samedi 29 décembre 2018

La tentation totalitaire

Depuis que le Café du Commerce a été délocalisé sur les ronds-points, la France a perdu la boule.
Des Gilets jaunes décapitent une effigie du Président de la République, mais, disent-ils, il fallait y voir du troisième degré. Le sens de l'humour des bourreaux a toujours été mal compris.
Ce président, on l'a déjà écrit ici, est considéré comme responsable de tout ce qui va mal et le peuple des Gilets jaunes réclame la tête de ce "dictateur". Visiblement, ces contempteurs ne savent pas très bien ce qu'est une dictature. Mais ils ont désormais tous les droits, à commencer par celui de dire et de faire n'importe quoi. Et d'exiger que soient acceptées et aussitôt mises en œuvre toutes leurs revendications. N'y aurait-il pas là une attitude autoritariste?
On assiste aujourd'hui à une prolifération de réclamations de droits individuels, on veut tout et tout de suite, estime Jean-Yves Camus, directeur de l'Observatoire des radicalités à l'Institut Jean Jaurès (1). Et sans respect des devoirs. Les règles, c'est pour les autres, pas pour les Gilets jaunes. Il ne leur est pas possible, disent-ils, de déposer une demande d'autorisation de manifestation. Les partis, les syndicats, les associations le font, mais pas eux, ils en sont incapables, expliquent-ils vu leur non-organisation. (2) Dans quelle société vivent-ils? S'ils ne savent pas ce qu'est une dictature, ils ne savent visiblement pas non plus ce qu'est une démocratie et qu'elle ne peut fonctionner sans règles.
Ils ont un sentiment de toute-puissance, sont dans la dictature de l'urgence. Ce sont eux qui décident et les élus doivent se plier à leurs exigences, à toutes leurs exigences (par ailleurs largement imprécisées). Ils ont la certitude d'avoir raison, d'avoir tous les droits.
Le Référendum d'Initiative citoyenne qu'exigent certains d'entre eux éliminerait, dit encore Jean-Yves Camus, tous les corps intermédiaires. Pour eux, seul Le Peuple peut décider. Ils se méfient des élus, des partis, des syndicats, de tout représentant, sont convaincus que "des forces" tirent les ficelles du système. Ce qui mène certains d'entre eux à l'antisémitisme et à l'anti-maçonnisme.

Les chaînes d'information continue ont amplifié le mouvement en couvrant de manière quasi permanente les actions des G.J. Début décembre, ils ont manifesté à Bruxelles le même jour que la Marche pour le climat. Celle-ci a réuni de 65 à 75.000 personnes, soit beaucoup plus que les GJ, mais la presse n'en a que pour ces derniers et les scènes de violence que génèrent nombre d'entre eux (3). Des journalistes tendent leur micro à n'importe qui, pourvu qu'il porte un gilet jaune et n'importe qui dit  n'importe quoi. Si (ce qui arrive trop peu) un journaliste ose les mettre face à leurs contradictions, les G.J. se montrent aussitôt agressifs, convaincus qu'on veut les empêcher de parler.
C'est ainsi que certains d'entre eux crachent sur la presse (malgré l'attitude largement compréhensive de la majorité des organes de presse), agressent des journalistes qui, selon eux, sont aux ordres du gouvernement et gagnent de 10.000 à 50.000 euros par mois. Ils dénoncent une collusion entre médias et élus mais empêchent la diffusion d'Ouest France qui se paie le luxe d'être critique à leur égard (4). Veulent-ils une presse à leurs ordres?

Des Gilets jaunes se transforment parfois en terroristes. Certains ont agressé un couple homosexuel, d'autres ont exigé d'une musulmane qu'elle ôte son voile. D'autres encore ont caillassé le camion d'un transporteur bulgare qui s'est enfui pour sauver sa peau, a vu un de ses pneus s'enflammer et n'a dû son salut qu'à l'intervention de la police (5). Quelles sont les conditions de travail et de salaire d'un camionneur bulgare? Le salaire moyen d'un Bulgare en 2018 est d'un peu moins de 500 € par mois, soit 73% de moins que le salaire moyen en France. Ce qui n'empêche pas un G.J. de déclarer, pas gêné, qu'il ne peut s'en sortir en gagnant 2800 euros par mois. On s'interroge: quel est son train de vie, quelles sont ses envies de consommation? De qui se moque-t-il? Comment justifier une telle agression? Comment expliquer cette violence contre des gens qui font leur métier dans des conditions bien plus difficiles encore que celles de ceux qui grognent?

Comme le dit l'humoriste Sophia Aram (6), "le gilet jaune est magique, il peut transformer n'importe quelle endive en Che Guevara des ronds-points." Des personnes qui n'ont aucune expertise, aucune analyse socio-politique sérieuse et structurée se retrouvent invitées sur des plateaux télé juste parce qu'elles ne sont pas contentes. Même des complotistes aux théories les plus stupides le sont, uniquement parce qu'ils portent une vareuse jaune fluo.
Le gouvernement a annoncé le lancement dès le début 2019 de grands débats pour répondre à la demande des Bileux jaunes. A eux d'y participer activement, d'accepter de débattre avec des gens qui n'ont pas les mêmes vues qu'eux. S'ils jouent les abonnés absents, c'est qu'ils sont totalement sourds, juste capables de s'écouter eux-mêmes, de se saoûler de leurs vociférations.

Pour terminer, ces propos de l'acteur, réalisateur, musicien et scénariste Alexandre Astier, interviewé non pas à propos des G.J. mais du dernier Astérix qu'il a co-réalisé: "Astérix et ses amis sont comme les Français. Ils ont beau vivre en Armorique, ce sont des Latins, des sanguins. La cohésion sociale, ce n'est pas leur truc. S'ils se posaient autour d'une table et réfléchissaient cinq minutes, ils règleraient leurs problèmes en trois cases! Mais ils n'y voient pas clair parce qu'ils sont tout le temps en colère..." (7).

(1) France Inter, 28.12.2018, 8h20.
(2) France Inter, Journal, 27.12.2018, 13h.
(3) https://www.rtbf.be/auvio/detail_matin-premiere?id=2437056&cid=2437042
(4) https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/27/des-gilets-jaunes-bloquent-la-diffusion-de-journaux-du-groupe-ouest-france_5402732_3224.html
(5) https://www.huffingtonpost.fr/2018/12/25/a-saint-etienne-du-rouvray-des-gilets-jaunes-ont-pourchasse-un-poids-lourd-bulgare-sur-12-kilometres_a_23626703/?utm_hp_ref=fr-homepage
Tiens, Marine Le Pen ne parle plus d'ensauvagement de la France...
(6) A écouter! Sophia Aram: "La magie de Noël et celle du gilet jaune", France Inter, 24.12.2018, 8h54: https://www.franceinter.fr/programmes/2018-12-24
(7) "Je suis un emmerdeur", Télérama, 5.12.2018.

jeudi 27 décembre 2018

En marche

Quatre-vingt-cinq milliards de dollars. C'est ce qu'a coûté, selon certaines ONG, le réchauffement climatique en cette année 2018 (1). Mais uniquement si l'on prend en compte les dégâts causés par les dix catastrophes climatiques majeures qu'a connues cette année. Si on devait prendre en compte l'impact du réchauffement sur la santé, sur les pertes de biodiversité, sur les déficits en eau, etc., on arriverait à une somme autrement plus importante.

