samedi 29 novembre 2003

Du cynisme comme profession de foi et des vedettes en politique

Ce texte a été rédigé à l’automne 2003.



A quoi sert une vedette en politique ? A faire des voix. C'est tout ? C'est tout.

Récemment, dans le Soir, Philippe Bodson, « ex-sénateur MR et, simultanément, administrateur de plusieurs sociétés privées », estimait, pour justifier son cumul de mandats privés et public, que des hommes politiques « professionnels » « forment un groupe de gens à part, déconnectés de la réalité et prisonniers du système, or le parlement doit être le reflet de la population ».
Monsieur Bodson, il faut le reconnaître, est resté très connecté sur la réalité des entreprises dont il était administrateur, au point qu’il en oublia de siéger au Sénat. La moyenne annuelle de ses interventions durant les quatre années de son mandat fut de… une (voir les archives du sénat). Il posa deux questions sur l’octroi des licences UMTS, fut le rapporteur d’une loi réglant les impôts sur les revenus de dotation à l’Etat et déposa des amendements sur une proposition de résolution sur la taxe Tobin. Sénateur suppléant en fin de législature, je peux témoigner qu’en un peu moins d’un an, j’ai dû effectivement avoir le rare privilège d’apercevoir Monsieur Bodson une fois ou deux en séance.
Sans doute fut-il durant les quatre ans de son mandat le reflet de la part de population constituée des je-m’en-foutistes, des cyniques et/ou des cumulards (biffez la mention inutile). Il a raison : il faut bien que tout le monde soit représenté !
Un parlementaire qui exerce ce mandat à temps plein se coupe donc de la réalité, d’après Philippe Bodson. Qui n’imagine pas une seconde que des parlementaires qui n’ont pour seule activité professionnelle que leur activité parlementaire (ce qui fut mon cas, comme celui de tous mes collègues écologistes) puissent aussi être impliqués dans des associations socioculturelles, des comités de riverains ou autres a.s.b.l., qu’ils puissent prendre les transports en commun, participer à des journées de rencontres ou de réflexion autant qu’à des activités festives, rencontrer des personnes à propos de demandes très diverses, etc. Bref, être en prise avec la réalité, rester en contact avec de « vraies gens ».

Ses propos, s’ajoutant à la position de son successeur au Sénat, le footballeur Marc Wilmots (qui ne siège plus faute de conviction dans la fonction) témoignent du mépris affiché par ces candidats vedettes, pour la fonction de représentation, et donc pour celles et ceux qu’ils étaient censés représenter. Ces personnages n’accordent qu’une importance subalterne à leur fonction d’élu : elle flatte leur ego mais passe après leur activité professionnelle de base.
Au-delà de ces exemples, reste que ces élus le sont ou l’ont été par des électeurs. Il serait intéressant de savoir ce qu’en pensent ceux-ci. Se sentent-ils trahis ou au moins comprennent-ils, à défaut de la partager, la position de leurs représentants ? Ou s’en moquent-ils tout simplement ?

Se pose ainsi la question de la motivation du choix dans l’isoloir. Le « vu à la télé » est aujourd’hui, plus que jamais, un critère primordial. Le super-patron ou le super-footballeur le dispute au super-bourgmestre-député, au super-président-de-parti-député-bourgmestre, au super-ministre-président-d’intercommunale. Le pouvoir ou en tout cas l’impression de pouvoir que peut dégager un candidat lui donne aisément… plus de pouvoir. L’essentiel étant d’être élu, il faut être vu. Apparaître de toute façon, avant d’éventuellement être. Il serait temps que tant d’électeurs se remettent en question en s’interrogeant sur leurs critères de choix de leurs représentants.

samedi 25 octobre 2003

ECOLO au coeur du ventre mou ?

