mercredi 24 avril 2024

Déjeuner en paix

Il y a des matins comme cela. On ne s'y attend pas, on se lève, on boit un café, comme chaque matin, on lit les infos. Pour une fois, on y découvre de bonnes nouvelles : Kadyrov, le boucher de Grozny, n'en a plus pour longtemps, en phase terminale de cancer (1) ; des drones ukrainiens ont détruit des sites énergétiques dans cette URSS que certains appellent Russie (2) ; un témoin et ex-ami a lourdement chargé Ubu Trump au premier jour de son procès (3). On se dit que cette journée commence bien, qu'il pourrait bien y avoir, un jour, une justice.
Et puis, on lit les informations régionales. Et bardaf, c'est l'embardée. L'Action française, ce vieux groupe d'extrême droite rance et antidreyfusard qu'on croyait mort depuis longtemps, a manifesté à Bélâbre contre le projet d'ouverture d'un centre d'accueil pour réfugiés (4). Délogés par la police, les militants fascistes et royalistes sont revenus se filmer à l'entrée du bâtiment qui abritera le centre et annoncent qu'ils reviendront encore et encore. On soupire. L'extrême droite est partout, même chez nous. Inlassablement, elle répand sa haine et sa bêtise jusque dans les campagnes. Ses militants, courageusement masqués (défendent-ils la burqa ?), affirment que rien ne les arrêtera. Ils lancent une cagnotte en ligne.  Pour racheter la matraque et les fumigènes que leur a confisqués la police ? Ils ont un slogan : « pour que vive la France, vive le roi ». La France vit bien et vivra sans mieux sans eux. De quel roi parlent-ils ? Le roi des cons ? 

(1) https://www.lalibre.be/international/europe/2024/04/23/le-dirigeant-tchetchene-ramzan-kadyrov-en-phase-terminale-comment-son-equipe-tente-de-faire-taire-les-rumeurs-en-vain-6P2T6OHQEBGDZG5BI52Q4OF7HA/
(2) https://www.lalibre.be/international/europe/guerre-ukraine-russie/2024/04/24/guerre-en-ukraine-des-sites-energetiques-en-feu-en-russie-apres-des-attaques-de-drones-selon-les-autorites-EUJKOVFSZRCCLN5G22LLSRMOMY/
(3) https://www.lalibre.be/international/2024/04/23/regard-noir-journalisme-de-chequier-et-liaisons-secretes-achetees-le-premier-temoin-du-proces-de-trump-pourrait-bien-sceller-son-sort-JCBWK4NJQJGCTCYZI3ZMJNOAJI/
(4) https://www.lanouvellerepublique.fr/indre/commune/belabre/le-groupe-d-extreme-droite-action-francaise-entend-poursuivre-sa-bataille-contre-le-cada-de-belabre

lundi 22 avril 2024

Toxique et séduisant

Aider l'Ukraine, c'est sauver notre démocratie (voir billet précédent). L'historien américain Timothy Snyder ne dit pas autre chose (1). Il rappelle la toxicité de Vladimir Poutine, tant dans son propre pays qu'à l'ouest, mais aussi en Afrique : en Russie, "depuis le début des années 2000, Poutine étend son pouvoir en minant le processus électoral et en contrôlant les richesses. Il détourne l'oligarchie à son profit pour s'imposer comme le plus puissant, le plus riche des oligarques. Depuis son arrivée au pouvoir, la politique intérieure est figée, la mobilité sociale n'existe pas. Il lui faut donc déployer une politique étrangère spectaculaire et exporter le chaos : il a besoin de faire croire que la corruption et le mensonge ne sont pas l'apanage de son régime mais qu'ils se répandent partout." Sa propagande tend à faire croire que nulle part, et surtout pas en Europe de l'ouest, la démocratie n'est respectée. "L'Ukraine est ainsi devenue un grand danger après la révolution de Maïdan (2014), quand elle s'est affirmée en tant que démocratie électorale et quand elle a mis en avant son désir d'intégration à la Communauté européenne. Si la démocratie est mise à mal en Russie, elle doit aussi l'être ailleurs."
On sait que Poutine et sa clique ont fait et font tout ce qu'ils peuvent - et ils peuvent beaucoup - pour favoriser les mouvements d'extrême droite en Europe, pour pousser le candidat Trump aux Etats-Unis et pour amener les Britanniques à choisir le Brexit. Toujours plus de chaos et moins de démocratie, c'est leur devise. Dans son livre (2), Timothy Snyder parle d'eux comme de "schizo-fascistes", "de véritables fascistes qui traitent leur adversaires de fascistes". Pour lui, "la Russie est aujourd'hui, selon toutes les définitions, un Etat fasciste : un parti unique, un leader dans le style de Hitler ou de Mussolini qui célèbre le primat de la volonté sur la raison, qui glorifie la guerre, mobilise la population et fait prospérer des théories du complot, contre les Juifs ou les lobbys homosexuels accusés de détruire les valeurs traditionnelles." Poutine reproduit beaucoup de pratiques de la Seconde guerre mondiale, affirme-t-il. "Il mène cette guerre selon une logique fasciste dans laquelle l'autre camp n'existe pas. L'Ukraine n'est pour lui ni un Etat ni une nation, il est normal de l'anéantir."

Poutine veut à la fois réécrire l'histoire et gommer le passé. "La propagande russe vise à effacer toute compréhension du passé. Vladimir Poutine proclame que la culture russe est menacée, mais en réalité il fait la guerre aux historiens. Il a fait fermer des ONG comme Memorial (3), qui avait entrepris un travail considérable pour mettre à nu les crimes du pouvoir soviétique, notamment sous Staline, ou de l'armée russe en Tchétchénie. Il mène des actions en justice contre des historiens, et une loi punit ceux qui publient sur Internet des informations sur le passé. Tous les politiciens qui essaient aujourd'hui de détruire la démocratie de l'intérieur procèdent ainsi, ils ramènent l'histoire au mythe d'une innocence perdue qu'il faut reconquérir."

Que pouvons-nous faire ? Pas grand-chose en attendant la chute inévitable du leader fasciste, sinon "aider l'Ukraine à gagner la guerre, ce qui contribuera à définir les paramètres d'une Russie du futur". 
Et pourtant, on ne les compte plus toutes celles et tous ceux qui à l'extrême droite comme à l'extrême gauche, à l'extrême jaune comme à l'extrême complotiste qui refusent de condamner le tueur en série. "Parce que, disait ce matin Sophia Aram (4), pour les poutinolâtres, on aurait apparemment tout à gagner à ne pas énerver la bête, surtout quand elle est occupée à dévorer quelqu'un d'autre que soi ou à continuer après vingt ans d'échecs à négocier avec le boucher de Grozny, d'Alep et de Butcha. C’est vrai, ça, on ne sait jamais, au fond de chaque criminel de guerre, sommeille peut-être l'âme d'un futur prix Nobel de la paix. (...) Un homme qui élimine ses opposants, assassine des journalistes, bombarde Irpin, Sebastopol ou Kherson, pactise avec Bachar Al Assad, s'allie avec les mollahs, assujettit la Tchétchénie et la Biélorussie, déstabilise la Géorgie, annexe la Crimée, lance des cyber-attaques, fait de l’ingérence dans les campagnes électorales américaines ou françaises, systématise le viol et la torture comme arme de guerre, organise la déportation d’enfants... Cet homme, cache peut-être au fond de lui une aspiration au dialogue."
Les partis politiques occidentaux qui soutiennent ou en tout cas refusent de condamner le monstre devraient faire fuir les électeurs. Et c'est le contraire. "Eh bien vous me croirez ou pas, dit encore Sophia Aram, pendant ce temps-là, à un mois des élections européennes, près de 46 % des Français s'apprêteraient à voter pour des partis qui n'ont absolument pas conscience que les Ukrainiens se battent aussi pour notre souveraineté, ou pour des partis qui considèrent que Poutine est un modèle ou un banquier." Poutine fascine. Le chaos gagne les têtes.

(1) "La stratégie du chaos", Télérama, 21.2.2024.
(2) Timothy Snyder, "La route pour la servitude. Russie, Europe, Amérique", éd. Gallimard, 2024.
(3) https://memorial-france.org/
(4) https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-22-avril-2024-9568929

dimanche 21 avril 2024

Armement pacifiste

Il fut un temps, pas bien lointain, où nous étions invités à refuser que nos impôts servent à financer les armements. C'était un temps où nous pensions, naïfs que nous étions, que la guerre jamais ne nous concernerait. Que nous vivions et vivrions en paix dans une Europe dont l'union nous préservait du pire, de l'impensable. Et voilà qu'un petit homme voisin, mauvais comme une teigne, sombre comme un tunnel sans issue, hargneux comme le Père Ubu, a fait de la guerre sa vie, décidant de venger les erreurs de ses prédécesseurs en pensant redonner du prestige à  son immense pays qui d'empire n'était plus que le plus vaste de la planète, ce qui le désespère.
Et nous voilà à réclamer de nos gouvernants qu'ils fassent produire des armes, des systèmes de défense, des missiles aux coûts exorbitants  pour donner à l'Ukraine les moyens de se défendre. De nous défendre. Et nous voilà, nous pacifistes, à nous réjouir d'apprendre  que la Chambre des Représentants américaine a décidé d'attribuer à l'Ukraine une nouvelle aide de près de 60 milliards de dollars pour mieux se défendre contre l'agresseur russe. On attend un même geste fort de l'Union européenne dont les promesses sont trop peu respectées. C'est la vie des Ukrainiens qui est en jeu, c'est leur indépendance, leur liberté. Qui peut hypocritement penser que cette guerre n'est pas la nôtre ? Si l'Ukraine perd cette guerre, c'est l'Union européenne qui mourra et avec elle la démocratie et notre liberté. 
La guerre sera toujours une erreur, mais refuser de l'affronter quand elle est à nos portes, c'est poser sa tête sur le billot du bourreau. 

vendredi 19 avril 2024

C'est normal

Le Front du Rassemblement national s'est normalisé.  Il faut donc s'inquiéter de ce qui est devenu la norme.
Le 7 avril dernier, dans le cadre du carnaval de Besançon, des militantes d'un collectif d’extrême droite ont brandi des pancartes associant les termes “immigrés” et “violeurs” » (1). Habituellement, la notion de carnaval est associée à celle de fête. Mais pas pour l'extrême droite qui profite de cette occasion pour exprimer sa haine normale. « Ces propos essentialisants, qui constituent des incitations à la haine envers les étrangers, m’ont conduit à déposer plainte le même jour pour incitation à la haine raciale », a déclaré la maire écologiste de Besançon. Elle a reçu en retour des menaces de viol, des centaines d’injures et de propos haineux ou dégradants. Normal. Elle a à nouveau déposé plainte. Quelques jours plus tard, des élus du Rassemblement national ont brandi des pancartes identiques en pleine séance du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, pour soutenir les deux femmes poursuivies pour leurs propos haineux. Normal. Cette fois, c'est la présidente du Conseil régional qui a déposé plainte. Elle a également dénoncé l’usage par un des élus du RN du mot Untermensch (« sous-homme » en allemand) au sein de l’hémicycle, une expression empruntée au vocabulaire nazi. Normal. 
Jordan Bardella, président du parti d'extrême droite, affirme catégoriquement qu'il n'y a pas de racistes dans son parti normal.