Pendant ce temps, que fait l'automobiliste? Il se plaint. C'est une caractéristique majeure de l'automobiliste: n'être jamais content, geindre qu'il est "la vache à lait de l'Etat". En cette fin d'année, le prix du carburant n'a jamais été aussi bas depuis un an, mais l'automobiliste - qui en France peut  aujourd'hui rouler à la vitesse qui lui plaît puisque ces braves Gilets jaunes ont fièrement niqué quasiment tous les radars - pleurniche encore. Du moins celui d'Ile-de-France. C'est que la Région vient de lever une taxe sur les parkings pour financer les transports en commun (2). Trop, c'est trop, dit l'automobiliste. Il affirme qu'il n'a pas le choix: je suis obligé de prendre ma voiture, entend-on dire chez les opposants à une hausse des taxes sur les carburants.
Une étude de l'INSEE de 2015 (3) indique que pour un déplacement domicile - travail de moins d'un kilomètre seuls 4% des Français prennent leur vélo, tandis que 27% seulement le font à pied (en ce compris les utilisateurs de rollers ou de trottinette, électrique ou non). Les autres, 69%, utilisent leur voiture, un deux-roues motorisé ou les transports en commun. Pour un déplacement de moins de 4 kilomètres, la proportion de marcheurs tombe à 8%. 
Certains de mes étudiants s'étaient plaints du manque de parking à proximité de l'école. Derrière la notion de proximité, il fallait comprendre qu'ils voulaient se garer dans la rue même et sans charge de stationnement. Ces jeunes adultes avaient beaucoup de mal à envisager de marcher dix minutes de leur voiture jusqu'à l'école. J'avais appris à cette occasion que l'un de ces automobilistes en manque de parking proche habitait à 600 mètres à vol d'oiseau de l'école. 
Rappelons qu'en moyenne un quart d'heure suffit pour effectuer un kilomètre à pied, que le marcheur ne se trouvera pas coincé dans des embouteillages et n'a aucun parking à chercher. Rappelons aussi que la marche quotidienne ne pollue pas et que, tout comme la pratique du vélo, elle favorise la circulation sanguine, le fonctionnement des articulations, la respiration et apporte quantité d'autres avantages pour la santé. Rappelons enfin qu'il suffit de mettre un pas devant l'autre. 

La Conférence internationale pour le climat, la COP24, s'est terminée tristement à Katowice le 15 décembre dernier. Les engagements pris par les différents pays ne permettront pas de rester en-deçà d'une augmentation de 1,5°C. Au contraire, ils nous mènent vers une augmentation de plus 3°C. Avec toutes les catastrophes qui en découleront. "Quelques dirigeants, par une attitude parfois proche du sabotage, poussent l'humanité vers l'abîme", déclarait alors Noé Lecocq, représentant d'Inter-Environnement Wallonie (4). L'ex-président des Maldives, lui, voit son pays submergé par la mer et annonce qu'il se rebellera contre ces négociations. Mais quel poids pèse-t-il contre les lobbies industriels et les élus qui ne voient que leurs revenus immédiats et le renouvellement de leur mandat? Quel poids pèse-t-il face aux automobilistes qui entendent prendre leur voiture quand bon leur semble, rouler à la vitesse qui leur plaît et laisser tourner leur moteur pour discuter avec une connaissance (le tout parfois avec leur gilet jaune bien en évidence sur leur tableau de bord)? La baisse des prix des carburants est présentée dans toute la presse comme une bonne nouvelle. Même si elle annonce plus de catastrophes encore pour l'humanité.

L'Allemagne envisage, parmi d'autres, une mesure: limiter la circulation à 120 km/h sur ses autoroutes. Sur les deux tiers de son réseau, on peut actuellement y circuler sans limite. Une limitation à 120 km/h permettrait d'épargner trois millions de tonnes de CO2 par an et diminuerait de 25% les risques d'accidents graves. Mais limiter les vitesses sur les autoroutes allemandes semble aussi impossible que contrôler la possession individuelle d'armes aux Etats-Unis. La vitesse y est culturelle. Même les syndicats s'opposent à cette mesure qui "pourrait égratigner l'image de l'automobile allemande et menacer les emplois". La Ministre de l'Environnement (sociale-démocrate)  estime, elle, que "la limitation de la vitesse sur les autoroutes est hors sujet", le débat "appartenant au passé".

On voit par là que sans débat et surtout sans mesure forte, l'avenir appartiendra bientôt au passé.

(1) France Inter, Journal, 27.12.2018, 13h.
(2) Mais à quoi joue donc France Inter en ouvrant son Journal de 13h de ce jour par ce sujet, le présentateur (le par ailleurs sympathque Bruno Duvic) semblant prendre un malin plaisir à jeter de l'huile sur le feu en parlant d'une nouvelle taxe qui aurait été adoptée discrètement?
(3) Gérard Biard, "Un monde de hamsters", Charlie Hebdo, 14.11.2018.
(4) Gilles Toussaint, "A Katowice, le minimum du minimum climatique", La Libre Belgique, 17.12.2018.
(5) Christophe Bourdoiseau, "Du plomb dans l'aile du 250 km/h", La Libre Belgique, 22.12.2018.

dimanche 23 décembre 2018

J'ai testé pour vous

J'ai reçu ce livre qui m'annonce un avenir séduisant. On m'assure un résultat en quatre à six semaines. Vous ne me reconnaitrez plus.
Je vous tiens au courant.


jeudi 20 décembre 2018

C'est pas moi, c'est l'autre

Les petites et moyennes villes se vident de leurs commerces. C'est la faute à Macron. Il y a moins de bus. C'est la faute à Macron. Les jeunes quittent les campagnes. C'est la faute à Macron.
Quand ont été construits les premiers centres commerciaux à la périphérie des villes? Il y a quarante ans? Une époque qui a vu naître l'actuel président de la République. C'est donc bien de sa faute. En réalité, ce ne sont même pas les gouvernements successifs qui ont accordé les permis. Ce sont les maires. Si tant de centres-villes se voient en perte de commerce de proximité, c'est à leurs conseils municipaux qu'ils le doivent. Les responsables communaux se sont réjouis des créations d'emplois qu'offraient les supermarchés, sans souci du sort des petits commerçants. Et les syndicats les ont ardemment soutenus, se réjouissant de la perspective d'engranger de nouvelles affiliations. Ils ont toujours préféré les grandes surfaces avec leurs salariés aux petits commerces tenus par des indépendants. Les citoyens, eux, ont vite apprécié les immenses parkings gratuits des zones commerciales et se sont transformés en consommateurs béats. Avant de se rendre compte bien plus tard que leurs villes se sont vidées, avec leur collaboration. Heureusement, ils ont un président qu'ils peuvent accuser de toutes les responsabilités. C'est pratique, un président.