Ce texte a été diffusé auprès de membres d’Ecolo en septembre 2003


Bien au-delà du contre-coup du résultat catastrophique du 18 mai, Ecolo vit aujourd’hui des heures sombres. Lourdes de questions d’identité, d’interrogations existentielles. Le mal est profond et s’est diffusé à tous les étages de la maison. En témoignent le découragement, la démotivation et une espèce de spleen de quantité de militants, qu’ils soient parlementaires, secrétaires régionaux, militants dits de base. C’est, ici, des parlementaires qui jettent l’éponge et ne sont pas candidats à un deuxième mandat régional; c’est, là, l’absence totale de candidats pour une nouvelle équipe de secrétariat régional ; c’est encore la désolation d’équipes locales qui se trouvent réduites à la portion congrue. Cette rentrée 2003 n’est pas comme les précédentes, elle est lente et fatiguée, en perte d’énergie.

Si le ressort s’est cassé, ou à tout le moins s’est excessivement détendu, chez beaucoup d’entre nous, c’est que l’onde de choc du 18 mai a laissé des traces, a cassé un élan, mais c’est aussi que le positionnement du parti – en suite de ce triste 18 mai - paraît aujourd’hui bien mou, bien flou. Le message, de moins en moins subliminal, de plus en plus clair, qui est envoyé à l’interne consiste à éviter toute prise de position qui pourrait laisser croire qu’Ecolo s’oppose au développement économique.
Nous voilà au cœur de l’interrogation : à quoi sert aujourd’hui Ecolo ? Quel est le sens, la raison d’être d’un parti écologiste ?
Les Verts se sont toujours opposés à la suprématie de l’économie de marché. L’économie doit être au service de l’être humain, et non l’inverse.
La politique menée, éclatée en compétences et matières diverses, voire opposées, doit viser la cohérence.

Aujourd’hui, le traumatisme francorchampêtre nous a amené à nous abstenir sur la modification de la loi interdisant la pub pour le tabac. C’est une décision du Conseil de Fédération, appuyée sur une proposition d’un groupe de travail ad hoc. La justification : alors que nous avons toujours visé un objectif de santé publique, cette proposition était devenue, dans les faits, une loi pour sauver le GP de F1 à Francorchamps. Car seule, la F1 (dans ce cas-ci du moins) avait refusé de s’adapter à la loi. En nous abstenant, nous faisons allégeance, de facto, aux plus puissantes entreprises. Les plus petites organisations se sont adaptées à la loi (par ex., le Belga Jazz Festival devenu l’Audi Jazz Festival), mais on adapte tout spécialement cette même loi pour une entreprise qui refuse de la prendre en compte. L’économie au service de l’homme ?
Encore peut-on comprendre que l’attitude bête et méchante, l’agressivité, voire la violence de tant de citoyens (et des autres partis et d’une bonne partie de la presse), refusant toute analyse critique et toute distance, puissent expliquer un positionnement plus prudent de la part d’Ecolo qui tente ainsi de sortir du cul-de-sac dans lequel on l’a enfermé. (1)

Il n’en va pas de même dans le dossier de la régionalisation de la compétence « armes ».
Sans aucune réflexion, sans débat préalable (pourtant annoncé), le Gouvernement fédéral a décidé précipitamment, à la veille des vacances, de régionaliser l’importation, l’exportation et le transit des armes et munitions. Une décision anachronique à l’heure où l’Union européenne tente d’harmoniser les politiques en cette matière, considérée partout comme un acte de politique étrangère. Une décision qui pourrait, demain, mettre la Belgique dans une position schizophrénique : il suffirait, par exemple, qu’une Région délivre une licence d’exportation d’armes à un pays que l’Etat fédéral aurait placé sur la liste des pays en prévention de conflit. Nous l’avons dit, c’est vrai qu’on ne peut, a priori, soupçonner les Régions d’être moins respectueuses que l’Etat fédéral des règles éthiques. Mais si Ecolo a finalement décidé de s’abstenir sur ce projet – alors que notre programme (qui n’est pas, sur le principe, opposé aux ventes d’armes) (2) et notre analyse auraient amplement justifié une opposition - c’est que la Régionale de Liège avait souhaité cette attitude d’abstention, craignant qu’Ecolo, une fois encore, apparaisse comme « fossoyeur de l’économie ». Une économie au service de l’homme ?