Le quotidien Le Monde a analysé (2) les positions prises par le parti normal d'extrême droite au Parlement européen concernant les relations internationales. "Soutien à des régimes autoritaires, refus de dénoncer l’application de la peine de mort ou d’autres sévices contre des opposants politiques, ignorance des cas de violations des libertés fondamentales : les centaines de décisions prises par les eurodéputés du RN à Bruxelles et à Strasbourg, analysées par Le Monde, offrent un panorama des relations internationales telles que le mouvement d’extrême droite les envisage." Soutien constant au Kremlin, refus de condamner la loi russe sur les « agents de l’étranger » (2019), rejet de la résolution consécutive à l’empoisonnement d'Alexeï Navalny (2020), rejet du soutien apporté à la société civile réprimée et notamment à l’organisation de défense des droits de l’homme Memorial, abstention sur la plupart des textes pris en soutien à l'Ukraine, etc. "Cela ne nous regarde pas",  affirment les élus RN qui ne veulent pas avoir l'air de toucher à la souveraineté d'un pays. Comme si la souveraineté ukrainienne était pleinement respectée. De toute façon, l'analyse du Monde démontre combien les députés frontistes appliquent ce principe de non-immixtion, de manière très variable selon les régimes concernés. Et défendent systématiquement les régimes autoritaires ou illibéraux. Normal.

Jordan Bardella est tête de liste de son parti pour les élections européennes. "La coquille vide d'idées mais remplie d'orgueil du RN", comme le qualifie l'hebdomadaire Franc-Tireur, est en campagne mais refuse les débats avec ses adversaires. Il envoie des seconds couteaux, préférant serrer des mains et débiter des âneries. Son adversaire du parti présidentiel, Valérie Hayer, affirme que Bardella "aborde cette campagne de la même manière qu'il a abordé son mandat au Parlement européen : sans aucun respect pour les Français". Normal ?

(1) https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/04/12/la-maire-de-besancon-harcelee-en-ligne-apres-sa-plainte-contre-des-pancartes-antimigrants_6227481_823448.html
(2) https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/04/17/au-parlement-europeen-le-rn-soutien-constant-des-regimes-autoritaires_6228263_823448.html

mardi 16 avril 2024

Déréglés

C'est une étrange mode. Il est de bon ton de faire la guerre. Vladimir Poutine n'a jamais vécu que pour cela. Chef de guerre, c'est son destin. Depuis vingt-cinq ans qu'il est au pouvoir, il provoque des conflits armés. S'il devait parvenir à conquérir l'Ukraine, ce sont d'autres territoires voisins qui craignent pour leur indépendance : la Moldavie, les Etats baltes, la Pologne...
Les Iraniens, eux, ne menaient la guerre que par milices interposées : le Hezbollah, le Hamas, les Houthis. Voilà qu'en attaquant Israël ils renouent directement avec une pratique qu'ils avaient abandonnée depuis 1988 et la fin de la guerre qui les opposaient à leurs voisins irakiens. Le Hamas est en guerre contre Israël et réciproquement. Après la Syrie, c'est le Yemen qui depuis des années se déchire, tout comme le Soudan où la guerre des généraux - qui a débuté il y a exactement un an - a déjà provoqué 15.000 morts et déplacé 8,4 millions de personnes. Dans l'indifférence du reste du monde. Il y a des guerres qui révoltent et mobilisent l'opinion publique et il y a celles qu'on préfère ignorer.
Et puis, c'est la Chine qui menace Taïwan, la Corée du nord celle du sud, le Venezuela  qui aimerait faire main basse sur l'Essequibo au Guyana voisin, les guerres qui se poursuivent, dans la même indifférence mondiale, dans l'est de la République démocratique du Congo.
Partout les budgets militaires sont revus à la hausse. C'est qu'il faut se préparer si pas à une attaque, du moins à une défense éventuelle. Tous les moyens devraient être mobilisés pour lutter contre le dérèglement climatique, mais certains préfèrent les consacrer à dérégler les rapports humains. On pensait que le sens de l'Homme était de devenir plus intelligent de siècle en siècle. On se trompe.  
Sur les réseaux prétendument sociaux, tant de gens mènent leur guerre, verbale cette fois, vouent aux gémonies qui ne pense pas comme eux et pousse chacun à choisir son camp contre l'autre. La nuance et le doute n'ont pas plus de place que l'analyse dans leurs vies si sûres d'elles. La guerre et la haine avancent de concert. Avec la bêtise.

mercredi 10 avril 2024

Souverainement égoïstes

Les êtres souverains, on vient de les découvrir à l'occasion d'une video ahurissante (1) et on ne sait comment les qualifier. Celles et ceux qui se présentent comme tels affirment ne rien avoir affaire avec la société. Ils ne reconnaissent pas l'autorité de la police ou de la justice, refusent de payer impôts ou amendes, ne "contractent" pas avec les autorités publiques et leurs lois. A leurs yeux, les Etats sont illégitimes, juste des sociétés privées "enregistrées à Washington". Dans la video de ce couple de Drômois contrôlés par la police à Dunkerque, on les entend refuser de donner leurs papiers aux gendarmes qui les contrôlent. Ils leur donnent oralement un nom - "Pierre de la famille Legrand par ouï-dire" -, à écrire "en minuscule s’il vous plaît, car nous ne sommes pas des entreprises".
"Je n'appartiens plus à l'entreprise République française Présidence. C'est une société depuis 1947. Et vous, vous êtes aussi enregistrés à la secte Washington DC sous un numéro, ce qui fait de vous des mercenaires sur le sol français." Voilà ce qu'affirme, péremptoire, le conducteur, avant de voir la vitre de sa voiture éclatée par le gendarme qui ne trouve pas d'autre moyen de le faire sortir de son véhicule. Sa femme, qui ne cessait de répéter "on ne contracte pas", hurle : "vous n'avez pas le droit !". Les non contractés ne sont pas décontractés.

Quand on tape "êtres souverains" sur un moteur de recherche, on effectue une plongée vertigineuse dans un monde halluciné : celui de gens, de personnes, d'êtres humains - on ne sait plus comment les qualifier selon leurs règles (l'un se présente comme "homme naturel vivant" !)  - centrés sur eux-mêmes, qui relèvent visiblement de la psychiatrie. "C'est ma personne, mais ce n'est pas moi", déclare l'un d'eux à un policier qui vient lui déposer une citation à comparaître au tribunal (2).  Il nage en pleine schizophrénie.
Etre souverains et refuser d'appartenir à leur Etat ne les dispense pas visiblement pas de rouler sur des routes, de circuler dans des espaces publics aménagés, entretenus et éclairés par les pouvoirs publics. Ils devraient les éviter s'ils allaient jusqu'au bout de leur logique, ne pas utiliser de transports publics, ne pas fréquenter les hôpitaux publics, ne pas accepter la moindre pension ou aide publique, ne pas faire appel à la police ou aux services de secours en cas de problème. Que font-ils si leur maison brûle ? 

Aujourd'hui, les partis populistes ont le vent en poupe. Ils se présentent le plus souvent comme souverainistes, veulent prendre leurs distances avec l'Union européenne, avec l'OTAN, avec toutes les instances internationales. Leur Etat doit se gérer seul. Ils n'ont pas plus peur de leurs contradictions que les êtres souverains. Ce sont souvent les mêmes partis qui se disent souverainistes et se montrent très tolérants à l'égard de la Russie qui fait la guerre à l'Ukraine pour la conquérir et ainsi mettre fin à sa souveraineté. Que feront-ils ces souverainistes si demain la souveraineté de leur Etat est attaquée alors qu'ils se seront retirés d'instances internationales basées sur la solidarité entre leurs membres ?
La présidente du Conseil italien, la souverainiste Giorgia Meloni, a dû faire machine arrière sur ses principes, comprenant à quel point son pays a besoin de l'Union européenne pour faire face aux vagues migratoires.
A ce propos, que pensent les êtres souverains de l'immigration ? Si personne n'appartient un Etat, tout le monde a le droit de s'installer où il l'entend. Allez savoir pourquoi, on n'est pas sûr qu'ils soient d'accord avec cette logique. Avec leur logique, si ce mot a un sens pour eux.

(1) https://www.youtube.com/watch?v=0Le5LJtW7RU
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/04/07/je-ne-contracte-pas-les-etres-souverains-ces-complotistes-qui-nient-l-autorite-des-etats_6226391_4355770.html
(2) https://www.youtube.com/watch?v=mYrgI1-vZuM



dimanche 7 avril 2024

Hypocrisie éternelle

On a parfois du mal à comprendre les décisions politiques. Ou on les comprend trop bien.
On se félicite évidemment que les députés français aient adopté à l'unanimité une proposition de loi restreignant la fabrication et la vente de produits contenant des PFAS, ces substances per- et polyfluoroalkylés, qu'on appelle aussi « polluants éternels » à cause de leur interminable cycle de vie et de leur impact négatif sur la santé. "Le texte, indique Le Monde (1), propose de réduire l’exposition de la population à ces molécules en interdisant la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de certains produits qui en contiennent."

