiales-et-moment-de-verite-pour-leurope.html

mercredi 15 octobre 2025

Réparer

Les armes se sont enfin tues à Gaza. On ne peut que s'en réjouir. Mais pour combien de temps ? Le cessez-le-feu a été acquis et, heureusement, mis en œuvre, mais sans processus de paix. "C’est la recette de futures catastrophes", estime Pierre Haski (1). "Le plan de Trump pêche sur au moins trois points. D’abord, qui va diriger Gaza dans l’après-guerre ? Qui désarmera le Hamas ?, c’est un élément-clé. Et enfin la question de la Cisjordanie, totalement ignorée par le plan Trump." (...) " Le chaos menace si la Force de stabilisation internationale envisagée par le plan n’est pas rapidement en place. Mais quel sera son mandat ? Appuyer une force palestinienne qui n’existe pas encore, ou imposer l’ordre elle-même ? Et qui désarmera le Hamas qui a annoncé qu’il refusait de livrer ses armes tant qu’Israël occupe une partie de la bande de Gaza ? On le voit, c’est d’une complexité folle."
Ni Israël, ni les Etats-Unis ne veulent entendre parler d'une solution à deux Etats. Pas plus qu'ils ne veulent d'une remise en selle de l'Autorité palestinienne. Trump pense demander à Tony Blair de gérer Gaza au risque - dont il se moque sûrement - de faire apparaître cette autorité, même temporaire, comme coloniale. Alors qu'il faudrait impliquer des Etats arabes, qui se sont enfin mobilisés pour agir, dans la gestion de cette zone ultra-sensible.

Qui a gagné quoi que ce soit dans ce conflit ? La Bande de Gaza est dévastée et les morts s'y comptent par dizaines de milliers, sans compter les blessés, les mutilés, les orphelins... La société israélienne est profondément blessée, ne fera jamais son deuil du 7-octobre et est mise au ban de la communauté internationale. Seuls les haineux des deux camps ont gagné. La création des deux Etats apparaît si peu probable. 
Dans Le Monde (2), le sociologue Alain Diekoff relève un sondage réalisé pour le compte du Peace Index, en juillet : il "montre que les Israéliens juifs considèrent majoritairement (43,7 %) que, dans un avenir prévisible, la « situation actuelle se maintiendra », c’est-à-dire qu’Israël se contentera de « gérer le conflit » avec les Palestiniens (alors même que le 7-Octobre a montré l’inanité de cette position). Ils sont 23,3 % à estimer que la perspective probable est l’annexion de territoires par Israël avec des droits limités pour les Palestiniens. Seuls 12,6 % croient à l’édification d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël. La solution à deux Etats est très majoritairement tenue pour peu crédible, et les deux ans de guerre n’ont pas accru sa popularité." Alain Diekhoff constate encore que "les discours d’ouverture ne trouvent qu’un écho limité au sein d’une société traumatisée, dans laquelle la rhétorique extrémiste véhiculée par l’extrême droite s’est banalisée". D'autres sondages indiquent qu'une majorité de Palestiniens s'opposent à la solution à deux Etats, en partie pour des raisons religieuses. (3)

Une paix est-elle alors réellement envisageable ? Delphine Horvilleur, rabbin et philosophe, veut y croire (4). "Moi, je ne veux pas cesser d'y croire, j'ai toujours voulu m'engager dans la construction de ponts et à la fois je veux être lucide. En temps de guerre, on dégomme les ponts et on essaie d'abattre ceux qui les construisent, donc je sais très bien que l'enjeu est particulièrement difficile aujourd'hui. Il y a trente ans de cela, lorsque je vivais à Jérusalem, j'ai assisté à l'assassinat de Yitzhak Rabin. À l'époque, j'avais l'impression qu'on touchait la paix du doigt, et en fait, a posteriori, je dois admettre que je me suis complètement trompée, qu'en fait, on n'avait jamais été aussi loin de cette paix qu'à cette époque. Et je me dis étrangement que dans les moments où on en est à des années-lumière dans notre perception, peut-être que finalement on n'en est pas si loin."
Et ce qu'il faut faire, c'est commencer par 'Réparer les vivants' (5). "Je me dis que c'est exactement ce dont on a tous besoin", explique Delphine Horvilleur. "Comment on va réparer les vivants, ceux qui reviennent, ceux vers qui personne ne revient, ou peut-être simplement des corps ; comment on va se réparer nous, comment est-ce qu'on va tous se réparer de ce qui nous est arrivé collectivement depuis deux ans, et qui ne devrait laisser personne indifférent : ni les personnes sur place, ni les juifs, ni les arabes, ni les palestiniens, ni les israéliens, mais l'humanité toute entière." Nous réparer tous, sortir là-bas de la guerre, de la violence, du rejet, mais aussi, ici, des invectives, des insultes, des injonctions, des analyses brutales et simplistes, de l'antisémitisme, du racisme. Le chantier est immense.

(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/11/alain-dieckhoff-en-israel-l-apres-guerre-mettra-clairement-benyamin-netanyahou-et-son-gouvernement-sur-la-sellette_6645789_3232.html
Alain Dieckoff a dirigé l'ouvrage "Radicalités religieuses - Au cœur d'une mutation mondiale", (Albin Michel), sorti récemment.
(3) https://moeursethumeurs.blogspot.com/2025/09/impasse-des-religions.html
(4) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-13-octobre-2025-1749423
(5) selon le titre du roman de Maylis de Kerangal.