Evoquant, récemment, le projet de Verhofstadt de créer un nouvel aéroport international à Chièvres et souhaitant que nous nous exprimions à ce sujet, j’ai perçu certains appels à la prudence dans notre positionnement. Toujours la crainte d’apparaître comme des destructeurs d’emplois, opposés à l’économie.

Et on pourrait multiplier ainsi les exemples. On sent bien aujourd’hui qu’Ecolo marche aujourd’hui sur des œufs et tourne septante-sept fois sept fois (était-ce bien ce nombre-là ?) sa langue dans sa bouche avant de parler. On passe tout doucement du parti qui ose au parti qui dose. Les positions, hier nettement affirmées et assumées, se font aujourd’hui plus tièdes.
Sur le thème de l’emploi, il me semble que lors de la campagne de 99, nous osions dire – à la suite de certains chercheurs et analystes - que le retour au plein-emploi relevait de l’utopie, que le travail – sans rien ôter de son aspect rémunérateur incontournable – n’était pas le seul moyen de se réaliser. Qu’il fallait explorer d’autres pistes. Qu’il fallait repenser le sens du travail, travailler sur notre rapport au temps. Nous osions les questions de fond. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que nous n’osons plus aborder ce terrain-là, craignant d’être mal compris ou caricaturés. Libéraux, socialistes et humanistes font miroiter le retour aux golden sixties et nous n’osons dire qu’ils (se) trompent, par crainte d’être traités d’utopistes. C’est le monde à l’envers !

Aujourd’hui, j’ai de plus en plus le sentiment que la stratégie prime sur le projet, que la forme édulcore le fond. Faut-il absolument que nous donnions des gages (et à qui ? aux autres partis ? aux électeurs ? et lesquels ?) que nous pouvons être un parti raisonnable, qui peut tenir un discours tempéré ? Ou prendre le risque de rester un parti différent qui refuse d’entrer dans un moule ?
Ecolo ne peut, sans risque de se perdre, abandonner ses positions visionnaires. Tout l’intérêt du mouvement vert est là. Ecolo doit continuer à marquer ses différences, à tenir des positions claires et courageuses et doit donc rester un parti qui surprend voire dérange. Tant mieux si ces positionnements n’en font pas un parti « unanimiste et chèvre-choutiste ». Le risque est grand, on le voit aujourd’hui, de vivre avec l’œil rivé aux thermomètres des sondages. Le souci de « l’Electorat » mène Ecolo et risque de plus en plus de l’amener à prendre des positions tièdes, politiquement correctes. Il ne s’agit évidemment pas de prêcher à des convaincus, mais ces convaincus, ces 8 à 10 % de l’électorat (aux dernières nouvelles), ne les lâchons pas sous le prétexte que nous devons séduire 8 à 10 % d’autres électeurs.
Notre première arme de séduction sera notre cohérence.
C’est un fait, le message du développement durable est complexe à expliquer, il implique une démarche intellectuelle, une projection collective dans le temps et l’espace. Nous demandons aux citoyens de se situer constamment dans des rapports doubles : moi/nous, ici/là-bas, aujourd’hui/demain. Alors que nombre d’électeurs ne se soucient que du « moi, ici, aujourd’hui » (on peut en comprendre certains, mais pas tous !, vu leur précarité).
Globalement, Ecolo a un bon programme, extrêmement dense, ni racoleur ni facile, qui gagnerait sûrement à être « popularisé ». Mais ne l’édulcorons pas pour autant. Restons un parti qui sait vivre avec son ombre, sans avoir peur d’elle.

