mercredi 27 avril 2022

Et maintenant ?

Le (la) pire a été évité(e), mais la France est divisée en deux. Villes d'un côté, campagnes de l'autre, ouverture contre fermeture, dynamique contre conservatisme. Mais ces dichotomies sont trop caricaturales. Il y a, heureusement, des villages dynamiques, Carnet de campagne, émission de France Inter, en apporte la preuve chaque jour. L'Etat providence a joué son rôle plus que jamais pendant la pandémie, mais le sentiment d'abandon s'est répandu en milieu rural. Il est de bon ton d'y râler, d'y affirmer que le gouvernement n'a rien fait. Les gens espèrent du changement avec la fille à papa, mais les idées nouvelles sont régulièrement rejetées parce que "on a toujours fait comme ça". L'émotion, l'irrationnel, la grogne se sont glissées dans les urnes. On vote plus contre que pour.
Il faut écouter cette France-là, nous dit-on. Mais quel message envoie-t-elle ? Qu'elle ne sera jamais satisfaite ? Qu'elle voudrait en revenir au bon vieux temps ? Hier soir, dans le Journal de France 3, deux jeunes femmes expliquaient avoir voté Le Pen pour leur retraite. Un homme parce qu'il reproche à Macron le prix des carburants. Dans La Nouvelle République, on lit que dans un village indrien tel chef d'entreprise a voté Le Pen parce qu'on accueille des Ukrainiens alors que les Français sont abandonnés. La patronne du bar-restaurant le soutient, affirmant qu'elle n'est pas raciste, mais "patriote". 
Ici, 53 % des électeurs ont choisi Le Pen. Quelle explication dans un village de moins de 500 habitants qui regrettent le temps où il y en avait 2000, mais ont peur des étrangers et du changement. Ici, les quelques étrangers sont anglais et le conservatisme pèse lourdement sur la vie locale.

L'entreprise de dédiabolisation de l'Héritière a fonctionné. Comme le dit l'humoriste Naïm, Gargamel s'est transformé en schtroumpfette qui fait des photos avec les gens dans la rue et publie des photos de ses chats. Qu'elle n'ait pas de projet sérieusement étayé, qu'elle change de position constamment, qu'elle apparaisse mal armée dans le débat d'entre deux tours importe peu. "C'est faux", cette phrase qu'elle a répétée comme un mantra durant le débat semble être devenue son slogan. Elle a pris des leçons chez Trump : nier systématiquement ce qui vous met en difficulté. Mais effectivement tout sonne faux chez elle, son sourire autant que ses propositions et ses positions. Qu'importe ?, puisqu'elle va améliorer le pouvoir d'achat de tous les Français.

Un constat à partir des résultats du premier tour : les quatre premiers (Macron, Le Pen, Mélenchon, Zemmour) sont, chacun à sa manière, des bêtes de scène et des personnalités fortes qui ont créé (ou transformé) un parti pour les soutenir, au service de leur ascension. Comme le dit le politiste Rémi Lefebvre (1), ce n'est plus le parti qui fabrique le candidat, c'est le candidat qui fabrique son parti personnel. Dans le même temps, les candidats choisis par les partis politiques n'ont obtenu que des scores ridicules. L'heure est aux vedettes et aux forts-en-gueule sûrs d'être des sauveurs, pas aux projets collectifs. Le système français est conçu pour élire un roi. Ou, vu sa structure pyramidale, un pharaon.
La démocratie vacille, ici comme ailleurs. Comment la repenser, la redynamiser, la faire évoluer ? Le chantier semble gigantesque.

(1) "L'ère du seul en scène", Télérama, 20.4.2022.

lundi 25 avril 2022

Les mots qui tuent

C'est un texte (1) qu'on peut croire sorti d'un esprit dément et sans doute est-ce le cas. Le problème, c'est qu'il semble que ce soit sur lui que s'appuie Vladimir Poutine pour justifier sa guerre qui ne veut pas dire son nom. L’écrivain et philosophe Timofeï Sergueïtsev est l’un des principaux idéologues de la « dénazification » de l’Ukraine et l'auteur de ce Mein Kampf russe, une logorrhée hallucinée dont on a envie de rire tant ce texte est délirant, mais dont on ne peut que frémir tant on sait à quelle barbarie il a mené et mènera encore.

