vendredi 26 juin 2015

Heures sombres

Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles, à certaines heures pâles de la nuit, disait Léo Ferré. Le sont-ils plus à d'autre heures?
A Pouilly-en-Auxois, village bourguignon de 1600 habitants, un bâtiment qui abritait des gendarmes a été reconverti, depuis janvier, en centre d'accueil pour réfugiés (1). Ils sont soixante africains (soit 3,75% de la population) à y vivre. Ils n'ont causé aucun acte délinquant et "ça se passe très bien", constate une habitante qui avoue cependant avoir eu des appréhensions. L'épicière est plutôt contente, ça lui fait des clients en plus. Un homme, qui ne voudrait surtout pas qu'on le prenne pour un raciste, estime que "c'est injuste. On a tous des exemples de gens qui crèvent dans les campagnes et quand on voit ça à côté, c'est dégueulasse".  On a un peu de mal à le suivre: y a-t-il une échelle du dégueulasse? "Nous, on a très peur", dit une femme qui précise aussitôt: "enfin, moi, j'ai très peur. On a des enfants..." Peur de quoi?, lui demande la journaliste. "Ben, on ne sait jamais, il peut arriver n'importe quoi". La journaliste a beau essayer de l'apitoyer sur le sort de ces gens qui se noient en mer en tentant d'arriver en Europe, rien n'y fait. Au contraire: "ça ne me touche pas du tout. Faut carrément les renvoyer chez eux. Point final." C'est vrai, il pourrait arriver n'importe quoi, ces hommes pourraient tomber de Charybde en Scylla: fuyant la guerre, ils pourraient tomber sur une mégère au coin d'une rue.
Autre village, en Corse cette fois, où des enseignantes ont préparé une chanson avec les enfants pour la fête de fin d'année scolaire. Ils devaient interpréter Imagine de John Lennon en anglais, en français, en corse, en espagnol et en arabe. Des parents s'y sont opposés, insultant et menaçant les enseignantes: il ne peut être question que leurs enfants chantent en arabe, "la langue du terrorisme". De quoi le corse est-il la langue? Du nationalisme imbécile? La kermesse n'a pas eu lieu. (2)
A brotherhood of man / Imagine all the people / Sharing all the world. Il faut beaucoup d'imagination. Surtout au moment où on entend que l'Union européenne, qui fut un magnifique projet de solidarité a décidé qu'il n'y aura finalement pas de quotas d'accueil de migrants dans ses différents pays. C'est le volontariat qui est de mise. L'extrême droite fait beaucoup plus peur que les migrants. Donc, c'est elle qui gagne.
Imagine there's no countries / It isn't hard to do. Yes, it is.

(1) JT de France 2, 25 juin 2015, 20h.
(2) A voir et écouter: le billet, à ce sujet, de Sophia Aram:
http://www.franceinter.fr/video-le-billet-de-sophia-aram-prives-de-kermesse

samedi 20 juin 2015

Un humoriste

S'il est bien un homme des plus plaisants en France aujourd'hui, c'est sans conteste M. Nicolas Sarkozy. Il se coupe en quatre pour détendre son auditoire si stressé par le chômage, le coût de la vie et les impôts. Et surtout les migrants qui menacent la France. Elle est désargentée, dit-il. Ne venez pas, les exhortent-ils, nous n'avons plus un sou. Ses afficionados rient, ils savent que lui sait où sont les sous. Il est vraiment drôle. Il vient de comparer l'arrivée des migrants à "une grosse fuite d'eau". Et, parlant de la volonté de l'Union européenne de les répartir dans les différents pays d'Europe selon des quotas, il dit que c'est comme si, face à une fuite d'eau dans une cuisine, le plombier proposait de répartir l'eau dans le séjour, le salon et la chambre des parents, et même celle des enfants s'il le fallait (1). Il parle là de gens, hommes, femmes, enfants, qui fuient notamment la Syrie, la Libye où ils sont en danger de mort, ou encore l'Erythrée que certains n'hésitent pas à qualifier de pire dictature au monde. Il est vraiment hilarant.
Il s'interroge aussi, se demande si le droit du sang ne devrait pas remplacer celui du sol. Si cela avait été le cas plus tôt en France, il n'aurait jamais été français, lui dont le père était hongrois. Il est impayable.
M. Nicolas Sarkozy a des ambitions: devenir présent du Bêtizistan. Il a toutes les qualités pour cela. Mais, si on peut se permettre, on pense qu'il manque d'ambition. Il pourrait en même temps être à la tête du Royaume de l'Indigencintellectuelle et sultan de l'Absencedhumanisme. Bref, Napoléon Sarkozy pourrait être l'empereur du Méprisland.