On retrouve des PFAS entre autres dans les emballages alimentaires, les textiles et les automobiles. Et aussi dans les poêles en téflon. Mais celles-ci ne sont pas concernées par l'interdiction. Le lobbying des salariés de l'entreprise Seb - qui prétendaient que leurs emplois étaient en jeu - a été payant.
"Le camp présidentiel avait rapidement sorti du périmètre du texte les ustensiles de cuisine, explique Le Monde. La majorité avait d’abord proposé de repousser l’interdiction concernant les ustensiles de cuisine de 2026 à 2030, un compromis rejeté par les écologistes, qui ne voulaient pas aller au-delà de 2027. Le camp présidentiel a répliqué en supprimant purement et simplement l’alinéa concernant ces produits. « Encore une fois », la majorité alliée aux Républicains et au Rassemblement national aura « cédé aux lobbyings [du fabricant] Seb, au détriment de la santé des Français. C’est une honte », ont réagi les députés écologistes."

On repense à l'interdiction de la publicité pour le tabac en Belgique il y a quelque vingt-cinq ans. Les organisateurs d'évènements sponsorisés par une marque de tabac avaient eu un délai de plusieurs années pour se trouver d'autres soutiens. Mais la fédération internationale automobile n'avait rien voulu savoir et menaçait de retirer le grand prix de Spa-Francorchamps de son calendrier des courses de Formule 1. Tous les partis politiques, une partie de la presse et d'innombrables citoyens s'en étaient pris aux écolos accusés de vouloir la mort de la Wallonie, pas moins. L'emploi (direct dans le cas de Seb, indirect dans celui de la F1) et l'électoralisme pèsent plus que la santé et l'environnement. Les élus (des élus) sont faibles. Et hypocrites.

Ceci dit, l'interdiction des PFAS dans les autres produits est naturellement une bonne décision. D'autant qu'elle s'accompagne d'autres mesures : l’application du principe pollueur-payeur, avec une taxe visant les industriels qui rejettent des substances per- et polyfluoroalkylées, l’obligation de contrôler la présence de PFAS dans l’eau potable sur tout le territoire et la fin des rejets aqueux de PFAS dans les cinq ans.

Cette loi - qui doit encore être adoptée par le Sénat - a été votée par 213 députés parmi les 577 que compte l'Assemblée nationale française : 56 de LFI (19 étaient absents), 8 de la Gauche démocrate et républicaine (14 absents), 14 du PS (17 absents), 20 des Verts (1 absent), 56 de Renaissance, le parti macronien, (113 absents), etc. Les 4 LR présents (sur 61) et les 22 RN (sur 88) se sont abstenus (voir tableau dans l'article du Monde). On voit par là que les problèmes de santé publique ne passionnent pas les parlementaires et que ceux de droite et d'extrême droite n'ont pas d'opinion sur cette question sensible. 

(1) https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/04/04/pfas-les-deputes-adoptent-une-proposition-de-loi-visant-a-reduire-l-exposition-aux-polluants-eternels-sans-interdire-les-ustensiles-de-cuisine-qui-en-contiennent_6225927_3245.html


lundi 1 avril 2024

Make Pope Great Again

Plus rien n'arrête Donald Trump. Ses ambitions sont aussi infinies que sa suffisance. Le vendeur de Bible (voir billet précédent) a annoncé ce lundi de Pâques qu'il espérait bien être élu pape. François n'a pu, vu son état de santé lié à son grand âge, participer au chemin de croix vendredi soir. Donald Trump table donc sur un remplacement prochain du pape et rêve d'être le premier pape président d'un pays autre que le Vatican. Il estime être le mieux placé pour occuper la fonction : personne au monde ne met mieux que lui en application le précepte du Christ "Tu aimeras ton prochain comme toi-même".  "Quand on sait combien je m'aime, on peut imaginer combien j'aime les autres", a-t-il déclaré. Il se voit donc déjà à la fois président des Etats-Unis, pape et chef d'Etat du Vatican. Il compte régner sous le nom de Maquereau Ier.

Post-scriptum du lendemain :
la date de publication de ce billet a toute son importance. Il s'agissait d'un poisson, en l'occurrence ici d'un maquereau, d'avril. Il est vrai qu'il est difficile de plaisanter à propos de Trump tant l'invraisemblable est toujours possible avec lui.
A ce propos, sait-il ce qu'est plaisanter ? Et n'est-ce pas une caractéristique des autocrates que d'être imperméable à l'humour ? Quelqu'un a-t-il déjà vu rire Poutine ? 

samedi 30 mars 2024

La Bible trumpisée

On savait depuis longtemps que cet homme avait vendu son âme au Diable. Voilà qu'il la vend à Dieu aussi. Ou plutôt qu'il vend la parole divine. Donald Ubu Trump est maintenant représentant en Bible. Il vend son "livre préféré".  Du moins la version "Bible God Bless the USA", soit une Bible spéciale Trump, "la version du roi Jacques", explique-t-il, qui comprend également "les documents de nos pères fondateurs", à savoir "la Constitution pour laquelle je me bats chaque jour très durement", mais aussi les paroles de la chanson "God Bless the USA" d'un chanteur conservateur.  Suffisant Ier explique qu'on trouve dans sa foutraque version biblique notamment le Serment d'allégeance, celui-là même qu'il a rompu en appelant à prendre par la force le Capitole suite à sa défaite de 2020.
Ce Témoin de Jehovah inattendu a donc mis son nom sur un texte sacré qu'il vend soixante dollars l'unité. "Vous devez l'avoir pour votre cœur et votre âme." Et surtout pour son portefeuille. C'est qu'il doit payer une caution de 175 millions de dollars à la suite d’une de ses innombrables affaires de fraude. Il faut se la procurer pour Pâques, clame-t-il. Il y a urgence. Le site Internet où on peut la commander propose également des casquettes "Make America Pray Again". Avec un tel couvre-chef sur la tête, la Bible s'éclaire sûrement d'un jour nouveau.
On voit par là qu'Ubu Trump est prêt à tout pour gagner des voix et de l'argent. Plus infatué que jamais. Pathétique aussi en démarcheur à domicile qui veut faire croire qu'il doit faire son chiffre quotidien pour ne pas se retrouver à la rue.

Je vends des robes
Des pulls et des manteaux, des bas, des gants
Des jupes, des pantalons
Des sacs, des ceinturons
Des slips et des manchons
De toute espèce, qui me font tourner en bourrique
Nino Ferrer, "Je vends des robes".

https://www.lexpress.fr/monde/amerique/trump-et-la-bible-pour-paques-le-nouveau-commerce-juteux-de-lex-president-4EUVKOUCL5DQ3EEM3IO4T7EH5Q/
https://video.lefigaro.fr/figaro/video/vous-devez-lavoir-donald-trump-vend-des-bibles-avant-paques/

jeudi 28 mars 2024

Le diable s'habille en raciste

Le Front du Rassemblement national s'est-il dédiabolisé ou le diable s'est-il banalisé ? Le parti d'extrême droite caracole en tête dans les sondages, malgré ses liens troubles avec la Russie de Poutine et malgré la bêtise avérée de ses dirigeants. On a vu, lors du débat du second tour de l'élection présidentielle en 2017, combien la fille à papa Le Pen était incompétente en quasiment toutes matières. Son successeur à la tête du parti ne vaut guère mieux, lui qui se prend les pieds dans le tapis en toutes occasions. Un jour, au contraire de la position de son parti, Jordan Bardella défend les prix planchers pour les agriculteurs, avant de s'y opposer le lendemain comme si de rien n'était ou comme s'il souffrait d'Alzheimer. Auditionné par la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises, il propose d'instaurer un délai de trois ans pour les entreprises qui passent le cap des cinquante salariés, histoire de leur laisser un temps d'adaptation aux nouvelles règles qu'elles auront alors à respecter. Il ignorait que ce délai existe déjà et qu'il est de cinq ans. Un de ses anciens coachs affirme que Bardella "ne travaille pas, ne lit pas et ne s'informe pas". Il n'arriverait pas à enregistrer ce que lui transmet son nouveau coach qui a "trop de fond pour Bardella". (1) Mais qu'importe ce qu'il sait et ce qu'il dit ? L'important est qu'il soit rassurant et souriant. Mais qui peut donc être rassuré par un homme qui démontre une telle faiblesse intellectuelle? 

Qui peut faire un confiance à un parti qui ne s'est aucunement dédiabolisé et qui reste coincé dans son vieux racisme ? Ce matin, l’Assemblée nationale a voté un texte qui demande au gouvernement d’instaurer une journée de commémoration du massacre du 17 octobre 1961 à Paris. Ce jour-là, une manifestation pacifique de 30.000 Algériens avait été violemment réprimée par la police sous les ordres de Maurice Papon. Le bilan officiel n'était que de trois morts et une soixantaine de blessés. Les historiens, eux, évoquent « au moins plusieurs dizaines » de morts, entre une trentaine et deux cents. Soixante-sept députés ont voté pour le texte et onze contre, tous membres du Rassemblement national. Le diable réside toujours au RN où les ratonnades sont ignorées. A moins qu'elles ne paraissent normales ? 

(1) "Le costume craque", Franc-Tireur, 27.3.2024.


mardi 26 mars 2024

Abject Ier

Il a fini par l'admettre du bout des lèvres : l'ignoble attentat qui a tué au Crocus City Hall à Moscou 144 personnes et en a blessé 285 (des chiffres sans doute encore provisoires) est le fait d' « islamistes radicaux ». Mais le criminel de guerre Vladimir Poutine veut voir derrière cette attaque meurtrière la main de Kiev : " Nous savons qui a commis cette atrocité contre la Russie et son peuple. Ce qui nous intéresse, c’est le commanditaire. " (...) " Il est important de répondre à la question de savoir pourquoi les terroristes, après leur crime, ont essayé de partir en Ukraine. Qui les attendait là-bas ? " 
Poutine ne se remettra évidemment jamais en question. Ses services de sécurité ont été défaillants, plus occupés à surveiller les citoyens qui fleurissent la tombe d'Alexeï Navalny qu'à protéger leurs concitoyens d'une attaque pourtant annoncée. "Trois jours avant le drame, écrit Le Monde (1), le chef de l’Etat balayait les multiples avertissements américains, publics mais aussi transmis de services à services, comme l’a confirmé la partie russe, quant à l’imminence d’une attaque : « Des provocations et un chantage évident, destiné à déstabiliser et effrayer notre société », disait Poutine le 19 mars devant ses anciens collègues du FSB (service fédéral de sécurité), préférant mettre l’accent sur les vrais ennemis menaçant le pays – les traîtres. "
Personne ne peut mettre en garde le tsar qui maîtrise tout ce qui se passe sur son territoire et même au-delà. Les citoyens russes ne demanderont pas - n'oseront pas, ne pourront pas demander - de compte à cet homme tout-puissant qui a démontré son impuissance mais se défausse toujours sur les autres. Cette attaque islamiste met à mal sa fable de ce pseudo sud global qui serait à ses côtés pour lutter contre l'Occident décadent. Le voilà agressé par le sud comme un vulgaire occidental.
"Cet attentat, écrit encore Le Monde, qui rappelle combien la menace djihadiste reste présente, y compris sur le sol européen, prend à revers le grand récit développé depuis des années par le maître du Kremlin. Ce récit fait de l’affrontement avec un Occident fantasmé, à la fois décadent et agressif, le seul enjeu existentiel auquel la Russie serait confrontée. Cet aveuglement est particulièrement contre-productif. Il suffit de porter le regard sur les régions du monde où le djihadisme continue de semer la mort après l’éradication de son sanctuaire moyen-oriental, comme en Afrique sahélienne, pour constater combien la mise en avant obsessionnelle de l’opposition entre Moscou et Washington, ou Paris, sert cette organisation terroriste."