Extraits :
" La dénazification est nécessaire lorsqu'une partie importante du peuple - très probablement sa majorité - est maîtrisée et entraînée par le régime nazi dans sa politique. C'est-à-dire lorsque l'hypothèse « le peuple est bon - le gouvernement est mauvais » ne fonctionne pas. La reconnaissance de ce fait est la base de la politique de dénazification, de toutes ses activités, et le fait lui-même constitue son objet. L'Ukraine se trouve dans une telle situation."
" La dénazification est un ensemble de mesures à l'égard de la masse nazie de la population, qui ne peut techniquement pas être directement poursuivie au nom des crimes de guerre. Les nazis qui ont pris les armes doivent être détruits autant que possible sur le champ de bataille. Il ne faut pas faire de distinction significative entre les forces armées ukrainiennes et les forces dites de sécurité nationale, ainsi que les milices de défense territoriale qui ont rejoint ces deux types de formations militaires. Tous sont également engagés dans une cruauté scandaleuse contre les civils, également responsables du génocide du peuple russe, et ils ne respectent pas les lois et coutumes de la guerre. Les criminels de guerre et les nazis actifs doivent être punis de manière exemplaire. Il faut procéder à un nettoyage total. "
"  En plus des hauts gradés, une partie importante des masses populaires qui sont des nazis passifs, des collaborateurs du nazisme, sont également coupables. Ils ont soutenu le gouvernement nazi et se sont montrés indulgents à son égard. Une punition juste pour cette partie de la population n'est possible qu'en supportant les charges inévitables d'une guerre juste contre le système nazi, menée aussi discrètement que possible contre des civils. La dénazification ultérieure de cette masse de la population consiste en une rééducation, qui est réalisée par une répression idéologique (suppression) des attitudes nazies et une censure sévère : non seulement dans la sphère politique, mais nécessairement aussi dans la sphère de la culture et de l'éducation. "
" L'État dénazifiant - la Russie - ne peut pas procéder à une approche libérale de la dénazification. L'idéologie du dénazificateur ne peut être contestée par le coupable en cours de dénazification. (…) La durée de la dénazification ne peut en aucun cas être inférieure à une génération, celle qui va naître, grandir et mûrir dans les conditions de la dénazification. La nazification de l'Ukraine dure depuis plus de 30 ans."
" L'Occident collectif est lui-même le concepteur, la source et le sponsor du nazisme ukrainien, tandis que les cadres occidentaux de Bandera et leur "mémoire historique" ne sont qu'un des outils de la nazification de l'Ukraine. L'ukronazisme n'est pas moins une menace pour la paix et la Russie que le nazisme allemand ne l’était avec Hitler. "

Arrêtons-nous là, tant est grande la nausée que suscite ce long texte qu'on pourrait croire écrit dans les pires heures du stalinisme. Un texte obsessionnel qui cite le mot nazi et dénazification à chaque ligne et justifie l'horreur en partant d'un postulat : l'Ukraine dans son ensemble est nazie, donc les pires actions pour la dénazifier sont d'emblée totalement justifiées. Il suffit de décider que tous les Ukrainiens sont des nazis, responsables du génocide du peuple russe, et la Russie a tous les droits et ne pourra être poursuivie pour crimes de guerre.
Derrière les aspirations à l'indépendance et à une voie européenne se cache, selon l'auteur de ce texte fou, un projet nazi. " L'ukronazisme n'est pas moins une menace pour la paix et la Russie que le nazisme allemand ne l’était avec Hitler. "

"On comprend mieux, écrit la rédaction des Humanités, media alter-actif, en lisant cette tribune « autorisée » - et cela fait froid dans le dos - ce que Poutine veut dire lorsqu’il affirme qu’il n’acceptera de « négocier » qu’une fois acceptées toutes ses conditions. Ce n’est donc pas une négociation mais une reddition. (...) La tribune de Timofeï Sergueïtsev exprime pour la première fois, d’une façon on ne peut plus claire, que la guerre menée par Poutine ne s’attaque pas seulement à l’Ukraine, mais à l’ensemble des valeurs européennes et occidentales. Dans la vision de Sergueïtsev, l’Europe et l’Occident sont responsables d’un effondrement civilisationnel, contre lequel la Russie doit faire rempart. La guerre en Ukraine, loin de n’être qu’une guerre territoriale, est donc, pour l’un des idéologues les plus proches de Poutine, une guerre de civilisation. CQFD. Suprême paradoxe : ce texte qui prétend combattre le nazisme peut être lu comme le Mein Kampf de Vladimir Poutine."