Michel Guilbert, le 17 septembre 2003





(1) voir l’article de Dany Smeets « Saga-Francorchamps : décors et jeux de rôle », dans la Quinzaine 117
(2) voir la carte blanche de B. Adam (GRIP) – le Soir – 18.09.03, et la réaction de Didier Coeurnelle
(3) Personnellement, je pensais (mais j’étais assez isolé en cette période de vacances où nous étions peu nombreux autour de la table) que nous devions nous opposer à ce projet. Cela ne m’a pas empêché d’expliquer loyalement au Sénat les raisons de notre d’abstention – même si cette position me semblait de moins en moins motivée au fur et à mesure que je développais l’analyse.

mercredi 21 mai 2003

Sombre 18 mai

Ce texte a été rédigé au lendemain de la lourde défaite électorale qu’ont connue les partis écologistes en Belgique le 18 mai 2003. Il a été diffusé auprès de membres du parti, de sympathisants et de proches.



Comment expliquer cette gifle inattendue, cette lourde défaite, tellement injuste, incompréhensible ? Nous nous attendions à un recul sensible, mais jamais à ce point.
Nous étions sans doute porteurs de trop d’attentes, sans avoir ni les épaules assez larges, ni un rapport de forces en notre faveur pour pouvoir les satisfaire. L’Arc-en-Ciel a connu de belles réussites et aussi des échecs. Pourquoi Ecolo est-il le seul à endosser la responsabilité de ces dernières sans avoir droit aux lauriers des premières ?
Les Ecologistes paient pour une image devenue ou rendue désastreuse.
Il doit y avoir non pas une mais des explications qui tiennent à Ecolo, aux autres partis, aux électeurs.
J’en vois quelques-unes, et il doit y en avoir quelques autres…

• DES VICTOIRES OCCULTEES PAR LES DEFAITES ?
La barre est placée haut chez les Ecolos, les exigences des militants et des électeurs sont donc fortes. La participation à une coalition a entraîné inévitablement la participation à des décisions qui ne correspondent pas aux programmes de chacun des partis. Les conséquences n’en sont pas les mêmes pour tous : si l’expulsion des Tziganes a coûté cher à Ecolo, la sortie du nucléaire (pourtant critiquée par les Libéraux) n’a rien coûté électoralement au MR
Parti atypique, Ecolo fonctionne sur le mode d’une démocratie interne forte, ce qui a amené régulièrement des militants et des parlementaires à exprimer ouvertement leur mécontentement vis-à-vis de décisions prises par les gouvernements.
Dans les autres partis, l’expression publique est quasi réservée aux ministres et au président.
Mais cette manière d’exprimer publiquement son désaccord a sans doute eu un effet d’occultation des gains Ecolo. Nous avons pu laisser croire à l’électeur que nous avions tout perdu. Et pourtant, comme le relevait un journaliste, aucun autre parti vert (au monde sans doute) n’a obtenu autant d’avancées concrètes : régularisation des sans-papiers ; refinancement de la Communauté française, de la SNCB, de la Coopération au Développement ; définition et mise en œuvre de politiques de mobilité, d’énergie ; sortie du nucléaire ; amélioration de la sécurité routière ; etc. Et tout cela en 4 ans seulement. Même si nous continuons à regretter une série de décisions (et de non-décisions !) prises par le gouvernement fédéral (expulsions des Tziganes, Snelrecht, maintien des centres fermés, absence d’avancées en matière de justice, blocage libéral du droit de vote des étrangers, etc.), nous n’avons pas à rougir de notre bilan dans les compétences qui étaient les nôtres.
Mais le message a sans doute été brouillé et Ecolo n’a pas su convaincre sur son bilan.

