dimanche 29 décembre 2024

Refuser l'obscurité

Boycotter et censurer sont aussi à la mode que insulter et annuler. Triste époque, dirait-on au risque de passer pour un vieux con. On le serait plus encore si on disait O tempora, o mores. Disons-le sans crainte au point et à l'âge où nous en sommes.
Le problème de la censure est que chacun appelle à l'exercer contre le camp d'en face, tout en s'indignant que ceux du sien puissent en être victimes.

Heureusement, on se rend compte qu'on est loin d'être seul à soupirer.
Par exemple, en écoutant hier Christophe Bourseiller sur France Inter (1) qui rappelait l'importance de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, roman qui évoque un futur dystopique où le savoir est rejeté le savoir, la mémoire annihilée et les livres brûlés. Bourseiller y voit un livre prémonitoire repensant, notamment, à la campagne d'épuration littéraire qui, en 2019 au Canada, a vu la bibliothèque d'une trentaine d'écoles catholiques détruire près de cinq mille livres "dans un but de réconciliation avec les nations premières". Ont ainsi disparu des albums d'Astérix, de Tintin, de Lucky Luke et tant d'autres. L'initiatrice de la campagne a même organisé, toujours sous couvert de bienveillance, une cérémonie de "purification par la flamme".  Une trentaine de livres ont été brûlés dans un but "éducatif". On n'était alors pas loin du concept d'art dégénéré qui a amené les nazis à pratiquer des autodafés. Pas loin non plus des pratiques de l'Inquisition.

On se réjouit aussi en lisant que, sous l'impulsion notamment du sympathique et toujours militant Sam Touzani, artiste citoyen, 530 artistes belges, issus de toutes les disciplines, ont signé une carte blanche récemment publiée dans Le Soir, dans laquelle ils s'opposent aux boycotts culturels des institutions et des artistes israéliens. "Une vieille recette qui promet tout, en ne résolvant rien. Sous prétexte de solidarité, on réclame aujourd’hui que des ponts culturels soient détruits par le bulldozer du moralisme. Nous, citoyens libres et artistes, refusons de céder à ce mirage dangereux. Boycotter les institutions culturelles et les artistes israéliens pour défendre la cause palestinienne ? Un raccourci séduisant, certes, mais derrière la rhétorique enflammée, ce geste refuse d’affronter la complexité et choisit la facilité de l’exclusion."
Les signataires rappellent que ce boycott vise les institutions culturelles, prétendument au nom de la justice, institutions qui constituent autant d'espace de rencontre où peuvent se croiser et même s'affronter des voix multiples, y compris les plus critiques. "Boycotter ces espaces, c’est museler précisément ceux qui osent défier les dogmes, dénoncer les injustices et rêver d’un autre monde." Briser une boussole, éteindre la lumière n'a jamais aidé à mettre fin à une guerre ou à une injustice.
Et puis, la censure est une spirale sans fin. "Imaginons un instant appliquer la logique du boycott culturel à d’autres nations. Les artistes chinois ? Écartés, car Pékin n’incarne pas vraiment un modèle de libertés. Les Russes ? Boycottés, histoire de prolonger la guerre froide. Et que dire des Iraniens, des Afghans ou des Syriens ? Adieu la poésie persane, le cinéma iranien et la littérature afghane, car leurs gouvernements échouent au test démocratique. Le Maroc, la Tunisie, l’Algérie ? Pas exactement des phares de démocratie. Et que dire encore de l’extrême droite en Hongrie ou en Italie ? Jusqu’où pousser cette logique absurde, où chaque nation est tour à tour exclue pour les péchés de son gouvernement, confondant nations et individus, États et œuvres ?"
"Ce dont le monde a besoin, affirment encore les signataires, ce n’est pas de murs culturels, mais de ponts solides. La paix ne se construira jamais en fermant les portes, mais en les ouvrant, même aux idées qui nous dérangent. En dynamitant les ponts culturels, on ne fait pas pression sur les oppresseurs : on étouffe les opprimés. En croyant dénoncer l’injustice, on la perpétue."

De son côté, Sam Touzani ajoute ceci : "Quoi que vous pensiez du conflit au Proche-Orient, quel que soit votre degré d’implication ou d’indifférence, sachez ceci : boycotter des artistes israéliens n’est pas un acte de résistance, mais une erreur tragique. Boycotter des artistes, c’est étouffer les voix qui, souvent, portent elles-mêmes des messages de justice et d’ouverture. Des horreurs du pogrom du 7 octobre 2023 à la tragédie qui se joue à Gaza, les souffrances humaines nous rappellent une vérité essentielle : face à ces tensions, la meilleure posture est claire : empathie pour tous, aveuglement pour personne". (...) "Je défends depuis toujours la solution de "deux peuples, deux États", vivant côte à côte dans une paix juste et durable. Mais cette paix restera une chimère tant que les héritiers des assassins d’Itzak Rabin et d’Anouar El Sadate dicteront l’histoire de ce confetti, un territoire qui, sans être Israël, n’attirerait guère plus d’attention que le Soudan. Seul un leadership dépassant la haine, éclairé et ouvert aux artistes, pourra œuvrer à la paix."
Et il invite à agir, "non contre quelqu’un, mais pour quelque chose de plus grand. Signez, partagez cette pétition, et faites entendre une voix de résistance créative" :

Il y a des jours où on est content de ne pas être à la mode. Même peut-être d'être un vieux con. Mais heureux de l'être parmi tant d'autres.

(1) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/ce-monde-me-rend-fou/ce-monde-me-rend-fou-du-samedi-28-decembre-2024-1361015


mardi 24 décembre 2024

L'enfant et l'inhumanité

On pense à ces braves gens qui se sont opposés à l'ouverture à Bélâbre d'un centre d'accueil de demandeurs d'asile. Aujourd'hui, ils triomphent alors que le projet est enterré (1). On a gagné, se réjouissent-ils. Que gagne-t-on en fermant des portes ?
Combien parmi eux iront à la messe de Noël se prosterner devant la représentation d'un enfant né dans une étable parce que ses parents ont été chassés de partout et que d'autres braves gens les ont repoussés parce qu'ils sont étrangers ? (2)
Depuis deux mille ans (et plus sans doute), c'est toujours la même histoire : celle qui oppose des gens qui ne veulent pas d'histoire à d'autres qui ont une histoire douloureuse.

On pense à ce manuscrit de Shakespeare, rédigé dans les années 1590, un monologue qui parle de la condition des réfugiés qui affluaient à Londres suite aux guerres de religion qui déchiraient l’Europe. Dans la pièce dont il est tiré (écrite par plusieurs mains), Thomas More, alors sheriff de Londres, répond à une foule qui se déchaîne contre les étrangers (un fait historique survenu le 1er mai 1517).

“Imaginez le spectacle de ces malheureux étrangers / Leurs bébés sur le dos, avec leur misérable baluchon / Marchant péniblement vers les portes et les côtes pour être déportés / Imaginez que vous trôniez, vous, monarques de vos caprices, / L’autorité de l’Etat rendue muette par vos vociférations, / Drapés dans votre bonne conscience ; / Qu’auriez-vous obtenu ? […] / Vous auriez montré que l’ordre pouvait être bafoué et, selon cette logique, / Pas un de vous ne devrait atteindre un grand âge / Car d’autres voyous, au gré de leurs caprices, Avec les mêmes mains, avec les mêmes raisons et au nom du même droit, / Vous attaqueront comme des requins et les hommes, comme des poissons voraces, / Se dévoreront entre eux. Si vous alliez en France ou en Flandres, dans une province allemande, en Espagne ou au Portugal, vous seriez les étrangers, seriez-vous contents / De trouver un peuple de tempérament aussi barbare / Qu’explosant en atroce violence / Ne vous donnerait pas d’abri / Vous mettrait le couteau à la gorge / Vous méprisera comme des chiens / et comme si Dieu ne vous avait pas aussi créés / Et comme si vous n’aviez pas le droit de demander de l’aide  / Que penseriez vous d’être ainsi traités ? / Ceci est le cas de l’étranger / Et ça, votre colossale inhumanité.”

(1) (Re)lire sur ce blog : 
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2024/12/entre-soi.html
(2) (Re)lire sur ce blog : https://moeursethumeurs.blogspot.com/2023/04/le-chaos-dans-leurs-tetes.html

dimanche 22 décembre 2024

Le temps des rustres

Les grossiers personnages ont le vent en poupe. On le voit avec le succès des extrêmes, à droite comme à gauche. On le voit avec le retour au pouvoir d'un Trump aux Etats-Unis, l'accession d'un Millei en Argentine. On le voit avec Orban, avec Erdogan, avec Salvini, avec tant d'autres.
On le voit aussi avec le nouveau président géorgien, connu pour ses propos obscènes (1). Il n'est  pas élu au suffrage universel direct, mais par un collège d’électeurs, contrôlé par le parti au pouvoir, Rêve géorgien. L'actuelle présidente, pro-européenne, Salomé Zourabichvili, annonce qu'elle ne quittera pas sa fonction tant qu'il n'y aura pas de nouvelles élections législatives. Elle estime, comme l'opposition, que le scrutin du 26 octobre dernier, dont les résultats ont octroyé un quatrième mandat à Rêve géorgien, a été "truqué" avec l’aide de la Russie. Le très probable futur président, Mikheïl Kavelashvili, est un ancien footballeur dont la candidature en 2015 à la présidence de la Fédération de football avait été refusée parce qu’il n’avait pas suffisamment de diplômes. Il ne parle aucune langue étrangère. Il n'est pas assez bon pour être président de la fédération de foot mais assez pour présider le pays. Ses discours devant le Parlement sont souvent pleins d’obscénités et alignés sur les idéologies d’extrême droite, affirment ses opposants. Certains affirment que ceux qui l'ont nommé à ce poste l'ont fait par provocation, si contents de nommer président un rustre. Comme un bras d'honneur à la démocratie et à la civilité .