Poutine se contentera d'allumer une bougie à la mémoire de ces centaines de victimes d'un crime que sa prétention l'a empêché d'éviter. 
Cet attentat, il en fait un argument de plus pour justifier sa guerre contre l'Ukraine. Les assaillants, prétend-il, fuyaient vers l'Ukraine qui a, c'est ce qu'il laisse entendre, commandité l'attentat. Ces terroristes présumés ont pourtant, selon certaines sources, été arrêtés plus près de la frontière biélorusse que de celle de l'Ukraine. Et comment auraient-ils franchi cette dernière alors qu'ils auraient dû traverser les lignes russes ? Mais le régime russe n'essaie pas d'être crédible, il a depuis longtemps abandonné tout souci de cohérence. Son président dit la vérité et celui qui oserait le contredire est un nazi et un traitre.
On doute cependant que Poutine ait été jusqu'à remercier l'Etat islamique au Khorassan. Il ne remercie personne. Il ne doit rien rien à personne. 

(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/25/attentat-de-moscou-des-failles-au-sommet-un-bouc-emissaire-a-l-exterieur_6224044_3210.html
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/03/25/attentat-de-moscou-vladimir-poutine-rappele-a-la-realite_6224059_3232.html

vendredi 22 mars 2024

Sainte haine des femmes

"Préserver les principes religieux et sauvegarder les normes et les valeurs culturelles”, voilà comment un député gambien a défendu un projet de loi visant à lever l’interdiction des mutilations génitales féminines (MGF) en vigueur dans le pays depuis 2015. Et très peu respectée. L’interdiction de l’excision est, selon ce député, une violation directe du droit des citoyens à pratiquer leur culture et leur religion. Exciser les femmes serait donc un droit. Imposé par une religion patriarcale. 

Le parlement gambien compte cinquante-huit députés et quarante-deux parmi ceux qui étaient présents ont voté en faveur de ce texte préhistorique. Seuls quatre députés ont voté contre. Le projet de loi est renvoyé devant une commission parlementaire qui doit effectuer un dernier examen avant un vote final dans trois mois. Selon la BBC, "les militants et défenseurs des droits de l’Homme dénoncent un “dangereux précédent” pour les droits des femmes en Gambie, pays à majorité musulmane et appellent à une mobilisation générale aussi bien à Banjul qu’à l’étranger". A contrario, "plusieurs militants pro-MGF se sont fortement mobilisés dans la capitale pour apporter leur soutien à ce texte". Ainsi donc, on peut militer pour pouvoir mutiler les femmes. Ce genre de rassemblement n’est pas une première en Gambie "où une personne qui est le parent d’un enfant mineur et qui s’oppose à ce que celui-ci subisse une MGF peut faire face à de la discrimination sociétale et à de l’ostracisme parce qu’il va à l’encontre des traditions culturelles ou familiales”, écrivait en 2016 le Home Office du Royaume-Uni. Si cet infâme projet de loi devait aboutir, la Gambie deviendrait le premier pays au monde à supprimer les protections contre les mutilations génitales féminines.

“Les autorités ne doivent pas se concentrer sur l’obligation religieuse et ignorer le mal et la douleur liés aux MGF”, affirme Jaha Dukureh, fondatrice de Safe Hands for Girls. “Nous refusons d’être réduites au silence. Nous refusons de rester les bras croisés pendant que les corps de nos filles sont mutilés, leurs futurs violés et leurs rêves brisés.” D'autres craignent que la levée de cette interdiction ne soit que la première d'une série d'autres, telle celles qui interdisent le mariage des enfants et les violences domestiques.
"Le corps des filles leur appartient et les mutilations génitales féminines les privent de l'autonomie de leur corps et leur causent des dommages irréversibles", écrit le bureau des droits de l’Homme de l’ONU en Gambie qui a également demandé le retrait du projet de loi.

Les imams qui ont fait pression sur les parlementaires sont en train de gagner. Le premier rôle des religions est visiblement de soumettre les femmes, de les priver de tout plaisir et de les maintenir à la maison sous le contrôle des hommes.
La grande marche arrière à laquelle on assiste un peu partout dans le monde se poursuit en Gambie.
Résumons-nous : les imams haïssent les femmes.

https://fr.africanews.com/2024/03/19/gambie-le-debat-sur-lexcision-renvoyee-devant-une-commission-nationale/

lundi 18 mars 2024

Tsar system

Pour une surprise, c'est une surprise : le chef mafieux Vladimir Poutine a été réélu à la tête de la Russie pour un cinquième mandat de six ans. Ne dites plus score nord-coréen, dites score russe et même stalinien. Le tueur en série a obtenu plus de 87% des voix. Il est vrai que le choix était restreint : les électeurs avaient le choix entre Poutine. Ce qui ressemble à une mauvaise, très mauvaise blague. Il y avait bien trois candidats fantoches qui étaient censés donner une apparence de démocratie à cette élection, mais personne n'est dupe. D'autant que tous les candidats d'opposition ont été écartés, soit interdits d'élection, soit tués, soit obligés de fuir, soit emprisonnés.

Poutine a reçu un nouveau mandat de chef de guerre, écrit Benoît Vitkine dans Le Monde (1). Avec des médias sous son contrôle absolu, il est aisé pour la clique du Kremlin de faire croire ce qu'elle veut, que la Russie est agressée, menacée et qu'il faut faire confiance au guide suprême, seul capable de sauver l'empire d'on ne sait quel péril et de lui rendre sa gloire. "Ce climat de tensions exacerbées a probablement renforcé le réel soutien dont bénéficie M. Poutine auprès d’une partie importante de la population. C’est même là le génie des propagandistes du Kremlin : avoir réussi à transformer l’invasion de l’Ukraine en une agression occidentale, et une guerre de conquête en un combat existentiel pour les « valeurs traditionnelles » ou la « souveraineté » de la Russie."
Cependant quel crédit faut-il apporter aux résultats ?, s'interroge Benoît Vitkine. "Ces dernières années, le pouvoir russe a multiplié les innovations permettant de rendre moins visibles, voire moins nécessaires, les falsifications les plus grossières : vote électronique ; vote sur trois jours ; réduction drastique des possibilités offertes aux citoyens qui le souhaitent d’observer le scrutin… Résultat : on a peu vu les dizaines de vidéos de bourrages d’urnes ou de votes multiples, qui font le folklore des élections russes depuis que des caméras ont été installées dans les bureaux, en 2012. Depuis 2021, l’accès à ces caméras a par ailleurs été restreint. A l’inverse, et de manière nouvelle, des entorses au secret du vote ont été constatées. Le Monde a pu voir des isoloirs sans rideaux et des urnes surveillées de près par des policiers. Plusieurs arrestations ont été signalées pour des messages inscrits sur des bulletins (qui ne sont en Russie pas fermés dans une enveloppe)."
On en rirait si la situation n'était aussi dramatique : à Stary Oskol, ville de 230 000 habitants, les 136 bureaux de vote de la ville affichaient tous, vendredi soir, à l’issue du premier jour de vote, un chiffre de participation identique de 47 %. On pense à Tintin chez les soviets

Quoi qu'il en soit, le dictateur sort renforcé de cette élection cadenassée. Ne reste plus à espérer qu'un cancer fulgurant emporte Poutine. Mais cet homme est en lui-même un cancer. Avec des métastases.

dimanche 17 mars 2024

Ces pacifistes qui aiment la guerre

Ils sont admirables, ces pacifistes. Ceux qui osent dire non à la guerre d'Ukraine. Il ne peut être question d'envisager de se retrouver dans une situation de guerre avec la Russie. "Le meilleur moyen d'affaiblir Poutine, c'est d'arrêter cette guerre", a clamé Mathilde Panot, chef de groupe à l'Assemblée nationale de la France soumise à la Paix à tout prix. Comment arrêter cette guerre ? En laissant à Poutine les territoires ukrainiens qu'il a envahis, ce qui revient à lui reconnaître la victoire et l'inviter à aller au-delà. Et tant pis si Poutine a affirmé clairement qu'il ne négocierait jamais, qu'il veut détruire l'Ukraine pour l'annexer définitivement à la Russie.
Que font les gentils pacifistes pour que cesse cette guerre ? Rien. Ils laissent faire et regardent ailleurs. Ils se contentent de dire "non à la guerre". Ils font penser à ces braves gens qui, il y a une trentaine d'années, avaient apposé à l'arrière de leur voiture un autocollant disant "non à la drogue". Comme si les toxicomanes allaient abandonner leur assuétude en les voyant. 
Les conditions de la paix, selon Poutine (il l'a répété le 14 décembre dernier) : "dénazification, démilitarisation et un statut de neutralité pour l’Ukraine".  Gérard Grunberg, politologue, directeur de recherche émérite au CNRS, constate (1) qu'il n'existe, pour Poutine, ni Ukraine ni nation ukrainienne. Ce pays fait partie de l’Empire russe : « La Russie est le seul garant de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. » (...) « S’ils veulent négocier, qu’ils le fassent. Mais nous ne le ferons que sur la base de nos intérêts. » 
"Chacun ou presque, écrit encore Gérard Grunberg, a désormais compris que le dessein du despote russe est de liquider purement et simplement l’Ukraine comme nation, comme pays, comme culture. Ses voisins, baltes, polonais, moldaves, géorgiens, finlandais, norvégiens sont profondément inquiets et la Finlande et la Suède, vieux pays neutres, ont fini par adhérer à l’OTAN face à l’envahisseur russe."