Post-scriptum: à voir, ce dessin de Kroll: http://portfolio.lesoir.be/v/le_kroll/8863+juillet+2015.jpg.html

(1) http://www.lesoir.be/912384/article/actualite/france/2015-06-18/quand-sarkozy-compare-l-afflux-migrants-une-grosse-fuite-d-eau
http://www.liberation.fr/politiques/2015/06/18/sarkozy-compare-l-afflux-de-refugies-a-une-grosse-fuite-d-eau_1332755


mercredi 17 juin 2015

Derrière le voile

Les récents propos de Marine Le Pen, via Twitter (1), sont intéressants. Pas surprenants, mais intéressants. Ils démontrent que non, elle n'a pas changé. Elle est bien de cette extrême droite qui veut mettre la presse au pas, qui menace, qui harcèle. Son message indique combien le FN est dangereux pour la démocratie et que la fille à papa a hérité non seulement du parti mais aussi de l'ADN de son géniteur.
La présidente du FN appelle à harceler un journaliste de BFM TV, Yann-Anthony Noghès. Son crime: avoir fait son travail en expliquant avec quels personnages et partis peu sympathiques le FN s'est acoquiné pour former un groupe au Parlement européen.
Le tweet de la Le Pen fille devrait amener tous ces journalistes si gentils avec elle - qui pensent, et vont jusqu'à affirmer, que oui, le FN a changé - à soutenir leur collègue et à cesser d'être si conciliants avec cette femme nuisible. Marine Le Pen montre régulièrement son vrai visage: celui la haine de qui n'est pas avec elle. Elle qui a fait de l'insécurité son fonds de commerce, au point que certains de ses partisans en créent eux-mêmes pour exister (2), est source d'insécurité pour les journalistes. Le journaliste de BFM TV reçoit des messages d'insulte. Le pire danger pour la France aujourd'hui, c'est bien elle qui, au contraire de son père, avance masquée. Mais ne peut s'empêcher, de temps à autre, de se dévoiler.
Yann-Anthony Noghès lui a rappelé qu'il l'attend toujours en débat dans l'émission qu'il présente avec 
son collègue de Libération, Jean Quatremer. Mais elle préfère l'agression. Elle ne cause pas, elle flingue.

(1) http://www.lalibre.be/actu/international/marine-le-pen-appelle-a-harceler-un-journaliste-sur-twitter-55812fdf3570f340d72dd8e9
(2) http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/06/10/quatre-militants-du-fn-denoncent-une-insecurite-creee-de-toutes-pieces_4651275_823448.html

mardi 16 juin 2015

Insomnies

Parfois, la nuit, l'homme ne trouve pas le sommeil. Il en profite pour se poser des questions. Et elles l'empêchent de dormir. Comment, se demande-t-il, comment les croyants de religions monothéistes font-ils pour vivre en acceptant qu'il y a d'autres religions, d'autres dieux que le leur? Chacun se dit-il que les autres sont dans l'erreur et que seul lui a vu juste? Et, si c'est leur dieu qui est à l'origine de l'univers, de la vie, de tout être, chacun est-il l'œuvre de son propre dieu ou les dieux se sont-ils partagé la terre et l'humanité? Le dieu des juifs a-t-il créé le bout de terre sur lequel est plantée la maison d'un juif? La famille d'un musulman est-elle entièrement le fait de son dieu? Et les animaux d'un berger catholique doivent-ils la vie au dieu de leur éleveur?
A force de questions, l'homme insomniaque se demande aussi jusqu'où ira le respect exigé par les religions et leurs affidés, s'il peut encore sortir un livre, ouvrir son journal dans un train, une salle d'attente ou un abribus sans susciter un mouvement de désapprobation si d'aventure ses lectures ne cadrent pas avec les choix et les valeurs de l'un ou l'autre de ses vis-à-vis. S'il peut encore parler de ce qu'il veut, exprimer doutes et critiques sans se faire traiter de provocateur.
En tout cas, mieux vaut ne plus parler de Charlie Hebdo, de ses dessinateurs et journalistes lâchement assassinés, de la liberté d'expression, de la folie islamiste. On ne sait jamais ce qui pourrait nous arriver. L'homme sait à présent qu'il vaut mieux n'en parler que chez soi, à l'abri des oreilles indiscrètes, mais surtout plus en public. 
Une universitaire qui devait intervenir prochainement dans un débat consacré à Charlie Hebdo à l'University of London Institute in Paris a reçu un courrier des organisateurs: réflexion faite, il faudrait changer de thème d'intervention ou alors de lieu, lui indique-t-on (1). Foolz illustre cet article par un dessin: trois personnes discutent: "Réfléchissons à une expo qu'on pourrait annuler sans choquer personne", dit l'une. Autre dessin, de Luz cette fois: "Méfiez-vous, dit un homme à un écrivain: écrire un livre risque d'attiser la haine de ceux qui n'en lisent pas." L'homme se dit qu'on peut évidemment comprendre le souci de sécurité d'organisateurs, mais qu'on ne peut laisser gagner des barbares ignares.
Voilà pourquoi l'homme dort mal.


