dimanche 31 mars 2019

Tous pieds nus

Les Suédois, nous dit-on (1), ont repris l'habitude japonaise de retirer leurs chaussures en entrant dans une maison. Et certains architectes d'intérieur ont maintenant créé une skogräns, littéralement une frontière des chaussures, dans des écoles et des maisons de retraite. Résultat: "déchaussés, en prise avec le sol, les enfants (et les grands) sont plus civils et pacifiques".
Bon sang! Mais c'est bien sûr! La voilà la solution pour que le monde tourne mieux: hâtons-nous de déchausser Trump, Bolsonaro, Orban, Poutine, Salvini, Xi Jinping, Erdogan, ben Salmane, Khamenei et tous les nuisibles et les hargneux qui se multiplient sur la planète.

(1) "Souliers interdits de séjour", Télérama, 20.3.2019.

jeudi 28 mars 2019

L'absence de radar tue

Ah! c'est vraiment chouette de rouler ces derniers mois sur les routes françaises. Les Gilets jaunes, dans leur haine de l'Etat, ont détruit ou mis hors d'état de fonctionner les trois quarts des radars du pays. Résultat: le nombre de morts sur les routes est reparti à la hausse. Et pas un peu: du jamais vu depuis dix ans: + 4% en janvier et + 17% en février (37% de plus qu'un an auparavant), soit 253 personnes décédées le mois dernier. Parmi elles, beaucoup de cyclistes et de piétons. Les responsables nationaux de la sécurité routière pointent du doigt la destruction des radars. Elle crée "un sentiment de carnaval", affirme l'un d'entre eux, l'impression qu'on peut rouler sans limites. Ce qui, mécaniquement, dit-il, provoque des accidents (1). 
Si d'aventure un Gilet jaune était amené à lire ce billet, il serait intéressant qu'il nous explique quel est l'intérêt de niquer des radars. Et qu'il ne nous sorte pas le vieil argument rabaché et stupide de l'Etat qui vole les braves automobilistes. Sans compter le manque à gagner, le remplacement des radars détruits ou leur remise en état est estimé à quarante millions d'euros. On ne peut s'empêcher de se dire qu'on aurait pu mener tant de projets sociaux ou culturels intelligents avec une telle somme plutôt que de la dépenser pour réparer une casse imbécile. Les morts, eux, ne reviendront pas.

(1) Journal de 13h, France Inter, 28.3.2019.

Post-scriptum: "Casser les radars, l'œuvre d'abrutis":
https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-eco/l-edito-eco-29-mars-2019

mardi 26 mars 2019

La cécité de la social démocratie

La social-démocratie est aujourd'hui en ruines un peu partout. Trop sûre d'elle-même, d'une existence inaltérable, elle n'a pas su anticiper le changement, surtout climatique. Du haut de sa prétention, elle a toujours été convaincue qu'il fallait accompagner le capitalisme en essayant d'en gommer les aspérités et en assurant une certaine redistribution, auprès des plus faibles, des bénéfices de la finance triomphante. Elle a accompagné le productivisme. L'a même ardemment soutenu, pourvu qu'il crée des emplois. Sans avoir d'autre projet, sans avoir de vision, sans anticiper quoi que ce soit. Tout projet industriel ou commercial devait être soutenu s'il annonçait au moins vingt emplois, et tant pis pour les conséquences, notamment environnementales. "La gauche, notamment, en intériorisant l'apologie de l'industrialisme capitaliste, a montré son incacapacité à inventer un imaginaire politique propre, opposé à ce productivisme", estime le philosophe Serge Audier (1).
Dès le début du XIXe siècle, rappelle-t-il, des penseurs avaient vu venir la menace écologique, mais le camp progressiste s'est laissé dominer par "une hégémonie industrialiste et productiviste". Il parle d'une défaite politique et idéologique: "des voies alternatives ont existé, mais elles ont été piétinées et oubliées par le courant dominant".
Serge Audier rappelle les réflexions de penseurs du XIXe: Charles Fourier qui esquissa "une sorte de socialisme jardinier qui entendait se réconcilier avec la nature", John Stuart Mill qui anticipa la problématique de la décroissance, Franz Schrader qui prônait la préservation rationnellle des forêts vierges, Edmond Perrier qui a vu venir l'épuisement des ressources, Elisée Reclus qui a développé "une critique écologique de l'industrialisme au nom de la liberté, mais aussi de la la rationalité scientifique". Toutes leurs analyses n'ont pas pesé lourd face à la nécessité d'une croissance infinie.
"Porteuse d'une critique du capitalisme et d'un projet alternatif, la gauche aurait dû en effet prendre davantage en charge le péril écologique. Or, elle l'a fait mal, peu ou pas du tout."
Après la chute du communisme, "si fortement anti-écologique", le productivisme s'est fait tout-puissant et surtout fascinant: "depuis le productivisme souverainiste jusqu'à celui du centre gauche social-libéral qui, épousant les mutations du capitalisme et de la mondialisation, a encore pour horizon la relance de la croissance".
Cette histoire de la gauche, même marxiste, qui a intériorisé la nécessité historique du capitalisme industriel, dit Serge Audier, est aussi "celle d'une impuissance à développer un imaginaire propre". Aujourd'hui, il constate que, si en France la droite et l'extrême droite continuent à croire en la croissance, la gauche reste indécise. "Le populisme de gauche, incarné par Jean-Luc Mélenchon, se réclame d'un éco-socialisme, mais l'ambiguïté demeure, car en privilégiant le thème du clivage entre le peuple et les élites, il tend à gommer l'urgence écologique". Benoît Hamon, dit-il encore, "a compris que le logiciel productiviste était une impasse, (...) mais peine à construire un discours cohérent et à trouver une base sociale.

Le PS, totalement affaibli, a fait le choix de s'associer au mouvement Place publique et de Raphaël Glucksmann qui plaident pour un "nouveau contrat social" et pour "une écologie tragique": "seule l'écologie a la cohérence idéologique et la puissance tragique pour produire, traduire et surtout pérenniser cette révolution mentale " (2) qu'implique un véritable changement de modèle de société.
Ce qui n'empêche pas certains responsables socialistes de rester coincés dans de vieux fonctionnements et des visions totalement dépassées de développement: le projet EuropaCity, monstrueux centre commercial avec hôtels, terrains de sport, pistes de ski, sur 80 hectares aux portes nord de Paris (3), a vu son plan d'urbanisme annulé par le tribunal administratif. Il s'agit de sauver du béton des terres agricoles "particulièrement fertiles". Le maire de Gonesse s'est empressé de faire appel de cette "péripétie juridique". Il est socialiste.