Les valeurs de "l'Europe historique", selon ce texte, ont été abandonnées par l'Occident et ne peuvent plus être protégées et préservées que par la Russie. Donc les valeurs occidentales sont nazies et doivent être combattues et "la Russie suivra sa propre voie, sans se soucier du sort de l'Occident, en s'appuyant sur une autre partie de son héritage : le leadership dans le processus de décolonisation mondiale." On est dans le roman 1984 de George Orwell : pour décoloniser, il faut coloniser. Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage. Mais qui est l'enragé ?

dimanche 24 avril 2022

Dimanche 24 avril 2022, 20h

 Ouf !

Arno

Vive ma liberté
Yeh yeh yeh

La vie est belle, chic et pas cher 

J'suis un chanteur de charme et riche aussi
Je veux être mince comme un pneu de vélo
Je veux que tout le monde m'aime même les clodos

I'm on the road
With Lady alcohol
She's the darkness
Whispering to me
And I'm trapped inside myself
I'm trapped in a tunnel

I'm bored how people talk
I'm bored how people lie
I'm bored how the play war
"So", they said
"Oh yes", I said
I'm dancing inside my head

Je suis seul avec toi
Oostende bonsoir

Putain, putain, c'est vachement bien
Nous sommes quand même tous des Européens

La vie est trop courte pour être petit

Ils ne veulent pas mourir pendant l'été
Quand les filles sont habillées léger

Les hommes font comme les oiseaux
Tjip Tjip et c'est fini

I'm in trouble with a flashback blues

Extraits de
Vive ma liberté / Chic et pas cher / Chanteur de charme / Lady Alcohol  / Inside My Head / Oostende bonsoir / Putain putain / Court-circuit dans mon esprit / Lili / Tjip Tjip C'est fini / Flashback blues.


samedi 23 avril 2022

Pour ceux qui douteraient encore

Quelques réflexions encore pour la route qui n'est plus qu'une dernière ligne droite.

Appel de la Fondation Abbé Pierre (1)
La Fondation Abbé Pierre se dit profondément inquiète par la perspective de voir Marine Le Pen accéder à la présidence de la République. Valeur essentielle pour cette fondation : l'inconditionnalité de l'accueil des personnes en souffrance. Elle serait profondément remise en cause par la préférence nationale qui limiterait l'accès de tout un pan de la population au logement social, aux aides sociales, aux prestations familiales. Le pays, qui a besoin d'unité pour affronter tous les défis, serait plus divisé encore qu'il ne l'est. La Fondation appelle dès lors à voter Macron, sans que cet appel ne vaille blanc-seing. "Ces cinq dernières années n'ont pas été à la hauteur en matière de lutte contre les exclusions, contre la pauvreté, contre les inégalités, contre le mal logement. Aussi nous saurons rappeler autant de fois que nécessaire le futur président de la République à ses responsabilités pour plus de solidarité et pour protéger les plus fragiles d'entre nous."

