lundi 30 novembre 2015

Ouvrir les yeux

L'eau froide, chaude ou tiède qui s'écoule vingt-quatre heures sur vingt quatre des réseaux dits sociaux et des forums sur les sites d'information nous permettent de goûter en permanence au meilleur et au pire. Des points de vue argumentés qui prennent le temps et l'espace de se faire comprendre et des avis tranchés et parfois trop succincts pour qu'on les comprenne. Mais on entend cependant ceux qui se battent la coulpe, ceux pour qui ce sont les pays occidentaux qui sont eux-mêmes à la source des tueries dont sont victimes certains de leurs citoyens, ceux qui pensent que les djihadistes réagissent face à un Occident (néo-)colonisateur et aux modes de vie critiquables. Si des djihadistes s'en sont pris à la France, c'est que nos façons de vivre et nos valeurs, que nous voulons leur imposer, leur sont, à raison, insupportables et que la France n'a pas à se mêler de ce qui se passe en Syrie ou au Mali.
On ne peut s'empêcher de trouver ces "analystes" très ethnocentristes. Comme si l'Europe seule était concernée, comme si elle occupait le monde. Peut-on leur suggérer de voir et d'écouter ce qui se passe et se dit ailleurs? Et ailleurs, il faut bien le constater, le monde est aussi gris. Si pas noir et désespérant. Les djihadistes frappent partout. Et avant tout d'autres musulmans. Le mal terroriste qui a frappé Paris est le même que celui qui sévit au Mali, au Nigéria, au Cameroun ou au Tchad, déclarait tout à l'heure (1) le président ivoirien Alassane Ouattara (par ailleurs musulman).

"Le terrorisme véhiculé par Daech touche désormais le monde entier", estime le journaliste chinois Sun Xinjie (2) qui pense cependant que trop de pays, tant qu'ils ne sont pas eux-mêmes frappés, esquivent encore leurs responsabilités.
C'est toute l'Asie qui est aujourd'hui concernée, écrit le site Asialyst (3): pas seulement l'ouest, mais aussi l'Asie centrale, l'Asie du sud, celle du sud-est. "L'Asie est elle aussi en première ligne dans la lutte contre Daech, cette pieuvre tentaculaire qui se nourrit de l'ignorance et des peurs." Et de rappeler les attentats de Bombay en 2011, de Kunming (Chine) en 2014 et de Bangkok cette année. "C'est une réalité: l'avancée asiatique de la pieuvre est en marche." Parmi d'autres exemples, pour l'illustrer, cette déclaration du ministre malais de la Défense: "Je peux confirmer que l'EI cible nos leaders politiques." Asialyst estime que "le malheur vient que la religion et l'obscurantisme sont devenus le véhicule de toutes les frustrations".
"S'ils ont attaqué la France, ce n'est pas parce qu'elle représente l'Occident, estime l'écrivain algérien Kamel Daoud (4), mais parce qu'elle accueille des diversités musulmanes: terrain béni pour provoquer des ruptures, des racismes, des exclusions et des violences qui iront gonfler les recrues de Daech et de djihadistes. La France a été ciblée à cause des diversités qui l'habitent et pas à cause de sa souche."
Dans un autre organe de presse algérien, un journaliste partage la même analyse (5): "Daech reste avant tout une organisation terroriste abreuvée, tout comme Al-Qaida, d'extrémisme religieux et ayant pour vocation de semer la mort partout où cela lui est possible. (...) C'est en définitive envers et contre l'humanité qu'existe cette organisation. C'est à l'humanité d'en finir par tous les moyens. Mais dans le respect du droit et de la légalité."
Le journaliste madrilène Ignacio Camacho (6) trouve que François Hollande "a courageusement pulvérisé les clichés du prétendu progressisme européen voulant que l'Occident assume toujours la responsabilité de ses malheurs et demande pardon - lui, l'éternel coupable des maux du monde. (...) Depuis le 11 septembre, le ressentiment idéologique contre le modèle de la démocratie libérale justifie vaguement le terrorisme djihadiste - le conflit israélo-palestinien, les déséquilibres économiques, l'invasion de l'Irak et de l'Afghnistan, le commerce des armes. Ce terrorisme serait l'expression radicale d'une lutte mondiale des classes au sein de laquelle les islamistes joueraient le rôle des héroïque masses opprimées. Le développement parallèle d'un relativisme trop bienveillant au sein de l'opinion publique des sociétés libres a créé un climat de repli bien-pensant sur lequel la terreur frappe avec une efficacité impunie."
"On peut poser des bombes dans les rues, mais on ne peut détruire l'esprit et les valeurs des sociétés ouvertes", estime le journal sénégalais Enquête+ (7) qui pense qu'un pays tolérant comme le Sénégal "montre la fausseté des thèses islamistes" où le discours intégriste est devenu "banal": "avec la liberté d'expression et les libértés publiques, les islamistes n'ont jamais pu transformer les mosquées en citadelles politiques. (...) Ce sont ces fondamentaux qui sont nos meilleurs remparts contre l'intégrisme."

Ceux qui attribuent à l'Occident la responsablité de l'islamisme en dédouanant presque ce dernier devraient le savoir: ils sont vus comme "paternalistes" par certains intellectuels arabes. A vouloir être à tout prix anti-colonisateur, on peut parfois ressembler à un gentil colon condescendant qui s'ignore. La naïveté, la bien-pensance, la bienveillance amènent certaines personnes à vouloir à tout prix trouver des excuses à des tueurs et à défendre des points de vue difficilement défendables.
Il ne faut jamais rater une occasion de s'attaquer aux islamistes: "l'islamisme apporte un projet révolutionnaire, véhiculé par une idéologie fasciste. Les islamistes n'acceptent ni dialogue, ni débat, ni contradiction", écrit Mohamed Sifaoui (8). On voit par là qu'il ne faut jamais hésiter à les contredire.

A lire, un article de Marianne sur les islam:
http://www.marianne.net/est-passe-ca-n-rien-voir-islam-100238344.html

(1) France Inter, Journal, 30 novembre 2015, 13h.
(2) "Un nouveau Pearl Harbour", Xinjing Bao, 16 novembre, in Le Courrier international, 25 novembre 2015.
(3) Jorys Zilberman et Antoine Richard: "Daech, l'Asie et nous", Asialysthttps://asialyst.com/fr/2015/11/16/l-edito-daech-l-asie-et-nous/
(4) "La peur est leur arme", Le Quotidien d'Oran, 16 novembre, in Le Courrier international, 25 novembre 2015.
(5) Sofiane Aït Iflis, "L'humanité dans le viseur", Liberté, 16 novembre, in Le Courrier international, 25 novembre 2015.
(6) "Hollande a le courage de combattre", ABC, 17 novembre, in Le Courrier international, 25 novembre 2015.
(7) "Une société ouverte: l'antidote contre Daech", in Le Courrier international, 25 novembre 2015.
(8) "Combattre le terrorisme islamiste", Grasset, 2007.

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