Vladimir Poutine est d'un autre style de rustre, entre ado provocateur et vieux dément. Il y a quelques jours, lors de sa conférence de presse annuelle - qui consiste toujours pour lui en une interminable logorrhée - il a proposé aux Occidentaux "une sorte de duel technologique du XXIe siècle". Roulant des mécaniques, le Rambo russe a déclaré : "Que l’on se mette d’accord sur une cible, par exemple à Kiev, qu’ils y concentrent toutes leurs forces de défense aérienne et antimissile, et nous frapperons là avec l’Orechnik (le nouveau missile russe de moyenne portée qu'il présente comme inarrêtable). Menons une telle expérience, un tel duel technologique et voyons ce qui se passe. C’est intéressant. Je pense que cela sera utile à la fois pour nous et pour les Américains." Le voilà dans une cour de récréation : "tu ne pourras pas m'attraper-er !". 
"Les gens meurent, et il trouve ça intéressant. Quel con", a réagi Volodymyr Zelensky. Son chef de cabinet, Andriy Iermak, avait, lui, traité Vladimir Poutine de "vieux crétin ayant perdu la boule". 
Poutine a toujours ressemblé à un serpent froid et imperturbable, le voilà en gorille se frappant la poitrine pour intimider ses adversaires. Le voilà en tsar des rustres.

Je ne suis qu'un serpent
Et de murs en murs
De prairie en prairie
Je perpétue mes hécatombes
D'ailleurs je mange les œufs de colombe
Bertrand Belin, Oiseau.

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2024/12/14/georgie-le-parlement-largement-considere-comme-illegitime-elit-comme-president-du-pays-le-prorusse-mikheil-kavelashvili_6447488_3211.html
(2) https://www.courrierinternational.com/article/guerre-en-ukraine-un-fou-furieux-vladimir-poutine-propose-un-duel-de-missiles-a-kiev_225936


vendredi 20 décembre 2024

Entre-soi

Il fut souvent question ici du projet d'un Centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) à Bélâbre, village du sud-ouest de l'Indre. Porté par la commune, le projet était vivement combattu par une partie de la population locale soutenue par l'extrême droite (RN et Reconquête), tandis qu'une autre partie défendait le projet au nom de la devise de la République française et en particulier de la fraternité.
Le Préfet de l'Indre vient d'enterrer définitivement le projet. "La société Viltaïs, qui avait répondu à l’appel du projet de l’État, rencontre de grosses difficultés financières. C’est la cause première de l’abandon du projet", explique dans la Nouvelle République (1) le maire Laurent Laroche.
Du côté des anti, on triomphe. "On a gagné", se rengorgent-ils. Parmi eux, les patrons de la supérette du village qui, à la NR, "se disent « fiers » de « cette victoire qui est la nôtre, au sein de l’Union bélâbraise ». Ils balaient d’un revers de la manche « l’excuse invoquée d’un manque de moyens de l’association Viltaïs pour justifier l’abandon du projet. La réalité, c’est qu’on s’est battu pour que ce projet qu’on a voulu nous imposer, ne voit pas le jour. Et on a gagné. Peu de communes ont réussi ce qu’on a fait », soulignent Frédéric et Patricia Fassiaux qui digèrent difficilement de s’être vus « catalogués d’extrémistes de droite » et de « racistes »." 
Leur fille, elle, s'affiche moins hypocritement : elle campe solidement à l'extrême droite. Elle qui avait pris la tête de ce combat des grognons, entend mener une liste du Rassemblement national aux prochaines élections municipales. 
Les patrons de la supérette ne sont pas racistes puisqu'ils ont une pensée émue pour les Mahorais. Et plus encore "« Nous ne sommes pas dans le rejet des autres. Au contraire, on est prêts à aider tout le monde : c’est d’ailleurs ce qu’on fait pour Mayotte », indique Patricia Fassiaux en montrant le chariot contenant la collecte alimentaire organisée au profit des sinistrés mahorais." (1).
Allez, encore un petit effort de charité bien chrétienne pour les pauvres et demain ils seront prêts à accueillir à Bélâbre des réfugiés mahorais. Après tout, Mayotte, c'est la France.

(1) https://www.lanouvellerepublique.fr/indre/a-belabre-les-visions-de-laurent-laroche-et-de-ludivine-fassiaux-s-opposent-toujours-apres-l-abandon-du-projet-de-cada

mardi 17 décembre 2024

Jammerlijk

Pauvre homme ! On le plaint amèrement. Alors que son train était à Vilvoorde, ce voyageur de la NMBS (la SNCB en néerlandais) a été salué par un Goeiemorgen ! Bonjour ! prononcé par l'accompagnateur du train. La convivialité ne colle pas toujours avec les règles belges. Et les règles linguistiques belges veulent, depuis une loi du 18 juillet 1966, que les annonces dans les trains soient toujours faites dans la langue de la région où se trouve le train. Or Vilvoorde se trouve en Région flamande. Le voyageur a donc déposé plainte. (1) Ce bonjour francophone a profondément heurté ce pauvre homme. Peut-être sa journée en a-t-elle été totalement perturbée. 
Se plaint-il quand en gare de Lille, ville d'un pays où la seule langue officielle est le français, les informations à destination des voyageurs flamands sont faites en néerlandais ? (2)

Me revient un billet écrit il y a bien longtemps (3) :
"Dans le train Mouscron - Bruxelles, lors de ses (seuls) arrêts à Herseaux, Tournai, Leuze et Ath, les annonces aux voyageurs se font en français. Mais dès l'entrée en terre bruxelloise (et sans que le train ne se soit arrêté depuis Ath), le chef de train devient bilingue. Au cas, peut-être, où de clandestins néerlandophones auraient investi le train lors de son passage en gare de Hal (où il ne s'arrête pas). Que faut-il en conclure ? Que le voyageur flamand qui aurait embarqué en gare francophone n'a qu'à comprendre le français ? Et qu'il n'a droit à sa langue natale que quand celle-ci correspond avec le sol ? Que c'est la loi du sol qui prime? Il faut surtout en conclure que le ridicule n'a jamais empêché les trains de rouler et que la Belgique est un pays qui pratique d'étranges rites, vides de sens. C'était ma rubrique Avec la SNCB, gagnez un voyage en absurdie." 

(3) https://moeursethumeurs.blogspot.com/1996/05/petite-chronique-periscopique.html

samedi 14 décembre 2024

Tous fascistes

La députée écologiste Sandrine Rousseau a un avis cinglant sur tout et tout le monde et ne se prive jamais de le donner. Même quand on ne lui demande pas. Grande prêtresse de la morale (la sienne), elle flingue qui ne pense pas comme elle. En fonction de ses critères, prioritairement féministes et décoloniaux. Récemment (1), elle s'en est pris à Boualem Sansal, l'écrivain emprisonné par le gouvernement algérien pour avoir le grand tort d'être un esprit libre. Elle commence par contester son emprisonnement, avant d'ajouter un mais. "Je voudrais aussi poser que les propos et les positions tenus (par Boualem Sansal) sont des propos relevant de l’extrême droite" et aussi "d’une forme de suprémacisme". "Le suprémacisme, c’est quand même l’idée qu’il y a des civilisations qui sont supérieures aux autres. C’est précisément ce qui va nous emmener dans le chaos." On ne sait en quoi des propos qu'a pu tenir Sansal sont d'extrême droite et suprémacistes, mais on comprend que Sandrine Rousseau estime qu'un écrivain algérien doit s'exprimer selon les critères qui sont les siens à elle et doit respecter son gouvernement même s'il s'agit d'une dictature. Un point de vue de colonisateur totalement opposé à ce qu'elle défend : c'est elle, française, qui dicte à un écrivain franco-algérien comment il doit se comporter. S'en rend-elle compte ? A-t-elle lu le moindre roman de Sansal ? A-t-elle compris que les critiques de l'islamisme qu'on peut y lire sont très féministes ? Mais Rousseau défend le port du voile - ce vêtement qui empêche les femmes d'exister - au nom du respect de l'identité. Elle apparaît finalement comme une coloniale anti-féministe qui s'ignore. En accusant Boualem Sansal de manière aussi clash, Sandrine Rousseau soutient la dictature algérienne. Rousseau, fasciste !

A l'Université Libre de Bruxelles, l'université de la libre pensée créée pour combattre « l'intolérance et les préjugés » en répandant la philosophie des Lumières, des cercles étudiants se sont récemment opposés à une soirée-débat avec Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement réformateur, et Louis Sarkozy, fils de. "Pas de fachos sur notre campus", clamaient les opposants à la soirée. On n'est pas sûr que l'un et l'autre aient eu grand-chose d'intéressant à dire, mais on est sûr qu'ils sont tous deux très à droite. Sont-ils pour autant fachos ? Ces étudiants n'acceptent-ils de débattre qu'avec ceux qui pensent comme eux ? Sont-ils incapables d'opposer des arguments ? Etudiants, fascistes !

Pour beaucoup de militantes et de militants intersectionnels, le système patriarcal est blanc, forcément et exclusivement blanc. Ils refusent de voir qu'il n'est pire patriarcat aujourd'hui que les religions sous leur forme intégriste et en particulier la religion musulmane qui dans ses dérives politiques force les femmes à se voiler la tête quand ce n'est pas le corps entier. Soutenir le port du voile ou de la burqa est une attitude très sexiste et même raciste qui témoigne d'un profond mépris pour les femmes afghanes, iraniennes, pakistanaises et autres. Ce sont les mêmes souvent qui soutiennent, ou au moins ferment les yeux sur leurs dérives, l'extrême droite islamiste et les régimes les plus violents de la planète sous prétexte qu'ils sont les ennemis des Etats-Unis. Intersectionnels, fascistes !

C'est la mode aujourd'hui : traiter qui ne pense pas comme vous de fasciste ou le classer à l'extrême droite. Une réaction fainéante qui ne vous oblige pas à l'analyse ni à la nuance et qui fait perdre aux mots leur sens. Nous voilà donc tous fascistes puisque nous nous retrouvons toujours, inévitablement, face à des gens avec qui nous sommes en désaccord.
Chez moi, j'ai supprimé tous les miroirs. Je crains d'y croiser le visage d'un fasciste. 

