lundi 28 janvier 2019

La maison brûle

Les bonnes nouvelles se font trop rares pour ne pas se réjouir de celle-ci: les jeunes descendent nombreux dans la rue pour pousser les élus à agir en faveur du climat.
A Bruxelles, pour leur troisième rendez-vous, les lycéens et les étudiants du supérieur étaient 35.000. (1) Bien décidés à poursuivre leur mouvement tant que le gouvernement n'aura pas agi de manière ferme pour préserver leur avenir. Un avenir totalement incertain et inquiétant du fait de la pusillanimité des politiques et de la volonté d'une majeure partie de la population de toujours consommer plus.
La Suédoise Greta Thunberg (16 ans) a lancé le mouvement en manifestant seule chaque vendredi face au parlement suédois, en se rendant à la Conférence internationale sur le climat en Pologne, puis, tout récemment, au Forum de Davos, pour interpeller les décideurs.  "La maison brûle, dit-elle. Les adultes disent qu'il faut donner de l'espoir aux jeunes. Je ne veux pas de votre espoir. Je veux que vous commenciez à paniquer." (2)
Son exemple a rapidement été suivi en Belgique, en Suisse, en Allemagne. "Ne vous laissez pas intimider par les vieux aigris qui demandent ce que vous entreprenez vous-mêmes en faveur du climat", a lancé un des jeunes porte-parole belges. Ils ont renvoyé dans les cordes Marie-Christine Marghem, l'incompétente et méprisante Ministre fédérale de l'Energie, qui leur promet des coachs climat dans leurs écoles. Ils veulent des mesures structurelles fortes, pas des gadgets qui les infantilisent. Ils appellent les politiques à écouter les scientifiques, à mettre en place un plan climatique ambitieux et contraignant qui limite le réchauffement climatique à 1,5°C. Ils veulent que la Belgique devienne neutre en carbone avant 2050. Et constatent que ce pays qui compte quatre ministres de l'Environnement n'a aucune vision sur le climat. Solidarité avec les pays du sud et transition écologique sociale sont leurs autres revendications. (3)
En Allemagne, les jeunes se mobilisent plus particulièrement contre les centrales à charbon responsables d'une importante pollution (4).

Hier, 70.000 Belges manifestaient dans les rues de Bruxelles pour appeler les politiques à bouger enfin. Message non reçu. L'essentiel de la classe politique garde un regard narquois, voire méprisant, sur ces mobilisations. Bart De Wever estime que, plutôt que de manifester, les jeunes feraient mieux d'aller à l'école, pour pouvoir travailler à l'amélioration des technologies pour lutter contre le réchauufement climatique (5). Il ne veut pas comprendre l'urgence, pas comprendre qu'aucune technologie ne nous apportera la solution. Que c'est un changement radical de société qui seul peut sauver la planète. Y compris celui du système démocratique électif: les élus n'osent toujours pas affronter réellement les problèmes urgents de peur de ne pas être réélus. Ils sont pathétiques. La maison brûle, mais ils ont peur de perdre leur siège. Nous le sommes aussi. L'effondrement nous guette et nous sommes en train de nous demander où nous irons en vacances l'été dernier.

(1) https://www.lalibre.be/actu/belgique/la-troisieme-marche-des-jeunes-pour-le-climat-a-bruxelles-fait-le-tour-du-monde-5c4ac3fcd8ad5878f03ab9f1
(2) https://www.levif.be/actualite/environnement/greta-thunberg-eclipse-patrons-et-presidents-au-forum-de-davos/article-normal-1083923.html
(3) https://www.levif.be/actualite/belgique/students-for-climate-la-protestation-ne-peut-que-grandir/article-normal-1083913.html
(4) Arte, Journal, 25.1.2019, 19h45.
(5) RTBF - La Première, Revue de presse, 28.1.2019, 8h30.