La position claire et ferme du dictateur russe n'empêche pas Manuel Bompard, coordinateur de cette France dite Insoumise, de plaider, malgré tout, pour une négociation avec lui. Pourquoi ? Hypothèse de Grunberg : "Lui et son parti ne considèrent pas l’enjeu ukrainien comme très important. Que le peuple ukrainien soit réintégré de force à la Russie – et on peut imaginer facilement ce que cela signifie – ne représenterait pas pour eux une catastrophe géo-politico-stratégique. Deux arguments peuvent soutenir cette hypothèse. Le premier est que Jean-Luc Mélenchon a appelé depuis longtemps la France à quitter l’OTAN et que, jusqu’à une date récente, il défendait l’idée d’un partenariat stratégique avec Moscou, estimant que notre pays serait mieux protégé par la Russie que par les États-Unis. Le second est que LFI s’oppose depuis l’invasion Russe à la fourniture d’armes offensives à l’Ukraine alors qu’elle ne peut ignorer que, dans la phase actuelle de la guerre, sans ces armes l’Ukraine risque fort d’être à terme détruite par la Russie. Ces positions laissent ainsi penser que les Insoumis ne sont pas disposés à empêcher à tout prix la défaite de l’Ukraine, préférant même une Ukraine dans le giron russe que dans l’Alliance atlantique. (...) Le pacifisme est toujours naturellement populaire. Il cache parfois cependant de plus sombres desseins."

De l'autre côté de l'échiquier politique, le Front du Rassemblement national, qui apparaît depuis longtemps comme un porte-voix du Kremlin, s'est abstenu récemment lors d'un vote à l'Assemblée nationale sur le soutien à l'Ukraine. Etrange attitude de la part d'un parti souverainiste qui est très critique par rapport à l'Union européenne qui empêcherait les nations de décider de leur sort et qui soutient de facto la Russie qui entend s'approprier par la guerre un pays voisin. Pour l'extrême droite comme pour l'extrême gauche, le sort de l'Ukraine et de ses habitants est sans valeur. Circulez, il n'y a rien à faire.

On voit par là que les pacifistes sont parfois d'hypocrites va-t-en-guerre.

Post-scriptum : Sophia Aram ce lundi 18 sur le même sujet, avec le talent et la verve qu'on lui connaît :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-18-mars-2024-5510991

(2) https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/12/debat-sur-l-ukraine-au-parlement-jordan-bardella-annonce-que-le-rn-s-abstiendra-ses-opposants-denoncent-son-ambiguite_6221559_823448.html

samedi 9 mars 2024

"Un vent contraire si violemment inhumain"

Marceline Loridan-Ivens est morte en 2018. Elle n'aura pas assisté à la vague actuelle d'antisémitisme.
A 16 ans, elle avait été internée à Auschwitz-Birkenau. Elle en est revenue vivante, contrairement à son père. Son frère et sa sœur se sont suicidés plus tard, incapables de vivre avec ce passé si lourd. 
Marceline Loridan disait en 2005 "avoir perdu toute illusion sur ce monde où l'obscurantisme gagne et l'antisémitisme renaît". Aujourd'hui, il est à la mode. L'antisémitisme est même devenu un argument électoral, en Grande-Bretagne comme en France visiblement.
Les barbares du Hamas ont allumé le 7 octobre 2023 un incendie que le gouvernement d'extrême droite de Netanyahou ne cesse d'alimenter. Deux haines se répondent et s'alimentent. 

"À l’heure où les images de Gaza nous parviennent dans toute leur violence, où les morts se comptent par milliers, à l’heure où la colonisation de la Cisjordanie se poursuit, que des volontés inhumaines issues du pire de l’extrême droite ont droit de parole dans un gouvernement israélien ouvertement raciste et pour qui la brutalité militaire est la seule réponse possible, à l’heure où des forces d’une obscurité folle travaillent des deux côtés pour empêcher le moindre espoir, où les empathies vont vers les civils palestiniens mais où la mémoire des victimes israéliennes du 7 octobre est en train de se diluer et que les otages ne sont plus, pour l’opinion publique, qu’un détail secondaire, il est vital de voir le piège dans lequel nous jette le Hamas en nourrissant et abreuvant la plante de la détestation faisant fleurir partout l’antisémitisme." C'est le dramaturge Wajdi Mouawad qui s'exprime ainsi (1).
"Je dois, écrit-il encore, à la lecture de l’actualité de chaque jour, ériger en moi des digues de plus en plus hautes pour empêcher le débordement du marécage. Or c’est précisément là que se trouve le piège tendu depuis le 7 octobre par l’esprit destructeur du Hamas : faire en sorte que l’après soit avant tout antisémite. Que l’après soit un tombeau pour tout Juif où qu’il se trouve. Que l’après soit un temps où chaque Juif vive dans l’effroi, terrorisé, viscéralement méfiant envers le monde. Que l’après soit une autre forme de diaspora. Que l’après soit synonyme d’exil pour tout Juif. C’est contre ce piège que nous devons lutter, chacun." Il faut, dit-il, "par tous les moyens assécher la plante de la détestation". 

Une réflexion de David Grossman : "alors que la peur de devenir des réfugiés est fondamentale et originelle pour les Israéliens comme pour les Palestiniens, aucun des deux camps ne semble capable d’envisager la tragédie de l’autre avec une once de compréhension – sans même parler de compassion" (2).
Delphine Horvilleur, rabbin, veut croire à un nouveau messianisme, "celui qui dit (...) qu'il existe un avenir pour ceux qui pensent à l'autre, pour ceux qui dialoguent, les uns avec les autres et avec l'Humanité en eux" (2).
Il faut panser l'après, affirme Wajdi Mouawad. "Panser  l’après, c’est se préparer à accueillir quelque chose dont nous ignorons encore tout, c’est tenter de soigner un temps pas encore arrivé, pour que, défait de ses pulsions de meurtres, il puisse être un réel après".
D'où viendra, se demande David Grossman, une "résolution éthique, raisonnable et humaine" ? "Ce qui est tragique, c’est que cette solution naîtra (si tant est qu’elle voit le jour) non pas de l’espoir et de l’engouement, mais du désespoir et de l’épuisement. Car c’est hélas souvent cet état d’esprit qui conduit des ennemis à faire la paix, et c’est tout ce qu’il nous reste aujourd’hui à espérer. Nous nous en contenterons donc. Comme s’il fallait traverser les enfers pour arriver à l’endroit d’où l’on peut apercevoir, par une journée exceptionnellement claire, l’orée lointaine du paradis."   
 

jeudi 29 février 2024

Anti-Français

Ils ne désarment pas. Les fachos restent fâchés. A Bélâbre, dans le sud de l'Indre, ils ne supportent toujours pas le projet soutenu par la mairie de transformer le bâtiment d'une usine fermée depuis quarante ans en centre d'accueil pour demandeurs d'asile. Trente-huit personnes, essentiellement en famille, vont y être hébergées. Ce projet est issu, selon les opposants, d'une "idéologie personnelle et dangereuse » contre laquelle ils veulent lutter. Quelle est-elle donc ? Le sens de l’accueil ? La solidarité ? La fraternité ? Voilà donc des notions dangereuses qui remettent en question des gens qui sortent le drapeau français pour manifester qu'ils sont chez eux. Qui leur rappellera que derrière ce drapeau s'exprime une idéologie dangereuse, que derrière ce drapeau il y a une devise épouvantable : liberté, égalité, fraternité ? Quelle conception étroite ont-ils de la fraternité ? La même qu'ils ont de la démocratie sans doute. Ils s'estiment trompés par le conseil municipal qui n'aurait pas respecté la démocratie en décidant ce projet. Et ces grognons nuisibles s'étonnent, s'indignent que les soutiens du projet contre-manifestent chaque fois que eux manifestent. Ils veulent manifester seuls sans être contredits. On voit par là combien leur idéologie est dangereuse.
Résumons-nous : les mauvais coucheurs sont brouillés avec leur propre pays.


mardi 27 février 2024

Influenceur toi-même

C'est un métier nouveau, nous dit-on : influenceuse ou influenceur. Ces personnes ont des goûts personnels qu'elles étalent sur Internet et qui sont copiés par celles et ceux qui les suivent. Elles vivent de cet étalage, payées pour en parler. On pourrait donc les appeler vendeurs ou vendeuses. Mais ce serait sans doute trop trivialement dit. Et pourtant leurs followers ne font que suivre leurs conseils : ils s'habillent comme eux, achètent les mêmes produits qu'eux, vont aux mêmes endroits en vacances, font les mêmes photos. 

Ne sommes-nous pas tous influenceurs ? Ce que nous disons, ce que nous pensons, ce que nous faisons a forcément un impact, positif ou négatif, sur notre entourage. Nous sommes tous influencés les uns par les autre. Sans en faire tout un plat ou une profession. Sauf que qui dit influenceur dit pognon. Influenceur, une nouvelle profession du système consumériste. 


lundi 26 février 2024

Héroïsme et indécence

Il y a quelques jours, quatre-vingt ans exactement après son exécution par les nazis, la dépouille de Missak Manouchian entrait au Panthéon en compagnie de celle de sa femme Mélinée. Ils n'étaient pas seuls. Manouchian représentait ses vingt-et-deux compagnons de résistance. Ils étaient Arméniens, Italiens, Espagnols, Juifs polonais ou hongrois, tous étrangers, communistes, membres des FTP-MOI, les Francs-Tireurs Partisans - Main d'œuvre immigrée. Tous arrêtés par la police française, puis exécutés par des soldats allemands.
Par deux fois, Missak Manouchian avait demandé la nationalité française. Par deux fois, elle lui avait été refusée. Un refus qui ne l'avait pas empêché de risquer sa vie en entrant en résistance pour tenter de libérer de l'oppression nazie le pays qui l'avait accueilli.

