samedi 27 février 2021

Sainte Anastasie

L'ordre moral est de retour. Les néo-puritains veillent. Ils sont les gardiens du respect des convenances qu'ils ont eux-mêmes fixées et font la chasse à ceux qui contreviennent à leurs lois. En France, constate Christian Roux dans Le Devoir, "les annulations et les tentatives d'annulation de conférences sont légion". Il cite le chahut qu'a dû subir la critique Carole Talon-Hugon, auteure du livre "L'Art sous contrôle"; le refus de publication qu'a essuyé Yana Grinshpun, enseignante à la Sorbonne, pour n'avoir pas respecté les règles (totalement subjectives) de l'écriture inclusive ; l'annulation à Nantes d'une conférence de l'historien Thierry Lentz consacrée à Napoléon. Sont-ce les censeurs qui décident désormais des sujets qu'on peut aborder et de la manière d'en parler? Cette révolution néopuritaine est effrayante. D'autant qu'elle est soutenue par l'extrême gauche et une bonne partie de cette gauche qui se veut bienveillante et s'avère stalinienne.

Yana Grinshpun constate une "radicalisation progressive de l'espace universitaire". Christian Roux rappelle qu'en 2018 des chercheurs américains en avaient fait la démonstration par l'absurde. "Ils rédigèrent une vingtaine d'articles truffés d'enquêtes bidon et de statistiques bidouillées flattant tous dans le sens du poil les nouvelles idéologies radicales à la mode." L'un voulait démontrer la culture rampante du viol chez les chiens dont certaines races souffriraient d'une oppression systémique. Un autre défendait une astrologie féministe, queer et indigéniste pour supplanter une astrologie masculiniste et sexiste. Seuls six de leurs articles furent refusés par des revues de chercheurs, sept ont été publiés et sept autres en étaient à l'étape du comité de lecture quand la supercherie fut révélée. L'un d'eux reproduisait un extrait de Mein Kampf dans lequel les mots Juifs avaient été remplacés par Blancs. Il fut refusé, ce qui n'a pas empêché plusieurs universitaires d'en faire l'éloge. L'idéologie, constatent les auteurs de ce canular au goût amer, se substitue à l'étude des faits, les doléances et la victimisation entraînent une attitude compassionnelle qui emporte toute rationalité. Les néo-puritains aiment les tiroirs, les étiquettes et les barrières. Seuls, ceux qui souffrent (parce qu'ils souffrent, forcément) peuvent parler de leur souffrance, les autres - les Blancs, les hommes, les hétéros, tous dominants - sont tenus de se flageller en silence. "Les gender, ethnic ou post-colonial studies fonctionnent souvent comme si les femmes, les homosexuels ou les Noirs étaient seuls habilités à parler de ces sujets. Comme si leur parole était par essence sacrée et incontestable. Comme si elle échappait aux règles normales de la critique", constate Christian Roux qui rappelle que la critique est fondatrice de l'université, au moins depuis Montaigne, qu'elle est constitutive de tout travail universitaire, quel que soit le sexe ou la race de celui ou celle qui parle.

Si l'avenir est sombre, regrette l'historien Thierry Lentz, c'est à cause "de la mollesse générale de la société et des administrations". De nombreuses directions n'ont pas osé défendre leurs enseignants victimes d'une chasse aux sorcières, préférant faire profil bas pour éviter les conflits avec des étudiants qu'il faut désormais protéger de tout propos qui pourrait les perturber. "Dire qu'un étudiant est là pour étudier est presque un scandale, affirme Thierry Lentz, empêcher les interventions extérieures d'historiens ou de philosophes entre presque dans les mœurs." Et nous voilà à entendre, en France comme au Québec, souligne encore Le Devoir, la demande d'une loi pour protéger la liberté de parole à l'université. Un comble pour une institution où elle devrait être sanctuarisée.