(1) "Charlie sujet de débat interdit", Gérard Biard, Charlie Hebdo, 3 juin 2015.

dimanche 14 juin 2015

Erreurs et fautes

C'est une chose très étrange que la démocratie. Un premier ministre commet une erreur en se rendant aux frais de l'Etat à une finale de coupe européenne de football avec ses enfants. Peut-être est-ce une faute, mais on ne le jurerait pas. A un an de l'organisation en France de l'Euro de foot (ou quelque chose du genre), le déplacement peut être justifié. Le coût du voyage en avion est estimé à un maximum de quinze mille euros. Assez pour être flingué par les médias et l'opinion publique, Et on sait que c'est elle qui, plus que jamais, a toujours raison.
Dans le même temps, la présidente du parti le plus populaire de France se serait constitué un magot de neuf millions d'euros sur le dos des candidats de son parti et de l'Etat (1), mais dans une quasi indifférence générale. Dans le même temps, il n'échappe plus à personne qu'il n'y a pas de terme plus approprié que celui de milieu pour parler du secteur du football, totalement gangréné par la corruption. Ce qui n'enlève rien à son succès et ne lui fait sans doute perdre aucun spectateur. 
Dans le même temps, des maires, à Levallois-Perret, à Corbeil-Essonnes, à Puteaux et dans tant d'autres communes multiplient les magouilles et sont cependant systématiquement réélus. La maire de Puteaux, qui selon toute vraisemblance sera réélue ce soir (2),  aurait eu au Luxembourg un compte de quatre millions d'euros. Mais tant d'électeurs sont tout disposés à fermer les yeux, adorent se laisser acheter. et tant qu'ils y voient un intérêt ne voient pas de problème aux achats de voix, à la dissimulation de patrimoine ou aux combines financières. 
On voit par là qu'aucun élu ne peut se permettre la moindre erreur, si infime soit-elle. Elle ouvre la voie à des gens sans foi ni loi qui, le jour où ils sont, seront ou seraient au pouvoir, multiplie(raie)nt de monstrueuses fautes, morales, politiques, économiques, sociales, avec le soutien de la sacro-sainte opinion publique.
C'est une chose très étrange que le démocratie.

(1) http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/05/06/jeanne-le-micro-parti-du-fn-mis-en-examen_4628481_1653578.html et sur ce blog: "Pauvre petite fille riche", 17 avril 2014.
"Cela prouve qu'il n'a pas conscience de la souffrance des Français", a osé dire, parlant de Manuel Valls, la fille à papa, Madame Culot monstre.
(2)  http://www.liberation.fr/societe/2015/06/12/lesceccaldi-raynaud-puteaux-trois-fois-qu-une_1328610

