mercredi 30 août 2017

La fabrique d'islamophobie

On reçoit d'un ami (qui nous veut du bien) une invitation à jeter un œil averti sur le blog d'un certain Issa Hamad. On y lit son billet intitulé "La femme diplômée et ses cornes diaboliques" (1). Dès les premières lignes, on pense à un gag, à une provocation qui va rapidement se dévoiler comme telle. Mais non, il faut se rendre à l'évidence (à défaut de se rendre à la raison): c'est très sérieusement que cet " auteur musulman maghrébin engagé" écrit que les filles "n'ont pas l'intelligence de comprendre quoi que ce soit", que "leur raison d'être" est de "devenir des épouses soumises et des mères aimantes", que "la jeune femme diplômée n'est qu'une petite idiote prétentieuse" et un fatras de bêtises du même tonneau. On se dit que ce texte doit dater du bas Moyen-Age, mais non, il est daté du 7 juillet de cette année. Nous sommes donc bien dans d'obscures années.
Un autre de ses billets s'intitule "La femme est un grand vide". Et il s'explique: "un vide sidéral qui ne désire cependant qu'à être rempli, être comblé. Ça tombe bien, l'homme est un remplisseur dans l'âme. Seulement voilà: le vide féminin engloutit toujours ce dont on le remplit." Ce qui est étonnant avec cet "auteur", c'est qu'il dénonce du haut de sa grandeur et de sa suffisance masculines la prétention féminine. A-t-il une mère, ce grand penseur, des sœurs, une compagne, des filles? N'a-t-il donc que mépris pour elles? Les considère-t-il comme stupides? A-t-il déjà discuté avec une femme, quelle qu'elle soit? A-t-il ne serait-ce que quelques notions de biologie? Croit-il, pour comparer "la femme" à "un grand vide", que seuls l'homme et ses petits spermatozoïdes créent la vie?
Algérien d'origine, habitant en région parisienne, Issa Hamad se donne des allures de Christ. Il s'est fait photographier en contre-plongée, les cheveux au vent. Visiblement assez jeune, il ne supporte pas "la modernité" (2) et est fier de se présenter comme un autodidacte sur les plans religieux et intellectuel. Apparemment, il n'a pas encore lu Charles Darwin, Simone de Beauvoir ou Mohammed Iqbal. Il doit évidemment détester Abdennour Bidar qu'il doit classer comme beaucoup d'autres intellectuels contemporains parmi les traîtres. On pense à celui-ci cependant quand il dit que "beaucoup de nos concitoyens de culture musulmane cherchent à élaborer un rapport libre à leur religion  - et non pas à être sempiternellement encadrés par des clercs, même éclairés. Ils en ont assez des prêchi-prêcha! Ils cherchent une relation intelligente, instruite, contemporaine, à leur foi et à la civilisation islamique mais ils ne trouvent presque rien... ou plutôt si hélas! Ils trouvent sur internet des textes de prêcheurs qui se font passer pour des penseurs." (3)

Ce n'est guère une surprise, Issa le prêcheur croit non seulement en son dieu mais aussi qu'existe un "Système mondialiste" qui oppresse le "musulman maghrébin éveillé de France" et qui promeut le métissage (que lui abhorre). Il a écrit un livre, "à la radicalité assumée", pour sauvegarder l'identité des musulmans de France.
Au-delà des bêtises d'un autre âge qu'il exprime sur son blog (il faut le reconnaître, avec un certain talent), l'homme s'avère dangereux, appelant clairement à la violence. Dans un billet intitulé "CHIRK, le crime impardonnable" (4), il affirme que "si le Prophète était avec nous en ce moment, ce sont ces nouvelles idoles (il cite notamment la République, BNP Paribas et le FC Barcelone) qu'il détruirait sans ménagement. Il bombarderait Wall Street et la City, les stades, les parlements, et toutes sortes de tours de Babel modernes, symboles de l'orgueil et des sacrilèges de notre temps. Il raserait tout ce qui usurperait la moindre parcelle de l'autorité divine. Il n'est plus avec nous. C'est donc à nous de le faire!".
Y aura-t-il quelqu'un pour faire taire ce fou de Dieu qui prétend prendre la place du Prophète? (Et d'ailleurs n'est-ce pas blasphémer que vouloir prendre cette place?) Au nom de la liberté d'expression a-t-on le droit de mépriser publiquement à ce point les femmes et, pire encore, d'appeler aux attentats? Combien sont-ils sur internet à distiller leur fiel, à répandre leurs "analyses" perverses, à appeler à la violence contre la société, à vomir leur haine des femmes, de la modernité, de l'Occident, du monde, de tous ceux qui ne pensent pas comme eux? Que font-ils de positif de leur vie? Qu'ont-ils reçu de la société? Que lui rendent-ils? De quoi vivent-ils? On aimerait avoir des réponses à tant de questions. Et à celle-ci aussi: savent-ils qu'ils sont, ces sinistres prophètes, les premiers fabricants de l'islamophobie?