Combien de ruraux n'ont-ils pas pris l'habitude de faire tous leurs achats au supermarché du coin? Ils ne vont pas chez le boucher ou le boulanger du village ou du bourg. Mais ils déplorent que tous les petits commerces ferment. Récemment, une commerçante, au bord de la faillite, avait lancé un apppel au secours. Elle avait reçu, sur les réseaux dits sociaux, des milliers de soutiens de gens indignés qui exigeaient qu'on défende ardemment le commerce de proximité. La commerçante avait apprécié, mais, avait-elle souligné, elle n'avait pas vu un client de plus. Elle a fermé boutique.
Combien de gens qui déplorent la mort du petit commerce achètent sur Internet? Combien de gens qui se plaignent de l'invasion des voitures dans les centres-villes n'envisagent pas d'y venir en bus ou à vélo? Ou n'y vont tout simplement plus parce que les centres commerciaux permettent d'éviter de marcher?

Les Gilets jaunes, à leur corps défendant diront-ils, font les affaires d'Amazon. Faute de pouvoir faire leurs courses, les consommateurs n'ont jamais autant acheté sur Internet. Les colis leur sont apportés par de petits camionneurs d'Europe de l'est, aux conditions de travail et de salaire inacceptables. Beaucoup de commerçants expriment aujourd'hui une grande inquiétude face à la perte de très nombreux clients ces dernières semaines, suite aux nombreux blocages. Amazon, de son côté, n'arrive plus à les compter.
La crise profite bien à Amazon qui engrange des bénéfices faramineux et évite autant que possible l'impôt, qui est pointé du doigt pour la gestion de son personnel, qui refuse de donner une prime de fin d'année à ses salariés (1).
On voit par là qu'il faut toujours penser de manière dialectique.

(1) France 3 Centre - Val de Loire, Journal, 16.12.2018, 19h et France 3, Journal, 20.12.2018, 19h30.

jeudi 13 décembre 2018

La démocratie, ça oblige à changer

Les Gilets jaunes et tous ceux qui les soutiennent s'en prennent violemment (et même souvent avec haine) à Emmanuel Macron, président de la République. Ils réclament sa démission. Parce qu'ainsi va la France: le président est responsable de tout et en particulier de ce qui fait grogner les uns et les autres, lui qui est coupable de leur situation. Et donc lui aussi qui serait le seul à pouvoir les sauver.
Les Français sont les seuls Européens à avoir semblable régime, avec un président élu au suffrage universel et qui dispose d'autant de pouvoir. Mais personne ou presque ne remet en question le régime présidentiel.
Emmanuel Macron, dès le lendemain de son élection, alors qu'il n'était pas encore président, était déjà contesté par certains manifestants. L'état de grâce de Nicolas Sarkozy n'avait guère duré. François Hollande n'en a jamais connu. Les Français adorent élire leur roi pour mieux le décapiter peu après.
Pourquoi donc la France reste-t-elle accrochée à ce système?
Dans les autres républiques européennes, le président a le même rôle que le roi ou la reine dans les monarchies constitutionnelles: un rôle de représentation et de sage au-dessus de la mêlée.

Les Français restent en attente, tous les cinq ans maintenant, de l’homme providentiel. Le président français est un roi élu. La France, écrivait en avril 2017 le journaliste allemand Thomas Schmid, est « une démocratie particulière : une espèce de monarchie élective républicaine. Cela s’explique en partie par le rôle que Charles de Gaulle, fondateur de la Ve République, a conféré au président, qui doit être le père, à la fois sévère et bienveillant, de la nation. Il lui a ainsi octroyé une stature surdimensionnée, on pourrait même dire surhumaine. (…) Un président français doit être le plus haut représentant d’une collectivité démocratique et en même temps le roi de la République. C’est trop pour tout titulaire de la fonction. Le lien qui unit la démocratie et l’autocratie ne correspond plus à notre époque. Si la France profonde est aussi réfractaire au changement, c’est notamment à cause de l’illusion soigneusement entretenue qu’un bon président peut protéger ses citoyens des tempêtes du monde. » (1) Les Français attendent tout de leur président et d’abord qu’il les protége : qu’il préserve les commerces de proximité en milieu rural, qu’il soutienne les PME, qu’il améliore le taux de réussite à l’université, qu’il empêche les fermetures ou les délocalisations d’entreprises, qu’il redonne sa grandeur internationale à la France, qu’il lutte contre le terrorisme, qu’il soutienne les productions françaises, qu’il change tout en douceur… Ils attendent aussi de lui qu'il soit distant, au-dessus des querelles partisanes, qu'il ait une vision large et lointaine, mais aussi qu'il partage leurs émotions, qu'il soit proche d'eux. Le président doit avoir la souplesse d'un acrobate.

Thomas Legrand, dans son ouvrage publié en 2014 « Arrêtons d’élire des présidents », estime que « notre mode d’élection présidentielle abaisse le débat et infantilise la scène politique ». Il démontre combien les campagnes électorales présidentielles ne sont que combats de coqs qui ne font que cliver le pays, pousser des candidats à des promesses insensées et maintenir les citoyens dans l’illusion qu’une seule personne a la capacité de changer un pays. « L’élection présidentielle, écrit-il, devenait un mensonge, une supercherie, un déni de la réalité, un moment de fantasme de puissance. » (2)
L’éditorialiste de France Inter propose de continuer à élire le président au suffrage direct, mais en ne lui confiant plus qu’un rôle de représentation et de gestion de la politique étrangère et de la défense. Ce ne serait plus à lui de nommer le gouvernement qui procèderait dès lors du parlement. 