vendredi 12 juin 2015

Réponse du berger

L'humour n'est pas vraiment ce qui caractérise les grands révolutionnaires. C'est d'ailleurs souvent à cela qu'on les reconnaît. Il y a quelques semaines, Julien Coupat, présenté comme le leader du groupe dit "de Tarnac" accusé de tentative de sabotage sur la ligne TGV Est en 2008,  était interviewé par Léa Salamé sur France Inter (1). Il y a dans nos sociétés aujourd'hui, selon lui, trois possibilités: "soit une fuite en avant dans un contrôle généralisé des populations pour stabiliser le système, soit le fascisme, soit se soulever, s'organiser". C'est évidemment cette troisième possibilité qu'il défend. Que pense-t-il du 11 janvier?, lui demande la journaliste. "Charlie Hebdo, répond-il, c'est d'un côté un journal pour lequel on avait cessé d'avoir des sympathies depuis longtemps (parce que politiquement détestable); de l'autre, une figure comme Cabu pour la génération de '68, c'était l'Enragé, Hara Kiri. Mais pour notre génération, c'était Récré A2 et... euh... je crois que moi et mes camarades n'imaginions pas être un jour les contemporains d'une attaque à l'arme lourde contre le Club Dorothée." A l'entendre, tout ce qui n'appartient pas à son mode de réflexion est "délirant". On voit qu'on a affaire ni à un humoriste, ni à un humaniste. Juste à un cynique, aux répliques elliptiques et cinglantes, incapable de la moindre compassion. De toute façon, Charlie Hebdo avait adopté, toujours selon ce politologue averti, un ligne très "droitière", sans qu'il précise en quoi elle l'était.
On s'interroge donc. Quelqu'un qui classe Charlie Hebdo à droite et le trouve détestable doit être très très très très à gauche. Qu'est-ce donc qu'être d'extrême gauche? Comment vit-on quand on est aussi révolté par le système? Visiblement, en tout cas en ce qui concerne Julien Coupat, en profitant de l'argent de papa et maman et de revenus immobiliers. Dans Charlie Hebdo (2), Alexandre Vargas nous apprend que l'enquête judiciaire dont il est l'objet indique que "les membres du groupe construit autour de Julien Coupat bénéficiaient de ressources conséquentes de revenus, notamment grâce au patrimoine de ce dernier et de ses parents et des bénéfices qui en étaient retirés". La SCI, dont il est gérant, propriétaire de plusieurs biens immobiliers en Région parisienne et à Arcachon, lui verse 1.000 euros par mois et son compte en banque est largement approvisionné, par exemple de 140 000 euros, deux semaines après la signature du compromis de vente d'un domaine.
Le système n'a pas de souci à se faire. La révolution attendra. Tant qu'elle sera promue par de petits bourgeois ou des fils à papa qui tiennent des discours radicaux. Paroles, paroles, paroles...
On notera que le système est l'ennemi tant de l'extrême gauche que de l'extrême droite. On constatera aussi que certaines personnes, qu'elles se situent dans l'un ou l'autre de ces camps, savent parfaitement bien profiter de ce système haï.

(1) http://www.franceinter.fr/emission-invite-de-7h50-julien-coupat-tarnac-l-un-des-plus-grands-fiascos-de-l-antiterrorisme
(2) "Julien Coupat, le social-traitre", 10 juin 2015.

mercredi 10 juin 2015

Correct?

Le politiquement correct devient une valeur à part entière dans nos sociétés. Grâce à lui, la censure et l'autocensure se portent bien. Il est des mots qu'on ne peut (plus) prononcer, des choses qu'on ne peut (plus) montrer, des situations qu'il faut taire. Au nom du respect de "communautés", de "groupes" qu'il ne faudrait surtout pas stigmatiser. La critique devient interdite, les débats se réduisent, chacun se replie sous sa tente.
On ne peut critiquer l'islam sans se faire traiter d'islamophobe, toute religion sans risque de passer pour un blasphémateur ou un "laïcard intégriste". Alors, plutôt que de prendre le risque d'être mal compris, pire d'être menacé, on se tait.
Dans une interview à Charlie Hebdo, le comédien Philippe Torreton déclare que "l'autocensure, ce n'est pas seulement celle qui pourrait être liée au religieux. Dans mon milieu, on s'interdit des représentations par peur de polémiques. Je vais jouer Othello dans une mise en scène de Luc Bondy. Je vais donc jouer un Noir, être peint en noir. Il y en a qui s'inquiètent déjà de la façon dont cela nous nuira. Mon ex-femme, metteur en scène, a subi un flot d'injures au moment de la représentation des Enfants du silence à la Comédie française cette année, parce qu'elle a fait jouer des comédiens entendants qui ont appris la langue de signes pour le spectacle, et pas des personne sourdes."
Récemment, le choix d'Eric Lartigau de faire jouer le rôle de parents sourds par Karin Viard et François Damiens , dans son film la famille Bélier a aussi suscité une polémique.
On se souvient que, il y a peu, l'exposition Exhibit B, dénonçant l'attitude colonialiste, a été violemment critiquée parce que cette mise en scène de Noirs avait été réalisée par un Blanc.
Si on suit toutes ces critiques, qui s'inscrivent dans le politiquement correct, demain les comédiens ne pourraient jouer que leur propre rôle, plutôt que celui d'un boucher, d'un huissier de justice, d'un agriculteur ou d'un flic, les hommes ne pourraient plus jouer des femmes, les hétéros des homos ou inversement. Les écrivains ne pourraient évoquer que ce qu'ils vivent, les peintres représenter leur environnement. Moi qui suis Belge ai-je le droit de parler de la France, des Etats-Unis, de l'Afrique? Suis-je incorrect si je me mets à critiquer le milieu sportif (qui n'est pas le mien), le secteur automobile (moi qui ne connais rien en mécanique) ou la production de viande (moi qui n'en mange jamais)? Dois-je être sectaire pour pouvoir critiquer le pseudo-Etat islamique, Boko Haram ou les militants de la Manif (dite) pour tous?
En ces temps où le b.a.-ba de la politesse semble ignoré par trop d'intervenants qui manient l'insulte et l'agressivité comme s'il n'avaient pas d'autre outil de communication, il est inquiétant de voir combien de sujets ne peuvent être abordés, même sereinement, dans le respect de ses interlocuteurs et de manière assertive.
Résumons-nous: le politiquement correct est souvent ridiculement incorrect. Il nous mène en des temps obscurs de repli sur soi.

