jeudi 22 octobre 2015

Démocratie de l'esthétique

La démocratie est une chose trop sérieuse pour la confier au peuple. Surtout quand elle se veut directe. La Ville de Tournai l'a bien compris, invitant ses habitants à participer dimanche à une consultation populaire qui ne leur demande pas de réfléchir à l'avenir de leur commune et moins encore au type de société qu'ils veulent. Mais à se positionner sur une option de modification du Pont des Trous: pierre ou résille. Comme si, dans une famille, les parents n'associaient pas leur enfant à une décision quant à son avenir et son choix d'études, mais lui laissaient choisir la couleur des murs de sa chambre d'étudiant. Les journalistes font remarquer que le Collège communal tournaisien et le ministre wallon en charge du dossier ont déjà opté pour la résille. Ils rappellent que le résultat de la consultation populaire organisée ce dimanche n'aura pas de caractère contraignant, que c'est le Collège communal tournaisien qui se prononcera ensuite, et enfin que c'est le fonctionnaire délégué de la Région wallonne qui rendra l'avis ultime. Précisons que le terme délégué indique qu'il est le représentant de son ministre. Qui, lui, a donc déjà pris sa décision.
Le choix des Tournaisiens sera donc simple: indiquer à quoi ils souhaitent que ressemble (en pierre ou en résille métallique transparente) le Pont des Trous, ouvrage du XIIIe siècle, qu'il faut impérativement élargir. La liaison fluviale Seine - Nord Europe est à ce prix. Le pont, ancien ouvrage militaire défensif, vu l'étroitesse de son arche centrale, constitue déjà un goulot d'étranglement sur l'Escaut pour les péniches actuelles et empêchera de passer les énormes embarcations de 4.400 tonnes qui s'annoncent. Donc, il faut élargir. C'est ainsi, c'est ce qui a été décidé par la Région wallonne qui a la tutelle sur les voies navigables. Bien sûr, l'argument écologique, le transfert du transport de marchandises de la route vers la voie d'eau, la diminution de la production de CO2 sont importants. Mais déjà aujourd'hui, le Pont des Trous laisse passer (de justesse, il est vrai) des barges qui annoncent fièrement qu'elles remplacent quelque 38 camions. Demain, il faudra pouvoir accueillir des doubles barges bien plus grandes qui remplaceront jusqu'à 180 camions (1) et transporteront des centaines de conteneurs empilés sur plusieurs étages. Un tel gigantisme est-il indispensable? Où s'arrêtera-t-il? Est-ce aux villes de s'y adapter ou le contraire? Personne (ou si peu de citoyens) ne semble se poser ces questions, tout le monde (ou presque) se soumet aux implacables lois économiques (parfois cachées derrière des arguments écologiques).
Le débat qui anime aujourd'hui Tournai est juste esthétique (avec un choix très restreint), en aucun cas politique.  Le patrimoine, les habitants d'une ville doivent s'adapter au progrès lié au développement économique. Les carriers du Tournaisis feront plus aisément voyager leurs pierres et leur ciment jusque dans le Bassin parisien, voilà qui est primordial. Curieusement, ce développement économique qui n'a pas de prix en a un quand il s'agit de trouver une solution. Celle d'un contournement, petit ou grand, a d'emblée été écartée en raison de son coût. Le petit contournement, sur la rive droite, aurait pu être l'occasion de redessiner totalement le quartier et d'intégrer le pont au Jardin de la Reine voisin. Aux termes du débat organisé tout récemment par No Télé (2), des citoyens ont déploré que la Ville ait raté là une opportunité d'être audacieuse et créative, elle aurait pu organiser un concours d'architectes à ce sujet, histoire, comme le disait l'un d'entre eux, de "donner du sens à ce projet". Résumons-nous: la démocratie est affaire de spécialistes et n'est là pour donner du sens.

(1) http://www.vnf.fr/sne/article.php3?id_article=86&id_rubrique=5&lang=fr
(2) http://www.notele.be/list151-pont-des-trous-media38684-debat-public-sur-l-avenir-du-pont-des-trous.html
A écouter: l'édito de Xavier Simon sur No Télé:
http://www.notele.be/list147-l-edito-media38373-edito--consultation-ou-mascarade.html

Juste pour le plaisir, deux positions - comment dire?  amusantes? ridicules? pathétiques? - relevées dans le débat de No Télé:
- Marie-Christine Marghem, 1ère échevine empêchée et par ailleurs ministre, a été favorable à une option et se bat pour une autre avec l'énergie d'une girouette qui comprend dans quel sens tourne le vent.
- Rudy Demotte, bourgmestre empêché et par ailleurs ministre (absent cette fois du plateau de No Télé pour cause de déplacement) n'a pu s'empêcher (on ne peut être empêché de tout) de rappeler qu'il est le seul bourgmestre légitime: "bourgmestre élu des Tournaisiens, c'est-à-dire celui que les Tournaisiens ont choisi, je dois leur donner la parole sur cette question sensible". C'est lui aussi qui a affirmé, défendant l'option résille: "il faut du courage en politique". Chacun met son courage où il peut.

1 commentaire:

Gregoire a dit…

J'ai reçu un courriel impersonnel de la part de M. LENFANT, suite à la pétition relative au Pont des Trous que j'ai sans doute signée à l'époque. Ce courriel, avec une nette préférence pour la pierre, de mémoire, me rappelait la consultation populaire. Je décidai, pour une fois, d'y répondre (au courriel). Dans mon courriel, je déplorais, Tournaisien de souche, mais "expatrié", de ne pouvoir officiellement y participer, mais, et c'était me semblait-il le point le plus important dans ce message, j'interrogeai M. LENFANT sur le bien-fondé de cet élargissement, n'ayant pas suivi tous les débats. Cela ne fait que quelques jours, mais je n'ai pas encore de de réponses... En quoi cela profitera-t-il à Tournai, demandai-je? Les bateliers s'arrêteront-il dans un restaurant du centre-ville? Même si le pont a été reconstruit après-guerre, les portes d'eau encore existantes sont tellement rares, qu'on devrait les laisser en paix... Et pendant qu'on dépensera plein d'euros à défigurer ce pont, les villages accrochés à Tournai se sentiront une fois de plus délaissés...