Dans de nombreux pays, le président n’a qu’un rôle protocolaire, de sage au-dessus de la mêlée, de représentant de l’Etat auprès d’autres instances étrangères, de garant de l’unité nationale.
En Italie, le président a un rôle honorifique. Cette personnalité, au prestige reconnu, est élue par la Chambre des Représentants, le Sénat et des représentants des régions. 
En Suisse, le président de la Confédération exerce des fonctions purement représentatives, et ce uniquement pendant une année au terme de laquelle il est remplacé par son vice-président.
En Allemagne, le président fédéral fait figure de pouvoir neutre, de gardien des valeurs morales, exerçant une charge essentiellement honorifique. (3)
En fait, ces présidents exercent quasiment le même rôle que la plupart des souverains des monarchies constitutionnelles d’Europe. A la différence notable que c’est à partir de leurs mérites et de leur expérience et non de leur sang qu’ils se retrouvent à exercer cette fonction et que celle-ci est limitée dans le temps.

Le système français, majoritaire à deux tours, amène les électeurs à un choix par défaut au second tour. Aujourd’hui, ce système semble  avoir atteint ses limites.
« Les gens ne votent plus pour aux élections, ils votent contre,  écrivait Paul Jorion un mois avant l’élection présidentielle de 2017. Et si l’on additionne l’extrême droite et l’extrême gauche, cela fait du monde. Je reçois des mails qui me disent :  si Jean-Luc Mélenchon n’est pas au deuxième tour, je vote Marine Le Pen. Ce drainage de la gauche vers l’extrême droite n’est pas terminé, et je ne suis pas sûr que ceux qui hésitent entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon se reporteront sur Emmanuel Macron, qui représente l’ultralibéralisme à visage humain. Il faudrait aussi que les politiques arrêtent de manier un langage séditieux, pas si éloigné de celui des années 1930. » (4)
Effectivement, ils furent nombreux, les Français à déclarer refuser de voter contre, mais, étrangement, on n’a entendu personne réclamer un changement du système. Un ancien élu Vert me disait que retirer aux Français  l’élection de leur président serait s’attaquer à la base de leur démocratie

Si les Français décident de conserver le principe de l’élection et de la fonction présidentielle actuelle, ils pourraient néanmoins changer radicalement le système : il est arrivé que les électeurs éliminent dès le premier tour un candidat qui, de l’avis général (en tout cas majoritaire), avait des chances de l‘emporter au deuxième. On pense, par exemple, à Lionel Jospin en 2002. Absurde, n’est-il pas ? David Louapre, créateur de la chaîne Youtube « Les statistiques expliquées à mon chat », en fait la brillante démonstration dans une vidéo intitulée « Réformons l’élection présidentielle ! » et propose d’adopter la méthode du « jugement majoritaire » en attribuant à chaque candidat une mention sur une échelle qui en compte sept (de « à rejeter » à « excellent »). Celui qui obtiendrait la meilleure mention majoritaire gagnerait l’élection. (5) On peut penser que le président élu par ce système bénéficierait ainsi d‘un soutien beaucoup plus large des citoyens et que les candidats les plus populistes seraient rejetés.

Actuellement, le président français est tout puissant. C’est lui qui forme le gouvernement, essentiellement à partir de son seul parti. Même si lui-même, au premier tour, n’a recueilli qu’un faible pourcentage. De moins de 20% des voix au premier tour, il peut recueillir plus de 80% au second. Ce fut le cas de Jacques Chirac face à Jean-Marie Le Pen en 2002. Le président n’a pas ensuite « renvoyé l’ascenseur » à la gauche qui l’avait soutenu pour contrer l’extrême droite. Il a formé un gouvernement basé sur son seul parti sans l’ouvrir à d’autres. Cette toute puissance du président français est un leurre total, estiment Daniel Cohn-Bendit et le journaliste Hervé Algalarrondo : « le trait commun entre Chirac, Sarkozy et Hollande, c’est leur impuissance, leur impuissance à traiter la crise économique, sociale et culturelle qui mine la France depuis le début du siècle. Impuissance d’abord due à leur faible assise dans l’opinion, impuissance qui est le premier moteur du Front National. ». (6) 
Tous deux plaident pour un système électoral proportionnel et des gouvernements de coalition. 
Depuis quinze ans, écrivaient-ils en 2016, les gouvernements monocolores, avec leurs majorités trop étriquées, font du surplace. Tous deux se disent convaincus que des gouvernements de coalition, à l’assise plus large, permettraient d’avancer enfin, de réformer un pays qui apparaît ingouvernable.

Le résultat des élections régionales en Nord-Pas de Calais-Picardie en décembre 2014 témoigne du caractère peu démocratique du système majoritaire à deux tours : pour faire barrage à l’extrême droite, le PS s’est retiré du second tour. Résultat : la gauche pourtant arrivée en deuxième position au premier tour (le PS + les autres partis de gauche) se retrouve sans le moindre élu au Conseil régional. Cette démocratie est-elle démocratique ?
Le mode de scrutin proportionnel serait une véritable révolution dans la culture politique française qui reste, avec la Grande-Bretagne, une exception avec ce système majoritaire. « Les démocraties parlementaires européennes ont toutes, à l’exception du Royaume-Uni, la proportionnelle comme mode de scrutin, et sont donc ingouvernables selon nos critères constatent Algalarrondo et Cohn-Bendit. Et pourtant, ce sont celles-ci, et pas la France, qui ont conduit ces dernières années des réformes – qu’on les aime ou qu’on ne les aime pas – qui ont bouleversé leur paysage économique et social. En Europe, si on met de côté la situation des pays du Sud, au bord de la déroute financière, c’est la France qui fait figure de pays ingouvernable, peinant à s’adapter à la nouvelle donne économique mondiale. » Quels sont les deux pays pays européens enlisés en cette fin 2018? La France et la Grande-Bretagne...
Algalarrondo et Cohn-Bendit proposent d’inverser le calendrier électoral : les législatives d’abord, la présidentielle ensuite, à condition de passer au mode de scrutin proportionnel pour les premières. Au bout du compte, la proportionnelle pourrait être, d’après eux, rassembleuse. Un gouvernement de coalition permettrait, selon ces deux auteurs, de sortir de l’immobilisme qu’engendrent inévitablement des majorités étriquées. Il faut alors en passer par le compromis. Et trouver un compromis n’est pas se compromettre, c’est sortir de positions (de) tranchées.
Algalarrondo et Cohn-Bendit citent le nouveau mode de fonctionnement de la Suède, elle aussi confrontée à la poussée de l’extrême droite. Ni la gauche ni la droite n’y a obtenu de majorité aux élections législatives de 2014, elles ont dès lors passé un accord : « 1. la gauche gouverne, car elle compte plus de députés que la droite ; 2. sur les dossiers majeurs, le gouvernement consultera la droite avant toute décision dans le but de parvenir à des consensus ; 3. sur les autres dossiers, la droite continuera d’exercer son droit d’opposition. »

Les gouvernements de coalition ne sont sans doute pas la panacée de la démocratie, mais ils obligent à "composer" et ils devront s'accompagner d'assemblées citoyennes, à tous les niveaux de pouvoir. Chacun comprendra alors que la recherche du compromis oblige à négocier, à sortir de sa seule vision des choses, à lâcher certaines revendications pour mieux en gagner d'autres. L'expression "on ne lâche rien", si utilisée par tant de gens, exprime un refus de négocier, un enfermement.
En France, ce pays si fier de sa langue et de la verve de chacun, on ne discute pas. On s'invective. On ne négocie pas. On manifeste dans la rue, on casse. Les Français sont les rois de la tchatche, pas du dialogue. La demande, parfaitement légitime, de plus de participation citoyenne devra passer par un solide changement culturel. Et pour cela, il faudra bien lâcher pour mieux gagner.