Le Ps wallon reste dans les mêmes vieux schémas. De loin en loin, il découvre la nécessité écologique. J'y pense et puis j'oublie. C'est la vie, c'est la vie. Il n'y a pas si longtemps un projet similaire à EuropaCity, à deux pas de Tournai, celui de Centre international des sports de glisse, était vivement soutenu par les quatre bourgmestres concernés qui ont fait des pieds et des mains pour que ce projet, totalement mégalo et opposé à toute logique de défense de l'environnement, puisse voir le jour (ce qui ne fut pas le cas en l'état, heureusement). Ils étaient tous les quatre membes du Ps.
Aujourd'hui, la tête de liste du Ps wallon pour les élections européennes, le bourgmestre de Charleroi Paul Magnette, rassure ses électeurs: la transition écologique se fera sans heurts pour la population chacun sera libre de continuer à vivre comme il l'entend. "Il faut arrêter de dire aux gens qu'ils devront faire des efforts" (4). Comme si l'indispensable transition écologique allait glisser d'elle-même, sans bruit et sans casse et qu'un deus ex machina allait la prendre en charge. C'est sans doute au Ps qu'on retrouve aujourd'hui le plus grand nombre de croyants. C'est le même Magnette - alors qu'il était Minsitre en charge du climat - qui s'était montré, à l'époque, favorable au projet de Centre de Glisse, sous prétexte que, si on mange équilibré, on a aussi le droit de temps en temps de s'offrir "un bon sachet de frites". On avait peu, très peu, apprécié l'argument. Magnette continue à caresser ses électeurs dans le sens du poil, essayant de (faire) croire que le modèle de développement restera identique ou en tout cas que le nouveau arrivera de lui-même en souplesse. La social-démocratie reste en retard d'une guerre. Or, on est dans l'urgence absolue. Mais pour cette social-démocratie la seule urgence semble être celle des élections.
Pourtant, des efforts peuvent vite devenir des plaisirs: marcher plus, rouler à vélo, oublier le plus souvent possible sa voiture, cesser de prendre l'avion (5) , faire l'effort de consommer moins, de chauffer moins sa maison, d'éviter de gaspiller énergie, eau, espaces verts, acheter local, pratiquer le troc, l'échange et le don, cultiver son potager ou participer à des jardins collectifs. Si on veut vraiment du changement, il faudra bien que nous fassions tous des efforts. Les candidats gentillets devront l'admettre.
Et, de grâce, que les membres du Ps cessent de chanter, le poing levé, l'Internationale à la fin de leurs congrès. Le ridicule ne tue pas, mais quand même... Si l'on a une vision internationaliste et sur le long terme, il faut aussi et d'abord avoir une vraie vision écologique. Mais la vision de la social démocratie ne semble pas dépasser l'horizon électoral.

Note: Est-ce possible? Voilà que je découvre que Paul Magnette, tête de liste du Ps francophone belge pour les élections européennes de mai prochain, annonce d'emblée qu'il ne siègera pas au Parlement européen et restera bourgmestre de Charleroi. Ahurissant! Il n'a donc rien compris non plus à la demande, qui s'exprime de plus en plus en ce moment, d'une démocratie plus exemplaire. Il va donc se faire plébisciter dans l'environnement social démocrate francophone, faire son tour de piste, être élu et faire passer son suppléant?! Mais il est clair, nous dit-il, tranquillement. Il prévient ses électeurs, ils l'éliront en connaissance de cause. S'il est candidat tête de liste, qu'il assume! Quel mépris pour la démocratie! Si le changement est en marche au Ps, c'est en marche arrière.
https://www.rtl.be/info/belgique/politique/propose-tete-de-liste-du-ps-pour-les-elections-europeennes-paul-magnette-affirme-qu-il-n-y-siegera-pas-1082712.aspx
https://plus.lesoir.be/194249/article/2018-12-06/paul-magnette-tete-de-liste-ps-aux-europeennes-lelecteur-est-perdant

(1) "Pas très écolo, la gauche!", Télérama, 27.2.2019.
(2) Raphaël Glucksmann, "Les Enfants du vide - De l'impasse individualiste au réveil citoyen", Allary Editions, 2018.
(3) Relire sur ce blog  "Tant d'émotions, si naturelles", 27.10.2014.
(4) https://www.lalibre.be/actu/politique-belge/paul-magnette-en-matiere-climatique-il-faut-arreter-de-dire-aux-gens-qu-ils-devront-faire-des-efforts-5c951ec7d8ad58747703f00a
(5) qui n'est pas, quoi que veuille en penser Magnette, un privilège de riches. Au contraire, avec les vols low cost, on voit de très nombreuses personnes de milieu populaire ou des classe moyennes qui prennent plaisir à partir passer un week-end à l'autre bout de l'Europe pour moins de 50 €.

samedi 23 mars 2019

Ça suffit (2)

Je n'ai pas l'habitude de diffuser, tels quels, sur ce blog d'autres textes que les miens. Mais je ne résiste pas au plaisir de reproduire ci-dessous un texte de Bruno Frappat, directeur du quotidien (au titre si étrange et si rébarbatif) La Croix, et auparavant directeur de la rédaction du Monde. Je partage. Entièrement.

Ça suffit, les gilets jaunes !
Bruno Frappat , le 22/03/2019 à 10h48 - La Croix

Le moment est venu où l’on aimerait faire autre chose, le samedi, que de se demander dans quel quartier de Paris, ou dans quelle ville moyenne les gilets jaunes vont défiler ou stationner. C’est assez d’énergie vitale dépensée depuis le 17 novembre à se planter devant BFM TV, la chaîne qui est aux gilets jaunes ce que TF1 fut naguère à la Formule 1 ou Canal + à la pornographie. Impossible de se détacher de ces images en boucle et de ces commentaires creux tentant de décrire chaque détail des drames en cours. On a même surpris un jour la chaîne officielle des plaies et bosses montrer en direct, de toute urgence, des images venues de Toulouse où, expliquait l’envoyé spécial, il y avait déjà « une dizaine de gilets jaunes en train de se rassembler non loin de la place du Capitole » sous l’œil encore bonhomme de quelques CRS immobiles.
Que de temps perdu à essayer de lire un message clair sur les visages exaspérés de ces manifestants déguisés en naufragés de la route. Que de dizaines d’heures passées à subir des vociférations sur leurs colères irrépressibles, venues du fond de détresses matérielles dont on voulait bien admettre la réalité. Que d’invitations complaisantes sur plateau à certains de leurs représentants (mot inadéquat) pour laisser libre cours, à longueur d’antenne, à leur détestation de tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à une autorité, de tous ceux qui, de près ou de loin, détiennent une parcelle de pouvoir.
Un jour, ce sont les chefs d’État que la France s’est donnés « depuis trente ou quarante ans », le lendemain ce sont les députés « payés à rien faire avec notre argent », « les hauts fonctionnaires », ces « incapables trop payés avec nos impôts », le surlendemain ce sont les journalistes, ces bobos des villes qui disent et écrivent n’importe quoi sous la dictée du pouvoir depuis leurs bureaux parisiens. Ou bien ce sont les policiers d’une « violence » que « même l’ONU a décidé de condamner » et qui mutilent les braves gilets jaunes, leur crèvent les yeux, leur sectionnent les mains ou les bras avec une sauvagerie inégalée sur terre.