(1) Christian Roux, "Battons-nous pour le droit de critiquer!", Le Devoir (Montréal), 12.2.2021, in Le Courrier international, 18.2.2021.

vendredi 26 février 2021

Les censeurs indignés

La méthode est maladroite et contestable, mais l'intention est louable. La Ministre française de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a mis lourdement les pieds dans le plat. Dénonçant la montée de l'« islamo-gauchisme » à l'université, elle a demandé au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) une enquête sur « l'ensemble des recherches » menées en France.
Le milieu universitaire s'offusque, refuse de voir la gangrène qui le gagne. Le CNRS lui-même s'indigne, affirmant que l'islamo-gauchisme « ne correspond à aucune réalité scientifique ». Peut-être pas à une réalité scientifique, mais bien à une réalité qui se banalise. Et même une réalité de bon ton qui s'est répandue comme un virus dans une bonne partie de la gauche et de l'extrême gauche, défiant toute rationalité. Après l'assassinat de Samuel Paty, une centaine d'universitaires publiaient une tribune dans Le Monde : « Il serait temps, disaient-ils, de nommer les choses et aussi de prendre conscience de la responsabilité, dans la situation actuelle, d’idéologies qui ont pris naissance et se diffusent dans l’université et au-delà ».

Aujourd'hui, six cents autres universitaires tempêtent contre la ministre: qu'elle s'occupe de la condition des étudiants que la pandémie a précarisée plutôt que de se mêler des contenus de l'enseignement. Faut-il comprendre qu'elle doit s'occuper uniquement des corps et non des esprits? Attend-on de la ministre qu'elle se contente d'allouer des subventions et se taise sur les dérives intellectuelles auxquelles elle assiste comme nous?

Le philosophe et politologue Pierre-André Taguieff, même s'il est critique sur la méthode, salue "cette prise de conscience et cette initiative" de la ministre. Il suggère, de plus, "un rapport dans le même cadre, mais dans une perspective tout autre, sur le statut des fausses sciences sociales calquées sur l’idéologie décoloniale, la théorie critique de la race et l’intersectionnalisme. L’enquête et l’évaluation critique sur les dérives militantes et les impostures intellectuelles dans les milieux académiques rempliraient une fonction démystificatrice et contribueraient à la lutte contre le nouvel obscurantisme", estime-t-il (1).

Certains ignorants le clament haut et fort: en utilisant le terme islamo-gauchisme, la ministre reprend un terme inventé par l'extrême droite. Rien de plus faux. "J’ai forgé l’expression islamo-gauchisme, rappelle Taguieff, au début des années 2000 pour désigner une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche (que je qualifie de gauchistes), au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle grande cause révolutionnaire à vocation universelle. (...) Les convergences idéologiques et les alliances militantes entre islamistes et gauchistes dérivaient d’un commun antisionisme radical, c’est-à-dire de la forme contemporaine de la judéophobie. L’extrême gauche n’était pas encore convertie à l’islamophilie inconditionnelle et la lutte contre l’islamophobie – slogan du fréro-salafisme – n’était pas encore le grand thème mobilisateur."

Pierre-André Taguieff s’étonne de voir que la direction du CNRS « condamne l’emploi du terme  islamo-gauchisme au nom de la défense de la liberté académique ! Pourquoi ne pas condamner aussi l’usage des termes politiques comme néonazisme, néofascisme, extrême droite ou islamisme, voire diversité ou universalisme, en tant que slogans politiques ne renvoyant à aucune réalité scientifique » ? Le politologue est clair: "un tel parti pris témoigne surtout d’une affligeante ignorance de ces questions et d’une grande perméabilité aux modes intellectuelles". 