Lorsque sans parti pris
On établit le bilan d' l'humanité d'aujourd'hui
I d'vient limpide comme un clair de lune 

et lumineux comme un clerc de notaire
Qu' c'est pas d' sitôt qu'les hommes s'ront frères
Et qu' malheureusement au contraire
Nous vivons à présent
Sous le signe affligeant
De la haine et d' ses affluents

C'est triste et déprimant !
Y a de la haine partout
Y a d' l
a haine tout autour de nous
Surtout partout où
Tout se passe par en d'ssous
De mémoire de grincheux
Jamais dans les yeux
On n' vit tant d'regards haineux

Ah y en a-t-y, y en a-t-y
De cette haine qui
Saoule les esprits qui
Perdent le sens d'la fraterni-
-té et ainsi
Çui d' l'altruisme aussi

(extrait de "Tyrolienne haineuse", Pierre Dac)

(1) http://www.issahamad.net/la-femme-diplomee-et-ses-cornes/#comment-132
(2) l'usage d'un blog, c'est moderne, non?
(3) "Plaidoyer pour la fraternité", Abdennour Bidar, Albin Michel, 2015.
(4) 11 juillet 2017.



dimanche 27 août 2017

De bruit et de fureur

Rien ne semble pouvoir déstabiliser Ubu Trump. Plus il accumule et profère de bêtises, plus il est sûr d'avoir raison, même si c'est contre le reste de l'humanité. Il semble d'ailleurs que plus on le contredit ou on le critique, plus il se sent renforcé dans son jugement. Qui est forcément le meilleur. Même si ce jugement est l'exact contraire de celui qu'il énonçait la veille. Mais peu lui chaut à lui qui n'a pas plus de mémoire qu'un poisson rouge et a moins de culture qu'un mollusque nouveau né.
Le chantre du repli américain joue à celui qui a le plus gros zizi avec Kim Jong-Un et avec Nicolas Maduro et se dit prêt à mettre la planète (ou en tout cas une bonne partie) à feu et à sang pour démontrer qu'il peut faire mal dans les cours de récré. Certains y voient une nouvelle version de la "stratégie du fou" qu'appliquait Richard Nixon pour faire croire qu'il était prêt à tout - et surtout au pire - pour mettre fin à la guerre du Vietnam. Mais, comme le craignent d'autres, est-on certain avec Trump qu'il s'agit d'une stratégie et pas juste de l'état d'un esprit insuffisamment équilibré?
L'homme qui n'a pas peur de regarder le soleil dans les yeux peut tout. "Il peut susciter le chaos et exister dans l'œil de son propre cyclone", écrit le romancier américain Jérôme Charyn (1). Les vacances ne sont pas pour lui. Il faut qu'il soit dans le regard de chaque observateur. Ses sept premiers mois d'exercice du pouvoir n'ont été qu'un numéro de claquettes ponctué par un cri primal. Il ne peut pas survivre hors du halo de sa propre fureur."
Le joueur de golf à qui il arrive aussi d'être président de son pays a laissé entendre qu'il ne faisait aucune différence entre racistes et anti-racistes. Pressé par ceux qui essaient (assez vainement) de le conseiller, il a fait marche arrière avant de revenir à des propos associant anti-racisme et violence, estimant aussi que "il y a des gens très bien des deux côtés", donc également du côté des racistes et des suprémacistes. Bref, il en revient à ses fondamentaux. Michael D'Antonio, son biographe, affirme (2) que Trump "a un point de vue raciste sur le monde. Au fil des ans, il a manifesté du ressentiment à l'encontre de tous les groupes à l'exception des hommes blancs". Lui et son fils, écrit Le Courrier international (3), affirment que la famille Trump croit "en l'existence d'une gradation distinguant des populations supérieures et inférieures". Une croyance qu'on pensait révolue depuis un siècle. Mais la marque Trump semble décidément être celle de la pensée (?) obsolète et abjecte. Ce blanc fier de l'être n'est en fait qu'un pâle type. Mais peut-être faut-il éviter de le lui dire? Il en tirerait un peu de fierté.