Pour l'extrême droite, dans ses positionnements simplistes, tout étranger est par nature suspect de vouloir profiter des largesses sociales de la France qui ne peut dès lors que lui fermer ses frontières. Cette extrême droite, durant la guerre, on la trouvait dans les rangs des collaborateurs, du côté des soutiens au régime nazi. Pas dans la résistance. Lors de son procès d’opérette, Manouchian a dit à ses bourreaux : "Vous avez hérité de la nationalité française, nous, nous l’avons méritée". L'extrême droite est beaucoup moins française que ces étrangers héroïques.
Le président Macron avait estimé que, par "esprit de décence", "les forces d’extrême droite seraient inspirées de ne pas être présentes (à la cérémonie de panthéonisation) compte tenu de la nature du combat de Manouchian ". Marine Le Pen a trouvé ces propos outrageants, relevant d'une "faute politique grave et (d')une faute morale qui ne l’est pas moins". Elle a tenu à être présente, ajoutant une faute morale et politique à son actif, "feignant d’ignorer, écrit Le Monde, que Missak Manouchian incarnait ce contre quoi s’est toujours battu son mouvement : le communisme, l’internationalisme et l’étranger en France." L'extrême droite est étrangère à la décence.

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.

Louis Aragon, "L'Affiche rouge"

Superbe interprétation de L'Affiche rouge (Louis Aragon - Léo Ferré) par le groupe Feu ! Chatterton à la cérémonie de panthéonisation du couple Manouchian : 
https://www.youtube.com/watch?v=YaA3R3ghrV4

samedi 24 février 2024

Deux ans et demain ?

Deux ans. Voilà deux ans aujourd'hui que Poutine a entamé sa sale guerre contre un pays qu'il dit frère. L'Ukraine s'appelle Abel et la Russie Caïn. Vladimir le Petit rêve de grandeur en se tournant vers le passé. Ses rêves d'empire sont un cauchemar. La barbarie ne rend pas plus grand. Au contraire. Le voilà plus petit, plus repoussant, plus abject que jamais.
Sa guerre éclair fut un échec. Mais il pourrait remporter une guerre d'usure. L'opinion publique européenne se fatigue, une part de la population pense que les sommes astronomiques dépensées en missiles seraient plus utiles ailleurs (1). Mais c'est notre paix qui est en jeu, c'est l'avenir de l'Europe. Qu'on le veuille ou non, la guerre d'Ukraine est notre guerre.

Ce tueur en série qu'est Poutine n'a aucun sentiment pour les dizaines de milliers de morts qu'il a sur la conscience, qu'ils soient ukrainiens ou russes aujourd'hui. Ou hier syriens ou tchétchènes. Ils ne sont que chair à missiles au service de sa gloire, triste et sordide, bâtie dans le sang. Détourner la tête, en se drapant dans l'hypocrite posture du pacifiste aux mains propres, c'est le laisser pousser plus loin ses conquêtes, c'est jouer les Munichois, sans savoir ou vouloir tenir compte des leçons du passé. Lâcher l'Ukraine, c'est abandonner aussi les pays baltes, la Suède, la Finlande, la Pologne aux appétits de l'ogre. C'est nous préparer au pire sur l'ensemble du continent européen.
Ici, en Europe, nous voilà menacés par les extrêmes de droite comme de gauche, ces marionnettes du tsar mafieux que leur anti-américanisme imbécile rend non seulement stupides mais dangereux. Pour la sécurité européenne, pour la démocratie, pour la paix. "Il y a 15 jours, dit Maxence Lambrecq, éditorialiste de France Inter, Dmitri Medvedev a lui-même reconnu aider « ouvertement et secrètement » les partis antisystèmes à obtenir les meilleurs scores possibles." (1)

Les va-t-en guerre ne sont pas ceux que l'on croit. Pas ceux qui pensent qu'il faut beaucoup plus armer l'Ukraine pour l'aider à se défendre, mais ceux qui hypocritement affirment le contraire (2). Comme si laisser Poutine gagner sa sale guerre injustifiée allait laisser l'Europe en paix. Il faudra craindre les relativistes aux élections européennes de juin.

L'œil était dans la tombe et regardait Caïn.

(1) "Un sondage Ifop pour la Fondation Jean Jaurès indique que, pour la première fois, à peine la moitié des personnes interrogées soutiennent l’envoi de matériels militaires et l’entrée de l’Ukraine dans l’UE. C’est 15 points de moins qu’au début du conflit." (...) Les politiques en parlent moins. Cette année, à l’Assemblée, pas de débat, pas de résolution au Sénat. Et gare à ceux qui appellent à renforcer l’aide... La tête de liste du PS, Raphael Glucksmann, a subi lundi la foudre de la France Insoumise.
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique/l-edito-politique-du-vendredi-23-fevrier-2024-875123
(2) https://www.lefigaro.fr/politique/guerre-en-ukraine-raphael-glucksmann-accuse-lfi-d-oeuvrer-a-la-defaite-des-democraties-20240220


mercredi 21 février 2024

Un résistant

Ils l'ont tué. Il l'a tué. Le tueur en série Poutine a à nouveau assassiné, comme il aime le faire, froidement, cyniquement.
Alexeï Navalny avait eu le courage, après avoir été empoisonné au Novitchok par le régime stalinopoutinien, de rentrer en Russie. Parce que critiquer le régime en étant réfugié à l'étranger n'avait pas de sens pour lui. Cet homme courageux a été tué par un lâche, par ce mafieux qui fait supprimer par ses hommes de main toutes celles et tous ceux qui ont le culot de lui résister. L'assassin est toujours un homme faible. Comme l'écrit Le Monde (1), "où qu’il fût, en liberté ou emprisonné, hospitalisé ou en bonne santé, chez lui ou à l’étranger, l’existence d’Alexeï Navalny était devenue insupportable pour Vladimir Poutine". Faut-il que le dictateur se sente fragile pour ne pas pouvoir supporter la moindre résistance.
Les proches d'Alexeï Navalny ont appris par la presse la nouvelle de sa mort, ce qui "traduit bien la nature du message que veut transmettre sa disparition, y compris aux dirigeants occidentaux rassemblés au même moment à Munich pour discuter défense et sécurité : Vladimir Poutine est maître chez lui et il entend le rester, quelles que soient les icônes que se donnent ses détracteurs".
Le régime soviétique n'est pas mort, loin s'en faut. "Si Poutine et les siens ont tué Navalny, c’est parce qu’ils n’ont pas pu le briser et obtenir de lui, dans la tradition soviétique, un repentir public", estime Cécile Vaissié, professeure en études russes et soviétiques (2). 

Navalny avait traité Russie unie, le parti de Poutine, de "parti des voyous et des voleurs". Son assassinat lui donne raison. "Les autorités, écrit encore Cécile Vaissié, viennent de réaffirmer leur droit de vie et de mort sur leurs « sujets » et leur détermination à empêcher ceux-ci de bénéficier d’un Etat de droit tourné vers l’Europe."
Navalny est mort, mais ses films sont toujours visibles, qui dénoncent l'immense corruption de ce régime soviético-mafieux. "Refusant de se taire, il a produit, avec ses équipes, des films de plus en plus précis et drôles sur l’enrichissement invraisemblable de Dmitri Medvedev, de la famille du procureur général Iouri Tchaïka, de hauts dirigeants de l’armée russe ou de Vladimir Iakounine, longtemps à la tête des chemins de fer russes et chargé de développer l’influence du Kremlin en France et en Allemagne. Puis Navalny a préparé un film où il montrait le palace construit pour Poutine sur la mer Noire (3), expliquait ce luxe par un système de rétrocommissions et retraçait jusqu’à l’origine des brosses de toilettes dorées à 700 euros l’unité. En quelques jours, ce film a été vu par plus de 110 millions de personnes, pour l’essentiel en Russie."

Poutine est décrit par ceux qui l'ont fréquenté (3) comme un paranoïaque "pathologiquement effrayé pour sa vie", qui vit le plus souvent caché dans ses luxueux bunkers, coupé du monde, dans un "vide informationnel", "enfermé dans une bulle cognitive depuis des années". Alexeï Navalny qui maniait l'humour et l'éloquence savait qu'en revenant il serait emprisonné. Il voulait résister depuis sa cellule. L'exact opposé d'un tyran froid qui n'a jamais compris ce qu'est l'humour et vit enfermé dans sa peur.
Navalny, nous dit-on (4), était peu apprécié des Ukrainiens, notamment à cause de sa position ambiguë sur l’annexion de la péninsule de Crimée par la Russie, en 2014, à cause de sa posture nationaliste grand-russe, de son discours méprisant sur l’Ukraine, de sa participation à des « Marches russes » très nationalistes et de sa violence verbale à l’égard des migrants en général, et des habitants du Caucase en particulier. Depuis, il avait pris ses distances avec ses positions antérieures.
Reste qu'il eut le courage de dénoncer jusqu'au bout, et en sachant qu'il y laisserait sa vie, l'extrême corruption de ce régime mafieux. Il purgeait dans l'extrême nord de la Russie une peine de dix-neuf ans de prison. Le site parodique Le Gorafi (5) annonce que Alexeï Navalny a été "condamné à 20 ans d’emprisonnement supplémentaire pour s’être évadé en décédant", une cour spéciale de justice russe estimant que "l’opposant a volontairement profité de sa mort pour s’évader". Le pire, c'est que cette fausse information tout en humour noir pourrait être vraie tant ce régime et son tsar sanguinaires sont capables du pire cynisme et de la plus totale folie.