"Cette expression (islamo-gauchisme) désigne quelque chose de précis, explique Natacha Polony dans Marianne (2): la complaisance, jusqu’à l’alliance objective, de nombre de militants gauchistes pour l’islamisme au nom de la défense des musulmans comme minorité opprimée et de la détestation de l’Occident." Et l'ennemi devient alors celui qui s'oppose à l'islamisme malgré l'extrême violence dont use celui-ci, plus encore dans des pays musulmans qu'occidentaux. "À l’extrême gauche, décrypte Taguieff, cet antiracisme islamisé tend à remplacer le vieil antifascisme communiste. On peut voir dans ces attitudes et ces comportements le résultat de la stratégie des Frères musulmans qui jouent sur la culpabilisation et le victimisme pour conquérir l’opinion occidentale. Bref, l’Occident mécréant-islamophobe (pour les islamistes) ou capitaliste-raciste (pour les gauchistes) est toujours le seul coupable."

Pas question de nier les faits racistes commis dans nos sociétes, ni de délégitimer les études sur les questions de race et les formes de racisme, mais il faut, précise encore Taguieff, expertiser sérieusement les travaux réalisés dans ce domaine. "Or, en langue française, la plupart d’entre eux se présentent comme des catéchismes ou des bréviaires idéologiques, fabriqués paresseusement à coups d’emprunts aux publications militantes étasuniennes, et appliquant mécaniquement à la société française des outils conceptuels forgés pour analyser l’ordre social-racial américain, tel le racisme systémique (dit auparavant institutionnel ou structurel). Transposé par les activistes académiques à la française, cela donne le racisme d’État, pur fantasme, alors que ce qui caractérise la France, c’est son antiracisme d’État."

Taguieff rappelle que, en 2003-2004, Michel Laurent, alors premier vice-président de la Conférence des présidents d’université (CPU) et président de l’université d’Aix-Marseille II, "s’inquiétait de la poussée de tendances communautaristes, le plus souvent à caractère religieux, et précisait que ce phénomène constitue à la fois une réalité que certains d'entre nous vivent au quotidien, et, plus largement, un sujet de crispation politique et de revendication dans notre société ». C'était il y dix-sept ans. La CPU n'est plus aujourd'hui constituée que "d'heureux dormeurs" et le phénomène n'a fait que s'accroître. Ce qui n'empêche pas des intellectuels, des élus de gauche et d'extrême gauche, des journalistes de s'indigner de la volonté de la ministre d'enquêter sur ces dérives. "Une fois de plus, écrit Natacha Polony, la bêtise politicienne risque de faire rentrer dans le rang les quelques esprits lucides qui commençaient à faire entendre une autre musique." Combien faudra-t-il encore, avant que la réalité soit vue en face, de spectacles interdits, de conférenciers conspués, d'enseignants virés dans les universités parce qu'ils n'entrent pas dans la ligne fixée par le politbureau de quelques censeurs décoloniaux? "Pourquoi donc, demande P.A. Taguieff, s’indignent-ils pompeusement devant une légitime demande d’enquête objective sur des dérives idéologiques et des pratiques douteuses observables dans certaines universités devenues des temples du décolonialisme et des territoires conquis de l’islamo-gauchisme alors que nombre d’enquêtes journalistiques, ces dernières années, ont mis en évidence le phénomène ? Comment ces indignés peuvent-ils ignorer, par exemple, les travaux de Bernard Rougier, de Gilles Kepel et d’Hugo Micheron sur l’imprégnation islamiste de la société française, et en particulier du champ universitaire ? Comment peuvent-ils ignorer que cette imprégnation commence dès l’enseignement secondaire, comme l’a montré Jean-Pierre Obin dans ses travaux ?" Le terrorisme intellectuel ne correspond peut-être pas à une réalité scientifique, mais est bel et bien une réalité inquiétante. Taguieff n'utilise pas la langue de bois pour parler de ces terroristes à la mode. "Les chercheurs ou les enseignants-chercheurs qui disent s’inquiéter de ce projet d’enquête sur leurs pratiques et la qualité scientifique de leurs travaux sont pour beaucoup des militants décoloniaux, indigénistes et pseudo-antiracistes, pour la plupart pro-islamistes et parfois antijuifs, qui craignent que soit établie la médiocrité ou la nullité de leurs prétendus travaux scientifiques ainsi que dévoilées leurs actions d’endoctrinement et de propagande dans le cadre de leur enseignement ou sous couvert de colloques ou de séminaires militants (parfois fermés, non mixtes). Ils sont les premiers à ne pas respecter la liberté d’expression de leurs contradicteurs au sein du champ universitaire, à les diffamer (réactionnaires, racistes, islamophobes, etc.) et à jeter aux orties les libertés académiques, en empêchant les conférenciers dont ils n’aiment pas les idées de les exprimer librement. Ces censeurs, ces inquisiteurs et ces intolérants des gauches radicales installés dans l’Université sont les véritables maccarthystes de notre temps, qui ont mis en place un nouveau terrorisme intellectuel et installé un conformisme idéologique inédit. Ils prennent la posture victimaire dès qu’ils font l’objet d’une analyse critique."