Mauvaise foi
Au bout d’un moment, franchement, la coupe de la haine ainsi déversée déborde dans nos salons et nos appartements au moment où s’annonce d’ordinaire le calme salutaire et domestique des week-ends familiaux et nous n’en pouvons plus. Nous en avons eu par-dessus la tête du simplisme, de la violence verbale et physique, de la vulgarité de la « pensée », de la mauvaise foi à propos des commentaires politiciens des hommes et femmes tentant de récupérer à leur profit un mouvement populaire. Mouvement monopolisant à la fois la parole et la légitimité du « peuple » dont il n’est pourtant qu’une infime partie, l’équivalent d’un Parc des Princes. Mauvaise foi quand les « bons » manifestants sont soigneusement distingués des horribles casseurs dont ils sont les poissons pilotes. Laideur de ces « braves gens » qui se photographient triomphalement devant des kiosques calcinés, comme des chasseurs d’Afrique le pied martial posé sur les cadavres de lions ou d’antilopes.
Convenez que, pour un journaliste, voir brûler un kiosque à journaux provoque un intense traumatisme et que ces faux badauds rigolards en train de filmer la scène paraissent des complices de criminels. Il n’y a rien de plus pénible que ces scènes répétées d’hommes à terre, isolés, battus par des groupes haineux, qu’il s’agisse de policiers ou de gilets jaunes et leurs alliés à capuches noires ; rien de plus honteux pour notre civilisation que ces émeutiers s’emparant de tout ce dont débordent les boutiques qu’ils ont éventrées et qui repartent en courant chez eux avec leur butin de luxe.

Assez de tout cela, épargnez-nous cela, gilets jaunes ! Assez de ces saccages en direct, de ces analyses fumeuses sur le niveau d’aspiration démocratique que cela traduit. Assez de ces péremptoires analyses des maladresses du pouvoir, de son « autisme », de ses séjours au ski ou dans de folles soirées en famille ou entre amis. Assez de ces tombereaux de haine, de grossièretés dont, dès le début du mouvement, nous avions anticipé que cela finirait par sentir très mauvais. De nombreux lecteurs, cathos désolés, nous avaient reproché de ne pas être du côté des « pauvres » et de mépriser, bourgeois incorrigible, une révolte juste. Certains nous vouèrent à la géhenne. Nous ne regrettons pas d’avoir, semaine après semaine, au risque de radoter, dit tout le mal que nous ressentions au spectacle de ce mouvement des « ronds-points », dont la place de l’Étoile fut le point d’orgue navrant pour une symphonie nationale d’une particulière mocheté. Assez, aussi, de ne pas pouvoir dire un mot sans être traité de richard, de Parisien ignorant les besoins des « vraies gens », de journaliste planqué sous son clavier et tirant ses grenades de mots.

Interdictions
Tellement assez qu’on en vient à approuver les décisions « liberticides » visant à interdire certaines de ces manifestations qui nous gâchent l’existence et nous auront fait passer, à nous qui sommes autant la France que tous les violents et les mécontents perpétuels, un des pires hivers de notre existence. Mauvaise foi, toujours, de ceux qui, après avoir reproché au pouvoir sa faiblesse et son laxisme, en viennent, dans le même souffle, à dénoncer le passage en force au niveau répressif que représente l’interdiction de manifestation dans certains quartiers de nos villes.

Oh ce goût d’amertume que nous laisse le mouvement des gilets jaunes et dont la trace dans l’histoire sera celle d’un immense gâchis, divisant les Français et déchirant les familles au-delà du raisonnable. Ce sera le souvenir de milliers de braves gens, en effet, manipulés par des petits malins et des pervers qui détestent la société et les règles qui la régissent. Cela restera le souvenir d’une grande manipulation et d’un théâtre d’ombres accoutrées. Dès le début, on pouvait deviner sous les cagoules des petits voyous venus de tous côtés, et représentant le visage odieux du fascisme et de son pendant, l’anarchie, avec ces « révolutionnaires » qui rêvent dans le noir et tentent d’abattre le régime sous lequel nous vivons – pas si mal. Donc, voyous et braves gens, laissez-nous maintenant goûter le printemps, qui a fini par revenir.

Bruno Frappat

https://www.la-croix.com/Debats/Chroniques/Ca-suffit-gilets-jaunes-2019-03-22-1201010625?from_univers=lacroix

Post-scriptum:
Quelques slogans - édifiants - vus dans les manifs de ce samedi:
"Militaires, policiers, désobéissez, rejoignez-nous contre cette mafia";
"Stop à l'oppression du gouvernement et des médias contre les citoyens en colère!";
"Arrête le bla-bla, on attend les résultats";
"On en a marre de se faire taxer, rends-nous notre pognon".
Mon slogan à moi: "On n'est pas sauvé avec cette bande-là".

(Re)lire sur ce blog:
- "Ça suffit", 16.3.2019;
- "Pourquoi Paris brûle-t-il?", 19.3.2019;
- "Morosité et populisme", 3.3.2019;
- "Les Gilets jaunes par les nuls", 21.1.2019;
- "Les Gilets jaunes pour les nuls", 12.1.2019
et tant (trop) d'autres billets sur ce thème irritant.

vendredi 22 mars 2019

Les impasses du yaka

Intéressant constat qui se dégage des derniers sondages effectués en Grande-Bretagne à la veille du Brexit : s'il devait y avoir un nouveau référendum (ce que peu de Britanniques envisagent), le maintien dans l'U.E. serait majoritaire. Non que des électeurs auraient changé d'avis depuis trois ans. Mais ce sont les nouveaux électeurs, les jeunes maintenant en âge de voter qui voient quasiment tous leur avenir dans l'Europe.
Ce qui pose des questions de fond par rapport à des référendums qui engagent l'avenir. La logique veut que chacun dispose d'une voix. C'est démocratique. Mais est-ce démocratique que dans un pays vieillissant les personnes âgées décident de l'avenir des jeunes?
En tout cas, les errances et les impasses du Brexit démontrent que le référendum n'est en rien LA voie démocratique suprême. On voyait hier Boris Johnson, chantre du Brexit, fuir à vélo, évitant les questions d'une journaliste télé. L'homme a un bon coup de pédale. Mais plus rien à dire.
Ce référendum fut et reste une catastrophe. Personne, absolument personne, n'avait envisagé la moindre conséquence du "leave". Personne, absolument personne, n'avait imaginé concrètement les conséquences économiques et politiques du Brexit, la fuite de nombre de banques et d'entreprises. Personne, absolument personne, n'avait pensé aux conséquences désastreuses du Brexit sur la frontière entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord. Comment a-t-on pu organiser dans de telles conditions, c'est-à-dire sans la moindre réflexion, un référendum d'une telle importance? Le yaka s'est imposé avec des arguments mensongers, mais se heurte maintenant à l'extrême complexité qu'il a toujours voulu ignorer. Tous ceux qui aujourd'hui en France réclament haut et fort l'instauration du principe du référendum feraient bien d'y réfléchir. Sous ses allures de modèle hyper démocratique, le référendum peut mener à un saut dans le vide. 