mercredi 23 janvier 2019

Des attentes excessives

Les Gilets jaunes conspuent les élus et vouent une véritable haine à l'actuel président de la République. Qu’ont-ils donc fait pour être l’objet d’un rejet aussi violent ?
En France plus encore qu’en Belgique, les citoyens ont tendance à tout attendre de leurs élus : à eux de prendre en charge la société dans tous ses aspects. Je paie des impôts, trop d’ailleurs, donc je suis en droit d’attendre « tout » et tout de suite de ceux qui me représentent à tous les niveaux. Y compris qu’ils agissent comme je pense.  « C’est une spécificité française, affirme Gilles Finchelstein de la Fondation Jean Jaurès : on croit, à l’excès sans doute, que la politique peut faire beaucoup. »[1] Ce que confirme le philosophe André Comte-Sponville : « Les Français attendent tout de l’Etat, comme si c’était lui qui allait créer des emplois, de la richesse, du bien-être ! -, puis lui reprochent de les avoir déçus… Nos hommes politiques, pour gagner les élections, font semblant de croire à cette toute-puissance de l’Etat, voire finissent par s’en convaincre. Puis perdent les élections suivantes, faute d’avoir pu tenir leurs promesses… C’est toujours le cycle de l’espoir et de la déception. Mieux vaudrait apprendre à vouloir, à agir – mais on ne le peut que sur ce qui dépend de nous. »[2]  La journaliste allemande Helen Bömelburg lui fait écho : « Paradoxalement, on attend encore beaucoup de l’Etat en France. Il doit traditionnellement tout régler : il intervient dans tous les gros contrats industriels – on l’a vu pour Alstom, dont la vente n’a pas été négociée par le conseil d’administration mais directement par le président Hollande. Quand une canalisation éclate dans la rue d’un village on n’appelle pas le plombier mais le maire. Nous, les Allemands, on nous ferait confiance pour réparer nous-mêmes les dégâts sur le champ. »[3]
Est-ce parce que les Français ont un idéal de société trop élevé qu’ils se tournent vers les politiques pour les aider à l’atteindre et les critiquent dans le même temps parce qu’ils savent qu’ils n’y arriveront jamais ? Une étude fait apparaître que la France a un PIB par habitant élevé mais un déficit de satisfaction. "La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer", affirme l'écrivain Sylvain Tesson. « Les Français se disent beaucoup moins heureux que ce que laisseraient prédire leurs conditions de vie objectives, explique l’économiste Claudia Senik[4], professeure à la Sorbonne. Comme si, à l’échelle européenne, le seul fait de vivre en France réduisait de 20 % la probabilité de se déclarer très heureux. » En France, dit-elle encore, « le rapport à l’Histoire, au passé et à l’avenir est problématique : on veut protéger l’existant, une France éternelle et immuable, au détriment de l’innovation, de l’avenir. » L’économiste compare la France et le Danemark, situés aux deux extrémités du tableau : les Français ont une vision du bonheur utopique, alors que « les Danois ont des aspirations réalistes, on leur inculque une morale de la responsabilité individuelle – c’est à eux de se débrouiller pour contribuer au bien commun. »  Que peut faire le politique s’il est seul responsable du bonheur de citoyens foncièrement insatisfaits?                                                         
Les Français n’ont cependant pas, loin s’en faut, le monopole de la grogne. Un peu partout dans le monde, elle a pris en otage l’opinion publique. D’après le World Happiness Report de l’ONU publié en mars 2017, la Norvège est, selon une série de critères, le pays le plus heureux du monde. « Mais si les Norvégiens sont heureux, pourquoi y a-t-il autant de commentaires  pleurnicheurs et malheureux sur les réseaux sociaux au sujet des réfugiés, des hommes politiques et de la bureaucratie », s’interroge Dagbladet.[5] Peut-être parce que l’époque est  à la plainte, peut-être parce que les réseaux sociaux sont devenus à la fois le réceptacle et le haut-parleur de grognes irraisonnées. La mode est à la bougonnerie.
Heureusement, nombre d’associations font évoluer positivement la société, sans attendre que les élus leur ouvrent la voie. L’émission de France Inter  « Carnets de campagne »[6]  donne, depuis plus de dix ans, la parole à des entrepreneurs, au sens premier du mot, à des responsables d’associations, de coopératives, d’organismes  qui travaillent à redynamiser le milieu rural, à tisser des liens, à développer des projets en économie sociale et solidaire, à soutenir les initiatives de développement durable et d’autonomisation, etc. L’émission se présente comme « le rendez-vous des solutions d’avenir à toutes les questions de vie, de consommation, de formation, de santé, de production, de culture ou d’habitat » et met en lumière les « invisibles des campagnes et des villes et leurs initiatives et inventions ». Dans le sillage de l’émission de Philippe Bertrand sont nés des Cafés des Bonnes Nouvelles[7] qui entendent sortir de la culture de la grogne « pour partager ce qui va bien », diffuser des initiatives positives, soutenir des dynamiques. Pourquoi toute cette dynamique est-elle autant occultée par une grogne finalement très irrationnelle  ? Il y a urgence à créer, en France, des structures de dialogue et de participation citoyenne.

(Note: la majeure partie de ce billet est extraite d'un projet de livre que j'avais intitulé "Pour en finir avec la classe politique - vers une démocratie citoyenne". Projet qui n'a pas trouvé preneur...)




[1]  France Inter, 29.9.2016, entre 8h20 et 9h.
[2] A. Comte-Sponville, "C'est chose tendre que la vie".
[3]  [3]  « Les Allemands, si loin, si proches »,  Stern, 18.09.2014, in Le Courrier international, 02.10.2014.
[4] « Malheureux comme un Français », interview de Claudia Senik, par Juliette Cerf, Télérama, 10.12.2014.
[5]  « Le bonheur est dans le Nord », in Le Courrier international, 23 mars 2017
[6] du lundi au vendredi de 12h30 à 12h45.
[7]  https://cafebn.wordpress.com

lundi 21 janvier 2019

Les Gilets jaunes par les nuls *

Que veulent encore les Gilets jaunes? Qui le sait? Eux affirmaient que l'objectif de leurs manifestations de samedi était d'être plus nombreux que le samedi précédent. Sacrée ambition! A Paris, ils ont défilé en boucle. Tourner en rond semble leur convenir. Difficile évidemment de connaître leurs revendications quand on voit que leurs différentes chapelles se disputent entre elles, que certains de celles et ceux qui se sont battus depuis le début replient pavillon tant ils et elles (surtout elles) se font insulter et même menacer de mort par d'autres G.J. (1)
Les agressions, parfois très brutales, de journalistes se poursuivent en Belgique comme en France. Ce mouvement est investi notamment par des hommes violents convaincus d'avoir tous les droits, et d'abord celui de cogner. Il est temps que cette hystérie fascitoïde s'arrête. Une sous-préfète me disait récemment être effrayée par le risque totalitaire qu'on soupçonne dans ce mouvement.
Disons-le sans détour: certains des G.J. les plus suivis (tant par d'autres G.J. que par la presse et par les partis extrémistes) ont une très mauvaise haleine. Ils dégagent une odeur d'égout. Ces nuisibles sont des propagateurs de haine, d'antisémitisme, de complotisme, d'analyses brutales et inquiétantes.  (2) Le magazine Marianne disait récemment de l'un d'eux qu'il n'était ni facho, ni anar, ni complotiste. En fait, il est tout cela à la fois et bien plus. Il répercute n'importe quelle information, même les plus idiotes et les plus inadmissibles, avant de s'empresser d'effacer celles qu'on lui reproche. Son excuse: il ne savait pas. Et c'est bien là l'énorme problème de ce mouvement, être composé de gens qui ne savent pas, d'analphabètes de la démocratie. Et même de la civilité.
Ils se plaignent de ne pas être entendus, mais refusent de participer aux débats organisés, pour tenter de voir clair dans leurs demandes, par l'Etat. Sont-ils donc rétifs au dialogue? Ont-ils peur de ne pas être d'accord entre eux, de se trouver face à des gens qui ne pensent pas comme eux? Il n'y a pas de démocratie sans débat. Quelqu'un les comprend-il encore? Où est leur logique (s'il y en a une)? Faut-il encore faire appel aux sociologues pour tenter de comprendre leur mouvement? Ne faudrait-il pas plutôt se faire éclairer par des psychologues?