A lire: Pierre-André Taguieff, "L'Imposture décoloniale - Science imaginaire et pseudo antiracisme", éd. de l'Observatoire, 2020.

A passer: le test de Charlie Hebdo "Pourriez-vous obtenir une chaire d'islamo-gauchisme?" https://charliehebdo.fr/jeux/quiz/pourriez-vous-obtenir-une-chaire-dislamo-gauchisme/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=QUOTIDIENNE_23022021_-_ABONNES&utm_medium=email

A consulter: le site http://decolonialisme.fr/

(1) https://www.marianne.net/societe/entretien-avec-pierre-andre-taguieff-premiere-partie-quest-ce-que-lislamo-gauchisme

(2) https://www.marianne.net/politique/gouvernement/islamo-gauchisme-betise-politicienne-et-aveuglement-universitaire?utm_source=nl_quotidienne&utm_medium=email&utm_campaign=20210225&xtor=EPR-1&_ope=eyJndWlkIjoiMWRhMjc0MDM2MDEzNTMyNzJkNjYxMmIyOWM2M2NiMDAifQ%3D%3D

samedi 20 février 2021

Plaisirs essentiels

Le Covid-19 crée des drames qu'on ne soupçonnait pas. Ainsi ces propriétaires belges d'une résidence secondaire empêchés de franchir la frontière pour "se rendre dans l'immeuble dont ils sont propriétaires". Les interdictions dont ils souffrent "affectent grandement leur situation personnelle" (1). C'est pourquoi ils ont déposé plainte devant le Conseil d'Etat contre l'interdiction des voyages non essentiels. A quoi sert-il de posséder une propriété si on ne peut en jouir à sa guise? Voilà qui pose la question de ce qui nous est ou non essentiel. Ils devraient déposer plainte contre le coronavirus, tous les virus en général et surtout la mort, qui affectent grandement nos situations personnelles.

Certaines personnes considèrent que la pratique du ski est essentielle à leur équilibre. On voit des familles louer de manière privative tout un domaine skiable durant une heure. La location leur coûte une véritable fortune, mais le plaisir de se donner l'illusion qu'on possède les pistes pour soi seul n'a pas de prix. A Courchevel, pour pallier l'interdiction d'utilisation des remonte-pentes, certains utilisent la voiture (2). On y assiste à un ballet incessant de voitures individuelles et de taxis qui déposent les skieurs en haut des pistes. "Vingt minutes de voiture pour vingt minutes de ski, c'est bien organisé", se réjouit une skieuse comblée. Le plaisir est un droit qui n'a pas de prix. Même pour l'environnement. 

(1) https://www.lalibre.be/belgique/judiciaire/deux-familles-attaquent-l-interdiction-des-voyages-non-essentiels-a-l-etranger-devant-le-conseil-d-etat-602c1abf7b50a62acff9b1d7

(2) France 3, Edition des régions, 19.2.2021, 19h.