• UNE PERTE DE LA DIFFERENCE DANS UN RAPPORT DE FORCES DEFAVORABLE ?
Pendant 20 ans, Ecolo fut dans l’opposition, fit de l’opposition éclairée, construite, argumentée et apparut sans doute plus que jamais en 99, au terme d’une décennie d’affaires multiples et nauséabondes, comme le parti sauveur qui allait assainir la vie politique, redonner du sens au travail politique, apporter à une solution à des citoyens (riverains d’aéroports, parents d’enfants victimes, etc.).
Cette première participation au pouvoir nous a amené à constater l’extrême dureté des rapports de force au sein d’un gouvernement, la difficulté à retourner le rapport de forces en notre faveur, surtout dans cette étrange coalition formée avant que nous y soyons invités. PRL et PS n’attendaient, n’espéraient qu’une chose : que nous échouions. Quand ils ne nous glissaient pas de peaux de bananes sur les pieds, ils se croisaient tranquillement les bras. Un exemple : la SNCB. Le PS a assisté tranquillement au bras de fer qui opposait I. Durant à la direction de la SNCB, n’espérant qu’une chose : qu’il se termine en défaveur d’Ecolo.
Participer à une coalition, c’est forcément composer. Aucun parti ne s’y retrouve totalement, les textes sont toujours le fruit de compromis, surtout quand on travaille à trois ou à six. Nos électeurs, dont l’attente de changement était énorme, nous ont reproché une trop faible mise en œuvre du programme Ecolo et une trop forte réussite du programme libéral, comprenant souvent difficilement que ces coalitions ne peuvent que fonctionner sur le compromis.
Quoi qu’en disent les autres partis, nous avons joué le jeu correctement, trop sans doute. Au point, c’est vrai, de laisser passer des décisions inacceptables. Les autres n’ont pas toujours eu la même correction : libéraux flamands comme francophones n’ont, par exemple, pas respecté l’accord de majorité accordant le droit de vote aux étrangers.
Pour beaucoup d’électeurs, Ecolo a perdu son âme en se salissant les mains au gouvernement. L’opposition est évidemment plus confortable, mais ne peut être l’objectif d’un parti politique. A moins d’avoir peur de son ombre.

Cette première participation au pouvoir nous a aussi amenés à composer avec nos partenaires, adversaires d’hier. Notre discours critique s’est policé, notre fleuret s’est émoussé. Nos convergences avec le PS nous ont conduits à ménager plus celui-ci. Au point que lors de cette campagne 2003 nous n’avons guère été pugnaces dans les débats. Il aurait fallu être plus cinglant, plus agressif, plus impertinent. Ecolo ne fait plus la différence !

On a reproché aux Ecolos leur cacophonie. Il serait intéressant de compter le nombre de fois durant cette législature où le président du MR, gaffeur invétéré, s’est fait remonter les bretelles par Louis Michel. Chaque fois que le sénateur VLD Jean-Marie Dedecker prenait la parole, un membre de son groupe se devait de préciser que « Monsieur Dedecker n’exprime pas l’avis du VLD ». Idem au PS avec un Jean-Marie Happart, monument de « régional-populisme » et spécialiste de l’analyse « café du commerce » ou encore une Anne-Marie Lizin ou un Claude Erdekens peu soucieux de connaître la position de leur parti mais surtout avides de faire entendre leur point de vue personnel qui révolutionne la face du monde.

• UNE PERTE DE CONTACT AVEC LE TERRAIN ?
Les Etats Généraux de l’Ecologie Politique ont conduit vers Ecolo beaucoup de nouveaux militants venus d’horizons très divers et régénérant le parti. Aujourd’hui, on voit moins de monde dans nos commissions internes, et nous avons sans doute eu trop tendance à poursuivre la discussion dans des locaux Ecolo ou des lieux cosy, plutôt que chez « les gens » ou dans les arrière-salles de bistrot. Il faut être très militant quand on habite Mouscron, Arlon ou Verviers pour courir à Namur régulièrement. Ne serait-il pas temps d’imaginer d’autres formes de contacts, de réflexions pour nos groupes de travail et commissions ?