(1)  https://www.huffingtonpost.fr/2019/01/17/attaques-sur-facebook-ces-gilets-jaunes-decident-de-jeter-leponge_a_23645537/?utm_hp_ref=fr-homepage
(2) https://www.nouvelobs.com/politique/20190114.OBS8414/eric-drouet-et-maxime-nicolle-que-nous-apprennent-leurs-pages-facebook.html
* (Re)lire sur ce blog "Les Gilets jaunes pour les nuls", 12.1.2019.

vendredi 18 janvier 2019

Sobriété

Les Gilets jaunes exigent une amélioration du pouvoir d'achat. Qui ne le souhaiterait? Mais pour acheter quoi?
Bien sûr, il y a trop de familles dans le besoin, trop d'isolés qui ne s'en sortent pas, trop de gens pour qui les fins de mois tombent le 15. Mais il y a aussi des besoins nouveaux qui nous coûtent cher.
"Il a vraiment augmenté le pouvoir d'achat? Non, peut-être" (1). Ainsi l'économiste belge Philippe Defeyt, de l'Institut pour un Développement durable, titre-t-il une note du 6 janvier dernier. Dans laquelle il constate que la consommation a, elle en tout cas, "augmenté qualitativement et quantitativement" depuis le début du siècle.
Il constate que le nombre de voyages en avion pour des vacances d'au moins quatre jours a doublé de 2000 à 2017. Dans le même temps, le parc automobile a augmenté de 20% et le nombre moyen de véhicules par ménage de 15%. La mobilité routière en voiture a progressé de 16% (alors que la distance moyenne parcourue par habitant est revenue à son niveau de 2000). Le pourcentage de ménages propriétaires d'au moins un téléphone mobile est passé de 45 à 98%. La proportion de ménages équipés d'un lave-vaisselle est passé de 41 à 62%. Les exemples se suivent et montrent que si nous avons parfois des fins de mois difficiles c'est aussi parce que nous dépensons plus. Nos frais en communication (Internet, appareils divers, abonnements aux différentes formes de télé, etc.), nos déplacements, y compris pour nos loisirs, notre équipement en appareils électroménagers ont fortement progressé, parce que nous avons rendu toutes ces dépenses indispensables dans nos vies.

Certains voudraient voir une similitude entre le mouvement des Gilets jaunes et celui de mai '68. Ils se trompent sur bien des points. Mai '68 dénonçait notamment la société de consommation. Novembre '18 indique plutôt une volonté de consommer plus.
Le grand débat qui débute en France devrait être l'occasion de repenser les taxes en même temps que notre consommation. On peut effectivement imaginer de taxer moins les produits de première nécessité, pour autant qu'ils répondent aux critères des circuits courts et d'une alimentation de qualité, respectueuse, dans ses modes de production, de l'environnement.
Et on peut donc, à l'inverse, envisager de taxer plus les produits qui ne répondent pas à ces critères, de taxer plus les produits de luxe, les produits polluants, de taxer les marchandises aux kilomètres parcourus. De taxer - enfin! - le kérosène, les billets d'avion, les voyages en navires de croisière.
Pour cela, il est indispensable de modifier les règles internationales, de quitter le principe de la libre concurrence entre les produits. Ils ne se valent pas tous, ils n'occasionnent pas tous les mêmes dégâts à la planète. Pour cela, il nous faut plus d'Europe, certainement pas moins. Pour cela, nous avons à lutter contre cette publicité qui pollue nos écrans, nos esprits et nos portefeuilles. Pour cela, il nous  faut accepter de consommer moins, avoir envie d'être plus sobres.

Post-scriptum:
https://plus.lesoir.be/201499/article/2019-01-19/le-kroll-du-jour-sur-le-salon-de-lauto
"j'étais peut-être un bourgeois moi aussi mais je n'étais pas écoresponsable, je roulais en 4x4 diesel - je n'aurais peut-être pas fait grand-chose de bien dans ma vie, mais au moins j'aurais contribué à détruire la planète",
"c'est un petit être impulsif le consommateur, bien plus impulsif que le bœuf",
Michel Houellebecq, Sérotonine, Flammarion, 2019.

(1) "Non, peut-être" est la manière bruxelloise (et tellement belge) de dire "oui, bien sûr". 


jeudi 17 janvier 2019

Des nouvelles de la France profonde

"La Vieille Gaule recherche jeunes pêcheurs" titre la Nouvelle République - Indre ouest. Comment faire en sorte que les jeunes aient la pêche en rejoignant une association de pêcheurs qui a pour nom  "La Vieille Gaule"? Disons-le comme on le pense : il n'est pas très bandant.