Père Ubu. - Alors, voilà. Je tâcherai de lui marcher sur les pieds, il regimbera, alors je lui dirai: MERDRE, et à ce signal vous vous jetterez sur lui.
Mère Ubu. - Oui, et dès qu'il sera mort tu prendras son sceptre et sa couronne.
(Alfred Jarry, Ubu Roi)

(1) "Le Donald Show", Charlie Hebdo, 23 août 2017.
(2) dans The Boston Globe, cité par le Courrier international, 24 août 2017.
(3) "Le racisme est dans l'ADN de Trump", le Courrier international, 24 août 2017.

mercredi 23 août 2017

Padam padam (air - trop - connu)

Une fois encore, les culs bénis sont choqués. Sans doute ou peut-être (on l'espère en tout cas) déplorent-ils les morts et les blessés des attentats islamistes qu'a connus l'Espagne ces derniers jours, mais ils sont surtout révoltés par la une de Charlie Hebdo ce jour. Un dessin de Juin (1) y montre deux personnes mortes, couchées sur la route,  tandis qu'une camionnette s'éloigne. Au-dessus d'eux, cette phrase: "Islam, religion de paix... éternelle". Les culs bénis trouvent que Charlie Hebdo fait preuve, "une fois de plus", d'islamophobie (2), un terme inventé pour interdire toute critique de l'islam. On n'aurait donc pas le droit de dénoncer et de condamner le rôle de l'islam dans cette folie furieuse qui transforme tant de jeunes en assassins?
Dans son édito dans le Charlie de ce jour (3), Riss constate que "les débats et les interrogations sur le rôle de la religion, et plus particulièrement de l'islam, dans ces attentats ont complètement disparu".
Les culs bénis dénonce les amalgames entre terrorisme et islam. Mais qui fait ces amalgames, sinon ces terroristes qui tuent (le plus souvent sans même savoir précisément pourquoi) au nom de l'islam? Qui fait ces amalgames, sinon des imams qui prêchent la haine plutôt que la paix (l'un d'eux est considéré comme le cerveau du réseau des djihadistes qui ont tué en Espagne)? Combien de mosquées ont dû être fermées dans nos pays parce qu'elles étaient des nids de djihadisme? D'où vient la violence? D'un dessin? De Charlie Hebdo? Que les culs bénis réfléchissent un peu, s'ils en sont capables. Cette violence vient d'un dévoiement inacceptable d'une religion qui, oui, se présente comme les autres comme une religion de paix, mais est devenue, pour certains de ses "fidèles", arme de guerre.
"Pour épargner aux musulmans modérés l'affront de relier leur foi à la violence djihadiste, écrit encore Riss, on a méthodiquement dissocié islam et islamisme. Pourtant, l'islamisme fait partie de l'islam. Lorsqu'on critique l'Inquisition et ses crimes, on ne détache pas cette mouvance fanatique du reste de l'église catholique." Mais les culs bénis, quand on les a frappés sur la joue droite, n'aiment rien tant que tendre la joue gauche aux terroristes qui croient servir Allah et Mahomet en massacrant aveuglément.
Dans la Nouvelle République (4), Ouzah Bouregaya, musulman de Châteauroux, en appelle à une réaction des siens: "ce que j'aimerais voir, c'est un soulèvement de notre communauté afin de dénoncer cette violence qui ne correspond pas du tout aux préceptes de l'islam". Il déplore que des dizaines de milliers de personnes soient capables de descendre dans les rues pour un match de football opposant France et Algérie, mais que ces attentats "ne suscitent pas cette même ferveur".
Mais les culs bénis se scandalisent des appels lancés aux musulmans à protester contre la prise en otage de leur religion par des névrosés de tous âges. 