(1) https://www.lefigaro.fr/culture/pour-sandrine-rousseau-boualem-sansal-n-est-pas-un-ange-20241211

mardi 10 décembre 2024

Les tortionnaires et leurs amis

Depuis longtemps, on savait. On savait que le régime des Assad était celui de l'horreur. Mais aujourd'hui l'ouverture des prisons nous fait découvrir à quel point le sadisme et la violence qu'ils pratiquaient étaient  d'une barbarie rarement atteinte, d'une inhumanité totale. 
Même des adolescents en étaient victimes. Dans la Syrie d'Assad, on se retrouvait en prison pour avoir dessiné un graffiti ou pour avoir déploré la situation des militaires. Et cette prison était le pire des enfers. Tabassages, tortures, mort, c'est ce qui attendait les détenus. "A coups de barre de fer et de câble électrique, les bourreaux du régime s’attardaient à briser corps et âme jusqu’à ce que mort s’ensuive", écrivent les envoyés spéciaux du Monde (1). Des prisonniers voués à disparaître étaient jetés dans des cellules d'un mètre sur un mètre. Des dizaines de milliers de prisonniers ont ainsi été tués par le régime. "Dans un rapport publié en 2022, l’Association des détenus et disparus de (la prison) Saydnaya estimait à 30 000 le nombre de prisonniers torturés à mort ou exécutés entre 2011 et 2018, au plus fort de la répression et de l’anéantissement des régions qui échappaient au contrôle du régime. Les corps n’ont jamais été restitués aux familles." Et pour cause : le régime les faisait disparaitre. "Dans l’aile ouest de Saydnaya, les corps des détenus, tués sous la torture, étaient placés dans du sel avant d’être envoyés vers un hôpital militaire. Hamed se souvient, lui, de corps dissous par des produits chimiques. La privation de nourriture, d’eau et de soins médicaux était généralisée."
La répression de la population depuis le soulèvement de 2011 aurait fait au moins 500.000 morts. Certains pensent que le chiffre d'un million ne serait pas exagéré.

Depuis longtemps, on savait. Mais certains ne voulaient pas savoir. A l'extrême droite comme à l'extrême gauche, on apprécie les extrémistes violents.
"Depuis son arrivée à la tête du parti cofondé par son père, écrit Le Monde (2), Marine Le Pen a toujours regardé les révolutions arabes avec scepticisme, disant préférer « une dictature laïque à une dictature islamiste ». Elle a toujours été entourée de conseillers qui, comme son père, faisaient les yeux doux au régime Assad. Tels le député européen Thierry Mariani, le conseiller régional Andréa Kotarac, actuel membre du cabinet Le Pen, l'ancien député européen Aymeric Chauprade ou encore son ami Frédéric Chatillon, "prestataire du RN, largement enrichi par l’argent du régime syrien dont il assura la propagande politique durant la révolution, et la communication touristique avant cela. Proche de dignitaires baasistes, Frédéric Chatillon voyageait fréquemment en Syrie cependant qu’il jouait un rôle-clé dans les campagnes de Marine Le Pen".
"Jordan Bardella, président du RN, a considéré la chute de Bachar Al-Assad comme « une catastrophe géopolitique », en raison du « risque migratoire » qu’elle ferait courir à l’Europe, écrit encore Le Monde. Aucun des deux leaders d’extrême droite ne s’est jamais attardé ni sur les souffrances infligées par Bachar Al-Assad à son peuple, ni sur le rôle que son régime a joué dans l’exil de millions de Syriens."

Mélenchon, lui, a, selon Le Monde, "toujours sous-entendu que le soulèvement syrien était téléguidé par les Etats-Unis et le Qatar, et que cette guerre était d’abord une affaire de « pipelines » et de « gazoducs ». (...) Le 29 novembre, il moquait, lors d’une conférence devant un public conquis, des « rebelles habillés de pied en cap dans des camions tout neufs », « des bazookas, des fusils et des Toyota flambant neufs » achetés « à la boutique du coin ». Insinuant l’intervention d’un agent étranger. Lequel ? Selon M. Mélenchon, « un sénateur américain » aurait « vendu la mèche », disant : « Al-Qaida a toujours été notre agent d’intervention. »"
Comme Marine Le Pen, Mélenchon avait "mis en doute les attaques chimiques menées par l’armée syrienne en avril 2018 dans la Ghouta orientale, une banlieue de Damas, selon des révélations de l’Observatoire syrien des droits de l’homme. « Si [le gouvernement français] a ces preuves, qu’il les montre ! », avait-il asséné. " Aujourd'hui, le gourou de LFI hurle qu'il a toujours  "défendu la révolution citoyenne de 2011 contre la dictature de Bachar Al-Assad" et dit s'inquiéter de l'arrivée au pouvoir d'islamistes. Comme le fait remarquer un opposant syrien, il est moins inquiet "quand il s’agit du Hamas ou du Hezbollah, qui a mené des crimes d’ampleur en Syrie". 
L'antiaméricanisme primaire de Mélenchon tourne au mépris de la population syrienne, voire au racisme. Il préfère soutenir des dictateurs parce que, selon lui, ils font partie du camp des ennemis des Etats-Unis plutôt que de dénoncer la barbarie avec laquelle ils traitent leur population. 
Le FN-RN et LFI sont aussi écœurants et inaudibles l'un que l'autre. Qu'ils se taisent.

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2024/12/10/syrie-a-la-prison-de-saydnaya-l-espoir-brise-des-familles-de-disparus_6439197_3210.html
(2) https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/12/09/marine-le-pen-et-jean-luc-melenchon-rattrapes-par-leur-soutien-passe-a-bachar-al-assad_6438963_823448.html
A lire aussi sur le régime Assad et ses soutiens internationaux :
https://www.courrierinternational.com/article/recit-la-syrie-d-assad-ou-le-royaume-de-la-peur-et-du-silence_225445?at_medium=email&at_campaign=alerte_courrier&at_creation=article_lire_la_suite


lundi 9 décembre 2024

A qui le tour ?

Chaque matin, en ouvrant son ordinateur pour découvrir les nouvelles de la nuit, on espère apprendre la mort d'un tyran ou la chute d'un dictateur. Hier, la journée de dimanche a bien commencé : on apprenait que le Boucher de Damas a été forcé de fuir son pays, un pays qu'il mis à feu et à sang, dont il a tué 500.000 à un million de ses habitants et fait fuir des millions d'autres. Il s'est réfugié à Moscou. Il a démissionné, a déclaré le Kremlin dans cette novlangue (de pute) dont il est coutumier.
On pense aux amis syriens, à leur joie d'apprendre que s'en est fini de cette famille de dictateurs qui a fait régner la terreur sur son peuple pendant plus de cinquante ans. Reste à espérer que les libérateurs - présentés comme des islamistes assagis en radicaux - joueront ce rôle jusqu'au bout et que la Syrie connaîtra enfin la démocratie.
La fin d'Assad, estiment de nombreux commentateurs, est aussi celle de "l'axe de résistance iranien" et un échec pour Poutine, l'homme qui n'a jamais d'état d'âme, qui avait mis son armée au service du Boucher. Comme d'autres, on se met à rêver dans ce monde désespérant. Et si les mollahs iraniens subissaient le même sort ? Si, en quelques jours, le peuple se soulevait et l'armée, fatiguée d'être un instrument de répression, rendait les armes ou les retournait contre ses maîtres ? Si les mollahs et les ayatollahs couraient se réfugier à Moscou ? Et s'il arrivait la même chose en Russie, si les militaires épuisés et sacrifiés dans une guerre insensée signifiaient au tueur en série du Kremlin qu'il a perdu le pouvoir ? On les imagine alors tous se marcher les uns sur les autres pour entrer dans un avion. On les voit déjà réfugiés sur une petite île de l'Océan Arctique où monte chaque jour un peu plus le niveau de la mer à cause du dérèglement climatique.
Même si on sait que demain les nouvelles ne seront pas aussi réjouissantes, on sourit, on espère.

samedi 7 décembre 2024

Le bazar

Quel bazar, la France ! La politique et aucun de ses représentants ne sortent grandis de cette chute (prévisible) du gouvernement Barnier.
Le premier responsable en est le monarque Macron (1). C'est Emmanuel I qui a pris, après les élections européennes de juin, cette décision incompréhensible de dissoudre l'Assemblée nationale. C'est lui qui a fait fi ensuite de l'arrivée en tête du Nouveau Front Populaire aux législatives et a choisi de nommer un premier ministre issu du parti de droite réduit à peu de chose.
La responsabilité en incombe aussi à Michel Barnier qui n'a gouverné qu'à droite et a cédé aux revendications du FN-RN, avant de voir celui-ci s'amuser d'être le maître du jeu. La fille à papa Le Pen craint de devenir inéligible, suite au procès qu'a intenté à son parti et à elle-même le Parlement européen. Il était temps pour elle de détourner l'attention de ses fraudes et, qui sait ?, de bénéficier de l'immunité présidentielle en cas d'élection anticipée. La gauche, elle, ne semble pas gênée d'avoir fait tomber le gouvernement avec l'aide d'une extrême droite contre laquelle elle prétend lutter de toutes ses forces. Auparavant, cette même gauche n'avait pas été capable - elle ne semble même pas en voir eu l'idée - de prendre la main, qu'elle avait pourtant, en négociant avec le centre pour former une majorité et présider un gouvernement de coalition. LFI, elle, n'a plus aujourd'hui qu'un programme réduit à celui des Gilets jaunes : "Macron, démission !" (qu'on peut traduire par "Mélenchon, président !"). Jean-Iznogoud Mélenchon trépigne, il croit toujours son heure venue et rêve toutes les nuits qu'il sera bientôt calife à la place du calife. Tellement imbu de lui-même, il n'a plus conscience qu'il est devenu, avec sa politique du bruit et de la fureur, un repoussoir. En cas de duel entre lui et un candidat du FN-RN (Le Pen ou Bardella), tout indique qu'il serait vraisemblablement nettement battu, mais il croit tellement, soutenu par des courtisans qui l'idolâtrent, en son destin de rédempteur. Et de toute façon, pour lui et ses adeptes, le chaos semble être devenu un objectif en soi.

Dans Marianne (2), Natacha Polony se fâche sur "les irresponsables et les boutiquiers" : "Y a-t-il aujourd’hui dans le personnel politique plus de dix individus dont les citoyens français puissent se dire qu’ils défendent l’intérêt général plutôt que leur carrière ou leur boutique ? Y a-t-il plus de dix représentants qui sachent analyser la nature des difficultés que rencontre le pays et considèrent qu’ils pourraient s’extraire des logiques de parti pour tenter de répondre à l’urgence ?"
Il est temps que les représentants des partis démocratiques se mettent autour de la table et négocient un accord de gouvernement, à l'image de ce qui se pratique dans tout Etat démocratique. Le compromis est inhérent à la démocratie, n'en déplaise à LFI qui n'admettra jamais qu'il n'a pas la majorité et continue à hurler qu'il n'appliquera que son programme, rien que son programme et tout son programme.