Voilà des nouvelles de la France profonde. Mais comment appelle-t-on l'autre France? La France légère, la France de surface, la France superficielle?

Dans la même série, (re)lire sur ce blog
"Des nouvelles de la France profonde", 17.6.2018, 10.10.2017 et 8.10.2016;
"Pour éviter le torticolis", 1.8.2016;
"Carnet rose", 2.8.2016

(1)  16.1.2019.

dimanche 13 janvier 2019

Froid dans le dos

Est-il encore question de revendications chez les Gilets jaunes? Ou plus simplement d'occuper les rues et les places, de montrer qu'ils existent et qu'ils ont tous les droits? Y compris de pratiquer les actes les plus infâmes?
Hier à Rouen, ce qui s'apparente à des milices G.J. a tabassé une équipe de journalistes de LCI (1). Et d'autres équipes de journalistes ont été agressées ou menacées dans d'autres villes (2).
Pendant ce temps à Paris, un homme qui se prétend journaliste Gilet jaune traque les élus et les journalistes pour les interroger sur le vif (3). Vraisemblablement sans carte de presse, en tout cas sans respect de la déontologie du métier, sans aucune objectivité et sans recul, il confond interview et interrogatoire, journalisme et justice. Son interlocuteur est, avant même qu'il ne l'aborde, déjà condamné, à partir d'arguments issus de l'imagination de ce procureur des rues, caché derrière sa caméra et enfermé dans ses certitudes. On ne doute pas qu'il provoquera, lui aussi, l'admiration du MélenChe: Fouquier-Tinville est réincarné (4).
Après neuf samedis consécutifs d'occupation (et de dégradation) de l'espace public, ce mouvement est toujours aussi incapable de se structurer et de porter des demandes collectives.
Et il voudrait donner la parole directement au peuple? Ce peuple-là, ensauvagé, effraie. Quelle attitude auront certains G.J. vis-à-vis de journalistes qui, avant un référendum, auraient le culot de faire leur travail, c'est-à-dire de confronter les points de vue, de mettre en perspective la question en débat, de jouer le rôle qui est le leur: critique et indépendant?
Quelle société totalitaire nous préparent les Gilets jaunes?

Post-scriptum: à lire cet article sur le même sujet et sur celui de la haine sur les réseaux dits sociaux ("Nausée", 10 janvier):
https://www.rts.ch/info/suisse/10134960--les-reseaux-sociaux-sont-devenus-le-caniveau-des-bassesses-humaines-.html

(1)  https://www.lavenir.net/cnt/dmf20190112_01280669/video-des-journalistes-de-la-chaine-lci-attaques-par-des-gilets-jaunes-a-rouen
(2)  https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/01/13/gilets-jaunes-plusieurs-journalistes-pris-a-partie-lors-de-l-acte-ix_5408480_3224.html
(3) https://www.marianne.net/societe/aphatie-tapie-crespo-mara-cet-inquietant-journaliste-gilet-jaune-autoproclame-qui-traque-les
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Fouquier-Tinville

jeudi 10 janvier 2019

Nausée

S'il y a une pétition pour faire interdire Facebook et Twitter, je la signe tout de suite.
Ce dégueulement ininterrompu de vulgarité, de bêtises, de grossièreté, d'agressivité, de haine, d'antisémitisme, de racisme, de sexisme, d'homophobie, de vomissements, de violence, d'injures analphabètes, de pharisianisme, d'idées stupides, de simplisme, de brutalité imbécile doit cesser.
Si, ne serait-ce qu'une semaine, les porte-voix des philistins se taisaient, le monde en serait un peu assaini. 
Exemples parmi beaucoup (trop) d'autres:
https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/01/09/retour-sur-les-actes-d-intimidations-visant-les-deputes-lrm_5406983_823448.html

Post-scriptum: il y en a une - dont on croyait que sa bêtise l'avait tuée - qui trouve un second souffle dans la haine, le bruit, la fureur et la confusion. Selon un sondage, la seule qui tire son épingle du jeu du climat populiste qui prévaut, c'est la fille à papa Le Pen. Gilets jaunes, savez-vous à quoi vous jouez?
(France Inter, Journal de 13h, 11 janvier 2018) - 
https://www.marianne.net/politique/gilets-jaunes-pourquoi-marine-le-pen-est-la-seule-en-profiter

La Tyrolienne haineuse 
Pierre Dac

Lorsque sans parti pris 
On établit le bilan 
D' l'humanité
D'aujourd'hui
Y d'vient limpid' comme
Un clair de lune et lumineux comme
Un clerc de notaire
Qu'c'est pas d'sitôt
Qu'les hommes s'ront frères
Et qu'malheureusement au contraire
Nous vivons à présent
Sous le signe affligeant
De la haine et d'ses affluents
C'est triste et déprimant !
Y a de la haine partout
Y a d'la haine tout autour de nous
Surtout partout où
Tout s'passe par en d'ssous
De mémoire de grincheux
Jamais dans les yeux
On n'vit tant d'regards haineux

Ah y en a t-i', y en a-t-i'
De cette haine qui
Saoûle les esprits qui
Perdent le sens d' la fraternité
Et ainsi çui d' l'altruisme aussi
Hélas ! hélas ! l'altruisme est foutu
Et c'est couru
Y a pas plus d'altruiste
Que de beurre au r'bus
Y a plus que d'la haine
Si bien que dans l'pays
Bientôt tout le monde sera haï
L'haï l'haï l'haï ti
L'haï l'haï l'haï ho
L'haï l'haï l'haï ti
L'haï l'haï l'haï ti