En même temps

"Mais pourquoi les restaurants français sont-ils devenus dès leur invention les meilleurs du monde?", demandait ce matin sur France Inter Nicolas Demorand qui introduisait ainsi un invité qui a écrit un livre à ce sujet. Je ne voudrais surtout critiquer le pays qui m'accueille et où j'ai tant de plaisir à vivre désormais, mais je voudrais, à mon tour, poser une question: pourquoi les Français qui sont si convaincus d'être les meilleurs en tout sont-ils en même temps si grognons, jamais contents? Finalement, le président Macron qui s'est fait élire sur cette idée qu'il peut être en même temps de gauche et de droite, qu'on peut en même temps soutenir les plus riches et aider les plus démunis, etc., finalement, il a peut-être vu juste. Le "en même temps" est très français. On est les meilleurs, mais on est des râleurs. Et alors?, vont me dire certains. Je ne dis rien. C'était juste une reflexion en passant.

mercredi 20 mars 2019

Nasrin Sotoudeh

Trente-huit ans de prison et cent quarante-huit coups de fouet, voilà la peine infligée à l'avocate iranienne Nasrin Sotoudeh. Son crime: avoir défendu des femmes qui ne portaient pas le voile et en revendiquaient le droit. Bien sûr, le tribunal islamique a invoqué d'autres raisons, toutes plus invraisemblables les unes que les autres: "incitation à la corruption et à la prostitution", "insulte au Guide suprême", "incitation à la débauche", "propagande contre l'Etat" et on en passe tant ces accusations sont ridicules. Ce qu'on lui reproche, c'est de s'être opposée au port du hijab, d'avoir retiré celui-ci lors de visites de ses clientes en prison, d'avoir accordé des interviews aux médias à propos de l'arrestation violente et de la détention de femmes qui contestent l'obligation du port du voile islamique. Ce qu'on leur reproche, à elle et à ses clientes, c'est de vouloir être des femmes simplement libres. Et se montrer la tête libre lui coûte donc trente-huit ans de prison et cent quarante-huit coups de fouet. Ainsi va la vie pour les femmes dans ce pays de vieux barbus obsédés qui les haïssent.
On peut - on doit - exiger la libération de Nasrin Sotoudeh, en envoyant un courrier à Khamenei,  Guide suprême d'Iran:   https://www.amnesty.fr/actions-mobilisation/agir-pour-nasrin-sotoudeh?utm_source=emailing-action%20&utm_medium=email&utm_campaign=soutien%20nasrin%20sotoudeh

On peut aussi cesser de dire et laisser dire que le président Hassan Rohani est un modéré. Ce régime théocratique reste un régime de terreur, en particulier pour les femmes.
On peut - on doit - aussi cesser de soutenir coûte que coûte le port du voile islamique: c'est un instrument de soumission des femmes. Qui paient très cher, en Iran, en Arabie saoudite, au Pakistan, en Afghanistan, en Malaisie et tant d'autres pays obscurantistes le refus de ce signe politique. On peut toujours faire semblant de l'ignorer, mais chaque jour dans le monde des millions de femmes sont forcées de se couvrir, de cacher leurs cheveux honteux, voire l'ensemble de leur corps sous peine de prison ou même de mort.
Mais qui s'indigne aujourd'hui de leur sort? Comme l'écrit Gérard Biard, on n'entend pas dans nos pays tous ces zélés défenseurs du port du voile : "pour ces ardents défenseurs de la culture musulmane, le monde musulman n'existe pas. Ce qui s'y déroule ne les intéresse pas - à ce point, on frôle même le mépris" (1).
Nasrin Sotoudeh et toutes les Iraniennes scandaleusement condamnées doivent être libérées.

(1) Gérard Biard, "Et Nasrin Sotoudeh, elle sent le gaz ?", Charlie Hebdo, 20.3.2019.


mardi 19 mars 2019

Pourquoi Paris brûle-t-il?

Comment expliquer de tels déchainements de violence en France lors des manifs des Gilets jaunes? On n'en voit pas ailleurs d'une telle ampleur et d'une telle régularité. Ni au Venezuela, ni en Algérie, là où la violence aurait des raisons plus légitimes de se manifester. Contrairement à la France, quoi qu'en disent des Gilets jaunes qui la soutiennent sans la défendre: "moi, je ne suis pas violent, mais ils ont raison, c'est normal d'être violent vu ce qui se passe". Comprenez que nombre de G.J. sont contre la violence mais sont en fait pour. Certains d'ailleurs la pratiquent allègrement. Ou pillent après le saccage des Blacks Bloks. "De toute façon, y a que comme ça qu'on est entendu". Mais qu'est-ce qui est entendu sinon la brutalité, la hargne et la bêtise? Qu'est-ce qui explique que la France soit tombée si bas, regardée ébahis par tous les autres pays qui n'arrivent pas à comprendre comment une démocratie est à ce point conspuée par une poignée de radicalisés obsessionnels?
Qu'est-il arrivé au pays de la tchatche et du cartésianisme? Nombreux sont les G.J. à avoir décrété dès le début et par principe que les débats ne servent à rien. On ne discute pas: on cogne, on brûle, on casse, on pille, on agresse, on crie, on conspue. Comment expliquer l'incendie volontaire et le saccage de sept kiosques à journaux, dont cinq totalement détruits (1)? On ne peut s'empêcher de penser aux autodafés des nazis et de l'Inquisition. Quinze autres kiosques ont été vandalisés. Au total, quatre-vingt-onze commerces ont été détruits et pillés samedi dernier.
Les responsables des G.J. qui avaient appelé à manifester sur les Champs Elysées avaient d'emblée annoncé qu'ils n'assumeraient aucune responsabilité de ce qui arriverait. On a donc affaire à une bande de vrais irresponsables. Des gamins incapables d'assumer les conséquences de leurs actes. Des représentants qui n'assument pas leur rôle. Mais ce qu'engendre ce grand magma est effrayant. Comme l'écrit Jean-François Kahn, on assiste à la naissance d'un "monstre aux ailes d'extrême-gauche, aux pattes d'extrême droite, au bec fascisto-identitaire et au poil anarcho-libertaire". (2) On voit aujourd'hui les Gilets jaunes échanger avec les Blacks Bloks (3), créer entre eux des solidarités dans ce grand melting pot qui réunit des fâchés et des fous furieux qui ne structurent pas des demandes mais cassent, comme s'ils étaient incapables de formuler ou même de savoir ce qu'ils veulent.
Les oppositions de toutes couleurs ont beau hurler et fustiger le gouvernement et en particulier le Ministre de l'Intérieur sur leur incapacité à empêcher les dégradations, on peut aisément imaginer qu'aucune d'entre elles, au pouvoir, n'arriverait à maîtriser ce mouvement sans queue ni tête, ces fous furieux qui échappent à toute logique. Et le gouvernement n'a qu'une peur: celle d'un mort lors d'une de ces manif-émeutes dont le sens échappe de plus en plus à ceux qui n'y participent pas.
"Nous sommes nombreux à avoir sous-estimé la puissance de la ritualisation de l'action collective, à quel point elle galvanise ceux qui y participent", déclare Xavier Crettiez, professeur de sciences politiques à l'Université de Versailles (4). "Ce qui se déroule chaque samedi n'est plus une manifestation au sens traditionnel. (...) Tout est fait pour s'affranchir de ces règles institutionnalisées. On ne dépose plus de demande d'autorisation, car on ne veut plus se montrer dans une position où on échange avec l'Etat. (...) Cette suppression du cadre génère forcément du désordre."
Les G.J. sont fâchés, donc ils ont raison, donc ils ont tous les droits. Y compris de ne pas respecter certains devoirs. C'est comme ça. Point. On ne discute pas. Et tant pis si on est dans l'irrationnel. Tant pis s'il n'y a plus rien à comprendre. "La France, écrivait il y a quelques semaines déjà Paolo Levi, le correspondant de La Stampa à Paris, ne doit pas oublier son côté cartésien. Cette caractéristique doit être une boussole face à une partie des G.J. qui est entrée dans la nuit de l'irrationnel. Lors de réunions publiques pour le grand débat, certaines revendications sortent de tout cadre et n'ont parfois aucun sens." (5)
La question reste entière: pourquoi Paris brûle-t-il? Quelqu'un le sait-il?