mercredi 10 février 2021

Changer

On aimerait être porteur de bonnes nouvelles. Mais c'est difficile. Le pire est devant nous. Même si la moitié nord de la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne grelottent en ce moment - comme c'était régulièrement le cas il n'y a pas si longtemps en cette période de l'année - la planète se réchauffe inexorablement. Météo France estime (1) que la France est menacée d’un fort réchauffement climatique, avec son lot de canicules et de sécheresses. On peut s'attendre, dans le pire des scénarii, à une augmentation des températures estivales moyennes de 6 degrés et une multiplication par 10 des épisodes caniculaires. “Toutes les observations recueillies à l’échelle planétaire confirment une accélération sans précédent du changement climatique”, affirme Virginie Schwarz, directrice de Météo France. Le pourtour méditerranéen atteindrait régulièrement les 50° C. Dans certaines zones des Alpes et des Pyrénées, la température annuelle moyenne pourrait augmenter jusqu’à 6 degrés. De quoi oublier la neige et le gel et voir disparaître totalement les glaciers. Avec, au passage, leurs risques de décrochage, comme ce fut dramatiquement le cas dans l'Himalaya il y a quelques jours. Les épisodes de sécheresse augmenteraient de 30 à 50% et on pourrait connaître chaque année jusqu'à 90 nuits tropicales, celles où la température ne redescend pas sous les 20 degrés et met à mal la récupération du corps humain.  L’intensité des pluies extrêmes pourrait également  augmenter, de même que les vents forts dans le quart nord-est du pays. Bref, on va déguster.

Suite à une plainte déposée contre lui par plusieurs associations de défense de l'environnement, soutenues par une pétition signée par 2,3 millions de citoyens, l'Etat français vient d'être condamné, même si ce n'est que symboliquement, pour “carence fautive” dans la lutte contre le changement climatique (2). La Justice estime qu’il a commis une “faute” en ne respectant pas ses engagements en la matière, notamment de réduction des gaz à effet de serre. Un récent rapport scientifique, rendu par le Haut Conseil pour le Climat en juillet 2020, constate une diminution des émissions de gaz à effet de serre de 0,9% entre 2018 et 2019, mais loin des objectifs de l’exécutif actuel. Le rythme devrait être d’une baisse annuelle de 1,5 %, et de 3,2 % à partir de 2025 pour atteindre la neutralité carbone en 2050, prônée par Emmanuel Macron, indique-t-il.

Mais l'Etat peut-il tout en la matière? Et qui est l'Etat? La majorité des citoyens a toujours d'énormes difficultés à s'inscrire dans cette lutte qui bouleverse nos chères habitudes et notre précieux confort. On a vu les Gilets jaunes se mobiliser contre un carburant plus cher, contre les limitations de vitesse, contre les péages sur autoroutes. On voit des conseils municipaux adopter des principes d'opposition aux éoliennes, mis sous pression par des électeurs que l'idée même de voir une éolienne rend hystériques. On voit les grands noms de la distribution - Amazon en tête - se remplir les poches grâce à la crise sanitaire actuelle. Qui les fait vivre? Pas les gouvernements, mais des consommateurs peu citoyens. Et pourtant, selon plusieurs enquêtes récentes, les trois quarts des Français et Françaises déclarent de plus en plus ressentir les effets du changement climatique. Surtout celles et ceux qui habitent les quartiers populaires des villes. "83% des Français reconnaissent avoir déjà réfléchi à l’avenir de la planète et de l’humanité, affirme une tribune publiée par le HuffPost (3), en projetant sur l’avenir une intensification des phénomènes d’aujourd’hui: dérèglement continu du climat et grandes catastrophes naturelles, avancée des déserts en France et migrations des populations, accroissement des inégalités et conflits autour des ressources, effondrement généralisé du vivant. (...) Les expériences du changement climatique sont très prégnantes dans les milieux les plus densément urbanisés. Face aux défaillances imputées aux politiques, les personnes rencontrées en appellent à des engagements écologiques, collectifs mais aussi individuels, pour encourager a minima une autolimitation des besoins et une déconsommation des pratiques. En bref, retrouver un certain sens de la mesure et de la limite écologique dans les manières d’habiter et de vivre."