"Les élections législatives n’ont rien clarifié, sauf une chose, constatent trois élus de Place publique (3) : une majorité de Français refuse encore de donner les manettes à l’extrême droite. Il n’y eut, au fond, qu’un vainqueur incontestable le 7 juillet : le front républicain, dont le seul but était de barrer la route au Rassemblement national." Raphaël Glucksmann, Aurore Lalucq et Aurélien Rousseau estiment que "le moment est venu de se montrer fidèle au sursaut républicain du deuxième tour des élections législatives, ce qui suppose le dialogue et la confrontation des idées entre partis n’ayant ni le même projet ni les mêmes visions. Face à l’absence de majorité absolue, c’est le chemin que nous avions proposé dès le soir du 7 juillet. Et c’est plus que jamais le seul à pouvoir nous sortir de l’ornière." Ils appellent les groupes parlementaires concernés à "prendre la main et (...) voir s’ils peuvent dégager une plateforme minimale, attendue aujourd’hui par une majorité de Français, sur le pouvoir d’achat, les retraites, la réduction du déficit, la réindustrialisation du pays, la transition écologique ou la réforme du mode de scrutin comme de l’architecture institutionnelle".

C'est là en effet une priorité que devrait se donner le nouveau gouvernement et le président : changer les règles constitutionnelles aujourd'hui inadaptées à la situation politique, sortir de cette présidence monarchique de la Ve République, quitter le système majoritaire à deux tours et adopter le suffrage proportionnel. "En France, le système majoritaire à deux tours, que ce soit pour l’élection du président, pour celle des députés, ou celle des élus locaux, génère une culture à l’antithèse de celle du compromis parlementaire", analyse Paul Magnette, président du Parti socialiste belge (4). Pour lui, les prérequis d’un bon fonctionnement d’une démocratie parlementaire reposent sur "une faible personnification du pouvoir, des partis importants qui reposent sur un travail collectif, une culture de la négociation, la recherche de majorités qui dépassent les blocs politiques…". 
"Il y a différents systèmes de coalition en Europe, rappelle Paul Magnette qui est aussi politiste. Le système à l’allemande, avec souvent de grandes coalitions : hier les sociaux-démocrates se retrouvaient avec les libéraux et les Verts, demain les conservateurs avec les Verts… C’est un peu la même chose en Belgique ou aux Pays Bas. Et puis vous avez d’autres systèmes de coalition avec une forte structure majoritaire, des blocs de droite ou des blocs de gauche : c’est le cas aujourd’hui en Italie ou en Espagne. Enfin, vous avez, comme dans les pays nordiques, des systèmes dans lesquels les coalitions ne sont pas forcément majoritaires. Elles sont formées à l’intérieur du bloc de gauche ou du bloc de droite. Quand le bloc de gauche n’a pas de majorité, il ne forme pas de gouvernement avec la droite. Mais il doit, pour faire adopter des lois, et évidemment le budget, chercher des majorités en dépassant son propre espace politique. Et cela fonctionne."

La situation semble enfin évoluer, sans qu'on sache évidemment à ce stade si un gouvernement de coalition pourrait voir le jour. Hier, écrit Le Monde (5), Olivier Faure, le premier secrétaire du PS "s’est dit prêt à discuter avec les macronistes, et même la droite, sur la base « de concessions réciproques ». Il s’est dit aussi prêt à faire « des compromis sur tous les sujets », y compris sur l’abrogation de la réforme des retraites, hautement symbolique pour la gauche. Le patron du PS a ainsi évoqué « un gel » de la réforme, et non plus une abrogation immédiate, avec la nécessité d’organiser « une conférence de financement ». Jean-Donald Mélenchon est furieux, ce qui ne le change guère.
Ce qui fait largement défaut à la France dans le chaos actuel, ce sont des hommes ou des femmes d'Etat. Peut-être en a-t-on une sous la main ? Depuis juillet, S'EGOlène la Royale ne cesse de clamer qu'elle est disponible pour être première ministre. "On est assez peu nombreux finalement dans le paysage politique à avoir l'expérience, à n'être rejeté par aucun des groupes politiques. (...) Si à un moment c'est une possibilité, oui, bien sûr." (6) Enfin, quelqu'un de responsable sans la moindre ambition personnelle. Juste se mettre au service de son pays. Admirable.

https://www.courrierinternational.com/article/vu-d-allemagne-chute-du-gouvernement-incorrigibles-francais-a-toujours-montrer-les-autres-du-doigt_225338
(2) https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/natacha-polony-irresponsables-et-boutiquiers-reste-t-il-a-lassemblee-quelques-defenseurs-de-linteret-general?at_medium=Email_marketing&at_campaign=NL_La_Quotidienne&at_format=jours_ouvres&_ope=eyJndWlkIjoiMWRhMjc0MDM2MDEzNTMyNzJkNjYxMmIyOWM2M2NiMDAifQ%3D%3D
(3) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/05/raphael-glucksmann-aurore-lalucq-et-aurelien-rousseau-apres-la-censure-du-gouvernement-barnier-les-forces-politiques-du-front-republicain-doivent-se-reunir-pour-definir-les-convergences-possibles_6431253_3232.html
(4) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/05/paul-magnette-la-regle-du-jeu-politique-francaise-rend-tres-difficile-la-democratie-parlementaire_6430776_3232.html
(5) https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/12/06/le-parti-socialiste-recu-a-l-elysee-se-met-en-rupture-avec-la-france-insoumise_6434139_823448.html
(6) BFMTV, 26.11.2024, cité par Charlie Hebdo, 4.12.224.


mercredi 4 décembre 2024

Les écologistes anti-écolos

Depuis longtemps, certains agriculteurs ne cessent de clamer qu'ils sont les seuls et vrais champions de l'écologie. Ils la pratiquent quotidiennement. C'est une priorité pour eux. Comment comprendre alors qu'ils s'attaquent aujourd'hui aux sièges d'associations naturalistes ? 
Le message est clair : « Foutez-nous la paix ! », disent des militants de la Coordination rurale qui ont déversé des pneus et du fumier sur les locaux de l’association Manche Nature à Coutances. Ils ont également répandu de la terre et du fumier devant l’Office français de la biodiversité, dans la même ville, rapporte Le Monde (1) avant de déposer une tête de sanglier et des peaux de renards. Retour à des pratiques moyenâgeuses. 
A Gap, dans les Hautes-Alpes, des manifestants ont muré les locaux de la Société alpine de protection de la nature, alors que des salariés et des bénévoles étaient à l’intérieur.
A Châteauroux, dans l'Indre, des militants de la FNSEA ont déversé de la paille devant les locaux de l’association Indre Nature. Quand les salariés se sont réfugiés à l’étage, des agriculteurs montés dans les nacelles des tracteurs ont tambouriné contre les volets et ont tenté de les soulever.
En quoi des associations environnementales sont-elles responsables du malaise du milieu agricole ? La FNSEA qui durant des décennies a poussé ses membres à toujours surinvestir, à s'agrandir toujours plus, à se vendre pieds et poings liés à l'agro-industrie, à se rendre malades et à tuer la nature en consommant des quantités de pesticides, a d'immenses responsabilités dans la crise actuelle. Mais elle les reporte sur ceux qui font ce qu'ils peuvent pour essayer de sauver une situation qui se dégrade à toute vitesse, notamment du fait de l'agriculture intensive.

Certains agriculteurs s'en sont même pris à l'INRAE, l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, un établissement public à caractère scientifique et technologique qui mène des recherches notamment pour aider les agriculteurs à mieux s'adapter au dérèglement climatique. Pourquoi s'y attaquer ? Pas sûr que les agriculteurs eux-mêmes le sachent, mais ils ont visiblement besoin de boucs émissaires.

Dans leur ligne de mire, notamment le Mercosur, ce traité d'échanges économiques avec des pays d'Amérique du Sud. Les viticulteurs le voient d'un bon œil, pas les éleveurs qui redoutent, et on les comprend, de voir vendue sur le sol européen de la viande produite dans des conditions peu contraignantes. Le Mercosur n'est pas (encore) adopté, mais pourquoi alors ces agriculteurs se prennent-ils maintenant pour des douaniers en arrêtant et en contrôlant le contenu de camions qui circulent sur les routes françaises ?

Les autorités les laissent faire, compréhensives ou (surtout) effrayées à l'idée de se les mettre à dos. La Confédération paysanne, qui rassemble des agriculteurs et des éleveurs qui prennent clairement leur part dans la sauvegarde de l'environnement, mène des actions plus policées et plus conviviales (2). Si ses membres faisaient un dixième de ce que font les militants de la Coordination rurale ou de la FNSEA, les maires, les gendarmes et la justice agiraient immédiatement et les traiteraient d'éco-terroristes. Mais les agro-terroristes ont tous les droits.

(1) https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/11/28/des-associations-ecologistes-denoncent-des-violences-d-agriculteurs-a-travers-la-france_6417501_3234.html
(2) https://www.lanouvellerepublique.fr/chateauroux/chateauroux-la-confederation-paysanne-de-l-indre-offre-des-produits-locaux-et-demande-des-aides-directes
(Re)lire sur ce blog : https://moeursethumeurs.blogspot.com/2019/07/pas-maintenant.html

mardi 26 novembre 2024

Le service de la vie

L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été arrêté, il y a plusieurs jours, à son arrivée à l'aéroport d'Alger. Les motifs de son arrestation sont flous et clairs à la fois. Certaines de ses déclarations relatives au territoire algérien ont dérangé le pouvoir, de même que des positions du président Macron ou encore que le Prix Goncourt attribué à Kamel Daoud. Boualem Sansal a surtout le grand tort d'être un esprit libre. On sait ce que l'islamisme a fait vivre à l'Algérie dans les années '90. Sansal n'a jamais craint de dénoncer, dans ses romans et dans ses interviews, la terreur ultra-violente qu'ont fait régner les barbus et qui semble avoir figé à jamais l'Algérie. On peut craindre pour son sort quand on pense, comme Sophia Aram le faisait hier (1), "à l’écrivain Rachid Mimouni, mort en exil au milieu de la décennie noire, au chanteur Lounès Matoub, assassiné en 1998 sur la route de Tizi Ouzou, à l’écrivain Tahar Djaout et tous ceux qui sont morts d’avoir eu le courage de parler, d’écrire ou de chanter la détresse des Algériens pris entre un régime militaire, autoritaire et corrompu et des islamistes ayant massacré près de 200 000 personnes pendant la décennie noire". Sophia Aram salue "un homme qui a le courage de dire, dans un pays dont le pouvoir pactise avec l’islamisme, que "si la religion fait peut-être aimer Dieu, rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité ".