(Note: la majeure partie de ce billet est extraite d'un projet de livre que j'avais intitulé "Pour en finir avec la classe politique - vers une démocratie citoyenne". Projet qui n'a pas trouvé preneur...)

(1) « Un chantier titanesque attend le futur président », Thomas Schmid, Die Welt, 24.4.2017, in le Courrier international, 27.4.2017.
(2) Thomas Legrand, "Arrêtons d'élire des présidents", Stock, 2014.
(3) http://www.arte.tv/guide/fr/072310-006-A/karambolage
(4) Télérama, 22.3.2017.
(5) https://www.youtube.com/watch?v=ZoGH7d51bvc&t=1017s
(6) « Et si on arrêtait les conneries ? – Plaidoyer pour une révolution politique », Daniel Cohn-Bendit et Hervé Algalarrondo, Fayard, 2016. 

mercredi 12 décembre 2018

Les votes fantômes

Un de ses (non)représentants affirme qu'il fait tout ce qu'il peut pour que les Gilets jaunes présentent une liste aux élections européennes. Aussitôt, un institut de sondage a pris le pouls des électeurs (à la demande, il est vrai, du parti LREM). Ce sondage n'a guère de sens, mais peut-on passer à côté d'une occasion de poser une question idiote? Ce qu'a fait l'institut de sondage Ipsos (1).
Quelle liste, avec quels candidats, quel programme et quelle vision de l'Union européenne? Bien malin qui pourrait répondre à cette question, puisque ce mouvement né sur Facebook n'a actuellement ni leaders ni revendications claires et encore moins de programme cohérent (2). Ce qui n'a pas empêché 12% des sondés de déclarer qu'ils seraient prêts à voter pour cet hypothétique parti. 
Pour quelles raisons feraient-ils ce choix? On ne sait. Pour dire qu'ils râlent? Qu'ils en ont marre des taxes? Qu'ils veulent plus de justice sociale? Le droit de circuler librement en voiture? Plus de démocratie? Pour faire dégager tous les autres élus (les parlementeurs, comme disent certains G.J.), et en premier lieu le président Macron? Pour fermer les portes aux migrants? Pour une vraie transition écologique? Pour soutenir les thèses complotistes les plus délirantes et insultantes? Le mouvement des G.J. mêle toutes ces positions et ces émotions.
Ainsi donc, selon ce sondage, réalisé il y a quelques jours, avant l'intervention du président lundi soir, un  électeur sur huit voterait pour un parti qui n'existe sans doute actuellement que dans les fantasmes de quelques-uns. 
On repense à ce qui s'est passé en Suède aux élections municipales de 2014: à Filipstad, le parti populiste Les Démocrates de Suède, alors tout récemment créé, a remporté 17% des voix, soit 6 sièges. Dont 4 que le parti n'a pas pu occuper, puisqu'il ne présentait que deux candidats (3)...
En Allemagne, aux élections régionales de mars 2016, le parti populiste AfD, qui en était lui aussi à ses tout débuts, a recueilli jusqu'à 24% des voix. Tous les observateurs politiques s'accordaient alors pour constater que ce parti, à part son refus des migrants, n'avait aucun programme. Tant d'électeurs trouvent tellement que les partis se moquent d'eux qu'ils sont prêts à tomber dans les bras de (non) partis sans candidats et sans programme. Les électeurs sont des cœurs à prendre.

Le système démocratique électif est, à raison, critiqué. Mais visiblement ceux qui le contestent semblent incapables de penser à autre chose que de tenter de prendre leur place dans ce système de la même manière. Avant d'être vraisemblablement éjectés par d'autres à leur tour.
Le parti créé par Emmanuel Macron, La République En Marche, apparaissait, à sa création il y a moins de deux ans, comme un parti nouveau, rafraîchissant, ringardisant les vieilles familles politiques. Et le voilà déjà critiqué vertement. Y aurait-il du sens à le remplacer par un autre dont la date de péremption risque d'être encore plus rapprochée? N'est-ce pas tout le système représentatif électif qu'il faut repenser?

Si les Gilets jaunes devaient se constituer en parti pour les élections européennes, quel programme porteraient-ils vis-à-vis de l'Union européenne? Ce mouvement indique en tout cas la nécessité de plus d'Europe: c'est au niveau européen que doivent être décidées les taxes sur les carburants pour les avions, les voitures et les paquebots; la TVA sur les billets d'avions; la lutte contre la fraude fiscale; une harmonisation des taxations; le règlement de la question des travailleurs détachés; une autre politique agricole; l'accueil des migrants et tant d'autres questions qui dépassent les frontières.

Enfin, deux bonnes nouvelles quand même concernant ce sondage qui n'a sans doute aucun sens: 
- les Gilets jaunes feraient concurrence en les dépassant aux deux partis qui en les soutenant espèrent les séduire;
- les Verts, qu'on croyait perdus, corps et biens, apparaissent en troisième position (derrière LREM et LR) à 13%. Preuve sans doute que de nombreux électeurs s'inquiètent, eux, de l'état de la planète.