(1) Le théâtre foisonne de caricatures, 27 mai 2015.

mardi 9 juin 2015

La honte

Empêcher les migrants d'arriver en Europe semble être la seule politique que soient capables d'envisager nos pays. Ce qui n'empêche pas - et n'empêchera pas - des dizaines, sans doute des centaines, de milliers de gens de prendre la mer, pour fuir la guerre et la misère. Au péril de leur vie. Depuis le début de cette année, 1800 personnes sont mortes lors de leur tentative de traversée de la Méditerranée. "Depuis vingt ans, on estime qu'au moins 18 000 à 20 000 personnes ont perdu la vie en tentant d'atteindre l'Europe", écrit Riss (1). Ils meurent par noyade le plus souvent, mais aussi de soif, de faim ou de froid, assassinés, écrasés, suicidés, étouffés dans des camions, tués par un champ de mines...
En 2014, 274 000 personnes sont entrées illégalement dans l'Union européenne, dont 170 000 sur les côtes italiennes. L'Italie et la Grèce se sentent abandonnées par le reste de l'Europe.
L'Union européenne a néanmoins établi un plan de répartition des migrants dans ses différents pays en fonction de quotas. Mais qui l'accepte? 40 000 demandeurs d'asile syriens et érythréens, arrivés en Italie et en Grèce depuis le 15 avril, seraient ainsi répartis dans le reste de l'Union. Ce qui ne représente que 40% d'entre eux. "Et on parle d'un million de candidats au départ en Libye, point de convergence de tous ceux qui fuient guerre ou persécution au Nigéria, en Syrie, en Érythrée, en Somalie...", écrit Juliette Bénabent dans Télérama (2). Elle précise que les 274 000 illégaux recensés ne représentent que 0,05% de la population de l'Union et cite Simona Taliani, une anthropologue de l'université de Turin: "les flux ne sont pas si élevés. Ces migrants montrent largement la faillite de nos politiques militaristes et postcoloniales, par exemple l'intervention de 2011 en Libye. Les accueillir reviendrait à reconnaître cet échec, et l'Europe n'y est pas prête". 
On ne peut accepter une immigration "illégale", disent les Tartuffe. "Mais quelle différence y a-t-il entre un être humain qui entre légalement dans un pays et celui qui entre illégalement? Celui qui entre illégalement serait-il moins humain que celui qui a ses papiers en règle?", demande Riss (1).