De nombreux écrivains - Annie Ernaux, J.M.G. Le Clézio, Orhan Pamuk, Wole Soyinka, Salman Rushdie, Peter Sloterdijk, Andreï Kourkov, Roberto Saviano, Giuliano da Empoli, Alaa el Aswany, Erri De Luca, Johan Sfarr et bien d'autres - réclament la libération immédiate de Boualem Sansal (2).
"Désormais, (en Algérie) tout est possible, écrit son ami Kamel Daoud, à l'origine de l'appel : la perpétuité pour un texto, la prison pour un soupir d'agacement. Sansal ressemble à un vieux prophète biblique, souriant. Il provoque les passions et les amitiés autant que la détestation des soumis et des jaloux. Il est libre et amusé par la vie. Il écrit des livres sur les orages et les lumières abstraites de notre époque, et il s'amuse de la haine des autres. Sansal écrit, il ne tue pas et n'emprisonne personne. Son innocence face à la dictature lui fit oublier la réalité de la Terreur en Algérie depuis quelques années. Il a négligé de regarder la meute qui l'attendait, il est retourné visiter son pays ce samedi-là. Il l'a payé cher."

"Boualem Sansal est emprisonné pour ses opinions, rien d’autre, affirme l'avocat Richard Malka (3). Il n’a agressé, tué, ou blessé personne. Mais ses idées dérangent un pouvoir totalitaire. C’est le propre des régimes les plus abjects. Il ne devrait pas y avoir de débat : nous devrions être unanimes dans notre soutien à Boualem Sansal, en particulier dans le monde de la culture. On doit tous être Boualem Sansal."
Mais ce n'est pas le cas. "Certains pseudo-intellectuels, dans un mépris insupportable, disent qu’il faut le défendre… mais ajoutent un oui, mais. Ce mais est misérable et odieux. Boualem Sansal est victime d’un régime obscurantiste et corrompu jusqu’à la moelle, qui n’hésite pas à emprisonner un écrivain sans motif, sans procès, sans durée. La mobilisation n’est pas à la hauteur. C’est une atteinte grave, non seulement à la liberté d’expression, mais aussi au plus élémentaire droit de l’homme : ne pas être emprisonné par le fait d’un autocrate ou le bon vouloir d’un tyran."

Si ces "pseudo-intellectuels" éprouvent quelques difficultés à défendre Boualem Sansal, c'est qu'ils estiment qu'il penche vers l'extrême droite. Ils disent la même chose de Kamel Daoud. En fait, ce que ces tartuffes reprochent aux deux écrivains, c'est que leur dénonciation des dangers et des ravages de l'islamisme est applaudie par l'extrême droite. Alors que ce sont eux, ces braves gens confits de bons sentiments qui, en se taisant, en fermant les yeux sur ce qu'ils ne veulent pas voir, laissent toute la place à l'extrême droite. C'est leur silence qui laisse tant de place au bruit et qui permet aux dictateurs d'enfermer ses intellectuels à la voix libre. Incapables, par peur de passer pour islamophobes, de dénoncer le totalitarisme islamiste et celui d'un pouvoir algérien racrapoté sur lui-même, ces braves gens n'ont que mépris pour ce que vit la population algérienne. Selon Kamel Daoud, "le régime d'un côté et les islamistes de l'autre ont réussi à mettre en place un tribunal itinérant de l'identité pure et de l'hypernationalisme". C'est Daoud aussi qui affirme que tous les écrivains algériens francophones sont coincés entre les islamistes "qui estiment que le seul roman à lire est celui écrit par Allah" et le régime "qui s'oppose à toute concurrence avec le récit national ".
Ceux qui font la fine bouche face à l'arrestation de Boualem Sansal sont tranquillement assis chez eux quand lui a pris le risque de retourner chez lui. "Résister a du sens si je reste là-bas Si je viens ici (en France), ce n'est plus le mot qu’il faut utiliser, ce serait parler, papoter. La résistance se fait là où il y a la vraie guerre."

Allez, ouste, les dictateurs, les usurpateurs, les mafieux, les crapulards, l'avenir appartient aux gens de bien. Tiens, je crois que c'est ça la bonne définition de cet objet non identifié qu'est l'humanité, que je cherche depuis des années : l'humanité, ce sont ces gens de bien qui, vaille que vaille, assurent le service de la vie. (Boualem Sansal, "Vivre - Le compte à rebours", Gallimard, nrf, 2024)

(1) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-25-novembre-2024-7974755
(2) https://www.lepoint.fr/societe/des-prix-nobel-de-litterature-se-mobilisent-pour-boualem-sansal-23-11-2024-2576089_23.ph
(3) https://www.marianne.net/agora/entretiens-et-debats/richard-malka-le-oui-mais-au-sujet-de-l-arrestation-de-boualem-sansal-est-odieux?
https://www.marianne.net/societe/medias/sur-le-plateau-de-c-politique-boualem-sansal-et-kamel-daoud-executes-par-de-petits-procureurs-mediatiques?



samedi 23 novembre 2024

Besoin de bras

Les entreprises italiennes réclament davantage de travailleurs étrangers. 450.000 permis de travail ont été  accordés à des travailleurs extra-communautaires en trois ans par le gouvernement Meloni, mais le patronat estime qu'il en faudrait le double, surtout dans le secteur des services à la personne dans une Italie à la population vieillissante (1).
En Espagne, le gouvernement, de gauche lui, a annoncé tout récemment (2) l’adoption d’une réforme qui devrait faciliter la régularisation de dizaines de milliers d’immigrés illégaux supplémentaires par an au cours des trois prochaines années. Il estime que jusqu’à 300.000 immigrés pourraient être régularisés chaque année au cours des trois prochaines années. "Comme nous l’avons répété à plusieurs reprises, divers organismes nationaux et internationaux (…) estiment que l’Espagne a besoin d’environ 250.000 à 300.000 travailleurs étrangers par an pour maintenir son niveau de vie", a expliqué la ministre de l’inclusion et des migrations Elma Saiz. Comme le premier ministre Pedro Sanchez, elle affirme que "l’Espagne doit choisir entre être un pays ouvert et prospère ou être un pays fermé et pauvre. Et nous avons choisi la première option". Même les partis de droite soutiennent cette décision du gouvernement qui n'est combattue que par le parti d'extrême droite Vox.

Un peu partout, les partis d'extrême droite vivent essentiellement de leur opposition aux immigrés. Giorgia Meloni, toute d'extrême droite qu'elle soit, a dû changer son fusil d'épaule face aux réalités socio-économiques. S'ils ne veulent pas apparaître totalement déconnectés de ces réalités, les autres partis d'extrême droite feraient bien de changer de discours. Au risque, évidemment, de n'avoir plus de programme.

(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/19/en-espagne-une-reforme-va-faciliter-la-regularisation-de-dizaines-de-milliers-de-migrants-supplementaires-par-an_6403388_3210.html

mercredi 20 novembre 2024

L'énergie des campagnes

"Le plein d'énergies positives", c'est le sous-titre du trimestriel Village Magazine (1). Créé dans l'Orne en 1993, il exprime la vitalité du monde rural, il brasse des idées, il se fait l'écho des initiatives positives, il témoigne des actions les plus diverses qui font bouger nos campagnes - où vit un tiers de la population française - dans tous les domaines : agriculture, social, économie, artisanat, culture, citoyenneté, tourisme, environnement, aménagement du territoire, etc.

Aujourd'hui le trimestriel est menacé (2). Son équipe n'a plus les moyens d’imprimer le dernier numéro de l’année. Il est prêt, devait être envoyé à l'imprimeur hier, mais l'argent fait défaut. "De manière urgente, nous avons besoin de vous pour imprimer le numéro d’hiver, complètement finalisé, avec des reportages dans le Puy-de-Dôme, l’Aude, les Deux-Sèvres, le Bas-Rhin, le Calvados, le Lot, le Tarn, le Finistère, la Haute-Garonne… ainsi qu’un dossier sur les gardiens de la biodiversité, des articles sur la débrouille rurale, un village auvergnat en transition, les racines comestibles, des portraits et des initiatives toujours aussi inspirantes… (3) Depuis 32 ans, toute l’équipe de Village se bat au quotidien pour faire vivre, de manière totalement indépendante, un magazine positif consacré à la ruralité, vendu en maison de la presse et par abonnement partout en France. (...) Mais, à l’heure actuelle, avec l’augmentation des coûts de fabrication, la fermeture de nombreux points de vente entraînant une érosion des ventes, Village se trouve à nouveau dans une situation économique très compliquée. Son avenir immédiat est tout simplement menacé."

L'équipe lance donc un appel pour que le magazine Village ne disparaisse pas : abonnez-vous, abonnez vos amis, vos enfants, vos parents (à la version papier ou en ligne) (4).
D'expérience, la lecture de Village Magazine est génératrice d'énergie et d'optimisme, elle permet de sortir de la morosité et du défaitisme, elle donne envie d'être actif, de faire bouger, un peu plus encore, nos villages.