(1) https://www.huffingtonpost.fr/2018/12/08/europeennes-2019-si-les-gilets-jaunes-se-presentaient-ils-feraient-12-dapres-un-sondage_a_23612850/?ncid=other_trending_qeesnbnu0l8&utm_campaign=trending
(2) A part une série de revendications, sur lesquels certains G.J. se sont mis d'accord via Facebook, un catalogue de bonnes intentions, souvent généreuses, parfois simplistes, parfois discutables, naïves, inacceptables, piochées dans le programme politique des différents partis de l'extrême gauche à l'extrême droite. Pas grand chose concernant le climat et l'avenir inquiétant de la planète.
(3) "L'extrême droite: Nous sommes en marche", Dagens Nyheter, 16.9.2014, in Le Courrier international, 9.10.2014.


lundi 10 décembre 2018

Exercice démocratique

Discours à la fois humble, calme et décidé du Président de la République ce lundi soir. Il reconnaît des erreurs, condamne la violence, annonce des mesures concrètes et rapides en faveur des revenus les plus faibles. Il dit vouloir affronter les questions du réchauffement climatique et de l'immigration  et promet une consultation large de l'ensemble de la société notamment pour en finir avec une société trop centralisée. Il appelle chacun à assumer ses devoirs et promet de revenir rendre des comptes. Il met en avant trois valeurs: dialogue, respect, engagement. Que pouvait-il dire de plus? Annoncer des mesures fortes en faveur du climat qui, plus que tout, doit être la priorité des priorités (1). Mais pas celle des Gilets jaunes
Le risque est grand de voir la société française basculer dans un chaos que souhaitent les pyromanes, nombreux tant dans ce qu'on appelle la société civile que dans la classe politique. Les irresponsables se sont multipliés ces dernières semaines. 
Il y a quelques jours, dans l'Obs, le journaliste Serge Raffy (2) appelait à voler au secours du "soldat Macron": "jamais aucun président n'avait connu un tel déferlement de haine". Certains, dit-il, lui ont prédit une fin à la Kennedy, "ce qui ressemble furieusement à des incitations à la haine". Il rappelait la légitimité d'Emmanuel Macron, malgré ses erreurs et son arrogance. Il reste, écrit-il, "le rempart contre toutes les dérives, celles du chaos, de l'insurrection généralisée courant vers une France trumpisée. Car il ne faut pas se voiler la face, le mouvement des Gilets jaunes n'a rien de bolchevik. Il pourrait très vite se transformer en un mélange détonnant du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue qu'on voit à l'œuvre en Italie."
Certains à l'extrême gauche soutiennent pleinement le mouvement, guère gênés par les positions racistes et réactionnaires d'une partie des G..J. Toujours cette même vieille logique simpliste et dangereuse qui veut que les ennemis de notre ennemi sont nos amis. Les populismes se retrouvent dans le dégagisme, et la surexcitation de la perspective d'une révolution peut rendre aveugles voire stupides certaines personnes qu'on pensait plus  mesurées et capables d'analyses un peu nuancées.

Dès la fin du discours du Président, des représentants (légitimes ou non? on s'y perd) des G.J. condamnaient (3) ses annonces, témoignant de leur incapacité à saluer leur propre victoire, de leur volonté de jusqu'au boutisme (mais pour aller au bout de quoi? chacun d'entre eux seul le sait) et de leur analphabétisme démocratique. 
S'ils étaient honnêtes avec eux-mêmes, ils reconnaîtraient qu'ils ont été entendus sur la part la plus importante de leurs revendications, ils célèbreraient leur victoire et ils quitteraient leurs ronds-points, au risque, sinon, d'y tourner en rond et d'apparaître comme totalitaires. Leurs actions ont créé entre eux de nombreuses rencontres et des liens forts. On peut comprendre qu'ils abandonnent difficilement leurs campements. A eux de passer à un autre mode de fonctionnement, à être actifs et solidaires dans leurs villages, dans leurs quartiers, à participer, comme tout citoyen, aux débats qui se mettront en place et à inventer l'avenir. Dans le dialogue, dans le respect, dans l'engagement.

(1) http://www.lalibre.be/actu/planete/en-2030-le-climat-ressemblera-a-celui-d-il-y-a-3-millions-d-annees-5c0ed1b1cd70e3d2f72d4142
(2) https://www.nouvelobs.com/politique/20181207.OBS6746/edito-il-faut-sauver-le-soldat-macron-par-serge-raffy.html
(3) sur le plateau de France 2.

Post-scriptum: à propos de la comparaison avec l'Italie, lire cet article du Monde (réservé aux abonnés, donc lisible partiellement si on ne l'est pas): 
https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/12/on-retrouve-dans-l-opposition-a-emmanuel-macron-les-memes-mecanismes-mis-en-place-contre-matteo-renzi_5396108_3232.html

Cette mauvais odeur qui règne

Le "Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières" (1) a été signé aujourd'hui à Marrakech. L'annonce de ce pacte, absolument nécessaire même s'il n'est pas contraignant, a provoqué la folie et la hargne de certains esprits chagrins et retors qui se sont fait un malin plaisir d'appeler à faire tomber avant ce lundi le président français qui s'apprêterait, en signant ce pacte, à "vendre la France à l'ONU". Tous les moyens sont bons pour tenter à la fois de destituer un président légitimement élu et s'opposer à une politique humaine de migration.
"Macron profite de la situation sociale actuelle pour nous vendre", assurent des messages largement partagés sur les réseaux dits sociaux. Certains assurent même que ce pacte est le moyen officiel de permettre ce "grand remplacement" fantasmé. Et évidemment, les médias nous le cachent, disent-ils. Mais heureusement, ils veillent, eux, gardiens de l'ordre, de la culture et de l'identité françaises. Oubliant au passage la devise de la République française.
Comme l'expliquait Pierre Haski sur France Inter (2), "le pacte part du principe que le phénomène migratoire est là pour durer et fixe 23 objectifs qui vont de la lutte contre les facteurs qui poussent des personnes à quitter leur pays d'origine, à l'action contre le trafic de migrants, ou appelle à donner aux migrants et aux sociétés les moyens de l'intégration des étrangers." L'idée, dit encore Pierre Haski, est  "d'humaniser un phénomène qui s'accompagne aujourd'hui d'une grande déshumanisation - sans pour autant l'encourager". 
Mais l'ambiance populiste qui règne actuellement augmente la défiance vis-à-vis des médias et a contrario la confiance dans les prétendues informations et les analyses perverses qui circulent sur Internet. L'excitation est à son comble et tant de gens réfugiés dans l'entre-soi du Net se mettent à hurler avec les loups. Y compris chez les Gilets jaunes (3) où les opinions les plus opposées s'expriment. Et donc notamment les pires. Ils réclament plus de considération pour les petits, les obscurs, les sans-grade, mais oublient qu'il y a toujours plus petit que soi.
Un peu partout en Europe, les nationalistes crient à la perte de souveraineté (4), préférant monter des murs, refusant de prendre de front, de manière réfléchie et responsable, la question migratoire. En Belgique, les nationalistes de la NVA en ont profité pour quitter le gouvernement fédéral. Exit donc  le boxeur (comme l'appelait le journal Le Monde) Théo Francken, Secrétaire d'Etat à l'asile et aux migrations. Qui le regrettera?
Résumons-nous: les égouts débordent.