Avaaz invite à saluer la mémoire d'Alexeï Navalny :

(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/17/en-tuant-navalny-les-autorites-viennent-de-reaffirmer-leur-droit-de-vie-et-de-mort-sur-leurs-sujets_6217072_3232.html
(3) https://www.youtube.com/watch?v=WBSf2fRhjEU
https://www.youtube.com/watch?v=uFSNk8lQ_u0
(4) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/19/anna-colin-lebedev-politiste-les-ukrainiens-ont-bien-des-choses-a-reprocher-a-navalny_6217339_3232.html
(5)https://www.legorafi.fr/2024/02/16/russie-alexei-navalny-condamne-a-20-ans-demprisonnement-supplementaire-pour-setre-evade-en-decedant/

samedi 10 février 2024

Le temps des monstres

Il fut un temps pas si lointain où on a pu croire si pas à "la fin de l'Histoire", du moins à une humanité apaisée. Même si les dictateurs restaient trop nombreux, on avait vu tomber un mur honteux et avec lui s'effondrer une idéologie qui s'était concrétisée en une société orwellienne, on avait vu disparaître en Afrique australe l'abject apartheid qui voulait nous faire croire qu'on pouvait classer les hommes selon la couleur de leur peau, on avait vu dans la construction lente mais large de l'Union européenne un projet solidaire entre ennemis héréditaires.
Et aujourd'hui, on voit que le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde. Vladimir Poutine rêve de pire et d'empire. Ses vassaux proches, Loukachenko, Alyiev, Kim Jong-un et quelques autres le soutiennent dans ce projet qu'on croyait d'un autre âge. Dans l'indifférence quasi générale, Xi Jinping menace Taïwan, broie les Ouïghours et s'attaque aux musulmans (1) et à tous les peuples qui ont le culot de ne pas entrer dans le moule du grand Etat chinois. En Inde, Mohdi joue la carte du nationalisme hindou en envoyant lui aussi les musulmans dans les cordes sans que ça gêne le moins du monde ses camarades dirigeants de terres d'islam pourtant si prompts à dénoncer la prétendue islamophobie de l'Occident. L'Iran s'est donné le rôle d'Etat terroriste, soumettant son peuple et soutenant activement les barbares du Hamas, le Hezbollah libanais et les rebelles houthis du Yemen. Netanyahou ira jusqu'au bout de sa volonté de dézingage total du Hamas quel qu'en soit le prix pour les Gazouis. Un peu partout, l'extrême droite et le populisme ont pris le pouvoir ou s'apprêtent à le faire. S'il revient au pouvoir, Trump le Haineux pourrait bien provoquer une guerre civile aux Etats-Unis (2). Ce billet serait trop long à énumérer toutes les brutes qui règnent d'une main de fer, les Erdogan, les Milei, les Maduro, les putchistes du Niger, du Mali et du Burkina Faso, les al-Sissi, les el-Assad, les Ben-Salman, les Saïed, les talibans. Et le pire, c'est que tant de gens les admirent. De loin.
Que cherchent ces monstres ? A asseoir leur pouvoir et il n'a pas de prix. La démocratie, le respect de l'Etat de droit, la justice, les droits de l'Homme sont des notions qui leur sont étrangères, voire ennemies.
On aimerait tant qu'un drone destiné aux Ukrainiens, aux Israéliens ou aux Gazaouis dévie de sa cible et tombe sur la tête d'un de ces monstres. 

Allez, ouste, les dictateurs, les usurpateurs, les mafieux, les crapulards, l'avenir appartient aux gens de bien. Tiens, je crois que c'est ça la bonne définition de cet objet non identifié qu'est l'humanité, que je cherche depuis des années : l'humanité, ce sont ces gens de bien qui, vaille que vaille, assurent le service de la vie. (Boualem Sansal, "Vivre - Le compte à rebours", Gallimard, nrf, 2024)

(1) Selon Human Rights Watch, après la région du Xinjiang, c'est dans celles du Ningxia et du Gansu que Pékin serait en train de raser les mosquées.
(2) https://www.telos-eu.com/fr/trump-ii-une-farce-non-une-tragedie.html

jeudi 8 février 2024

Et Dieu dans tout ça

Faut-il prendre les écrits divins ou considérés comme tels comme paroles d'évangile ? Ils sont bien utiles, ils permettent de justifier l'injustifiable. C'est un lecteur de Charlie Hebdo qui rapporte cette anecdote (1) : une célèbre animatrice radio aux Etats-Unis s'est appuyée sur la Bible, dans le livre du Lévitique (chapitre 18, verset 22), pour établir que l'homosexualité est une perversion. "Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme : ce serait une abomination. La Bible le dit. Un point, c'est tout", a-t-elle déclaré. Quelques jours plus tard, un auditeur lui a adressé une lettre lui demandant "des conseils quant à d'autres lois bibliques".
"Par exemple, je souhaiterais vendre ma fille comme servante, tel que c'est indiqué dans le livre de l'Exode (ch. 21, v. 7). A votre avis, quel est le meilleur prix ? Le Lévitique aussi (ch. 25, v. 44) enseigne que je peux posséder des esclaves, hommes ou femmes, à condition qu'ils soient achetés dans des nations voisines. Un ami affirme que ceci est applicable aux Mexicains, mais pas aux Canadiens. Pourriez-vous m'éclairer sur ce point ? Pourquoi est-ce que je ne peux pas posséder des esclaves canadiens ?" L'auditeur poursuit en relevant que l'Exode (ch. 35, v. 2 ) indique que celui qui travaille un samedi doit être condamné à mort et se demande s'il doit lui-même tuer son voisin qui méprise cette interdiction. Il s'interroge aussi sur le sort à réserver à son oncle qui passe ses journées à médire et à blasphémer et à la femme de celui-ci qui plante deux types de culture différents dans son champ, ce qu'interdit le Lévitique (ch. 19, v. 19). "Est-il vraiment nécessaire d'aller jusqu'au bout de la procédure embarrassante de réunir tous les habitants du village pour lapider mon oncle et ma tante, comme le prescrit le Lévitique (ch. 24, v. 10 à 16) ? Ne pourrait-on pas plutôt les brûler vifs au cours d'une simple réunion familiale privée, comme cela se fait avec ceux qui dorment avec des parents proches, tel qu'il est indiqué dans le Lévitique (ch. 20, v. 14) ?".
On voit par là qu'il est bon (pour tout le monde) de vivre avec son temps.

A contrario, on s'interroge sur les outils de la modernité qu'utilisent tous ceux qui ne jurent que par le passé. Tous ces islamistes qui prennent le Coran au pied de la lettre et veulent vivre comme au VIIe siècle, qui s'appuient sur les écrits et les coutumes de l'époque pour obliger les femmes à se couvrir et à rester à la maison, pour appliquer la charia, couper les mains des voleurs et lapider les femmes adultères, tous ces littéralistes, comment peuvent-ils utiliser des kalashnikovs, des jeeps, des téléphones, des avions ? 
Quelle impudence de croire que leur prophète les y aurait autorisés !

(1) "Texte sacré", dans la rubrique "On a reçu ça", Charlie Hebdo, 10.1.2024.

lundi 5 février 2024

Un réarmement désarmant

Et à la fin, ce sont l’agro-industrie et la chimie qui gagnent. Tout ça pour ça ! Tant de manifestations, tant d'actions, tant de déplacements, de pollution et de dégradations pour voir en fin de compte la FNSEA obtenir satisfaction. Ne changeons rien au système agro-industriel. Les paysans ont perdu, les exploitants agricoles ont gagné.

Le gouvernement a ouvert son portefeuille : 400 millions d’euros au total pour soutenir les agriculteurs. 50 millions pour les éleveurs touchés par la maladie hémorragique épizootique (MHE), 20 pour les agriculteurs bretons affectés par la tempête, 50 pour la filière bio en crise, 80 pour les viticulteurs, 150 pour soulager les charges fiscales et sociales des éleveurs et enfin le coût de l’abandon d’une hausse de la fiscalité prévue sur le gazole non routier (entrée en vigueur au début de 2024, elle avait pourtant été négociée avec la FNSEA) (1).

"Le gouvernement , écrit Le Monde, a répété être favorable à l’adoption rapide du règlement sur les nouvelles techniques génomiques (NGT), considérés comme les nouveaux OGM, un texte en discussion à Bruxelles. Concernant les phytosanitaires, il a fini par accepter de mettre sur pause jusqu’à la fin de février le projet Ecophyto, qui devait fixer les nouveaux objectifs de réduction de l’usage des pesticides. Il se dit prêt à rediscuter des indicateurs et des zonages de traitement. Et prêt aussi à attaquer les décisions des tribunaux administratifs sur les zones de non-traitement aux produits phytosanitaires définies par des chartes départementales. De plus, l’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire devra s’aligner sur le calendrier de l’autorité européenne de sûreté des aliments."
Au nom de la souveraineté alimentaire, la FNSEA avait demandé, en 2023, de surseoir à l’obligation de 4 % de jachère fixée par la nouvelle PAC. Une nouvelle dérogation, sous conditions, vient d’être obtenue de Bruxelles. Les terres n'ont pas droit au repos, elles doivent produire en permanence.
"M. Attal, écrit encore Le Monde, avait annoncé, dès le 26 janvier, un premier train de dix mesures de simplification prises par décret. Qui vont de la simplification des curages de cours d’eau, à la réduction des délais de recours contre des projets agricoles et des délais de contentieux pour des projets de stockage d’eau, en passant par la limitation à un du nombre de contrôle annuel. L’un des enjeux est de pouvoir plus facilement étendre les capacités des bâtiments d’élevage porcin et de volaille et de mener à bien les projets de stockage d’eau."

La France a le plus jeune premier ministre que le pays ait jamais connu. Un jeune pour maintenir le vieux monde, celui qui nous mène collectivement à la perte. Celui de l'exploitation maximale des sols, de la production maximale, de l'utilisation excessive de pesticides, de tous ces produits en cide qui ne cachent pas leur nocivité ni pour la terre, ni pour pour la faune, ni pour les humains.
Le gouvernement français décline la nouvelle lubie de son président : il faut réarmer la France. Il parle de réarmement civique, de réarmement moral, de réarmement démographique. Voici le réarmement agricole. "Si « réarmement agricole » il y a, écrit l'éditorialiste du Monde Stéphane Foucart (2), c’est surtout d’un « réarmement chimique » de l’agriculture qu’il est question. A l’heure où l’infertilité et les maladies chroniques s’envolent dans la population générale, où environ un tiers des foyers français reçoivent au robinet une eau non conforme aux critères de qualité pour cause de métabolites de pesticides, où sans doute plus de 80 % de la biomasse d’insectes volants et 60 % des oiseaux des champs ont disparu en quarante ans, on se plaît à imaginer le fou rire nerveux d’hypothétiques historiens qui chercheraient, dans les prochaines décennies, à décrire et surtout comprendre la logique de ce qui se produit ces jours-ci."

Mais il y a trop de normes, se plaignent les agriculteurs. Peut-être. Mais d'où viennent-elles ? Longtemps, ce fut le laisser-faire, le laxisme le plus total. L'environnement n'était pas un souci, on pouvait bétonner où on voulait, on pouvait massacrer faune et flore sans égard pour elles, on pouvait gaspiller l'énergie en brûlant sans compter des sources polluantes voire toxiques, on pouvait empoisonner les sols, les producteurs et les consommateurs, on pouvait arracher les haies et les arbres et supprimer les fossés et les zones humides. Donc, des normes. Heureusement. Pour tenter de mettre un frein à cette folie destructrice.