Post-scriptum: et j'ajoute cette question: pourquoi n'y a-t-il pas plus d'indignation contre cette violence imbécile? On a vu une mère et son enfant échapper de justesse à un incendie provoqué volontairement par ces fous furieux. Mais on n'entend pas "l'opinion publique" condamner ces assassins en puissance... Pas plus que s'indigner (au moins) de l'attitude antisémite ou raciste de nombre de Gilets jaunes. On s'en détourne, mais personne (ou si peu) n'ose les critiquer.

A lire cette intéressante et effrayante analyse:
https://www.huffingtonpost.fr/jeanphilippe-moinet/quand-la-connivence-melenchon-le-pen-devient-visible_a_23698043/?utm_hp_ref=fr-homepage

(1) https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/03/19/gilets-jaunes-les-kiosquiers-appellent-a-l-aide-le-ministre-de-la-culture_5438462_3234.html
(2) www.lesoir.be / 19.3.2019.
(3) https://www.nouvelobs.com/societe/20190318.OBS1942/jusqu-ou-etes-vous-prets-a-aller-le-drole-de-questionnaire-envoye-aux-black-blocs-par-des-gilets-jaunes.html
(4) https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/18/gilets-jaunes-l-usage-de-la-violence-est-toujours-un-calcul-risque_5437952_3224.html
(5) Le Courrier international, 7.3.2019.
A lire:
https://www.nouvelobs.com/chroniques/20190318.OBS1949/gilets-jaunes-l-art-du-maintien-du-desordre.html
https://www.nouvelobs.com/chroniques/20190318.OBS1919/gilets-jaunes-la-prise-du-fouquet-s-ou-la-bastille-pour-les-nuls.html


lundi 18 mars 2019

Zéro chômeur longue durée

En ces temps où s'expriment tant et plus les brutes épaisses, les incendiaires de bistrots, d'immeubles habités et de kiosques à journaux et les yakistes et leurs discours simplistes, il est des réalisations qui réjouissent le cœur de l'homme désespéré.
A l'initiative de Patrick Valentin, d'ATD Quart Monde, la Commune de Mauléon dans les Deux-Sèvres a décidé de devenir Territoire zéro chômeur de longue durée. Le maire et l'opposition ont pesé de tout leur poids pour que le projet devienne réalité. Ce qui est le cas aujourd'hui, puisque, lancée au début 2017, l'entreprise à but d'emploi employait, fin 2018, soixante-sept personnes. Il n'y a plus à Mauléon de chômeurs longue durée. Un roboratif documentaire de Marie-Monique Robin en témoignait hier soir sur M6.

L'idée est simple: réaffecter les budgets publics issus des coûts de la privation d'emploi (indemnités de chômage, RSA, CMU, etc.) pour financer les entreprises à but d'emploi en payant au SMIC les ex-chômeurs qui effectuent des taches utiles à la société mais non effectuées faute de temps ou de budget. Il a fallu qu'une loi votée à l'Assemblée nationale le permette. Elle l'a été à l'unanimité.
"Depuis quarante ans, le chômage longue durée n'a cessé de progresser, constate Patrick Valentin (1). Sa part est passée de 15% à 45% des demandeurs d'emploi. Le budget alloué est devenu pérenne. Un budget d'équilibre social indispensable, mais qui ne répond pas aux besoins des chômeurs longue durée. Eux veulent avant tout avoir un emploi et être autonomes, au lieu de cela, on leur propose des allocations de survie qui les enferment dans des situations de citoyenneté de seconde zone."
L'ESIAC de Mauléon vit donc de l'argent alloué par l'Etat auparavant sous forme d'allocations de soutien - 18000 euros par personne et par an - et doit trouver via ses ressources propres 30 % de son financement.
L'idée est étonnante et réjouissante. Le seul objectif de cette société à but d'emploi est de faire travailler les personnes qui décident d'y entrer. A chacun d'y trouver sa place, d'y créer son activité. A Mauléon, toutes les personnes qui se sont présentées ont été recrutées. 
Le documentaire suit ces ex-chômeurs qui trouvent eux-mêmes, en différentes équipes, comment ils peuvent être utiles à la société dans laquelle ils vivent, celle de Mauléon. En recyclant en sacs des rebus de tissus d'usines voisines, en recyclant des palettes de bois et de vieux châssis, en créant des bacs de lombriculture, en tenant un dépôt de pain dans un village voisin sans boulangerie, en aidant des personnes très âgées à faire leur jardin, en assurant un service de nettoyage pour des chambres d'hôtes, en créant des potagers collectifs, en apportant des aides ponctuelles dans les écoles, etc. Le travail, disent-ils eux-mêmes, ne manque pas plus que l'envie de travailler. Dès le départ, les néo-travailleurs de l'ESIAC ont été attentifs à ne pas entrer en concurrence avec des commerces ou des entreprises locales, mais au contraire à jouer la carte de la complémentarité.
Au fil des mois, on voit ces femmes et ces hommes se reconstruire, parfois se métamorphoser physiquement, prendre confiance en eux, s'épanouir, retrouver le plaisir de vivre, le tout dans un climat de solidarité et de quasi autogestion, même s'il a fallu, vu le nombre, désigner dans un souci de meilleure organisation des délégués par secteurs d'activité.
"Le premier bilan de l'expérimentaion le prouve, dit Patrick Valentin: les personnes recrutées coûtaient aussi cher hier comme chômeurs qu'aujourd'hui, mais, à court terme, elles vont rapporter infiniment plus à l'économie locale." En outre, elles participent activement à la transition écologique, "là où notre économie moderne est défaillante".