(1) http://undocs.org/fr/A/CONF.231/3
(2) https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-06-decembre-2018
(3) https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/06/vendre-la-france-a-l-onu-de-donald-trump-aux-gilets-jaunes-l-itineraire-mondial-d-une-intox_5393268_4355770.html
https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/10/manipulations-autour-du-pacte-mondial-sur-l-immigration-de-l-onu_5395199_3232.html
(4) ttp://www.lalibre.be/actu/international/comment-est-ne-le-pacte-sur-les-migrations-qui-dechaine-les-passions-de-bien-des-etats-5c0d6e96cd70e3d2f728e799

samedi 8 décembre 2018

Haut les cœurs

Marche pour le climat à Châteauroux ce samedi. Dix minutes avant l'heure annoncée du début de la marche, nous sommes vingt tout au plus sur la place Sainte-Hélène. Nous serons finalement quatre-vingt, guère plus, à défiler dans des rues le plus souvent vides. Il pleut. C'est déjà ça.
Au moment où la marche conclut sa boucle, apparaît au bout de la place la manif des Gilets jaunes.
Ils sont, semble-t-il, trois à quatre fois plus nombreux. Ils scandent: "Macron, t'es foutu, les Français sont dans la rue!". On attend en vain des revendications ou des propositions. Au moins leur marche est-elle aussi tranquille que la précédente. 
Certaines amies m'assurent que les revendications sont identiques. Mais pourquoi alors les Gilets jaunes n'ont-ils pas participé à la marche pour le climat? On aurait pu crier: "climat foutu, humanité perdue!"
Dans la Nouvelle République, on peut lire que le Gilet jaune de l'Indre interviewé récemment sur France Inter s'est fait huer et enfariner sur un rond-point par ses camarades. Personne n'a le droit de les représenter, aucune tête ne doit dépasser.
Retour en voiture (en co-voiturage, bien sûr). Toujours sous la pluie. C'est déjà ça. Ce qui manque aux Gilets jaunes, c'est le sens du "commun", constate un commentateur invité sur France Inter. Il relève d'ailleurs qu'aucun Gilet jaune n'a réclamé la libération de ses camarades arrêtés. Un des grands slogans de '68 était "libérez nos camarades". Au moins ont-ils l'air content d'être ensemble. C'est déjà ça.
Résumons-nous: y a pas que Macron qui est foutu. 


jeudi 6 décembre 2018

Historiques ou hystériques?

Ici, dans ce coin de France profonde, voilà quatre jours que nous n’avons plus de connexion Internet. Alors que le clavier me démange, tant le volume de bêtises débitées chaque heure dépasse l’entendement. Ainsi va, parfois, la France profonde. Ce qui ne m’amènera pas pour autant à enfiler un gilet jaune.

Ces journées de blocage de la France seront-elles historiques ? L’avenir en jugera. Elles sont en tout cas hystériques. Le mouvement des Gilets jaunes est, nous dit-on, celui de la France oubliée. Et c’est vrai que depuis trop longtemps, les services publics s’éloignent de la population rurale : fermeture de gares, de bureaux de poste, de maternités… Ce serait aussi celui d’une France qui se voit basculer dans la précarité. Et sans doute s’inquiète plus de ce qui l’attend que de ce qu’elle vit.
Elle est d’abord une révolte d’automobilistes : c’est la demande de baisse des taxes sur le carburant qui a mis le feu aux poudres, c’est sur les tableaux de bord que s’affiche le signe de ralliement au mouvement. Et sur les routes et les autoroutes que s’exprime celui-ci : blocage des péages et saccage ou mise hors d’état de fonctionner des radars. Au milieu de certains ronds-points trône, tel un totem, une voiture. Comme si les Gilets jaunes voulaient signifier leur volonté de rouler en bagnole à leur guise. En quelque sorte, un remake des Bonnets rouges mais à l’échelle nationale. (1)

Au-delà de ces revendications et de celle plus globale de baisse des taxes liée à plus de justice sociale, ce mouvement m’apparaît comme l’expression à la fois d’une demande de plus de démocratie et d’un analphabétisme démocratique. Parti de l’une ou l’autre vidéo de râleurs postée sur Facebook, il s’est développé à une vitesse que seuls ces réseaux dits sociaux  permettent. C’est la première cyber révolte en France, avec son lot de fausses informations et de photos interprétées qu’on se fait un malin plaisir de diffuser autour de soi. Ces réseaux sont-ils réellement sociaux, font-ils société ?  Chacun y parle à la première personne. C’est moi, ma situation à moi, mon point de vue à moi, mes exigences à moi. Où est le social, le point de vue collectif ? Quelle société veulent-ils ? Chacun a son avis, le mouvement semble n’être qu’une somme de points de vue personnels, d’impressions et surtout d’émotions. La raison semble avoir sombré au pays de Descartes.

Les Gilets jaunes  se défient des représentants politiques, et à certains égards on peut les comprendre (2), mais la défiance existe aussi entre eux. Ils ne se reconnaissent aucun  porte-parole. Les menaces d’agression voire de mort se multiplient entre eux.
Ils n’acceptent pas plus de représentants que de négociation avec qui que ce soit, insultent le président de la république, le premier ministre, le gouvernement, l’ensemble de la « classe politique ». La démocratie suppose écoute, valeurs communes, projets, négociation. Elle nécessite d’accepter de s’asseoir autour d’une table et de dialoguer. On entend des Gilets jaunes réclamer plus de démocratie, plus de participation des citoyens aux décisions politiques. On ne peut que les soutenir sur ce point, mais on voit bien que la culture démocratique fait totalement (pour l’instant en tout cas) défaut dans leur mouvement. Comme s’ils ne savaient pas comment elle fonctionne. Ou comme si certains d’entre eux s’étaient solidement installés dans une position totalitaire.

Face à leur détermination et à leur radicalisme, face à la violence de nombre d’entre eux, le gouvernement a fini par lâcher du lest. Mais visiblement ce ne sera jamais assez pour beaucoup de Gilets jaunes, convaincus, grâce au soutien populaire dont ils bénéficient, d’avoir tous les droits, d’être dans le justeQui peut dire ce qu’est le juste ? Ils appelent à nouveau, de manière irresponsable, à de nouveaux rassemblements à Paris. Malgré les appels à la violence qui se multiplient et font craindre le pire. Les voilà, à leur tour, comme l’analysait Thomas Legrand, éditorialiste de France Inter, « déconnectés de la réalité », refusant la main qui leur est tendue, ne s’écoutant plus eux-mêmes, tournant en rond dans leurs ronds-points, enfermés dans une logique jusqu'au-boutiste (3).