(2) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/carnets-de-campagne/carnets-de-campagne-du-mardi-19-novembre-2024-5337935
(3) Et aussi un article sur le festival Ciné de campagne en Marche occitane - Val d'Anglin !
(4) Abonnement annuel : papier (4 n° + 1 hors-série) : 38,50 € / numérique : 22 €.


dimanche 17 novembre 2024

Jusqu'auboutistes

C'est une guerre à laquelle on ne voit pas d'issue. Un peu moins encore depuis le 5 novembre dernier, quand Benjamin Nétanyahou a limogé son ministre de la Défense. Qui peut encore freiner le premier ministre israélien dans cette guerre qui oppose son pays aux islamistes du Hamas, du Hezbollah et d'Iran ?
Yoav Gallant explique avoir été limogé à cause de son opposition à l'exemption du service militaire pour une partie des ultraorthodoxes, à cause de ses positions en faveur d'un accord pour le retour des otages et sur la fin des combats contre le Hezbollah et à cause de sa volonté de voir créer une commission d'enquête sur le 7 octobre.
Gallant était le représentant de l'opposition au sein du gouvernement et du cabinet de sécurité nationale. Ce limogeage est "irresponsable, clivant et dangereux pour Israël", estime le directeur de la rédaction du Times of Israël. Un de ses confrères journalistes considère que Nétanyahou "a placé sa survie politique au-dessus des intérêts fondamentaux de l'Etat". Certains analystes craignent une purge à grande échelle qui lui permettra de perpétuer et étendre son contrôle sur le pays. D'autres responsables sécuritaires et judiciaires seraient désormais dans la ligne de mire du premier ministre qui est "engagé dans une fuite constante de ses responsabilités pour la calamité du 7 octobre" et dans une "marche effrénée vers le pouvoir absolu", écrit le journal de droite Israël Hayom. 
Nétanyahou se sentirait plus légitime encore dans cette marche depuis l'élection de Trump. "Nétanyahou et Trump ont en commun l'isolationnisme ultranationaliste et le mépris des règles, des lois et des institutions, estime le quotidien de gauche Ha'Aretz. A leurs yeux, les contrepouvoirs ne les concernent pas, ils doivent pouvoir gouverner sans entraves." (1)
Comment le futur président américain agira-t-il, lui qui se targue de pouvoir régler des guerres en un claquement de doigt ? On connaît sa fascination pour les hommes forts.  "Donald Trump a dit à de multiples reprises vouloir avant toute chose « la paix » au Moyen-Orient, écrit Le Monde (2). Mais le républicain entend par là une paix des forts, avec Israël au centre du jeu, et le droit international relégué aux oubliettes." Trump n'a que mépris pour ceux qui poussent Israël à un cessez-le-feu à Gaza et au Liban. "Déjà, la perspective de son arrivée au pouvoir constitue une victoire sur d’autres fronts, à commencer par la promesse d’une accélération de la colonisation en Cisjordanie. "(...) "L’idée de recoloniser Gaza pourrait même trouver grâce aux yeux de Donald Trump. Il a évoqué, lors d’un discours prononcé le jour de la commémoration du 7-Octobre, le fait qu’après sa reconstruction l’enclave « pourrait être encore mieux que Monaco ». Comprendre : projets immobiliers mirobolants, yachts, front de mer. Certainement pas : reconstitution d’une ville palestinienne. Un langage plus qu’apprécié en Israël." Une véritable paix, durable, n'est pas pour demain ni à Gaza, ni en Cisjordanie, ni en Israël. Pas plus qu'en Ukraine.
La paix n'est pas une histoire d'hommes forts.

(1) "Nétanyahou, seul maître à bord", Le Courrier international, 14.11.2024.
(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/08/israel-la-victoire-de-donald-trump-une-promesse-de-carte-blanche-pour-benyamin-netanyahou_6383214_3210.html

vendredi 15 novembre 2024

Profondes campagnes

Les clichés sur la campagne sont légions. Entretenus parfois par les gens du cru, parfois par des journalistes des villes qui regardent de loin ces pauvres gens qu'ils déplorent de voir abandonnés de tous.
Premier cliché : celui du désert. Tout le monde abandonne les campagnes. En 2017, selon l'INSEE, les territoires ruraux réunissaient 88% des communes françaises et 33% de la population. Il y a du monde dans le désert.
Dans le dernier numéro de Village Magazine (1), trimestriel qui sillonne les campagnes et fait "le plein d'énergies positives", Bernard Farinelli s'attaque à ces clichés.
"La révolte des paysans, éternelle jacquerie, affecte d'une façon uniforme tous les secteurs. Maraîchers, éleveurs, céréaliers, vignerons, bio, conventionnels, en montagne ou en plaine, au nord ou au sud, tous souffriraient des mêmes maux... imprécis, pluriels... La fermière qui vend au marché ses fromages de chèvre serait pénalisée par les traités de libre-échange ! Tant pis pour l'approximation, la campagne souffre de son agriculture." 
La volonté de régulation de la chasse ne serait que celle de bobos urbains qui ne supportent pas les traditions rurales. "Les chasseurs sont des ruraux auxquels on suspend des brins de liberté acquis à la Révolution. Non, la moitié d'entre eux habitent des villes de plus de 20 000 habitants."
Les moyens technologiques ont bouleversé l'espace et le temps. Les TGV, les autoroutes, Internet la fibre ont permis à nombre de professions de s'installer loin des villes. Les coins perdus ne le sont pas pour tout le monde. Et on trouve du travail à la campagne : la Lozère, département le moins peuplé, dispose de cinq mille offres d'emploi non pourvues, constate Bernard Farinelli.
Les habitants des campagnes seraient fermés à la nouveauté et incapables d'accueillir les nouveaux venus. Cette campagne, "à qui on reproche d'accueillir des alternatifs de tout poil !" Alors, oui, il y a des coins où l'on restera à jamais un étranger, même si c'est simplement parce qu'on vient de l'autre bout du département. C'est dans ces mêmes coins parfois que le natif devient petit-à-petit l'étranger à force de se cantonner derrière ses rideaux en regardant son monde changer par l'énergie qu'y insufflent ces nouveaux venus.

Vu de Paris ou des grandes métropoles, la campagne française (comme si elle était uniforme - on en parle comme on parle de la province) est peuplée de victimes d'un système politique centralisateur, comme si les élus et les habitants ne pouvaient que subir. Alors oui, trop de services publics disparaissent, trop de commerces ferment, trop d'élus restent rétifs à la participation citoyenne, trop de ruraux vivent dans l'attente d'ils ne savent pas trop quoi, un deus ex-machina qui les sauvera d'une déprime qu'ils se plaisent à entretenir, trop d'habitants sont prompts à accuser leur maire d'être responsable de la fermeture d'un commerce local dans lequel ils n'ont jamais mis les pieds parce que c'est tellement plus simple de faire toutes ses courses au supermarché à vingt kilomètres de chez soi. Mais il en est beaucoup d'autres qui prennent en main leur avenir et celui de leurs enfants (même si c'est parfois sous l'œil goguenard ou critique de leurs voisins qui semblent se complaire dans le défaitisme). Beaucoup qui prennent plaisir à vivre à la campagne, à la faire vivre, qui créent de nouvelles activités dans les domaines les plus variés : économique, artisanal, social, culturel, touristique, artistique, sportif, etc.
A lire Village Magazine, à écouter Carnets de campagne (2), on découvre des campagnes vivantes, actives, énergiques, inventives, qui donnent envie d'y vivre. Loin des clichés.

(1) N° 161, automne 2024 - villagemagazine.fr
(2) Sur France Inter, du lundi au vendredi, de 12h3à à 12h45 - 

lundi 11 novembre 2024

Etats-Désunis

La victoire de L'Affreux pose question. Comment un personnage aussi repoussant peut-il être attractif ? Comment cet homme qui n'aime que lui peut-il recueillir d'autres voix que la sienne ? Comment ce milliardaire fils à papa peut-il symboliser le rejet de l'élite et du système, lui qui les incarne totalement ? Comment le vieux parti républicain s'est-il laissé dévorer par l'alt right ? Pourquoi le parti démocrate a-t-il été à ce point battu ? Les réponses sont nombreuses.

Pour beaucoup d'électeurs sans doute, et même d'électrices, un homme blanc - même si sa place devrait plutôt être en prison ou en hôpital psychiatrique - sera toujours préférable à une femme noire. 
"Se rendre compte qu’une partie importante – et croissante – de ce pays, non seulement rejette tout progrès en dehors de ce qui est blanc, masculin et hétéronormatif, mais est prête à participer activement à l’avancement et au renforcement d’un programme régressif, c’est vraiment difficile à accepter", déplore Kimberly Ellis, juriste, proche de Kamala Harris (1).

Il y a aujourd'hui la puissance de ces réseaux prétendument sociaux qui charrient des torrents de désinformation, de haine, d'insultes. Et qui n'admettent aucune limite à leur pouvoir. Elon Musk, présenté comme l'homme le plus riche du monde, a mis son immense réseau au service d'Ubu. Argent, pouvoir et cynisme font bon ménage. Les utilisateurs du réseau X savent maintenant clairement à quel jeu ils participent. Un jeu dangereux.
Le journaliste Stéphane Jourdain évoquait récemment sur France Inter (2) la Maffia PayPal, des milliardaires de la tech' qui ont fondé à la fin des années '90 ce système de paiement en ligne et constituent un des cercles d'influence les plus puissants des Etats-Unis. Elon Musk, Peter Thiel et David Sachs, fondateurs de PayPal, ont soutenu Trump, qu'ils n'apprécient pourtant pas, pour faire battre les Démocrates et leur volonté de réguler l'intelligence artificielle, les cryptomonnaies et la tech'. Ce sont des entrepreneurs de la Silicon Valley qui ont poussé Trump à choisir Vance, investisseur proche d'eux, comme vice-président.
Dans son premier discours après son élection, Trump s'est félicité d'avoir gagné grâce aux réseaux et a remercié, longuement et avec un enthousiasme débordant, ce "super genious" de Musk.
Pourtant, en 2016, Musk avait soutenu Hillary Clinton, puis Joe Biden en 2020. Il trouvait Trump trop vieux pour redevenir président. A l'époque, Trump était loin de le considérer comme un genious, mais plutôt comme un loser. En janvier de cette année, Musk avait annoncé qu'il ne choisirait aucun candidat.
De son côté, Thiel avait soutenu Trump en 2016, il était la seule figure de la Silicon Valley (SV) à l'avoir fait. Ce qu'il a regretté ensuite, déçu par la politique du président. Il trouvait le slogan MAGA (Make America Great Again) négatif et insultant pour les entrepreneurs de la SV.
Mais à partir du moment où Trump a choisi Vance, en juillet, le vent a tourné et il a obtenu aussitôt le soutien des entrepreneurs qui estiment que Vance connaît leur business et les laissera agir à leur guise, qu'il abrogera la régulation, qu'ils considèrent comme liberticide, de leur secteur et la taxation des grosses fortunes. Vance est fermement opposé à toute régulation de l'intelligence artificielle. Selon un expert, c'est surtout le rejet de l'administration Biden qui a motivé le vote d'entrepreneurs de la SV en faveur d'un Trump qu'ils n'estiment pas. Joe Biden, pour eux, a eu le grand tort de vouloir réguler les cryptomonnaies, encadrer le développement de l'intelligence artificielle et mener une enquête anti-trust contre les GAFAM. Trump incarne pour eux l'ultra-libéralisme, le laisser-faire total. Sa volonté de mener une guerre économique à l'UE et à la Chine et ses positions anti-wokistes ont achevé de les convaincre.