Au nom de la lutte contre l'immigration illégale, le racisme devient légal. "A la frontière entre l'Italie et l'Autriche, chaque jour, on chasse du Noir", écrit Yannick Haenel (3). Dans les trains, "plus besoin de contrôler les passagers, plus besoin de vérifier qui est en règle ou ne l'est pas, la Trilatérale (une brigade de policiers italiens, autrichiens et allemands) ne s'intéresse ni aux papiers d'identité ni aux billets de train; elle n'a qu'un seul objectif: empêcher les Noirs, tous les Noirs, de prendre le train." (...) "Autrement dit, après avoir laissé mourir les réfugiés au large de Lampedusa, l'Europe en traque les survivants aux frontières. On fait sortir des trains et on laisse à quai des personnes qui ont traversé des déserts et des mers, qui ont passé des années dans des camps en Ethiopie, en Libye: on traite de manière juridique, policière une situation qui est avant tout politique et humanitaire.
Faire descendre des trains tous les Noirs est un acte qui signifie donc qu'il est interdit aujourd'hui d'être Noir. L'illégalité est-elle un concept racial? Quand une loi est injuste, la justice passe avant la loi. Mais quand ce qui est injuste n'est même pas une loi?"

Il y a aussi ceux qui rêvent de passer la Méditerranée mais qui restent à quai, coincés dans des camps en Libye ou ailleurs. Leurs témoignages recueillis par Le Monde nous interpellent (4). On a tout pris à ces hommes. Surtout l'espoir.

Mais on ne peut accueillir toute la misère du monde, disent les autruches. En 2013, 3,2% de la population mondiale ont migré et les mouvements concernent toutes les régions du monde. Du sud vers le sud: 82,3 millions et du sud vers le nord: 81,9 millions, indiquent des militants du Collectif poitevin "D'ailleurs nous sommes d'ici".
Ils rappellent que la part des étrangers dans la population française était de 6% en 1926, 6,3% en 1990 et 5,8% en 2008, qu'en 2012 accueillait 286 000 migrants, l'Allemagne 400 000 et la France 258 900.  "L'immigration coûte chaque année 48 milliards d'euros à la France, ajoutent-ils, mais elle rapporte 60 milliards d'euros en impôts cotisations sociales." Et de citer le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria pour qui "il faut oublier cette idée reçue qu'accueillir des migrants coûte cher".

Mais tant de partis politiques vivent aujourd'hui de la peur d'une invasion totalement imaginaire.
En Hongrie, le premier ministre Viktor Orban a distribué un questionnaire à la population dont le thème est "Immigration et terrorisme"; Une question innocente parmi d'autres: "la mauvaise gestion de l'immigration par Bruxelles favorise-t-elle le terrorisme?" (5). On comprend par là que le premier ministre a déjà les réponses à toutes les questions qu'il pose. La Hongrie compte 1,4 % d'immigrés.

(1) Charlie Hebdo, 20 mai 2015.
(2) Le grand naufrage, 10 juin 2015.
(3) Il est interdit d'être Noir, Charlie Hebdo, 13 mai 2015.
(4)  http://www.lemonde.fr/international/visuel/2015/05/30/nous-sommes-la-pour-etre-vendus_4642829_3210.html
(5) Arte Journal, 9 juin 2015.

samedi 6 juin 2015

Et Dieu dans tout ça?

Daech, Boko Haram, Al Qaida, les talibans, toutes ces milices islamo-fascistes, voilà autant de preuves que Dieu est mort, remplacé par des démons fous furieux. Même certains Etats, qui ont le soutien d'un Occident cynique, se sont placés dans la face sombre de leur dieu. En Arabie saoudite, le site internet du Ministère de la Fonction publique a publié une offre d'emploi peu commune. Il recherche des bourreaux capables de pratiquer amputations et décapitations. L'offre a été publiée dans la rubrique "Emplois religieux" (1). Mais tout cela n'a - bien sûr! - rien à voir avec l'islam. Pas d'amalgame. 
Le monde irait mieux sans dieu(x), non? Et surtout sans ceux (le masculin est plutôt de rigueur) qui s'en réclament.
Heureusement, il est quelques, trop rares, moments de bonheur. Quand des femmes parviennent à échapper à la terreur et à retrouver la liberté, elles se dépêchent de jeter aux orties leurs voiles noirs et se montrent en couleurs. Celles de la vie, que les empêchaient de porter ces inhumains anges de la mort.
Voir http://www.lalibre.be/actu/international/liberees-du-joug-de-l-ei-ces-femmes-se-debarrassent-du-symbole-de-leur-oppression-557327fd35703275626a73b3

(1) Charlie Hebdo, 27 mai 2015.