Actuellement, cette expérimentation d'entreprises d'économie circulaire et solidaire s'étend sur dix territoires pilotes, avec 900 personnes en CDI, et vise la création de ces entreprises à but d'emploi dans cinquante territoires. Et pourquoi pas partout? On le voit, ce n'est que question de volonté politique et de dynamique locale. Comme le dit Philippe Bertrand, dans son émission "Carnets de campagne" (2), "on peut créer du travail pour répondre à des besoins non couverts par des acteurs traditionnels de l'économie ou du service. La magie consiste ensuite à transformer ce travail en emploi".
Un nouveau projet de loi, permettant la généralisation des territoires zéro chômeur longue durée, devrait être votée d'ici la fin de l'année.

(1) "Un CDI, un revenu, juste en traversant la rue!", Télérama, 13.3.2019.
(2) https://www.franceinter.fr/emissions/carnets-de-campagne/carnets-de-campagne-11-mars-2019

samedi 16 mars 2019

Ça suffit

Qu'on arrête d'essayer de nous faire croire que les Gilets jaunes ont le moindre lien avec les écologistes, le moindre souci de l'avenir de la planète. Ils nous donnent l'image de chiens en meute qui agressent, cassent, brûlent, polluent. Des chiens enragés sont évidemment incapables de s'asseoir autour d'une table et de discuter. Ils veulent aller jusqu'au bout. De quoi? Le savent-ils eux-mêmes? Ils ne suscitent plus que dégoût, incompréhension et écœurement. 
Qu'ils regardent les manifestants algériens, les jeunes un peu partout à travers la planète qui se battent pour leur avenir. On peut manifester dignement, joyeusement. Mais les Gilets jaunes se sont enfermés  dans leur rage imbécile et irresponsable.
Il est temps que les Gilets jaunes s'organisent entre eux pour améliorer la société autour d'eux et cessent leurs rassemblements haineux et violents. Ils sont totalement ringardisés par les manifestants pour le climat, autrement plus nombreux et plus audibles qu'eux.

A écouter: http://www.notele.be/it9-media63842-edito-les-gilets-ont-ils-franchi-la-ligne...-jaune.html
A lire:
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/16/il-n-y-a-que-quand-ca-casse-qu-on-est-entendu-recit-d-une-journee-de-violences-des-gilets-jaunes-a-paris_5437197_3224.html
Post-scriptum: dans l'article du Monde, une femme G.J. de Châtearoux affirme que "le train de Paris ne s'arrête plus à Argenton-s-ur-Creuse". Vérification faite sur le site de la SNCF, il y a ce dimanche 10 trains entre Argenton et Paris Austerlitz, entre 10h et 20h. Mais il y a, c'est vrai, des suppressions d'arrêts sur la ligne. De là à dire qu'il n'y a plus d'arrêt du tout, c'est - disons - un peu excessif. Mais les GJ sont tellement enfermés dans leurs certitudes et leurs fake news...

L'Eglise et son sexe masculin

Quand donc l'Eglise catholique va-t-elle affronter vraiment sa grande hantise, ce gouffre qui l'effraie, à savoir la sexualité? Les prêtres délivrent le corps du Christ. Mais le corps humain est sa hantise absolue. Il ne peut exister que dans la souffrance, jamais dans le plaisir. C'est en tout cas ce qui s'enseigne urbi et orbi. La chair est diabolique. Derrière les soutanes pourtant, il y a de la vie. Diabolique.
Toutes celles et tous ceux qui sont passés dans les mains de l'Eglise se souviennent de ces discours sur le péché de chair, sur l'obligation pour les pensionnaires ou lors des retraites de dormir avec les mains par-dessus les couvertures, même à des âges où les allusions de ces prêtres obsédés par le sexe n'étaient pas comprises. Mais suscitaient fatalement questions et chuchotements.
Aujourd'hui, l'Eglise est rattrapée par son obsession malsaine, par ce sexe maudit qui la ronge de l'intérieur. De plus en plus de prêtres et d'évêques, un peu partout à travers la planète, sont condamnés pour des actes de pédophilie ou pour les avoir cachés à la Justice. Le Pape François a consacré un sommet exceptionnel aux abus sexuels commis au sein de l'Eglise. Mais les affaires n'en sont qu'à leurs débuts.

Charlie Hebdo, cette semaine, consacre deux pages au "séminaire des prêtres pédophiles" en Vendée (1). Une suite de témoignages d'hommes aujourd'hui âgés sur les actes dont ils ont été victimes dans les années '60 par des professeurs prêtres au séminaire de Chavagnes-en-Paillers. Les confessions étaient chaque fois l'occasion pour celui que les jeunes surnommaient "Grand cheval" de parler du "péché de chair" en malaxant les parties intimes des jeunes garçons. De nombreuses victimes sont aujourd'hui sous antidépresseur ou en suivi psychologique. Quasiment aucun de ces pédophiles ne sera jamais poursuivi, les faits étant prescrits. Le prêtre Noël Lucas, qui fut prof à Chavagnes, avait été condamné en 1997 à seize ans de réclusion pour avoir violé des dizaines d'enfants. A sa mort en 2017, l'évêque de Luçon le saluait dans un courriel adressé à tous les prêtres du diocèse: "un certain nombre d'entre nous sont touchés par ce décès tant Noël nous avait apporté par sa compétence biblique". L'évêque reconnaissait qu'il avait commis "une faute", mais "quelle que soit sa faute, il reste un frère". Même incestueux, un frère reste un frère.

Voilà qu'après les actes de pédophilie, on découvre les viols de religieuses par ceux qui étaient leurs directeurs spirituels. Qui  confondaient allègrement spirituel et sexuel. Un documentaire en a récemment témoigné (2). On y découvre avec effarement comment des prêtres ont systématiquement abusé sexuellement de jeunes religieuses sidérées qui ont attendu de très longues années avant d'oser témoigner et porter plainte. On y apprend même que, en cas de grossesse, si la religieuse ne veut pas quitter les ordres, l'avortement est pratiqué discrètement dans cette institution qui prétend l'abominer.

La sexualité a longtemps servi l'Eglise: Marie-Pierre Raimbault, une des réalisatrices, dit avoir lu un jour un article relatif aux bordels du Vatican: "longtemps, les évêques en ont disposé, prélevant une dîme sur les passes. Un système qui a permis le financement des plafonds de la chapelle Sixtine".
C'est une résolution en 2001 du Parlement européen qui l'a poussée à entamer un travail de recherche pour un documentaire: le P.E. sommait le Saint-Siège de réagir à la publication par un journal américain de rapports sur les abus sexuels dont des religieuses étaient victimes au sein même de leurs communautés. Une enquête à ce propos avait été menée par des sœurs dans vingt-deux pays dans les années '90 et transmise au Vatican. Qui jusqu'il y a peu pratiquait une omerta totale sur tous les scandales sexuels et a toujours préféré laver son linge sale en famille.