Autre raison à la victoire d'Ubu Trump : la persistance de Joe Biden à vouloir effectuer un second mandat. S'il avait respecté sa promesse de n'en faire qu'un seul et passé la main beaucoup plus tôt en laissant son parti organiser des primaires, le résultat aurait peut-être été différent.
Pour autant que les Démocrates aient changé de politique. C'est ce que pense le politiste américano-allemand Yascha Mounk, professeur à l’université Johns-Hopkins de Baltimore (Maryland). Dans une interview au Monde (3), il affirme que "les démocrates ont fondamentalement mal compris leur pays et la tendance politique du monde. Ils ont appliqué un schème de pensée identitaire qui les a coupés de la réalité. Ils ont pensé que le pays était divisé entre les Blancs et les personnes de couleur, qu’ils bénéficieraient toujours du vote des minorités ethniques et que la manière de les mobiliser était d’accepter les propos plutôt identitaires. Cela s’est révélé être une grande erreur."
Mounk constate que la victoire de Trump est due à des électeurs jeunes, notamment issus de minorités ethniques, qui ont perdu confiance dans les institutions. On pense à la France et à tous ces jeunes séduits par Bardella et le FN-RN. Mais si Bardella peut séduire physiquement, on ne peut en dire autant du vieux Trump. Tenir des propos populistes et agressifs en attaquant les élites suffit-il pour se faire élire ? "Les électeurs se méfient tellement des élites actuelles qu’ils sont prêts à tout pour les faire tomber. Cela montre que le problème n’est pas seulement l’existence des populistes, mais l’impopularité des alternatives au populisme", dit encore  Yascha Mounk. "La terrible réalité de cette élection, c’est que les républicains ont mieux su parler à cette majorité silencieuse que les démocrates. Et tant que les démocrates ne parviennent pas à se rapprocher de cette majorité, pourtant proche de leurs idéaux, ils perdront contre des populistes autoritaires et dangereux comme Trump."
Le parti pris identitaire est une arme dangereuse qui peut se retourner contre vous. Kamala Harris l'a vécu avec ces Arabes Américains qui lui ont tourné le dos estimant qu'elle se rangeait trop du côté des Israéliens laissant tomber les Palestiniens (4). Chacun voit aujourd'hui la politique de son seul point de vue. 

C'est la règle du Je. Chacun prône la liberté individuelle. "C'est particulièrement vrai aux Etats-Unis, écrit Gérard Biard (5),  où elle n'est vécue qu'à l'aune de l'individu et de ses seuls intérêts particuliers. La liberté y est moins une idée collective qui porterait l'esprit et le rêve américains qu'un empilement de droits à la découpe  et à la demande." (...) "Aux Etats-Unis, qu'importent les grands discours, dans la loi comme dans les esprits, le je prévaut sur le nous." Y compris dans le camp démocrate. "A preuve son obsession presque pathologique à fractionner son électorat en de multiples communautés et à y associer des droits spécifiques, qui deviennent autant de marqueurs idéologiques à opposer aux républicains. Ce communautarisme de principe, outre le fait qu'il est une impasse sociétale, n'est qu'une forme d'individualisme de groupe." Et Biard de voir l'Amérique "presque décomposée en une multitude de tribus qui au mieux s'ignorent, au pire s'affrontent".

Mais abandonnons toute inquiétude : Donald Trump affirme aujourd'hui vouloir rassembler les Etats-(Dés)Unis. Son humour est particulier.

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/10/election-de-trump-realiser-qu-une-partie-croissante-de-ce-pays-rejette-tout-progres-en-dehors-de-ce-qui-est-blanc-masculin-et-heteronormatif-est-difficile-a-accepter_6386182_3210.html
(2)  https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-18-20-un-jour-dans-le-monde/le-18-20-un-jour-dans-le-monde-du-jeudi-07-novembre-2024-9298145
(3) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/09/yascha-mounk-le-probleme-n-est-pas-seulement-l-existence-des-populistes-mais-l-impopularite-des-alternatives-au-populisme_6384642_3232.html
(4) Voir sur ce blog "Colère masochiste", 3.11.2024.
(5) Gérard Biard, "Liberté, j'écris mon nom", Charlie Hebdo, 6.11.2024.
A lire aussi : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/11/naomi-klein-essayiste-kamala-harris-a-ete-emportee-par-la-vague-de-mecontentement-qui-traverse-les-democraties_6388121_3232.html

mercredi 6 novembre 2024

L'agent orange

Il devrait être en prison et il dirigera, à nouveau, les Etats-Unis. La démocratie est décidément un drôle de bazar. Les électeurs américains ne pouvaient dire qu'ils n'avaient pas encore essayé Trump, cet ennemi des femmes, de la démocratie, de l'état de droit. Ils connaissaient l'énergumène, menteur patenté, agressif, égocentrique, inculte, grossier, provocateur, avide de pouvoir et d'argent. Un perdant revanchard qui a fomenté un coup d'état, un homme condamné par la justice qui trimballe de multiples casseroles. Ils savent tout cela et ils le réélisent.
Les réseaux qu'on présente comme sociaux ont charrié des tombereaux de fausses informations, d'injures, de vidéos truquées, alimentés par les ennemis de la démocratie pour précisément venir à bout de celle-ci. Et ça marche. C'est évident à présent : Trump est d'extrême droite. "Son souhait pas vraiment caché est de reprendre la présidence et de s’accrocher au bureau Ovale jusqu’à la fin de ses jours pour devenir le premier dictateur des Etats-Unis", affirme l'écrivain américain Jérôme Charyn (1). Trump avait annoncé une chasse aux sorcières parmi les "ennemis de l'intérieur" et qu'après ce 5 novembre ses adeptes, suprémacistes, masculinistes, évangéliques, cyniques et naïfs, n’auraient plus besoin de voter par la suite. "La Heritage Foundation, le plus puissant groupe de réflexion conservateur du pays, s’efforce de l’aider à atteindre ce but avec le « Project 2025 », un plan qui prévoit de se débarrasser de tous les employés fédéraux et de les remplacer par des trumpistes fidèles de façon à faire de la Maison Blanche le siège du pouvoir du président dictateur pour les années à venir." (...) Une fois qu’il aura regagné la Maison Blanche, il prévoit d’utiliser les forces armées pour tuer dans l’œuf toute forme de trouble à l’ordre public, voire de tirer sur les manifestants si les choses venaient à lui échapper."
Comment peut-on faire confiance à un tel individu ? Trump n'a aucun souci des autres. Seule compte pour lui sa petite personne.  Sa réélection présage une catastrophe pour le climat, les réfugiés, les défavorisés, les femmes, l'Ukraine (2), le climat. Le monde courait à sa perte. Une majorité d'électeurs américains a décidé de le faire galoper.

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/03/jerome-charyn-romancier-le-5-novembre-pourrait-etre-la-date-de-la-derniere-election-legitime-aux-etats-unis_6373225_3232.html
(2) Poutine aurait esquissé ce qui ressemble à un sourire en apprenant la victoire de son ami. Ça ne lui était plus arrivé depuis la conquête de la Crimée.

lundi 4 novembre 2024

Houris, au nom de toutes les femmes

On l'espérait : "Houris", dernier roman de Kamel Daoud (1), vient de recevoir le Prix Goncourt. L'écrivain algérien y donne une voix à celles et ceux qui ne peuvent en avoir : toutes les victimes de la guerre civile qui a mis l'Algérie à feu et à sang entre 1990 et 2000. Une loi interdit d'en parler. Les 200.000 morts que cette période sanguinaire a engendrés n'existent pas. 
Alors, Kamel Daoud leur donne la parole, paradoxalement via une jeune femme qui n'a plus de cordes vocales. Affichant au niveau de la gorge un "sourire" figé de 17 centimètres, celle qui, enfant, égorgée par un islamiste, a senti sa tête quitter son corps, est enceinte et parle à cette "houri" à qui elle hésite à donner  la vie dans ce monde qui appartient aux hommes.
"Ici, une femme ne sort pas seule, ne lève pas les yeux du sol quand elle marche dans la rue, ne parle pas même à ceux qui l'accompagnent, ne voyage pas sans tuteur masculin et ne porte pas de pantalon qui souligne sa silhouette comme une seconde peau."

Double coïncidence, ce prix est attribué le jour où débute le procès des complices de l'assassin de Samuel Paty, égorgé par un islamiste, mais aussi alors même qu'on apprend (2) qu'une étudiante iranienne a été embarquée, il y a quelques jours, dans une voiture par des individus vêtus de noir. Ahou Daryaei s'était dévêtue et était en sous-vêtements devant l'université islamique Azad de Téhéran. L’agence iranienne Fars affirme qu'elle portait des vêtements « inappropriés » en cours et avait été mise en garde par les agents de sécurité de l’université. Selon certains témoins, ses vêtements auraient été déchirés par ceux qui lui reprochaient son impudeur. Elle s'est donc dévêtue pour protester contre les diktats de la police des mœurs qui réglemente la tenue des femmes. A quel niveau de désespoir faut-il être pour en arriver à mettre ainsi sa vie en danger ? On craint évidemment le pire pour elle. Selon les autorités iraniennes, elle aurait été envoyée dans un hôpital psychiatrique parce qu'elle aurait des problèmes mentaux. En Iran, une femme qui veut vivre librement est folle.
"La même semaine, rappelle Sophia Aram (3), de l’autre côté de la frontière, les femmes afghanes se sont vues interdire de parler entre elles, y compris dans leurs propres foyers. Une interdiction qui vient après celles de chanter, d’étudier, de porter des vêtements clairs, de posséder un téléphone portable, de porter des talons, de se déplacer seules, d’aller dans des parcs, de faire du sport, de parler à un médecin homme ou de parler en public. Après les avoir emmurées, les Talibans que d’aucuns rêvaient plus inclusifs qu’avant, ont visiblement choisi de bâillonner toutes les Afghanes."

" A nos malheurs, l'imam joignit ensuite "les femmes qui visitent les tombes, celles qui hurlent dans le deuil, celles qui mettent en colère leur époux". Et aussi celles qui se parfument en sortant, celles qui ajoutent des tresses à leurs cheveux, celles qui se promènent les chevilles nues, et l'imam continua et continua encore jusqu'à ce qu'il ne reste rien, d'aucune femme, pas une trace, pas un cheveu, que du sang sur les mâchoires de loups. Que des ombres poilues, des silhouettes muettes et des mortes aux voix douces pour dire "oui" à l'homme. Et dans le salon, après le rire féroce, on resta plongées dans un silence de rescapées, je te le jure. Pas seulement inquiètes, mais stupéfaites : pourquoi ce Dieu nous hait tant ? Qu'avons-nous fait pour le mettre en colère depuis trois mille ans ? Lui avons-nous volé la maternité du monde, le pouvoir d'accoucher et d'allaiter ? Lui avons-nous ravi le cœur des hommes ? Mon salon de coiffure était devenu une tanière de louves apeurées, de ventres clandestins. "
Kamel Daoud, Houris.