vendredi 5 juin 2015

La Cave aux sculptures

Personne n'a pu dater précisément ces centaines de sculptures réalisées dans le tuffeau d'une cave troglodytique. Mais la majorité des spécialistes, en fonction des personnages représentés et de leurs tenues, estime qu'elles devraient avoir été créées aux XVIe et XVIIe siècles. Certains y voient François Ier ou encore Catherine de Médicis, une pieta païenne, un Indien, des caricatures... Peut-être sont-ils l'œuvre d'une confrérie de tailleurs de pierres qui auraient agi de manière cachée, en pleine guerre des religions. Ils étaient connus pour leur tradition libertaire et leur résistance à l'ordre moral.
La Cave aux Sculptures de Denezé-sous-Doué, dans le Maine-et-Loire, a été découverte en 1956. Redécouverte plutôt. Parce qu'elle avait été fermée, en son temps, par un curé qui trouvait trop satiriques et moqueuses certaines de ces représentations. Il n'était pas Charlie. Histoire, religion, érotisme et carnaval semblent se mêler dans ces œuvres insolites qui intriguent. Et qui hélas disparaissent progressivement. La (petite) commune de Dénezé est seule à gérer cet espace, sans aide extérieure. Or, les ruissellements d'eau, des phénomènes de dissolution et de cristallisation, le manque d'aération (dû notamment à la couverture en béton censée protéger le site) altèrent irrémédiablement les sculptures qui sont nombreuses à s'effriter.
Qu'attendent tous les responsables du patrimoine en France pour intervenir? Dans vingt ou trente ans, François Ier aura perdu la face et cette cave unique son intérêt. Si l'esprit de Charlie souffle encore, il pourrait lui donner de l'air. 








jeudi 4 juin 2015

Du neuf avec du vieux

Aujourd'hui se tient la "première" réunion du parti "Les Républicains". C'est France Inter qui nous le dit, dans ses éditions de 8h et de 13h de ce jour. "Un nouveau parti et donc un nouveau nom", dit même Claire Servajean dans le journal de 13h. Il y aurait donc un nouveau parti en France, qui tiendrait sa première réunion? C'est en fait l'UMP qui a repeint sa façade. On voit par là que la com', ça marche. Même les communicateurs sont les premiers à tomber dans son piège et à (essayer de) faire croire au changement.
Ceci dit, ce nom, qui a été - et reste - contesté (1), est difficile à utiliser. Il y a les journalistes qui ont choisi de dire "LR" pour ne pas utiliser un qualificatif considéré comme usurpé, mais qui ne savent pas s'il faut dire "LR se réunit aujourd'hui" ou "LR se réunissent aujourd'hui" et il y a ceux qui - comme tout à l'heure sur France Inter - sont amenés à présenter un "sénateur Les Républicains". Il paraît que le ridicule ne tue pas. Mais quand même...

(1) sur ce blog: "Chez Nico, bar - petite restauration", 16 avril 2015.

mercredi 3 juin 2015

Vivons heureux en attendant la mort *

La vie est décidément de plus en plus dure et morose en France (1). Témoins, tous ces gens qui, en se quittant, ne se disent plus "au revoir", mais "bon courage!". Comme s'ils portaient tous le poids du monde sur leurs épaules. Encore heureux qu'on va vers l'été.

(1) Est-ce aussi le cas en Belgique, en Suisse, dans d'autre pays?
* Pierre Desproges