Mais là où la chose se complique
Et d'vient tragique
C'est qu'la haine devient pour chacun
Une espèce de besoin
Que d'authentiques sagouins
Entretiennent de près comme de loin
Y a d'la haine de toutes les nuances
D'la haine standard ou d'circonstance
Y a d'la haine de bon ton
Pour les haineux d'salon
Et de la grosse haine de confection
Mais de toutes les façons :
Y a trop de haine, oui
Y a trop de haine
Et y a trop d'haineux
Ca tourne au scabreux
Et au scandaleux
Car certains haineux en arrivent même
Entre eux
A s'traiter de tête d'haineux
C'est un cercle vicieux
Car quand un haineux
Hait un autre haineux
Celui qui hait est aussi
Par l'autre haï
De même que celui
Qui est haï haïssant
Celui dont il est haï
Chaque haï donc est
Un haï qui hait
Ce qui fait qu'en fin d'compte
On peut voir comm' ça
L'haï l'haï l'haï ici
L'haï l'haï, l'haï là !

Et voilà c'est comme ça
Oh bien sûr i' n'y a pas
Non y a pas d'quoi
En signe de joie
Se passer les paupières 
A la crème de Chester
Avec une tringle à rideau de fer
Y n'reste plus qu'une seule chose à faire
C'est d'rassembler par toute la terre
Tous les hommes généreux
Qui d'un coeur valeureux
Haïssent la haine et les haineux
C'est ce qu'il y a de mieux !
Hardi donc allons-y
Roulez tambours
Et sonnez trompettes et hélicons
Sus à ceux qui suent
La haine par tous les pores
Et qui s'font un sport
D'haïr de plus en plus fort.
A bas la haine et les haineux
Ainsi qu' ceux
Qui hurlent avec eux
Assez de haine assez d'gens
Qui passent leur temps
A haïr bêtement
Si nous tenons bientôt 
Nous en viendrons sûrement à bout
La confiance alors
Mettra l' monde d'accord
Et l'on s'ra content
D'voir les hommes d'à présent
Devenir de plus en plus confiants

Haine par-ci, haine par-là

Ah, y en a-t-y d' la haine
Ici bas.

mercredi 9 janvier 2019

Je cherche un homme *

Qui dira enfin quelque chose d'intelligent, de rassembleur, de distancié dans la fureur et la confusion actuelles?
Longtemps, la politique française a fasciné les Belges. Les discours y apparaissaient de haut vol. Est-ce encore le cas aujourd'hui où ils font du rase-mottes? La démagogie et les analyses simplistes dominent une France où les Gilets jaunes et leurs positions carrées et autocentrées prennent toute la place. L'hystérie domine. Il n'y a plus place pour des débats calmes, plus de recul, de regard critique. Une vision manichéenne prévaut: on est pour ou contre les G.J., pour ou contre les flics, pour ou contre le président. Un boxeur est transformé en héros. Un camionneur inculte sur le plan politique devient porte-parole et martyre. Les réseaux dits sociaux résonnent d'appels à la haine.
On voit tous autour de nous des personnes qu'on a toujours connues comme pacifistes, comme critiques, qui semblent avoir perdu tout sens de la mesure, éructent, soutiennent les violences, les encouragent. Certaines nous apparaissent pathétiques, d'autres effrayantes.
Ce mouvement né sur Internet est en phase avec la rhétorique qui y est utilisée. La violence s'y exprime sans complexe, tout comme le simplisme, l'absence de nuance. Nous voilà dans l'ère des yakistes. Ceux qui pratiquent le yaka. Y a qu'à baisser les taxes. Y a qu'à réinvestir dans les services publics. Y a qu'à faire tomber le président. Y a qu'à dégrader les radars et brûler des voitures. Y a qu'à entrer à l'Elysée. Y a qu'à diminuer les revenus des élus et des hauts fonctionnaires. Y a qu'à instaurer le RIC.
C'est logiquement que le référendum d'inititiative citoyenne est plébiscité par les G.J. Il leur apparaît comme LA solution au manque de démocratie (voir billet précédent "Une fausse bonne idée"). Il  correspond à l'époque actuelle: priorité à l'émotion et à l'immédiateté, pas à la réflexion.
De l'intelligence, de l'intelligence, de l'intelligence! Si ce n'est pas trop demander.

L'opposition n'apporte rien à cette criante absence de vrai débat, aucun plan de sortie de crise, aucune idée fédératrice. Elle se contente de jeter de l'huile sur le feu. On attend en vain un projet visionnaire, mobilisateur. On n'entend que des pyromanes. Un pyromane a-t-il d'autre projet que de voir le feu flamber? Tant le RN/FN que la France Insoumise (insoumise à quoi? à l'intelligence?) n'exprime rien d'autre que leur espoir de faire tomber le calife pour prendre sa place. Deux partis menés par des professionnels de la politique, qui ont toujours vécu de leurs mandats successifs et tous deux pointés pour leur absentéisme au Parlement européen quand ils étaient censés y siéger. Des profiteurs du "système" qu'ils dénoncent et qui se sont transformés en donneurs de leçons.
Personne n'ose se montrer un tant soit peu critique vis-à-vis des G.J. De peur de se faire aussitôt injurier, si pas menacer de mort (1). Les médias, globalement, se rangent de leur côté, oubliant de jouer leur rôle critique. Le peuple a toujours raison. Et des journalistes, telle la rédactrice en chef de Télérama, de sommer les artistes de soutenir les G.J.
Interpellée, Ariane Mnouchkine, directrice du Théâtre du Soleil, lui a répondu: "Pour une fois, je trouve que le silence des artistes est sage. Devant un phénomène aussi complexe, aussi difficile à analyser, avec un mélange des genres tel, je pense que nous les artistes, nous dirions beaucoup, beaucoup de bêtises.  (...) Je veux comprendre jusqu'où la démocratie peut être mise en danger. Quand on refuse toute représentativité, y compris de leur côté, moi, j'ai besoin de réfléchir, parce que ça peut mener à un désastre.  (...) Je ne veux pas parler sans bien comprendre ce qu'il peut advenir de beau et de positif pour la France et l'Europe - parce que moi, c'est l'Europe que je sens menacée - de ce mouvement. Il peut arriver le meilleur, il peut aussi arriver le pire. Donc, je me méfie." (2)