Dans "Religieuses abusées, l'autre scandale de l'Eglise", les réalisatrices donnent notamment la parole à d'anciennes religieuses abusées. Elles ont été incapables de réagir, obéissant aux intermédiaires de Dieu, même quand ils les violaient: "elle se dissocient, victimes d'un effet de sidération, explique Marie-Pierre Raimbault. Elles sont là et absentes à la fois. Elles se rendent compte qu'elles ne veulent pas mais ne parviennent pas à résister.  Même éduquées, elles ont été élevées dans la soumission totale aux prêtres, notamment à leurs directeurs spirituels. Elles doivent tout leur raconter, y compris leurs pensées les plus intimes." Certains prêtres en avaient fait un véritable système, par exemple dans la Communauté de l'Arche où sévissait le père Thomas auprès de plusieurs religieuses qui ne se sont rendu compte que bien plus tard qu'elles étaient nombreuses à souffrir de sa sexualité dévorante. Reconnaissant les faits, trois évêques ont demandé pardon lors d'une "messe de réparation", censée effacer en catimini les délits.
En Afrique, il est courant que des mères supérieures vendent des religieuses à des prêtres. "Un viol au nom de Dieu en quelque sorte!, estime le réalisateur Eric Quintin. Si une religieuse enceinte veut garder son enfant, elle est exclue de la communauté. Quand elle rentre chez elle, elle est considérée comme une pute. On retrouve nombre d'elles mendiant sur les marchés. Personne ne les aide. C'est totalement schizophrénique." L'une d'entre elles témoigne: on l'a forcée à abandonner son enfant à la naissance. Ensuite, elle a été exclue de la communauté. Chassée et punie comme si c'était elle la coupable de ce scandale. Quant à celles qui ne veulent pas d'un enfant, la communauté les aide, très discrètement, à avorter. "Le pape parle (à propos de l'avortement) de tueurs à gage tout de même, s'indigne la réalisatrice Elisabeth Drévillon. Comment oser alors que votre institution abrite des médecins catholiques qui pratiquent l'avortement, tout en faisant par ailleurs du lobbying pour interdire l'IVG?". Des IVG pratiquées suite à des viols commis par des serviteurs de Dieu sur des servantes de Dieu. Le pape a admis récemment que "des prêtres se sont servis de religieuses comme esclaves sexuelles."
"Ce travail sur soi que l'Eglise vient d'entreprendre lors du sommet sur les abus sexuels est d'autant plus incontournable que le bruit ininterrompu des scandales  rend aujourd'hui inaudible, pour certains croyants, l'Evangile qu'elle proclame", écrit Olivier Pascal-Moussellard dans Télérama (3).

Le documentaire a été suivi, le soir de sa diffusion le 5 mars, par un million et demi de téléspectateurs. L'Eglise ne peut plus se taire. De toute façon, elle a perdu toute crédibilité sur les questions de sexualité, d'enfantement, d'avortement, d'amour.
Tant que l'Eglise conservera ses principes totalement contre-nature de chasteté et de célibat, tant qu'elle mettra sous le boisseau cette chair dont elle fait un péché, tant qu'elle restera une affaire de mecs tout puissants, elle continuera à engendrer en son sein des agissements criminels. Quand donc l'Eglise l'admettra-t-elle? Quand elle sera humaine peut-être.

Post-scriptum: l'inénarrable abbé de la Morandais:
https://www.lalibre.be/actu/international/cet-abbe-choque-en-plein-scandale-de-pedophilie-ce-sont-les-enfants-qui-cherchent-de-la-tendresse-5c90caeb7b50a66d5bb6a7e9
(1) Laure Daussy, "Vendée - Au séminaire des prêtres pédophiles", dessins de Riss, Charlie Hebdo, 13.3.2019.
(2) "Religieuses abusées, l'autre scandale de l'Eglise", de Elisabeth Drévillon, Eric Quintin et Marie-Pierre Raimbault
https://www.telerama.fr/television/religieuses-abusees,-lautre-scandale-de-leglise,-a-voir-en-replay,n6158226.php
(3) O. Pascal-Moussellard, "Le Temps du repentir", Télérama, 27.2.2019.
A lire: le point de vue de l'Evêque de Strasbourg: https://www.huffingtonpost.fr/luc-ravel/je-pleure-sur-les-victimes-mais-je-ne-pleure-pas-les-deboires-de-l-eglise_a_23687878/?utm_hp_ref=fr-homepage

vendredi 15 mars 2019

Que je l'aime

Ils furent nombreux les Gilets jaunes à décréter d'emblée que le Grand débat ne servirait à rien. Ils ont tort. Voilà qu'on apprend que, parmi les centaines de milliers d'idées émises par le million cent mille citoyens qui y ont participé sur Internet, dans les cahiers de doléance en mairie ou dans les dix mille réunions organisées à travers la France, une idée lumineuse a jailli: créer un jour férié dédié à la mémoire de Johnny Hallyday. Et ça, c'est sûr, aucun élu n'y aurait pensé. Rien que pour cette proposition, on en conviendra, le Grand débat valait la peine d'être organisé.

dimanche 10 mars 2019

Plus blancs que blanc

Parmi les mesures envisagées pour satisfaire les Gilets jaunes, on parle aujourd'hui d'une "reconnaissance" du vote blanc. C'est une obsession pour beaucoup de Français depuis longtemps. J’en ai déjà parlé ici (1) et je n'arrive toujours pas à la comprendre.
Quel sens a le vote blanc dans un pays où le vote n'est pas obligatoire? Pourquoi se déplacer jusqu'à un bureau de vote pour aller dire que personne ne vous convient? Si c'est le cas, présentez-vous à l’élection. Si aucun candidat ne peut vous représenter, alors présentez-vous vous-même comme candidat. 

C'est ce qu'ont fait certains, mais en présentant une liste « Vote blanc », (1) pour tenter de récupérer de manière absurde, voire scandaleuse, les votes des insatisfaits.
Pour l’élection présidentielle de 2017, Stéphane Guyot, qui avait mené une liste « Citoyens du vote blanc » en Ile-de-France aux élections européennes de 2014, entendait se présenter comme « le président du vote blanc ». Bien longtemps avant que les candidats à l’élection présidentielle ne soient officiellement connus, son « Parti du vote blanc » avait déjà décidé qu’aucun de ces candidats – non encore déclarés ! – ne répond(r)ait à ses attentes et il voulait donc présenter son candidat avec pour tout programme la reconnaissance du vote blanc. Voilà donc des listes ou des candidats qui reprochent aux autres les manques dans leur programme et qui se proposent au vote sans aucun programme. Si le FN est proche du degré zéro de la politique, on est ici au degré - 3. Peut-on imaginer un seul citoyen qui voterait pour une liste qui n'a ni idée, ni programme, ni souhait, qui se présente aux élections pour affirmer qu'il est insatisfait et est prêt à siéger pour dire qu'il ne pense rien? Quand la démocratie représentative verse dans un tel non-sens, une telle escroquerie, il y a de quoi s'inquiéter.
Pourtant, sans doute, une partie de ces candidats, candidement, croient en défendant le vote blanc œuvrer en faveur du bon sens. Comme si celui-ci existait et constituait une vérité indiscutable. Le bon sens de l’un est le mauvais de l’autre… 