Soyons de bon compte: les décisions évoluent. Exemple parmi d'autres, celui d'un projet de construction d'une autoroute de 41,5 km qui devait contourner Rouen par l'est. Le président de la Métropole, Nicolas Mayer-Rossignol, y était favorable lorsqu'il présidait l'ex-région Haute-Normandie, mais il a changé d'avis. "J'avais sous-estimé l'état de la planète, les conséquences dramatiques du réchauffement", a-t-il déclaré récemment. Lundi dernier, après plus de cinq heures de débat, le conseil métropolitain a décidé par 76 voix contre 43 et quatre abstentions de "ne pas financer" ce contournement où la circulation produirait 50.000 tonnes de C02 par an, soit 50 jours d'émission d'une zone de 700.000 habitants. (4)

Celles et ceux qui veulent poursuivre le business as usual sortent le slogan usé de l'écologie punitive. En quoi l'est-elle? Favoriser les transports en commun, les sources d'énergie renouvelable, l'agriculture biologique, une consommation et une mobilité plus responsables, le respect de la biodiversité, est-ce punitif? Ce qui l'est pour la planète et l'ensemble de ses habitants, c'est le capitalisme, la volonté de croissance perpétuelle avec son corollaire de production et de consommation sans fin. Ce qui est punitif, c'est la liberté absolue qui voudrait que chacun agisse exactement comme il l'entend. "La liberté, centrale dans la pensée des Lumières, estime la philosophe Corine Pelluchon (5), n'est plus celle d'un sujet moral individuel mais celle d'un sujet relationnel, qui accepte sa vulnérabilité, donc son besoin des autres, et ne cherche plus à fuir sa condition corporelle. Il assigne ainsi des limites à son bon droit en accordant sa considération aux humains autant qu'aux non-humains. La liberté n'est plus une abstraction hors-sol. Elle est investie (...), c'est-à-dire infléchie par ma responsabilité envers l'autre. Celle-ci implique que mon identité personnelle dépende de la manière dont je réponds à l'appel d'autrui comme à celui des autres vivants. Ce n'est plus l'affirmation de l'identité qui est la grande affaire de la vie, mais la responsabilité - qui est inquiétude pour l'autre et crainte que le monde commun ne soit détruit." 

(1) https://www.huffingtonpost.fr/entry/climat-la-temperature-moyenne-pourrait-fortement-augmenter-selon-des-projections-de-meteo-france_fr_601814d2c5b6bde2f5c1912c

(2) https://www.huffingtonpost.fr/entry/letat-condamne-pour-inaction-climatique-ce-que-ca-veut-dire_fr_601a6bd1c5b69137248e2155

(3) https://www.huffingtonpost.fr/entry/de-nombreux-francais-vivent-mal-le-rechauffement-climatique-et-ses-canicules_fr_601acd30c5b69137248edf34

(4) https://www.capital.fr/economie-politique/rouen-la-construction-dune-autoroute-de-contournement-en-passe-detre-abandonnee-1393504

(5) "Enfin responsables?", Télérama, 20.1.2021.


samedi 6 février 2021

Déchéance de rationalité

On nous cache tout, on nous dit rien. Comment avons-nous pu être aussi naïfs, vivre dans une telle ignorance? Heureusement, on peut compter sur David Icke pour nous ouvrir - enfin - les yeux. Cet ancien joueur de foot britannique, devenu un sage de 68 ans, est une star mondiale. Des comptes sur les réseaux (anti)sociaux suivis par plusieurs millions d'abonnés, une vingtaine de livres à succès, des conférences un peu partout dans le monde pour nous dire ce qu'on n'imaginait pas: que des reptiliens ont pris l'apparence d'hommes et de femmes pour soumettre l'humanité. Parmi eux, la reine d'Angleterre, la chancelière allemande Angela Merkel, le président français Emmanuel Macron, l'ex-ministre américaine Hillary Clinton, la famille Rothschild ou encore la chanteuse Madonna. Selon un sondage de 2013, 4 % des Américains pensent que les reptiliens contrôlent effectivement nos sociétés. (1)