• AUCUN DROIT A L’ERREUR ?
Parti à l’éthique politique forte, Ecolo se retrouve attaqué de toutes parts, s’il n’est pas cohérent avec lui-même, mais aussi s’il l’est… On ne nous pardonne aucun faux pas : dès que nous nous éloignons d’un pas de notre ligne de conduite, la presse, les autres partis, la population nous montrent du doigt. Par exemple, si Ecolo est soupçonné d’avoir nommé quelqu’un en fonction de sa couleur politique. Mais si nous sommes cohérents avec nous-mêmes, notre programme ou même les lois votées par quasiment l’ensemble des partis, on nous le reproche également, nous sommes traités d’intégristes ou d’assassins de l’économie. Ainsi, l’épisode de la loi interdisant la pub pour le tabac.
Les autres partis, eux, peuvent prendre beaucoup de latitude avec la cohérence : on ne leur en veut pas, puisque « on sait bien comment ils fonctionnent »…

Nous sommes l’objet des caricatures les plus bêtes et méchantes, de raccourcis, de slogans grossiers et assassins. Nous voilà responsables non seulement du départ de Francorchamps du GP de F1, mais aussi du prix du tabac, de celui de l’essence, des sacs poubelles, de la faillite de la Sabena et de tous les maux que connaît la Belgique.
Les partis traditionnels ont réussi à nous diaboliser, usant de slogans simplistes qui ont fait mouche. Impossible d’y répondre par d’autres slogans, nous devons, à chaque fois, tenter d’entrer dans un débat argumenté, forcément plus long, beaucoup plus nuancé. Encore faut-il pouvoir débattre avec ces citoyens qui nous vomissent en refusant tout dialogue.

• LA DIFFICULTE D’EXPRIMER LE DEVELOPPEMENT DURABLE ?
C’est l’écologie politique qui a perdu ce 18 mai en Belgique. La défaite est la même en Flandre que côté francophone. Francorchamps ou les convergences à gauche n’expliquent donc pas tout. Et c’est bien là le plus inquiétant.
Le message du développement durable, avec ce qu’il a de visionnaire, est complexe à expliquer, il implique une démarche intellectuelle, une projection collective dans le temps et l’espace. Nous demandons aux citoyens de se situer dans un rapport double moi/nous, en Belgique/dans le monde, aujourd’hui/demain. Alors que nombre d’électeurs ne se soucient que du « moi, ici, maintenant » (parfois on peut le comprendre, mais pas toujours !, vu leur précarité).
Globalement, Ecolo a un bon programme, extrêmement dense, ni racoleur ni facile, il gagnerait à être « popularisé ». Les priorités programmatiques ne sont pas apparues clairement dans cette campagne, surtout celles qui touchent au souci premier du citoyen : l’économie et l’emploi.

