jeudi 12 novembre 2015

Le vent de la vérité vraie

Qu'est-ce que la vérité? Existe-t-elle? Des générations de philosophes et de théologiens se sont penchés sur elle. Seuls ces derniers ont trouvé une réponse. Leur dieu la leur a révélée. La Vérité est une question de foi. Il suffit d'y croire.
Les opposants au projet d'éoliennes à Chaillac (Indre) continuent à sonder la question. Ils ont besoin de savoir, sont en quête de Révélation. La Vérité existe mais, ils en sont convaincus, on la leur cache.    Dans une longue "lettre ouverte" (non signée, sinon du "Président" sans qu'on sache de qui il s'agit), l'association "Bouchures, Traditions et Héritage" implore le maire: ses membres veulent savoir. "Où est la vérité Monsieur le Maire?", demandent-ils sur deux pages. La vérité des projets de production d'énergie renouvelable  soutenus par la commune, la vérité sur les chiffres, sur le financement, la vérité sur l'attrait de l'environnement dans la région. On voit déjà que la vérité, celle qu'ils évoquent en tout cas, est multiple. Ils affirment que de plus en plus d'habitants de la commune veulent, comme eux, "savoir où est, dans tout ceci, non pas Votre vérité soumise au gré des vents, mais La Vérité". Ce sont eux qui mettent des majuscules à une vérité qu'ils voient donc singulière. Et là, on en a la confirmation: on a affaire à des croyants, convaincus qu'il existe Une Vérité, claire, stable, indiscutable, irréfutable, qui n'évolue pas, ne se modifie pas. Allez savoir pourquoi, on a quelques frissons. On pense à l'Inquisition qui poursuivait ceux qui s'écartaient de La Vérité.
On peut et on doit critiquer, si pas contester, les projets industriels, parfois cachés derrière nos besoins d'energie renouvelable, qui sont menés par des groupes privés sans foi ni loi, sans respect de l'environnement dans toutes ses composantes. Il faudrait n'accepter que des éoliennes dites citoyennes, propriétés à la fois de groupes privés, de pouvoirs publics et de citoyens coopérateurs. Et - qui le conteste encore? -  il y a urgence à modifier nos modes de vie et de production d'énergie, si on veut donner quelques chances de survie à l'humanité. Mais les opposants n'entrent pas dans ces considérations, lls ne veulent pas d'éoliennes et ne leur trouvent que des nuisances. Ils ne peuvent nier qu'ils utilisent, pour (tenter de) le démontrer, des arguments très subjectifs qui n'ont rien à voir avec une quelconque Vérité (2). Ils expriment des points de vue, des sentiments, des craintes. Et les érigent en vérité.
Qui peut affirmer que ce qu'il pense est vrai? Le journal officiel du Parti commniste soviétique s'appelait La Pravda, La Vérité. On voit par là qu'il ne faut pas toujours considérer comme vraie la vérité.
Il y a des vérités qui nous intéressent parce qu'elles confortent notre discours, d'autres qui dérangent (voir le film documentaire d'Al Gore). La Vérité n'existe pas. Les opposants aux éoliennes de Chaillac feraient bien d'y réfléchir s'ils ne veulent pas qu'on leur ferme la porte comme à des Témoins de Jéhovah.

Post-scriptum:
Dans la région de La Châtre aussi, les opposants aux éoliennes se manifestent. Là, ils se sont rassemblés en collectif "Sauvons les paysages de George Sand". Une nécessité sûrement de sauvegarder ces paysages, qui sont cependant traversés de routes sur lesquelles circulent des voitures et des camions, de sentiers ancestraux sur lesquels vrombissent des quads, des paysages abîmés par des maisons quatre-façades et deux garages, des hangars agricoles parfois monstrueux. Toutes ces activités  et constructions ont, plus que des éoliennes sûrement, un impact considérable sur les paysages, mais quasi invisible et jamais remis en question. Le CO2, les métaux lourds, les nitrates et autres apports chimiques dénaturent, de manière irémédiable parfois, les paysages. Mais seules les éoliennes doivent y être évitées. C'est qu'elles feraient fuir les touristes, estime le collectif: "Les paysages du Boischaut-Sud, s'ils sont dénaturés, attireront fatalement moins d'estivants. Si l'Indre accusait une baisse du tourisme de 15% par exemple, cela impacterait deux cent soixante personnes que l'on mettrait au chômage" (3). Il est donc une vérité pour ces opposants: les touristes détestent les éoliennes, ils délaissent les régions où elles sont implantées et hop! deux cent soixante personnes au chômage. Voilà encore une vérité qui vaut bien n'importe quelle autre.
Pendant ce temps-là, d'autres communes de l'Indre font le choix de l'éolien. Saint-Georges-sur-Arnon, par exemple, où on envisage un financement participatif (4) et où tout le monde semble voir tourner ces éoliennes d'un œil favorable.
Extrait de  "Et pourtant elles tournent" (publié le 12 mars 2015 sur ce blog):
A Saint-Georges-sur-Arnon, dans le centre de la France, dix-neuf éoliennes tournent depuis 2009 (5). Leur implantation rapporte 140.000 euros par an à cette petite commune qui les a réinvestis dans un plan environnemental global. "Comment vivez-vous la proximité de ces éoliennes?", demande la journaliste à la plus proche habitante? Elle semble surprise par la question. "Très bien, dit-elle, que voulez-vous que je vous dise de plus?". Le maire, en fonction depuis vingt ans, envisage aujourd'hui onze éoliennes supplémentaires. Les recettes seront pour les habitants. Apparemment, personne ne s'en plaint. Au contraire. Pourquoi les anti-éoliennes brassent-ils tant de vent?

(1) datée du 20 octobre 2015 et distribuée en toutes-boîtes dans la commune
(2) http://www.lalibre.be/actu/sciences-sante/non-les-eoliennes-ne-sont-pas-mauvaises-pour-la-sante-5317471e3570916b39658f52
(3) La Nouvelle république, Indre Ouest, 12 novembre 2015.
(4) http://www.lanouvellerepublique.fr/Vienne/Actualite/Dossiers-actualite/n/Contenus/Dossiers/Actualite/L-eolien-en-region-Centre-et-dans-le-Poitou/36-Indre/L-idee-du-financement-participatif-2337628
(5) France 3 Centre, Journal, 9 mars 2015, 19h.

A (re)lire aussi sur ce blog:
- "Du vent", 13 juin 2014;
- "Beaucoup de bruit pour rien", 25 mai 2013.

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