samedi 25 octobre 2003

ECOLO au coeur du ventre mou ?

Ce texte a été diffusé auprès de membres d’Ecolo en septembre 2003


Bien au-delà du contre-coup du résultat catastrophique du 18 mai, Ecolo vit aujourd’hui des heures sombres. Lourdes de questions d’identité, d’interrogations existentielles. Le mal est profond et s’est diffusé à tous les étages de la maison. En témoignent le découragement, la démotivation et une espèce de spleen de quantité de militants, qu’ils soient parlementaires, secrétaires régionaux, militants dits de base. C’est, ici, des parlementaires qui jettent l’éponge et ne sont pas candidats à un deuxième mandat régional; c’est, là, l’absence totale de candidats pour une nouvelle équipe de secrétariat régional ; c’est encore la désolation d’équipes locales qui se trouvent réduites à la portion congrue. Cette rentrée 2003 n’est pas comme les précédentes, elle est lente et fatiguée, en perte d’énergie.

Si le ressort s’est cassé, ou à tout le moins s’est excessivement détendu, chez beaucoup d’entre nous, c’est que l’onde de choc du 18 mai a laissé des traces, a cassé un élan, mais c’est aussi que le positionnement du parti – en suite de ce triste 18 mai - paraît aujourd’hui bien mou, bien flou. Le message, de moins en moins subliminal, de plus en plus clair, qui est envoyé à l’interne consiste à éviter toute prise de position qui pourrait laisser croire qu’Ecolo s’oppose au développement économique.
Nous voilà au cœur de l’interrogation : à quoi sert aujourd’hui Ecolo ? Quel est le sens, la raison d’être d’un parti écologiste ?
Les Verts se sont toujours opposés à la suprématie de l’économie de marché. L’économie doit être au service de l’être humain, et non l’inverse.
La politique menée, éclatée en compétences et matières diverses, voire opposées, doit viser la cohérence.

Aujourd’hui, le traumatisme francorchampêtre nous a amené à nous abstenir sur la modification de la loi interdisant la pub pour le tabac. C’est une décision du Conseil de Fédération, appuyée sur une proposition d’un groupe de travail ad hoc. La justification : alors que nous avons toujours visé un objectif de santé publique, cette proposition était devenue, dans les faits, une loi pour sauver le GP de F1 à Francorchamps. Car seule, la F1 (dans ce cas-ci du moins) avait refusé de s’adapter à la loi. En nous abstenant, nous faisons allégeance, de facto, aux plus puissantes entreprises. Les plus petites organisations se sont adaptées à la loi (par ex., le Belga Jazz Festival devenu l’Audi Jazz Festival), mais on adapte tout spécialement cette même loi pour une entreprise qui refuse de la prendre en compte. L’économie au service de l’homme ?
Encore peut-on comprendre que l’attitude bête et méchante, l’agressivité, voire la violence de tant de citoyens (et des autres partis et d’une bonne partie de la presse), refusant toute analyse critique et toute distance, puissent expliquer un positionnement plus prudent de la part d’Ecolo qui tente ainsi de sortir du cul-de-sac dans lequel on l’a enfermé. (1)

Il n’en va pas de même dans le dossier de la régionalisation de la compétence « armes ».
Sans aucune réflexion, sans débat préalable (pourtant annoncé), le Gouvernement fédéral a décidé précipitamment, à la veille des vacances, de régionaliser l’importation, l’exportation et le transit des armes et munitions. Une décision anachronique à l’heure où l’Union européenne tente d’harmoniser les politiques en cette matière, considérée partout comme un acte de politique étrangère. Une décision qui pourrait, demain, mettre la Belgique dans une position schizophrénique : il suffirait, par exemple, qu’une Région délivre une licence d’exportation d’armes à un pays que l’Etat fédéral aurait placé sur la liste des pays en prévention de conflit. Nous l’avons dit, c’est vrai qu’on ne peut, a priori, soupçonner les Régions d’être moins respectueuses que l’Etat fédéral des règles éthiques. Mais si Ecolo a finalement décidé de s’abstenir sur ce projet – alors que notre programme (qui n’est pas, sur le principe, opposé aux ventes d’armes) (2) et notre analyse auraient amplement justifié une opposition - c’est que la Régionale de Liège avait souhaité cette attitude d’abstention, craignant qu’Ecolo, une fois encore, apparaisse comme « fossoyeur de l’économie ». Une économie au service de l’homme ?