Au-delà de ce silence éloquent, on n'entend aucune grande voix, des domaines politique, social, culturel, économique ou philosophique, qui indiquerait une voie, ouvrirait des horizons, essaierait (au moins) de faire baisser cette tension excessive. Comment restaurer un dialogue en cette France déchirée? Quel idéal de société prôner pour rassembler les Français? Comment sortir du tout tout de suite? Comment avancer ensemble? Comment arriver à se parler?
Et pendant ce temps, la planète ne cesse de se réchauffer, la biodiversité de s'effondrer un peu plus chaque jour.
Y a quelqu'un?

* ou une femme, bien sûr.
(1) https://www.huffingtonpost.fr/2019/01/07/le-dessinateur-alex-porte-plainte-apres-des-menaces-de-mort_a_23635732/?utm_hp_ref=fr-homepage
https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/01/09/retour-sur-les-actes-d-intimidations-visant-les-deputes-lrm_5406983_823448.html
(2) https://www.telerama.fr/scenes/theatre-en-tete-a-tete-avec-la-passionnante-ariane-mnouchkine,n5934265.php
A lire:
https://www.nouvelobs.com/edito/20190108.OBS8134/gilets-jaunes-la-coupable-complaisance-face-aux-violences.html

lundi 7 janvier 2019

Quatre ans après


A lire: le numéro spécial de Charlie Hebdo: "Le Retour des anti-Lumières" (5.1.2019)
Et à (re)lire sur ce blog:
- "Tu t'es vu sans Cabu?", 6.1.2018;
- "Charlie va bien (merci pour lui)", 7.1.2017;
- "Aujourd'hui, comme hier et comme demain", 7.1.2016;
et de très nombreux billets en janvier 2015.

dimanche 6 janvier 2019

Une fausse bonne idée

Tout s'explique: de nombreux Gilets jaunes refusent de participer aux débats que le gouvernement organise sous leur pression parce que, disent-ils, ce dernier ne fera pas approuver par référendum la synthèse de ces rencontres. Faut-il en pleurer ou en rire? On s'interroge. Ces débats vont, fatalement, partir dans tous les sens et voir surgir d'innombrables revendications, souvent très contradictoires. On a vu, aujourd'hui encore, des G.J. réclamer la réouverture des mines. Oui, des mines. On ne sait lesquelles, mais visiblement certains baignent en pleine nostalgie ou en plein délire. Tout comme ceux, très actifs sur les sites de débat (voir billet précédent), qui rêvent du bon vieux temps et veulent interdire le mariage homosexuel.
Pensent-ils, ces rétifs aux débats, que chaque citoyen pourrait être amené à se positionner sur chacune des 150 ou 500 ou 5000 propositions qui sortiront de ces débats? Et quand bien même ce serait le cas, trouvent-ils positif que chacun ne puisse que choisir entre "d'accord" et "pas d'accord", alors qu'il y a tant de nuances à apporter, tant d'options alternatives à imaginer par rapport à toute question? Et donc tant de débats à avoir encore et toujours. La démocratie ne résume pas à se poser pour ou contre une idée. 

D'où vient cette idée que le référendum serait plus démocratique que le système représentatif? Le référendum, c'est la démocratie pour les nuls.
Les électeurs doivent s’y prononcer de manière simple (voire simpliste) : ils sont pour ou ils sont contre la solution ou le projet proposé et ne peuvent en suggérer d’autres. Si la question n’est pas d’une simplicité évidente, certains électeurs risquent de mal l’interpréter et de répondre de manière exactement inverse de la position qui est la leur. Le libellé de la question est donc fondamental et devrait donc être défini très largement, pas seulement par la majorité qui souhaite la poser. Ce qui, en soi, n’est déjà pas une sinécure. J’ai un jour entendu un électeur déclarer à un journaliste qu’il avait voté non à un référendum parce que le fond du sujet lui échappait et que, ne voulant pas prendre de risques, il préférait refuser le projet en débat. Son opposition s’apparentait donc, en réalité, à un vote blanc… qui ne l’était pas.
Il n’est pas rare que des responsables politiques à l’origine d’un référendum en espèrent un plébiscite en leur faveur. A l’inverse, l’opposition y voit une occasion de rejeter les élus en place. « Il (le référendum) risque, écrit le journaliste Thomas Legrand, de susciter une réponse adressée à celui qui pose la question plutôt qu’à la question elle-même. »[1] Enfin, question essentielle : la vox populi doit-elle être considérée comme la vox dei ? A-t-elle forcément raison ? Quelle connaissance du sujet abordé, des causes du problème, des implications de la solution proposée ont les citoyens amenés à se prononcer ? Comment éviter que la vox populi ne s’exprime dans l’émotion ? Comment se garantir d'avoir une position de chacun qui découle d'une réflexion sur la question abordée? Comment éviter  de tomber dans le populisme ? « Etablir un lien direct entre le peuple et le souverain sur une question simplifiée en passant par-dessus tous les intermédiaires, c’est une définition du populisme », fait remarquer Thomas Legrand qui cite là Pierre-André Taguieff. « Il est beaucoup plus facile, et immédiatement valorisant, écrit-il encore, de proposer un référendum que d’imaginer  des solutions pour résoudre la crise de représentation, le problème de la reproduction inégalitaire des élites, la régénération des corps intermédiaires qui représentent pourtant ce qui est censé faire vivre la  démocratie, en profondeur et au jour le jour… »[2]                                                                               
Lors d’un référendum, comme lors d’élections, on demande juste aux citoyens de cocher une case sans forcément connaître le programme ou les conséquences de leur choix. On fait appel à leurs sentiments, à leurs émotions, pas à leur raison.