(1) Kamel Daoud, "Houris", Gallimard, 2024. Ce livre est interdit en Algérie.
https://www.lemonde.fr/livres/article/2024/09/08/kamel-daoud-les-islamistes-ont-perdu-militairement-mais-gagne-politiquement_6307521_3260.html
https://www.lemonde.fr/livres/article/2024/11/04/kamel-daoud-que-ce-livre-fasse-decouvrir-le-prix-des-libertes_6376278_3260.html
(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/04/iran-une-etudiante-se-deshabille-devant-son-universite-pour-protester-contre-la-police-des-m-urs-avant-d-etre-arretee_6375455_3210.html
(3) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-04-novembre-2024-3868538
Sophia Aram souligne l'hypocrisie du président du RN-FN qui a salué “le courage inouï de cette jeune femme iranienne“, mais qui, il y a quelques mois seulement, répondant à une question sur l’accueil des femmes afghanes, avait lâché : « Pardonnez-moi, mais je ne vois pas la plus-value pour la société française d’accueillir des gens de Tchétchénie ou des gens d’Afghanistan“.

dimanche 3 novembre 2024

Colère masochiste

Dans le Michigan, des Arabes américains annoncent qu'ils ne voteront pas pour Kamala Harris. Ils veulent lui "donner une leçon" pour le soutien apporté par le gouvernement américain à son homologie israélien. On peut comprendre leur émotion tant la situation est dramatique à Gaza. Mais la colère est rarement bonne conseillère.
Une jeune femme, un keffieh sur les épaules, affirme vouloir se ranger du côté de sa famille palestinienne et a dès lors l'intention soit de voter blanc - ce qui revient à aider à l'élection de Trump -, soit de voter pour la candidate écologiste - qui soutient Poutine (ce qui revient également à favoriser Trump). Sa mère est d'origine palestinienne, son père d'origine syrienne. Se rend-elle compte que Trump est un fervent soutien de Netanyahou (1) ? Se rend-elle compte que la candidate dite écologiste en soutenant Poutine soutient le dictateur syrien qu'il a aidé à massacrer la population syrienne ? Se rend-elle compte que la leçon qu'elle veut donner à Harris c'est à elle-même, à tous les gens d'origine étrangère, aux femmes, à l'ensemble des Etats-Unis et bien au-delà qu'elle va la donner ? Laisser passer Trump, c'est ouvrir la voie au chaos.
Ce qui interpelle aussi, c'est cette appellation d'Arabes américains. On ne dit pas Américains d'origine arabe, mais Arabes américains. Comme on dit maintenant Africains-Américains ou Afro-américains. Comme si l'origine des ancêtres était primordiale par rapport à la nationalité. Cette vision communautariste d'une élection amène les uns et les autres à sortir d'une vision commune de l'avenir de leur pays. Pour autant qu'ils aient le souci de leur pays.

jeudi 31 octobre 2024

Démocratie manipulée

Dans cinq jours, on saura qui présidera les Etats-Unis durant les quatre prochaines années. On craint le pire, tant les électeurs américains, comme beaucoup d'autres dans le monde, semblent aujourd'hui prêts à choisir le pire candidat. Le pire étant ici une horreur absolue. De nombreux électeurs républicains ont fait le choix de voter pour Kamala Harris pour faire barrage à l'affreux. Mais d'autres voteront pour lui en toute connaissance de cause. Interviewée à la télévision récemment, une électrice républicaine affirme détester Trump mais lui donnera quand même sa voix pour rester fidèle à ses valeurs. Quelles valeurs ? Choisir Trump, c'est choisir le racisme, le sexisme, la brutalité, le mensonge, le mépris des autres et de l'Etat de droit, la suffisance, le pouvoir de l'argent. C'est aussi pactiser avec Poutine, laisser annexer une partie de l'Ukraine par la Russie, soutenir les pires dictateurs, tourner le dos à la démocratie.

Certains estiment qu'il ne serait pas étonnant - au vu de la manière dont Trump défend Poutine et la Russie depuis des décennies - que le milliardaire soit tenu par un chantage exercé sur lui par le maître du Kremlin (1). Selon l’ancien procureur adjoint de New York, ­Kenneth McCallion, l'agent immobilier Donald Trump, en difficulté financière dans les années '80, a accepté des valises de cash de la mafia russe. Depuis, les aides russes aux campagnes de Trump ont été nombreuses et les élus républicains sont nombreux à prendre des positions favorables à la Russie. "Nous sommes nombreux à nous demander si ces républicains qui adoptent des positions étranges sur la Russie n’ont pas été payés ou soumis à d’autres formes de ­persuasion », affirme John Bolton qui fut conseiller à la sécurité nationale sous l'administration de Donald Trump en 2018-2019. "Le plus inquiétant, pense Antoine Vitkine, est que, si Trump revient au pouvoir, il pourra cette fois s’appuyer sur un camp républicain devenu majoritairement hostile à l’Ukraine. Et contrairement à 2017, il pourra compter sur un électorat acquis à son tropisme russe. Selon un sondage YouGov, Vladimir Poutine est encore plus populaire aujourd’hui qu’avant l’invasion dans l’électorat républicain, fasciné par cette figure autoritaire et ultraconservatrice."
Quoi qu'il en soit, la suffisance et l'inculture d'Ubu Trump le rendent totalement manipulable. 

Manipulable et aidé par une armée de manipulateurs. Le mois dernier, relate Charlie Hebdo (2), six you(en)tubeurs américains ont été arrêtés. Ils avaient été engagés par une chaîne pour réaliser des vidéos commentant l'actualité américaine. Dans l'une d'elles ils attribuaient un attentat islamiste à l'Ukraine. Les responsables de ce média dit alternatif étaient payés par Russia Today, porte-voix du Kremlin. La Russie utiliserait plus de 2800 influenceurs dans plus de 80 pays. Pour eux, l'argent n'a pas d'odeur.
Un Américain réfugié à Moscou, John Marc Dogan, a créé plus de 160 sites web et publié plus de 50.000 messages. Parmi eux, un site présenté comme le site officiel de Kamala Harris dans lequel celle-ci annoncerait vouloir ouvrir totalement les frontières, donner des papiers à tous les migrants et 500 milliards d'aide à l'Ukraine. Tout est faux, mais a de quoi faire un peu plus peur encore aux conservateurs.
Quant au GRU, service de renseignement militaire russe, il aurait mis en place plus de 270 médias relais d'information en ligne pour diffuser de la propagande anti-ukrainienne et pirater la campagne des Démocrates.
Ces médias dits alternatifs et les réseaux prétendument sociaux étaient vus, à leur naissance, comme des outils de démocratisation de l'information. Ils sont aujourd'hui de puissants vecteurs de lutte contre la démocratie. 
Ajoutons à tout ce fatras Elon Musk qui achète les votes en organisant une tombola hebdomadaire pour offrir un million de dollars à tout électeur qui s'est engagé pour son ami Trump et on voit qu'on se trouve face à une démocratie très vacillante.

En France, une enquête récente d'Ipsos indique que 31% des moins de 35 ans estiment que la démocratie n'est pas le meilleur système politique. Les affreux ricanent.

(1) Antoine Vitkine notamment dans un long article intitulé "Danse avec le tsar" et publié dans Franc-Tireur  : https://www.franc-tireur.fr/donald-trump-danse-avec-le-tsar 
Antoine Vitkine a réalisé  “Opération Trump. Les espions russes  à la conquête de l’Amérique” pour France 5.
(2) Lorraine Redaud et Yovan Simovic, "Ingérence russe - Trump l'œil électronique de Moscou", Charlie Hebdo, 30.10.2024.



samedi 26 octobre 2024

Simon Fieschi

Il s'était redressé. ll avait même tenu à témoigner debout à la barre aux procès des tueurs de l'équipe de Charlie Hebdo dont il était membre. Le 7 janvier 2015, il avait pris une balle de kalachnikov dans la moelle épinière et les médecins étaient convaincus qu'il ne pourrait plus jamais marcher. Ils ne le connaissaient pas encore. Ils ne connaissaient pas sa volonté et son humour salvateur. Il ne serait jamais une victime. Mais un survivant. Simon Fieschi vient de mourir à quarante ans. Il aura survécu près de dix ans à l'agression de ces prétentieux agressifs qui pensaient devoir venger leur prophète. Le webmaster de Charlie aura vécu près de dix ans de plus qu'eux. Dans une douleur permanente, mais avec un sens de l'humour intact. Ce dont témoignent tous ses collègues du journal dans les huit premières pages du dernier numéro de Charlie. Il n'arrivait plus à faire de doigt d'honneur. La bande de Charlie lui a promis de les faire pour lui : "dix ans de doigt d'honneur au terrorisme".  

"Son humour, sa concision, sa tendresse sont toujours là", écrit Philippe Lançon. "J'aimais ses échappées de rire, son regard malicieux", confie Natacha Devanda. Lorraine Redaud salue "sa facilité à manier les mots. A l'oral, à l'écrit, en visio, devant un café ou un clavier, Simon était imbattable". Comme d'autres, Guiduch raconte comment Simon avait, au tribunal récemment, obligé Peter Cherif à regarder les images du massacre qu'il avait commandité. "Cherif s'était défilé. Il avait refusé de regarder ses crimes en face. Le masque tombait. Cette lâcheté, pour Simon, c'était sa victoire. Son sentiment, c'est qu'il avait défié son assassin en duel singulier et qu'il l'avait vaincu."
"Charlie n'oublie pas Simon ni les autres, écrit Biche. Charlie n'oublie pas non plus ceux qui ont oublié, et qui continuent de manger dans la main de ceux qui arment les kalachnikovs. Ceux qui alimentent le terrorisme par leur silence, par leur paresse et par leur lâcheté intellectuelle."

Simon Fieschi se rendait dans les écoles, parlait, avec pédagogie et humour, aux jeunes de la liberté d'expression, de la laïcité, du terrorisme. "Tu gardais espoir en tes frères humains", écrit l'éditrice Cécile T. "Tu étais celui qui rassemblait. Grâce à toi, l'humanité était un peu plus fréquentable".
Grâce à l'humour, le monde l'est aussi. Il faudrait le dire aux terroristes de tous poils. 

Charlie Hebdo, n°1683, 23.10.2024.