Reste la question délicate de la validité d’élections auxquelles moins de la moitié des électeurs auraient participé. La plupart des consultations populaires et des référendums, pour que leurs résultats soient pris en compte, doivent réunir un certain pourcentage de participation. Devrait-il en être de même pour les élections ? Quand deux ou trois listes seulement se proposent aux suffrages des électeurs, on peut comprendre que certains d’entre eux n’y trouvent pas le programme qu’ils souhaitent. Mais alors n’est-ce pas à eux précisément de présenter une alternative ? S’il n’y a pas suffisamment de partis et de listes en présence, c’est alors aux électeurs insatisfaits de prendre leurs responsabilités. Sinon à qui d’autre ? Ainsi va la démocratie représentative.


(1) (Re)lire sur ce blog "Chèque en blanc", 5.5.2014.


vendredi 8 mars 2019

Education permanente et intelligences collectives

Un peu partout, ces dernières années, la parole citoyenne se libère. En France, c’est particulièrement le cas avec les Gilets jaunes, même si cette parole s’exprime souvent de façon très brouillonne, avec des revendications qui mêlent des points de vue parfois très contradictoires ou irrationnels. Elle s’exprime aussi dans près de dix mille débats organisés à travers tout le pays, dans le cadre du Grand débat, par des maires, des parcs naturels, des associations diverses. Pour certains citoyens, cette expression est une première. C’est la première fois qu’on leur demande leur avis en dehors des isoloirs. Il ne faudrait surtout pas que cette première soit une dernière. On peut espérer que l’Etat jacobin que reste la France aura entendu l’essentiel du message : les citoyens ont des choses à dire. Aux pouvoirs publics maintenant d’ouvrir des espaces de dialogue permanents avec la population. De cesser de « décider pour ». De « décider et construire avec » (ce qui est tout autre chose que la pauvre pratique du référendum). De permettre aux intelligences collectives de se construire et de s’exprimer.
« L’exercice de la citoyenneté, écrit Majo Hansotte, implique pour les citoyens une double responsabilité face aux Etats de droit et à leurs représentants mandatés : maintenir ouvert le débat sur le juste et l’injuste, discerner le légitime et l’illégitime. Cette responsabilité implique que chaque citoyen apprenne à construire des liens entre la réalité concrète et la référence aux principes démocratiques ou aux lois communes. Un tel apprentissage est celui de la raison pratique ; il repose sur une formation du jugement et de l’engagement, à travers l’exercice de la parole et s’appuie sur des processus collectifs ou des méthodes partagées, favorisant la construction d’une intelligence collective. Ces processus et méthodes légitiment les pratiques de délibérations ou d’engagements des citoyens et différencient ces pratiques collectives des consultations solitaires, come le référendum, par exemple. »[1] Majo Hansotte distingue quatre faces à l’intelligence collective : argumentative, narrative, prescriptive et déconstructive.
-       L’intelligence argumentative se situe dans une logique de consensus et questionne les actes de parole pour construire des résolutions communes.
-       L’intelligence narrative se situe dans une logique de rattachement et questionne le sens des récits pour se relier à d’autres histoires.
-       L’intelligence prescriptive se situe dans une logique d’affrontement et questionne ce qui survient pour exiger une perspective de changement.
-       L’intelligence déconstructive se situe dans une logique de dissensus et questionne les catégories dominantes pour débusquer l’arbitraire.
« Ces quatre intelligences citoyennes, explique Majo Hansotte, actualisent des options politiques différentes, complémentaires ou opposées. Elles représentent les exigences méthodologiques par lesquelles la société civile peut advenir à elle-même ou avoir prise sur elle-même. »

Les classes populaires et le milieu rural sont les premiers à se laisser séduire par les sirènes populistes aux discours carrés. Ce sont eux qu’il faut, en priorité, réembarquer dans le jeu démocratique. De nombreuses études ont démontré que plus les citoyens ont un diplôme élevé, moins ils votent pour l’extrême droite. Il ne s’agit pas de doter chacun d’un bac+5, mais de permettre à chacun de mieux comprendre la société dans laquelle il vit, de cesser de craindre le changement et surtout d’être actif dans celui-ci.
Ouvrir la parole citoyenne, permettre aux habitants de partager des réflexions et des analyses sur leur vécu, mieux, de prendre collectivement des décisions, nécessitent de les outiller. Ce qui signifie renforcer les moyens de l’éducation permanente ou populaire.
Former les groupes de citoyens, pour qu’ils puissent prendre la parole, exprimer leur vécu, leurs attentes, défendre un point de vue collectif, et au-delà et surtout construire des projets, c’est là l’objectif de l’éducation permanente. Elle se fonde sur l’idée de progrès social par la connaissance, le débat, la participation. Elle a clairement un caractère politique puisque ses actions visent à la fois l’acquisition de connaissances et de techniques et une action collective visant un changement social et/ou la modification d’attitudes ou de comportements. Il s’agit, pour le groupe concerné par une action d’éducation permanente, de se prendre en charge pour modifier positivement sa réalité.                                                              
L’éducation permanente s’adresse en priorité aux populations les plus défavorisées sur le plan socio-économique et socioculturel, les aide à affronter leur réalité et à agir dans une perspective  de changement. Elle devrait aussi pouvoir les aider à faire la part entre valeurs privées et normes publiques « pour que les citoyens soient capables de définir ce qui est juste pour tous et pas seulement ce qui est bon pour eux ».[2]  Il y a urgence à investir dans l’éducation et la culture. Et de manière créative et innovante.
Je rêve de trolls positifs sur Internet, de théâtre invisible dans les bistrots, où le populisme s’auto-alimente, ou dans les quartiers qui vivent un sentiment d’abandon, d’animateurs-comédiens qui apportent la contradiction, ouvre vers d’autres points de vue, suscitent réflexions et débats. Les débats actuels font vivre positivement la France. Ne les laissons pas se réinstaller dans les Cafés du Commerce.


C'est alors qu'Adam comprend: L'espèce humaine est profondément malade. Elle n'en a plus pour longtemps.  C'était une expérience aberrante. Bientôt le monde sera rendu aux intelligences saines, les intelligences collectives. Les colonies et les ruches.
Richard Powers, L'Arbre Monde, éd. Le Cherche-Midi, 2018.




[1] Majo Hansotte,, “Les intelligences citoyennes, comment se prend et s’invente la parole collective, De Boeck Editeur, 2005, p. 211.
[2] Majo Hansotte, op. cit., p. 85.