Le Brexit fut l’exemple même du référendum dévoyé. A quelle question ont vraiment répondu les Britanniques ? « Peut-on, de grâce, dépasser le mantra prononcé d’une voix solennelle selon lequel Le peuple a parlé ?, demande l’écrivain britannique Julian Barnes. Les gens ont répondu à une question posée par une élite politique excessivement confiante. On leur a accordé une réponse monosyllabique. Sur cette base, une version légèrement différente de cette même élite choisit d’interpréter cette monosyllabe d’une manière qui convient aux intérêts de sa propre politique et de son  propre parti. Cette volonté du peuple n’exprime, à l’évidence, aucune volonté commune. Et la volonté du peuple mène trop facilement aux ennemis du peuple, cette expression stalinienne désormais adoptée par le Daily Mail, la Pravda de la droite. »[3]
De nombreux observateurs s’accordent à dire que ce qu’ont surtout voulu indiquer les participants à cette consultation qui se sont prononcés pour le Brexit, c’est  leur refus de l’immigration bien plus que leur volonté de rompre les amarres avec l’Union européenne et que nombre d’entre eux ignoraient totalement les conséquences d’une sortie de leur pays de l’U.E., ni par rapport aux risques de désunion du Royaume, ni par rapport à leur avenir sur le plan socio-économique.
Les ténors politiques qui ont fait campagne pour le Brexit ont d’ailleurs laissé entendre dès le lendemain de leur « victoire » qu’ils n’en savaient fichtrement rien et qu’ils avaient utilisé certains arguments fallacieux.
« Tout au long de la campagne, écrit Le Soir, les nationalistes avaient martelé un argument de masse. Ils estimaient que le Royaume-Uni envoyait chaque semaine plus de 350 millions de livres sterling (environ 434 millions d’euros) à l’Union européenne. En cas de Brexit, l’idée de l’UKIP était de rediriger cette somme vers le National Health Service (NHS), la sécurité sociale britannique. (…) À la journaliste qui lui demande s’il peut garantir que ces millions iront au NHS, Farage ne peut que reconnaître l’erreur de son parti : Non je ne peux pas le garantir et je ne peux pas faire cette promesse… et de reconnaître quelques secondes plus tard : C’est une erreur qu’a commise le camp du Leave Europe.  »[4]
On se retrouve donc dans un référendum dans une situation analogue à celle d’une élection : toutes les déclarations, même les plus mensongères, sont bonnes pour gagner. Mais ce sont les citoyens – et pas les élus - qui sont directement responsables de la décision prise, même si les bases de celles-ci sont faussées.
« Lorsque nous avons eu le référendum, personne n’avait de plan, cela n’a pas été discuté. Le seul débat était sur l’opportunité ou non de quitter l’U.E. », déclarait l’ancien ministre conservateur Kenneth Clarke.
Certains leaders tenants du Brexit ont crié victoire le soir du Brexit, leur ego vibrant de satisfaction, pour démissionner dès le lendemain de peur de devoir assumer les conséquences de ce qu’ils ont voulu sans y jamais vraiment y croire… Dans son rapport, la Commission électorale britannique sur la campagne  a enregistré le dépôt d’un millier de plaintes pour désinformation. Même si 82% des votants estiment avoir bien compris les enjeux et que 62% d’entre eux considèrent avoir été bien informés. Mais ce, constate le journaliste Andy Lindfield, dans une campagne pourtant largement critiquée par les observateurs pour son populisme et ses mensonges.[5]

Le Brexit pose également la question de la légitimité du vote de tous. Chaque voix est-elle égale dès lors que le résultat global engage l’avenir des générations suivantes ? La question peut sembler s’opposer au principe démocratique, mais comment doit ou peut s’exprimer le mieux la démocratie ? Par le vote de chacun des citoyens ou par celui de représentants censés prendre du recul et débattre longuement avant de se positionner ?  Suite au référendum sur le Brexit, une analyse menée par l’ancien député conservateur britannique Michael Ashcroft indiquait que 73% des 18-24 ans et 62% des 25-34 ans ont voté pour rester dans l'U.E., alors que 60% des plus de 65 ans ont voté pour la séparation avec Bruxelles. 
Un barman de 21 ans déclarait qu’il ne trouvait « pas juste que les vieux parlent pour nous. Sans vouloir froisser personne, nous allons vivre plus longtemps qu'eux. Je me sens dépossédé de mon avenir. »[6]