(1) https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/01/le-vaste-eventail-des-annonces-de-gabriel-attal-en-phase-avec-les-demandes-de-la-fnsea_6214305_823448.html
(2) https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/02/03/si-rearmement-agricole-il-y-a-c-est-surtout-d-un-rearmement-chimique-de-l-agriculture-qu-il-est-question_6214548_3244.html
https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/02/01/la-suspension-du-plan-ecophyto-un-signal-desastreux-selon-les-ong-de-defense-de-l-environnement_6214293_3244.htm

mercredi 31 janvier 2024

Arriérés

Le Rassemblement-Front national ne s'est pas dédiabolisé. Plutôt banalisé. De plus en plus de Français envisagent de voter pour le parti de la famille Le Pen. Il est en phase avec l'état d'esprit de la population. Mais peut-être est-ce lui qui l'a pollué ?
Dans les manifestations des agriculteurs, l'un de ces derniers se balade avec un panneau affichant ce délicat slogan : "Va faire la soupe salope" (sic). Il est, nous dit-on (1), adressé à deux élues écologistes. Trois élus d'extrême droite se sont fait photographier devant lui, très fièrement et le pouce en l'air. 
D'après une étude récente, le sexisme revient en force, notamment chez les jeunes. Il est sûrement l'un des fondements, une des valeurs sûres de l'extrême droite. Le R-FN, en ne changeant pas, se retrouve en phase avec l'évolution rétrograde de la société.
Ce slogan qui traite de la sorte les femmes et les renvoie à la cuisine ne dit rien sur elles, mais beaucoup sur ceux qui l'expriment ou le partagent. Les hommes des cavernes devaient être plus délicats et plus évolués que les élus du R-FN.

(1) https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/ces-deputes-rn-assument-ce-slogan-misogyne-visant-sandrine-rousseau-et-marine-tondelier_228958.html

mardi 30 janvier 2024

Grogne des procrastineurs

Le secteur agricole est en pétard un peu partout en Europe de l'ouest. Les agriculteurs néerlandais se sont mobilisés pour s'opposer à la décision de leur gouvernement de faire baisser les émissions d’azote en réduisant les cheptels, notamment de vaches laitières. Les agriculteurs flamands ont manifesté aussi pour l’azote. Puis, leurs confrères allemands pendant des semaines contre le projet de leur gouvernement de supprimer les aides publiques au diesel agricole. Maintenant, c’est la France. Et la Wallonie suit.
Le Vif (1) publie une interview de Philippe Baret, ingénieur agronome à l’UCLouvain et spécialiste du monde agricole belge et européen.

Pour Philippe Baret, "’il y a un effet de contagion et une bonne part d’opportunisme à moins de six mois du scrutin européen. Les agriculteurs savent très bien que la politique agricole européenne sera mise sous pression en cas de changement de majorité au Parlement et à la Commission UE. En réalité, c’est un bras de fer ancien qui se poursuit aujourd’hui. Il faut rappeler que près d’un tiers du budget européen est attribué à l’agriculture".
Faute de consensus entre ses Etats membres, l’Union européenne a récemment allongé de dix ans l'autorisation d'utilisation du sur le glyphosate. "Il existe évidemment tout un écosystème rassemblant des acteurs du secteur agricole, du secteur chimique et du secteur financier qui forment une masse d’influence pour faire reculer ou retarder les avancées au niveau écologique mais aussi de la santé." Phlippe Baret rappelle que la plupart des directives dont les agriculteurs dénoncent la lourdeur "poursuivent un objectif de santé avant tout et pas seulement écologique. (...) Les directives sont là pour améliorer la qualité de ce qu’il y a dans nos assiettes et la santé des gens."

"Le problème principal est, en fait, interne au monde agricole, pas au niveau de la Commission. D’un côté, les gros exploitants, soit 20 % des agriculteurs, qui font de plus en plus de bénéfices, absorbent néanmoins 80 % des subventions européennes. De l’autre, les petits exploitants, soit 80 % des agriculteurs, qui sont de plus en plus sous pression, ne touchent que 20 % des subsides. C’est cette inégalité-là qui est, à mon sens, à la base des problèmes du monde agricole."
"En Belgique, il y a des fermiers qui gèrent 1 200 hectares en pommes de terre et qui exploitent d’autres agriculteurs qui travaillent pour eux. Cette configuration est encouragée par le secteur agro-alimentaire et de la grande distribution. Au lieu de bloquer les routes et de gêner les citoyens, les tracteurs devraient faire le siège des supermarchés comme Aldi, responsables d’une course aux prix les plus bas et aux profits."

Les agriculteurs se plaignent d'un excès de contraintes administratives, mais certains contrôles ont été facilités. "Lorsqu’on reçoit des subsides surtout à une telle échelle, cela suppose des contrôles, donc de l’administratif. C’est logique. Le contrôle par satellite, lui, est en réalité une simplification pour les agriculteurs. Exemple : un fermier doit semer son couvert végétal pour le 11 novembre. Le 8, le satellite constate que ce n’est pas fait. Un sms prévient l’exploitant que le satellite repassera le 11, avec une sanction à la clé cette fois. Avant, l’agriculteur devait envoyer lui-même la preuve avec des photos quadrillées qu’il coloriait. Et les contrôles étaient aléatoires. Désormais, ils sont systématiques mais simplifiés. (...) "Toutes ces mesures n’ont pas été décidées sans concertation avec le monde agricole. Les syndicats étaient autour de la table pour les négocier et aujourd’hui ils sont dans la rue pour dénoncer ce qu’ils ont négocié. (...) Si vous consultez le registre des lobbies européens, vous verrez que la Copa-Cogeca, qui regroupe les principales organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne, est dans les bureaux de la DG Agri de la Commission tous les jours. La politique agricole commune (PAC) a pris un an de retard à cause des négociations."

Philippe Baret rappelle que le patron du grand syndicat FNSEA en France est le président du conseil d’administration du groupe Avril (Ndlr : qui est le numéro 1 des huiles alimentaires, comme Puget, Lesieur, et qui compte des filiales dans 18 pays). L'agronome est "inquiet du rôle simpliste que ces grands syndicats jouent par rapport à la mue indispensable du monde agricole". Selon lui, les grands syndicats agricoles mènent "un combat d’arrière-garde pour maintenir le vieux monde. Ce n’est pas représentatif de l’ensemble des agriculteurs. Ce n’est qu’une partie des agriculteurs qu’on retrouve sur les barrages routiers et dans la rue. La transition du modèle du passé vers le modèle de demain est inévitable. Ce n’est pas qu’une question écologique. C’est avant tout une question de système agricole. Les agriculteurs eux-mêmes sont les premières victimes du changement climatique, du manque d’eau… Ils savent depuis le début des années 2000 qu’il va falloir changer. Mais voilà, on a procrastiné et aujourd’hui la transition fait plus mal. Il y a sûrement des choses à négocier et à revoir. Mais ce qui m’inquiète le plus avec ces mouvements d’agriculteurs, c’est de savoir si ces manifestants ont un projet au-delà de la grogne et sont-ils vraiment dans l’optique de changer ?"
"On est dans le populisme tel que le définit l’historien Pierre Rosanvallon. (...) Pour lui, le populisme c’est la politique négative : on râle, on critique, mais on ne propose rien ou presque. Or le mouvement agricole tel que je le vois aujourd’hui dans les rues ne me semble pas avoir, jusqu’ici, de proposition à faire pour l’avenir. Il est juste dans la grogne – trop d’administratif, pas assez de revenus… –, sans aucun projet.

(1) par Thierry Denoël, 27.1.2024.
https://www.levif.be/societe/environnement/agriculture/agriculteurs-au-lieu-de-bloquer-les-routes-ils-devraient-faire-le-siege-daldi/

dimanche 28 janvier 2024

Des doutes

J'ai des doutes. Parfois je me demande si je ne serais pas d'extrême droite. J'ai lu "Sur les chemins noirs", de Sylvain Tesson, son récit de la traversée de la France à pied. Et je dois l'avouer ici, je l'ai apprécié.
J'ai lu "L'Axe du loup", autre récit - incroyable - de Sylvain Tesson qui raconte un autre voyage à pied qu'il a effectué durant huit mois, parfois dans des conditions extrêmes et des situations dangereuses, dans les pas d'évadés du goulag depuis Iakoutsk dans le nord-est de la Russie jusqu'au Golfe du Bengale à 5000 km de là. Ce récit illustré par Virgile Dureuil (1) m'a, je dois le reconnaître, impressionné.

Mais voilà, Sylvain Tesson est vilipendé par 1.200 poètes, écrivains et libraires qui ont décidé qu'il était d'extrême droite et ne pouvait donc pas présider le Printemps des poètes. Ils l'ont affirmé dans une tribune. On suppose donc que ces libraires vont désormais faire le tri dans les livres qu'ils vendent et ne garder que ceux des bons écrivains. 
Les signataires considèrent que Tesson est d'extrême droite à cause d'une préface qu'il n'a pas écrite, mais aussi parce qu'il a déclaré "Si vous voulez faire peur à vos enfants, ne leur lisez pas les contes de Grimm, mais certaines sourates du Prophète". Comme l'écrit Franc-Tireur (1), les signataires de la tribune flingueuse feraient bien de lire le Coran : "Ils y découvriraient que cette violence existe, tout comme dans l'Ancien Testament ou la Torah". Je pense la même chose. Je me demande si je ne serais pas d'extrême droite. 

J'ai des doutes. Parfois je me demande si une certaine gauche ne serait pas d'extrême droite. Je me demande où se situent ceux qui défendent l'islamisme. S'indigner qu'on critique les dérives politiques d'une religion dont on impose la loi par la violence et la terreur, n'est-ce pas soutenir une forme de fascisme ? J'ai des doutes sur la gauche : ne serait-elle pas d'extrême droite à force de chasser en meute contre qui ne pense pas comme elle, à force de jouer les Fouquier-Tinville, l'accusateur public du Tribunal révolutionnaire à l'époque de la Terreur ?

J'ai des doutes, est-ce que vous en avez ?

La vie me laissait une chance, il était grand temps de traverser la France à pied sur mes chemins noirs.
Là, personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre.
Sylvain Tesson, "Sur les chemins noirs", Gallimard nrf, 2016.

(1) Casterman, 2023.
(2) 24.1.2024.
https://www.ouest-france.fr/reflexion/editorial/editorial-la-polemique-sylvain-tesson-ou-lhypertrophie-du-champ-politique-1a1f54b6-bc14-11ee-8a7d-fa3ec2db0626