Evoquant, récemment, le projet de Verhofstadt de créer un nouvel aéroport international à Chièvres et souhaitant que nous nous exprimions à ce sujet, j’ai perçu certains appels à la prudence dans notre positionnement. Toujours la crainte d’apparaître comme des destructeurs d’emplois, opposés à l’économie.

Et on pourrait multiplier ainsi les exemples. On sent bien aujourd’hui qu’Ecolo marche aujourd’hui sur des œufs et tourne septante-sept fois sept fois (était-ce bien ce nombre-là ?) sa langue dans sa bouche avant de parler. On passe tout doucement du parti qui ose au parti qui dose. Les positions, hier nettement affirmées et assumées, se font aujourd’hui plus tièdes.
Sur le thème de l’emploi, il me semble que lors de la campagne de 99, nous osions dire – à la suite de certains chercheurs et analystes - que le retour au plein-emploi relevait de l’utopie, que le travail – sans rien ôter de son aspect rémunérateur incontournable – n’était pas le seul moyen de se réaliser. Qu’il fallait explorer d’autres pistes. Qu’il fallait repenser le sens du travail, travailler sur notre rapport au temps. Nous osions les questions de fond. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que nous n’osons plus aborder ce terrain-là, craignant d’être mal compris ou caricaturés. Libéraux, socialistes et humanistes font miroiter le retour aux golden sixties et nous n’osons dire qu’ils (se) trompent, par crainte d’être traités d’utopistes. C’est le monde à l’envers !

Aujourd’hui, j’ai de plus en plus le sentiment que la stratégie prime sur le projet, que la forme édulcore le fond. Faut-il absolument que nous donnions des gages (et à qui ? aux autres partis ? aux électeurs ? et lesquels ?) que nous pouvons être un parti raisonnable, qui peut tenir un discours tempéré ? Ou prendre le risque de rester un parti différent qui refuse d’entrer dans un moule ?
Ecolo ne peut, sans risque de se perdre, abandonner ses positions visionnaires. Tout l’intérêt du mouvement vert est là. Ecolo doit continuer à marquer ses différences, à tenir des positions claires et courageuses et doit donc rester un parti qui surprend voire dérange. Tant mieux si ces positionnements n’en font pas un parti « unanimiste et chèvre-choutiste ». Le risque est grand, on le voit aujourd’hui, de vivre avec l’œil rivé aux thermomètres des sondages. Le souci de « l’Electorat » mène Ecolo et risque de plus en plus de l’amener à prendre des positions tièdes, politiquement correctes. Il ne s’agit évidemment pas de prêcher à des convaincus, mais ces convaincus, ces 8 à 10 % de l’électorat (aux dernières nouvelles), ne les lâchons pas sous le prétexte que nous devons séduire 8 à 10 % d’autres électeurs.
Notre première arme de séduction sera notre cohérence.
C’est un fait, le message du développement durable est complexe à expliquer, il implique une démarche intellectuelle, une projection collective dans le temps et l’espace. Nous demandons aux citoyens de se situer constamment dans des rapports doubles : moi/nous, ici/là-bas, aujourd’hui/demain. Alors que nombre d’électeurs ne se soucient que du « moi, ici, aujourd’hui » (on peut en comprendre certains, mais pas tous !, vu leur précarité).
Globalement, Ecolo a un bon programme, extrêmement dense, ni racoleur ni facile, qui gagnerait sûrement à être « popularisé ». Mais ne l’édulcorons pas pour autant. Restons un parti qui sait vivre avec son ombre, sans avoir peur d’elle.

Michel Guilbert, le 17 septembre 2003





(1) voir l’article de Dany Smeets « Saga-Francorchamps : décors et jeux de rôle », dans la Quinzaine 117
(2) voir la carte blanche de B. Adam (GRIP) – le Soir – 18.09.03, et la réaction de Didier Coeurnelle
(3) Personnellement, je pensais (mais j’étais assez isolé en cette période de vacances où nous étions peu nombreux autour de la table) que nous devions nous opposer à ce projet. Cela ne m’a pas empêché d’expliquer loyalement au Sénat les raisons de notre d’abstention – même si cette position me semblait de moins en moins motivée au fur et à mesure que je développais l’analyse.