Le journaliste suisse Richard Werly (Le Temps) constate que la question posée n’indiquait rien des conséquences immédiates du vote. « Il y a un vrai problème d’information, selon lui. Il faudrait une fiche explicative qui accompagne obligatoirement la convocation au référendum. »[7]
Les Suisses ont l’habitude des votations : depuis 1848, ils ont été invités plus de trois cents fois à se prononcer  sur des sujets de niveau fédéral, cantonal ou communal.[8] La participation y est en moyenne de 40% (on s’accordera à dire que ce n’est là un taux réjouissant qui témoignerait de la vitalité du système). Le thème est connu quatre mois à l’avance, ce qui permet aux initiateurs de la votation de mener campagne et à chacun de recevoir une documentation détaillée et de débattre du thème. « Ces consultations coûtent cher et l’argent y joue de plus en plus un rôle important, à grand renfort d’affiches chocs qui simplifient le débat », déplore la journaliste Virginie Langerock.[9]

Aujourd’hui, s’il est une nation en Europe qui se trouve en incapacité totale d’imaginer de quoi son avenir immédiat sera fait, c’est bien le Royaume-Uni dont la moitié des électeurs, poussés par des populistes irresponsables, a choisi un saut dans l’inconnu. Le référendum n’est pas la forme la  plus aboutie de la démocratie. Loin s’en faut.
La Catalogne, de son côté, a perdu par un référendum toute l’autonomie dont elle jouissait. Les tenants de l’indépendance ont triomphé très brièvement. Ici encore, l’absence de stratégie et de réflexion s’est retournée contre eux. Il en va de même pour le Kurdistan irakien.

Les politiques utilisent trop souvent le référendum comme « un instrument tactique pour leur propre carrière politique », estime Dominique Rousseau, auteur de « Radicaliser la démocratie »[10] Le juriste considère que « le référendum n’est pas un instrument qui permet au peuple de parler, mais un instrument qui permet au gouvernement de faire parler le peuple dans le sens qu’il veut ». Il rappelle qu’existent d’autres instruments, tels que les assemblées délibératives.[11]
Le référendum a les faveurs des populistes qui souhaitent éviter tous les corps intermédiaires pour créer, disent-ils, un lien direct entre le peuple (qu’ils sont, eux populistes, les seuls à pouvoir représenter) et le gouvernement. « S’ils envisagent un référendum, dit le politologue allemand Jan-Werner Müller, ce n’est pas pour ouvrir un processus de débat, mais pour que les électeurs entérinent ce qu’ils ont préalablement déclaré comme étant l’authentique volonté populaire. »[12]

En Italie, Matteo Renzi a démissionné suite au « non » qui s’est exprimé lors du référendum de l’automne 2016. Il voulait notamment mettre un terme à l’instabilité gouvernementale. Il a réussi l’inverse. Quelle mouche l’a donc piqué pour qu’il annonce, en lançant ce référendum autour de son projet de réforme de la constitution, qu’il démissionnerait en cas d’échec ? Il a lui-même vicié dès le départ l’enjeu de ce référendum en en faisant une question personnelle. Quel pourcentage d’Italiens qui ont voté « non » l’ont fait pour faire tomber le président du Conseil plutôt que par opposition à son projet de réforme ?
« Je ne pense pas que l’on puisse continuer avec un système “constitutionnel” que tout le monde critique depuis des décennies et ne pas vouloir le changer », avait déclaré Matteo Renzi. Les institutions politiques italiennes sont désuètes et il semble bien qu’il y ait un souhait général de les simplifier et de les moderniser, mais cet objectif ne s’est finalement pas retrouvé au cœur du débat, la voie référendaire n’était sans doute pas la meilleure…

Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute… Plus que jamais, la voix du peuple est présentée comme celle du bon sens. En France, à l’automne 2016, lors de la primaire de la droite et du centre pour l’élection présidentielle, les candidats ont fait assaut de propositions de référendums : mettre fin au non-cumul des mandats, réduire le nombre de mandats dans le temps, réduire le nombre de parlementaires, suspendre le droit automatique au regroupement familial, fixer des quotas d’immigration, au total ce sont treize propositions de référendums qui étaient avancées par les différents candidats. Certaines étaient possibles, d’autres douteuses, selon certains juristes.[13]
Interrogation plus fondamentale : faut-il confier à la population la responsabilité de régler des questions dont certaines nécessitent des débats longs et nuancés  ? Ce que peuvent prendre le temps de mener des assemblées, élues et/ou désignées par tirage au sort, en écoutant avant toute décision les différentes parties concernées, en analysant les causes des problèmes, en soupesant les conséquences des différentes options, en débattant avant toute décision.




(Note: la majeure partie de ce billet est extraite d'un projet de livre que j'avais intitulé "Pour en finir avec la classe politique - vers une démocratie citoyenne". Projet qui n'a pas trouvé preneur...)


Sur ce thème du réferendum, (re)lire sur ce blog:
- "Référendum piège à cons", 25.6.2018;
- "Arroseur arrosé", 29.12.2017;
- "En avant, y a pas d'avance", 26.6.2016;
- "Sainte Démocratie", 23.6.2016.


[1] Thomas Legrand, “Arrêtons d’élire des présidents”, Stock, 2014.
[2] Thomas Legrand, op. cit.
[3]  “Julian Barnes craint les jours durs du Brexit”, Le Soir, 13.5.2017.
[5] Vox Pop, Arte, 23.10.2016.
[7] Arte, 28 minutes, 27.6.16.
[8] https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/votations.html
[9] Vox Pop, Arte, 23.10.2016.
[10]  Seuil, 2015.
[11]  Arte, émission 28 minutes, 27.6.16.
[12]  “La voix du peuple, vraiment?”, Télérama, 2.11.2016.
[13]  http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/10/11/primaire-a-droite-tous-ces-referendums-sont-ils-possibles_5011850_4355770.html