(1) https://charliehebdo.fr
(2) http://www.huffingtonpost.fr/2017/08/22/charlie-hebdo-taxe-dislamophobie-avec-sa-une-sur-les-attentats-en-espagne_a_23157786/?utm_hp_ref=fr-homepage
(3) "Les autruches en vacances", Charlie Hebdon, 23 août 2017.
(4) "Attentats: j'aimerais voir un soulèvement", La Nouvelle République - Indre, 22.8.2017.
A (re)lire sur ce blog:
- "Padam, Padam, Algam", 25 mars 2016;
- "Répugnante manifestation et saine colère", 28 mars 2016.

Post-scriptum: sur le même sujet:
https://www.marianne.net/politique/les-anti-charlie-hebdo-lancent-leur-charge-de-rentree

mercredi 9 août 2017

Jean Neymar *

Ainsi donc le club du Qatar-Saint-Germain a acquis pour la coquette somme de 222 millions d'euros un jeune joueur brésilien. L'indécence du milieu du foot n'a jamais eu de limites et semble même chercher à repousser celles-ci en permanence. La presse s'est associée à l'hystérie, multipliant les articles sur le prodige, le Huffington Post allant juqu'à lui consacrer, il y a quelques jours, les cinq premiers billets de sa page d'accueil. La Tour Eiffel a été illuminée spécialement pour célébrer l'arrivée du gamin à Paris. Mais après tout, quand on débourse une telle somme, il aurait mesquin de  ne pas le faire. Le jour de son arrivée en France sera-t-il désormais férié?
Payer des ponts non pas d'or mais de diamants pour s'offrir des joueurs - aussi talentueux soient-ils - a quelque chose de profondément vulgaire et insultant. Bien sûr pour tous ceux qui meurent de faim ou qui dorment dans la rue, mais aussi pour tous ces gagne-petit qui paieront bien chère leur place pour aller voir jouer ces nababs en culottes courtes.
Fidèle à lui-même, Charlie Hebdo a publié sur sa page Facebook un dessin de Juin qui annonce "le joueur le plus cher pour les ultras les plus cons". Le dessin représente un supporteur du PSG qui confirme: "Dans la vie tout se mérite". Dans son numéro papier de ce jour, Charlie Hebdo publie un "florilège" de commentaires reçus à propos de ce dessin. Aucun d'eux ne mérite d'être une fois encore diffusé, mais tous confirment, dans leur assauts de grossièreté, la justesse du dessin. CQFD.

* Bon... je suppose que d'autres ont dû faire avant moi ce jeu de mots (facile, je le concède). Mais comme je ne l'ai pas encore lu ailleurs, je me permets...

mardi 8 août 2017

Etre ou haïr?

On peut donc être (au moins virtuellement) envoyé en prison pour avoir aidé des personnes en détresse: Cédric Herrou vient d'être condamné, par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, à quatre mois de prison avec sursis (1). Sa faute: avoir convoyé, hébergé et soigné des candidats réfugiés (2). Ceux qui les laissent sur le bord de la route, en détournant les yeux, ne devraient-ils pas être condamnés pour non assistance à personnes en danger? On se le demande donc: qu'est-on censé être quand on est un être humain? Comment peut-on, comment doit-on exprimer sa solidarité avec celles et ceux qui fuient la guerre et la misère?
Pendant ce temps, de sombres individus ont affrété un bateau pour renvoyer vers les côtes africaines ceux qui pour sauver leur peau tentent de gagner l'Europe (3). Ces identitaires sont jeunes, nous dit-on, mais si vieux dans leur tête qu'ils craignent de ne plus savoir qui ils sont, si des demandeurs d'asile s'installent chez eux. Les pêcheurs tunisiens dénoncent leur racisme et sont décidés à bloquer leurs ports pour empêcher d'accoster le bateau de la haine (4). Il s'appelle C-Star, mais son étoile est morte. Cédric Herrou, lui, s'est rangé du côté de la vie.

(1) http://www.lesoir.be/108307/article/2017-08-08/france-peine-alourdie-en-appel-pour-cedric-herrou-coupable-daide-aux-migrants
(2) (Re)lire sur ce blog "Dans le mur", 10 février 2017, et "Je cherche un homme", 22 janvier 2017.