• HORS JEU A LA STAR AC ?
Les partis traditionnels ont gagné :
- le MR grâce à la visibilité et au travail de L. Michel, mais aussi à son populisme : demain, une nouvelle diminution de la pression fiscale. Pour beaucoup de citoyens (dont des jeunes !), l’équation est simple : Ecolo = des taxes, toujours des taxes, MR = moins de taxes ;
- le PS grâce à la visibilité d’E. Di Rupo, mais aussi à son ravalement de façade très réussi, même si derrière la façade bien des vieilles pratiques se poursuivent. La force du PS aura été de se présenter comme le parti porteur de renouveau !
Ecolo a été éliminé de la Star Academy. Les campagnes sont fortement personnalisées, peut-être pas plus aujourd’hui qu’hier ( ?), mais le contexte – qu’on le veuille ou non – a changé. A l’époque de Loft Story et autre Nice People, il suffit d’apparaître à la télé pour exister. Le « Vu à la télé » est vendeur. Di Rupo, Michel et tous les barons locaux du PS et du MR ratissent un maximum de voix, même si certains d’entre eux savaient pertinemment qu’ils ne siégeront pas dans les assemblées pour lesquelles ils ont été élus.
La présence de Wilmots sur les listes du MR, et surtout ses déclarations indiquant qu’il ne connaît rien en politique et qu’il n’a pas véritablement l’intention de siéger montrent bien en quelle estime le MR tient ses électeurs. Mais ceux-ci adorent !
Ecolo a toujours refusé de personnaliser ses campagnes, mettant en avant ses idées et son programme. Il faut sans doute constater aujourd’hui un manque de visibilité de celles et ceux qui portent ces idées et ce programme.
Notre souci et notre respect de l’éthique en politique n’est pas payant : les parlementaires Ecolo assument leur fonction à temps plein (ou plus !), sans assumer d’autres fonctions politiques ou professionnelles. Ministres et parlementaires verts rétrocèdent à leur parti une part importante de leur indemnité parlementaire. Nous n’avons jamais placé sur nos listes de vedettes capteuses de voix qui ne siégeront jamais dans leurs assemblées. Aucun de nos candidats n’a occupé deux places sur les listes.
Tout cela n’empêche pas des citoyens de nous mettre dans le même sac que les autres, « ces pourris qui roulent en Mercedes et s’en mettent plein les poches ».
Il n’est évidemment pas question de modifier ces règles, mais il faut constater qu’elles ne sont pas perçues et/ou pas prises en compte par l’opinion publique.

• UN REFUS DU CHANGEMENT CHEZ L’ELECTEUR ?
L’électeur veut-il vraiment le changement ? On peut sans doute reprocher bien des choses aux cabinets Ecolo, notamment d’avoir parfois manqué de dialogue avec les syndicats, avec les associations de terrain. Mais il faut bien constater que les résistances au changement ont été terribles chez beaucoup d’acteurs : par exemple, à la SNCB, dans l’enseignement, chez les futurs riverains d’éoliennes. Le message adressé en 99 à Ecolo par l’électeur était une forte demande de changement. Quand il s’est agi de mettre en œuvre ce changement, les résistances se sont révélées terribles : « changez tout chez mon voisin, mais chez moi tout va bien, merci ».
Comme tout parlementaire, j’ai reçu des courriers de personnes (en général s’affirmant électrices Ecolo. Allez savoir…) demandant que je les soutienne, souvent auprès du cabinet Nollet, dans la recherche d’un emploi. Mes réponses expliquant que ce type de démarche n’entrait pas, bien au contraire, dans les pratiques écologistes m’ont parfois valu des retours de flamme courroucés, voire des injures.
Se rendant compte qu’ils devaient eux-mêmes prendre leur part dans le changement, certains électeurs nous ont quittés, souvent pour le PS dont on connaît les pratiques clientélistes et le double langage. Mais il ne m’étonnerait pas que ce soit parfois pour voter pour le FN. Aux présidentielles françaises de 2002, on a pu constater que le vote FN ne s’exprimait pas seulement dans les banlieues oubliées ou dans les régions sinistrées, mais aussi dans des quartiers cossus, un vote petit-bourgeois qui exprime un retrait de la vie en société, une élévation des murs (au propre comme au figuré) pour protéger sa petite personne. Nous vivons aujourd’hui dans une société très individualiste où chacun voudrait voir les règles appliquées à son avantage, tout en se retirant du jeu collectif.


Ecolo hors jeu, la vie politique va pouvoir se normaliser. Je ne crois pas aujourd’hui à une polarisation gauche-droite : en route pour un gouvernement centriste. A coucher ensemble, PS et MR vont faire des petits. L’aînée s’appellera Pensée Unique Socialibérale. Et les jumeaux Petits Arrangements entre Amis.
Il faut reprendre le début (ce n’est qu’un combat), continuer à lutter pour les électeurs qui nous font toujours confiance, qui croient comme nous que l’écologie politique est la seule voie.
Qui donc a dit : gardons le pessimisme pour les jours meilleurs ?



Michel Guilbert, le 21 mai 2003