Comme on peut s'y attendre, David Icke, star du complotisme, remet évidemment en question les origines voire la réalité des attentats du 11 septembre 2001. Et il ne croit pas non plus que des cosmonautes américains ont mis le pied sur la lune. Le coronavirus est pour lui une vraie bénédiction: il a été créé, clame-t-il à qui veut l'entendre (et ils sont nombreux), par la dynastie bancaire juive des Rothschild. Ses positions anti-masque et anti-vaccin en ont fait le héros de ceux qui critiquent la politique sanitaire surtout en Grande-Bretagne. Fin décembre 2020, un certain Anthony Warner a commis un attentat suicide à Nashville. Une lettre posthume a révélé qu'il était totalement obsédé par l'idée qu'il existe un gigantesque complot planétaire derrière lequel se trouvent les reptiliens. On voit par là que les théories du complot peuvent rendre non seulement stupide, mais aussi violent.

"Notre époque donne malheureusement tort (aux) progressistes, qui pensaient que la science et la démocratie libèreraient l'humanité, estime le sociologue Gérard Bronner, qui analyse depuis longtemps le complotisme (2). Aujourd'hui, ce sont les produits de la crédulité, telles les rumeurs, les superstitions ou les théories complotistes, qui s'imposent avec bien plus de facilité que les énoncés rationnels relevant de la pensée méthodique. Si ces propositions crédules, et souvent navrantes, ces produits frelatés de l'esprit bénéficient d'un tel avantage concurrentiel, c'est qu'ils attirent immédiatement notre attention, flattant notre appétence cérébrale pour la peur, la conflictualité, le clash, l'indignation." Il souligne que le faux se propage toujours plus vite que le vrai. Le premier ne s'encombrant ni de recherche scientifique, ni de nuances est plus facile à saisir que le second, souvent plus complexe et exigeant. 

"Le combat rationaliste est la grande aventure de notre temps, affirme Gérard Bronner, car seule la rationalité peut nous faire remonter la pente des obsessions et addictions  qui gouvernent l'esprit humain. Aucun projet politique, progressiste et rationnel, ne pourra se fonder sur l'anthropologie naïve, que véhiculent, à gauche et à droite deux récits simplificateurs. D'un côté, celui de l'homme dénaturé, qui affirment que le marché et la technologie, bref le méchant capitalisme, asservissent l'homme, bon par nature. De l'autre, celui du néo-populisme, qui légitime les traces numériques, en y voyant une revanche du peuple sur les élites. (...) Le rationalisme est (...) un universalisme et il n'y a pas d'universalisme sans rationalisme. Dans la cité du rationalisme, tout le monde est le bienvenu et personne d'autre que vous-même ne peut vous attribuer la citoyenneté. De la même façon, personne d'autre que vous-même  ne peut vous frapper de déchéance de rationalité."

Il reste néanmoins étrange que les complotistes, qui se prennent pour des esprits supérieurs qui ont tout compris, ne se rendent pas compte qu'ils ne sont que gogos qui font vivre des gourous fous furieux en achetant leurs livres, en suivant leurs vidéos délirantes sur Internet ou en se pressant à leurs conférences. Pourquoi un tel besoin de croire à l'incroyable? Peut-être parce que le cerveau reptilien régit nos comportements primitifs?

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/antidote/antidote-05-fevrier-2021

(2) Télérama, 3.2.2021.

jeudi 4 février 2021

Les loups regardent vers Paris

En France, selon un récent sondage, la fille à papa Le Pen serait au coude-à-coude avec l'actuel président au second tour de l'élection présidentielle en 2022. L'information est aussi inquiétante que surprenante. La grande majorité des Français rejetait Trump, mais un Français sur deux serait prêt à se donner comme présidente une de ses grands fans, aux projets aussi inquiétants que les siens ? La Le Pen a fait, lors du débat du second tour de l'élection de 2017, la démonstration de ses grandes limites intellectuelles, voire de son insondable bêtise. Et depuis, elle ne dit plus rien, sinon quelques grognements de temps à autre. Amnésie? Oubli? Je-m'en-foutisme? Ou vraie volonté de voir l'extrême droite prendre le pouvoir?