Et pour défendre quelles revendications ? Au début du mouvement, certains d’entre eux disaient que ceux qui pensent que leur priorité c’est le prix du carburant n’ont rien compris. Il y a deux jours, certains affirmaient que c’était là la priorité des priorités. Et quand le premier ministre Philippe annonce qu’il n’y aura pas d’augmentation des taxes, ils hurlent qu’on refuse de les comprendre. On avouera qu’il est extrêmement difficile de négocier avec une non organisation aux revendications extrêmement multiples et parfois contradictoires.
Récemment, sur France Inter (4), un membre (un représentant ?) des Gilets jaunes de l’Indre expliquait qu’il y a pour lui quatre points indiscutables : baisser les taxes (pas de moratoire), augmenter les salaires et les retraites, améliorer les services publics et faire participer plus les citoyens à la vie politique. Les trois premiers points sont l’œuf de Colomb de la politique : comment aucun parti politique n’y a-t-il pensé : faire plus avec moins ? Comment améliorer les revenus et les services publics tout en diminuant les ressources de l’Etat. C’est la politique au niveau zéro. Quel candidat, quel parti ne rêverait de proposer un programme aussi simpliste ?
Pour améliorer la participation des citoyens aux décisions politiques, certains réclament l’organisation de référendums. Mais sur quoi et avec quelle(s) question(s), quels objectifs ? Les référendums récemment organisés en Grande-Bretagne, en Catalogne, dans le Kurdistan irakien n’ont absolument rien résolu. Au contraire. Ils n’ont apporté que des problèmes, aucune avancée.
Il est d’autres voies, telles les assemblées citoyennes, pour avancer de manière plus nuancée et intelligente sur des questions complexes. Mais il faut accepter de s’écouter, de se parler, de réfléchir ensemble, d’être représenté par d’autres, ce qui semble difficile en ces temps où chacun ne voit que lui-même, ne fait confiance qu’à lui-même.

Dans quel jeu nous retrouvons-nous aujourd’hui? L’hystérie qui a gagné quelques centaines de milliers de Français dépressifs est suivie, propagée, parfois sans recul, minute après minute, par une bonne partie de la presse qui en fait un feuilleton et n’ose pas leur poser des questions qui pourraient les fâcher. Tels autant de Trump, quantité de Gilets jaunes crachent sur la presse. Certains agressent des journalistes.
Ils refusent de rencontrer le gouvernement qui leur propose de discuter. Ah non, monsieur, moi je n’entre pas dans ce jeu-là. Certains semblent prêts à faire de la politique, ne répondent pas aux questions gênantes, manient la langue de bois comme des pros : les menaces de mort qu’ils ont reçues viennent-elles de leur propre camp ? Tututut, on n’en sait rien, je ne veux critiquer personne.

L’opposition politique, de son côté, est lamentable. Totalement irresponsable, elle ne semble pas avoir d’autre idée que de jeter de l‘huile sur un feu qui ne cesse de se propager. Pour l’opposition, c’est le peuple qui s’exprime. LE peuple, vraiment ? Est-il monolithique ? Où sont tous ceux qui se préoccupent d’abord et avant tout d’écologie et ont décidé de vivre plus sobrement ? N’appartiennent-ils pas au peuple ?
Les Verts, qui devraient être aux premières lignes politiques aujourd’hui où le danger climatique se fait de plus en plus prégnant, ont toujours été traités d’irresponsables, d’ayatollahs, de khmers verts. Ceux qu’on pourrait qualifier de khmers jaunes, eux, (qui insultent, agressent à tout va, y compris des fonctionnaires des impôts, traités de nazis et de collabos) ont les faveurs de la presse, de l’opposition et de l’opinion publique. Il semble qu’ils puissent tout se permettre. Etrange et inquiétante société.

Les Gilets jaunes veulent la tête de Macron. Sans doute celui-ci l’a-t-il cherché, trop suffisant, trop sûr d’avoir raison, d’être au-dessus de la mêlée, trop loin des préoccupations quotidiennes de ses concitoyens. Mais s’il devait tomber, par qui serait-il remplacé ? Par quelqu’un qui tombera encore plus vite que lui ? Réclamer la démission du président n’a aucun sens, déclarait sur France Inter un Gilet jaune : un autre président sera aussitôt critiqué. Mais peut-être touche-t-on là au grand plaisir des Français : se choisir un roi, puis s’empresser de le guillotiner.

Les Français sont de grands nostalgiques. Ils aiment rejouer 1789 et 1793. On disait qu’on était des révolutionnaires. On disait que ça suffisait. On disait qu’on tuait le roi. Même si la France, Etat de droit, démocratique est encore un Etat-providence où le système social reste malgré tout solide et généreux. Quand j’ai eu le culot de parler, il y a quelques années, de « France grognonne » (5), j’ai reçu un paquet d’insultes : tu viens profiter de notre système social sans pareil, alors ta gueule ! Faut-il donc croire que ce merveilleux système s’est effondré en quelques années, qu’il n’en reste plus rien ? Plus de police, plus de système de santé, plus d’administration, plus de services publics, plus rien qui fonctionne (comme le clamait récemment un Gilet jeune) ? On se calme, on respire, on regarde, on réfléchit, on prend du recul. On prend son vélo, on marche. Ça fait du bien.

(1) En France, circuler en voiture ne coûte pas très cher : bien moins en tout cas qu’en Belgique par exemple : pas de taxe annuelle de circulation, des tarifs d’assurance peu chers et un contrôle technique très léger. Par contre , les autoroutes sont payantes, mais avec un service impeccable.
(2) La défiance touche toute la « classe politique », y compris la fille à papa et le Mélenche qui tous deux vivent de la politique depuis toujours. Peuvent-ils prétendre qu’ils savent ce qu’est avoir des fins de mois difficiles ? Ce qui ne les empêche pas d’ajouter leurs voix à la cacophonie actuelle.
(3) Th. Legrand, France Inter, 5.12, 7h45.
(4) France Inter, 4.12 sur F.I. à 7h50.
(5) « Ma vie en pays grognon », publié sur rue89: 
www.rue89.com/2014/01/05/vie-belge-pays-grognon-france-248774

A écouter :
D. Cohn-Bendit 4.12 sur France Inter, à 8h20.
Les éditos de Th. Legrand, France Inter, 4 et 5.12, à 7h45.

Post-scriptum: 
- le prix du baril de pétrole a diminué de 30% ces derniers jours. Mauvaise nouvelle pour la planète. Et donc pour l'humanité. Mais est-ce important?
- "La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer", dit Sylvain Tesson.
- A lire sur le même sujet un billet de Philippe Dutilleul, vivant lui aussi en France:
https://blogandcrocs.blogspot.com/2018/12/gilets-jaunes-et-peste-brune.html?showComment=1544189583609

Note aux commentateurs de ce blog : je n’ai qu’occasionnellement accès à Internet ces jours-ci. (Merci, les voisins.) Il est donc possible que des commentaires ne soient pas publiés rapidement.
(7.12: ça y est, liaison rétablie après cinq jours!)