mardi 2 juin 2015

Crème de tristes sires

Y a-t-il plus subjectif que l'humour? Certains sont morts de rire face à ce que d'autres trouvent navrant, voire agressif. Noël Godin se fait appeler Le Gloupier pour pratiquer des "attentats pâtissiers" qui le font apparemment rire. En tout cas exister médiatiquement. Ce qui semble être sa principale préoccupation. Voilà qu'avec vingt (20!) complices il s'en est une fois de plus (la septième semble-t-il), pris à BHL qui débattait avec Jan Fabre à Namur (1). Ils lui ont balancé, à plusieurs reprises, sur la figure de la crème Chantilly. Qui en rirait, autrement que jaune, si ça lui arrivait? Même pas Le Gloupier sans doute. On peut évidemment ne pas être d'accord avec certaines positions de BHL, on l'exprime alors en débat. Pas en "attentat" et en agressivité. Mais pour cela il faut être capable de débattre, d'écouter, de contre-argumenter et surtout d'en avoir envie. Mais Godin n'aime rien tant que de s'écouter pérorer de manière faussement pédante  et réellement ridicule avec toujours les mêmes formules vides depuis trente ans. Les plus courtes sont les meilleures.
S'il a agi ainsi, se justifie Godin, c'est pour "venger" Siné, accusé d'antisémitisme par BHL. Siné, que Pierre Desproges considérait comme "le seul gauchiste d'extrême droite", a déclaré un jour (c'était sur les ondes de la radio Carbone 14): "Je suis antisémite et je n'ai plus peur de l'avouer, je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs... je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s'il est pro-palestinien. Qu'ils meurent!" (2). C'est toujours ce grand humoriste, bouffeur de curés, qui n'appréciant pas un éditorial de Christophe Barbier dans l'Express où il appelait l'islam à abjurer les archaïsmes de son dogme, se demandait si Barbier "aurait le même culot" envers les Juifs et écrivait: "moi, honnêtement, entre une musulmane en tchador et une juive rasée, mon choix est fait!" (2). Godin et Siné ont en commun un humour particulier. Celui de beaufs après deux heures d'apéro au pastis. 

Lire l'avis de Guy Duplat dans la Libre:
http://www.lalibre.be/debats/chronique-redaction/bhl-un-debat-pas-si-tarte-556c0e2535704bb01c93e6ee

(1) http://www.lavenir.net/cnt/DMF20150601_00657905
(2) cité par Caroline Fourest, in "Eloge du blasphème", Grasset, 2015.

lundi 1 juin 2015

Ce besoin de culture

On la sent en petite forme la culture ces derniers temps. Elle a l'air abandonnée dans un coin poussiéreux. On ne peut pas la jeter, on s'y est attachée, elle fait partie des meubles, mais c'est comme si elle avait fait son temps. Alors, on lui rabote ses budgets et on passe à autre chose, à l'essentiel plutôt qu'à l'accessoire. Alors que c'est elle l'essentiel, c'est elle qu'il faut soutenir en ces temps troubles. "Après l'attentat (du 7 janvier), on a parlé du vivre-ensemble en permanence, c'était devenu un mot fourre-tout", estime le comédien Philippe Torreton (1). "En oubliant que la culture est la clé du vivre-ensemble, si elle est accessible à tous." Elle est selon lui le seul rempart contre le terrorisme et nécessiterait un redéploiement de moyens budgétaires. "Parce que notre société ne sait pas où elle va, dit-il, qu'elle se questionne, parce que le retour du religieux est inquiétant, que des spectacles se retrouvent censurés ou menacés, c'est maintenant qu'il faut investir. Et ce gouvernement fait l'inverse."
Son collègue François Morel déplore aussi la diminution des subventions à la culture et en particulier au théâtre (2): "les théâtres sont des lieux d'écoute, de rencontre, de discussion, d'intelligence, de beauté, d'humour et de joie". Il se demande où est passé le fameux esprit du 11 janvier et regrette que tant de maires qu'on a vu manifester ce jour-là sabrent aujourd'hui dans les budgets culturels de leurs communes. 
Les représentations du monde, de la société, de ce qui la fonde et la divise permettent un recul et donc une réflexion. "Représenter une chose ou une personne est un élément fondateur du langage, écrivait Philippe Val (3). "La représentation, qui met à distance une figure de la réalité, permet d'entretenir avec elle un rapport, au lieu de la subir comme la subissent les minéraux, les végétaux et les animaux. Or c'est dans ce rapport que l'on entretient avec la réalité que la liberté humaine s'exprime. " 
En cette période de politiquement correct où la majorité des débats évitent les problèmes de fond, le rôle de la culture, c'est donc notamment de s'attaquer aux tabous, aux barrières, aux œillères, à tout ce qui nous dérange. "On doit tout jouer, estime Philippe Torreton. Le théâtre est l'endroit où l'on parle le mieux de l'être humain, et c'est un territoire sans dogmes. C'est un immense champ de liberté. (...) Le théâtre foisonne de caricatures."
François Morel rappelle cette phrase de Winston Churchill à qui on proposait de couper dans les budgets culturels pour soutenir les efforts de guerre: "mais alors, pourquoi nous battons-nous?", a-t-il répondu.

(1) Charlie Hebdo, 27 mai 2015.
(2) France Inter, 29 mai 2015, 8h55.
(3) Charlie Hebdo, 8 février 2006.