Personne ne semble s'en inquiéter. Personne ne semble vouloir remettre en question ce système présidentiel si pyramidal, unique en Europe (1). Et à gauche, les pré-candidatures se bousculent, chacun, chacune se voyant dans le rôle de l'homme ou de la femme providentielle. Qui osera enfin dire aux Français que le Père Noël n'existe pas? Et que la mère Noël qu'ils sont prêts à se choisir à tout de la mère Ubu?


Mère Ubu, seule . - Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois pourtant l'avoir ébranlé. Grâce à Dieu et à moi-même, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne. ("Ubu Roi", Alfred Jarry)

(1) (Re)lire sur ce blog "Monarchie française", 14.6.2020.

mardi 2 février 2021

Des ultra-libéraux qui s'ignorent

La pandémie interroge notre rapport au collectif. Ils sont nombreux ceux qui refusent encore de respecter. les règles de distanciation physique, de porter un masque, de se faire vacciner. Fin décembre 2020, selon une enquête Ipsos, seuls 40 % des Français avaient l'intention de se faire inoculer le vaccin. La France est le pays le plus rebelle aux vaccins. Les Français - nombre d'entre eux en tout cas - se font un devoir d'être rebelles à l'autorité. Qui dit vaccin dit gouvernement et dit Système. Il faut donc le rejeter.  "Les anti-vaccins les plus convaincus se situent souvent aux extrêmes de l'échiquier politique, constate l'immunologue Françoise Salvadori (1). Ce sont en majorité des électeurs de Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau, Jean-Luc Mélenchon. Ils expriment une méfiance globale vis-à-vis des politiques et reportent sur les vaccins une contestation de ce qu'ils nomment le système."

Ils semblent ignorer - ou en faire peu de cas - que la vaccination n'a d'efficacité contre un virus que si la très grande majorité de la population en profite. "Dans nos pays développés, à haut niveau de santé, la population a parfois tendance à oublier que c'est grâce à la vaccination que des tas de maladies ont disparu. Les vaccins sont victimes de leur succès. Sur le cas du Covid, les antivax sont aussi des anti-masques. Ils ont tendance à minimiser le virus, ou à affirmer qu'il ne peut pas être naturel, qu'il a été créé par les Chinois."

Les anti-vaccins ont en fait pour slogan: chacun fait ce qui lui plaît. Un refrain qui sonne très ultra-libéral, qui ignore l'intérêt collectif. "La question est hautement politique, estime Françoise Salvadori. Elle engendre deux types de considérations: au niveau de l'individu et au niveau de la population. Si, pour la collectivité, un vaccin est efficace, il ne l'est pas forcément pour chacun d'entre nous. Aucun individu ne pourra jamais savoir quel effet a eu sur lui un vaccin, s'il lui a permis d'éviter la maladie, de l'avoir moins forte, s'il lui a sauvé la vie, s'il n'a servi à rien... Pour en apprécier la portée, il faut un raisonnement populationnel, statistique." 

Dès les premières vaccinations, ce sont surtout les croyants qui s'y sont opposés: seule, pour eux, la volonté divine peut décider de notre destin. Mais plus récemment, signale François Salvadori, les adeptes de l'église protestante néerlandaise dite re-réformée ont refusé les vaccinations. Résultat: "ces dernières décennies, on y a observé des épidémies de rougeole, de méningite, d'oreillons". Et la polyomyélite, "presque totalement éradiquée, resurgit au Pakistan et en Afghanistan, dans des zones talibanes".

C'est le rapport bénéfices / risques pour la société qu'il faut évaluer. Chacun reste bien sûr libre de décider de se faire ou non vacciner. Mais la question du masque et du vaccin questionne notre capacité à faire passer l'intérêt collectif avant notre point de vue individuel.

(1) "Science sans confiance...", Télérama, 13.1.2021.