Appel du Monde (extraits) - excellent éditorial de Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, qui renvoie chacun à ses responsabilités (2)
" Dimanche, il n’existera qu’une seule manière de contribuer à éviter que la candidate d’un parti d’extrême droite, Marine Le Pen, accède au pouvoir : c’est de voter pour son adversaire, Emmanuel Macron, quelles que soient les erreurs qu’il a commises au cours de son premier mandat, quels que soient les griefs que l’on peut former contre sa politique, quelle que soit sa responsabilité dans la présence du Rassemblement national (RN) à ce second tour. Ni le vote blanc ni l’abstention ne seront d’une quelconque utilité pour préserver notre pays de l’irrémédiable.
Pour décrire ce qui pourrait advenir si Marine Le Pen devenait présidente de la République, la comparaison avec la Hongrie de son inspirateur, le premier ministre Viktor Orban, a été souvent utilisée. De fait, l’érosion de la liberté de la presse, l’abaissement de l’Etat de droit, l’affaiblissement des institutions seraient bien à l’ordre du jour.  (...)
Pour mesurer les risques encourus, il faut regarder un peu plus à l’est du continent, du côté de la Russie de Vladimir Poutine, à laquelle Mme Le Pen s’est liée par son admiration proclamée à maintes reprises, et par un emprunt bancaire. Il faut considérer la triple impasse dans laquelle le despote a enfermé son pays. Le nôtre serait soumis au même clanisme d’une clique centrée sur ses propres intérêts, qui a toujours procédé par des purges pour garder le contrôle de sa petite entreprise politique familiale. Il serait voué au même isolement international, que le rapprochement avec des gouvernements populistes, suggéré par Mme Le Pen, ne compenserait pas bien longtemps. Il suffit de constater à quelle vitesse la Pologne vient de s’éloigner de la Hongrie, après l’agression de l’Ukraine, pour se convaincre que ces conglomérats d’égoïsmes nationaux ne restent jamais cohérents. Enfin, notre pays serait exposé aux mêmes ferments de haine et de violence contre des pans entiers de sa population."

Poutine, un modèle
Beaucoup de téléspectateurs du débat de mercredi ont découvert avec surprise que le parti de la fille à papa avait trouvé un financement en Russie. Marine Le Pen a toujours été fascinée par Poutine, ce qu'elle tente de nier depuis le début de la guerre d'Ukraine. Mais les faits sont têtus. Le Monde les rappelle (3).
"Je ne cache pas que, dans une certaine mesure, j'admire Vladimir Poutine. (...) Nous devons développer des relations avec Moscou, nous partageons de nombreux intérêts communs, tant sur le plan civilisationnel que stratégique" (interview au journal russe Kommersant, 13.10.2011).
En septembre 2015, Vladimir Poutine et ses troupes interviennent en Syrie. Les Occidentaux soupçonnent l'armée russe de cibler surtout les opposants à Bachar Al-Assad. La France ouvre une enquête pour « crime contre l'humanité » visant les actes de torture commis par le régime Assad. Réaction de MLP : " Ces doutes exprimés sur les frappes russes, de la même manière que l'enquête lancée en France, participent de la décrédibilisation de l'action menée par Vladimir Poutine. La France aurait dû faire ce que la Russie est en train de faire" (interview sur Europe 1, 1.10.2015).
En 2014, la Russie annexe d'autorité la  Crimée. "Je ne crois absolument pas qu'il y a eu une annexion illégale de la Crimée : il y a eu un référendum, les habitants souhaitaient rejoindre la Russie" (interview sur BFMTV, 3.1.2017).
En février, 2021, l'opposant russe Alexeï Navalny est condamné à trois ans et demi de prison : la justice lui reproche d'avoir violé son contrôle judiciaire, alors qu'il est parti se soigner en Allemagne après son empoisonnement au Novitchok par une équipe d'agents secrets russes. Réaction de MLP :  "On va avoir du mal à demander à la justice d'un pays étranger d'opérer la relaxe de quelqu'un [Alexeï Navalny]. En revanche, je demande à la Russie d'être attentive aux droits de la défense de M. Navalny, qui a été jugé pour avoir été à l'encontre de son contrôle judiciaire. (...) Donc tout ça n'a pas grand chose à voir avec la politique" (interview sur BFMTV/RMC, 5.2.2021).
Février 2022, les mouvements des troupes russes à la frontière ukrainienne font craindre le pire. MLP se veut rassurante : "Je ne crois pas du tout que la Russie ait le souhait d'envahir l'Ukraine" (interview sur BBC News, 8.2.2022).
Par ailleurs, Le Monde rappelle que "la présidente du RN s’est rendue au moins à quatre reprises en Russie depuis 2013, en recevant à chaque fois les honneurs du régime", accueillie trois fois à la Douma, le parlement russe, puis par le tsar Poutine. Le quotidien rappelle la longue liste des résolutions votées par le Parlement européen, condamnant le non respect des droits de l'homme par la Russie et contre lesquelles ont systématiquement voté les élus du RN. Le Monde liste aussi les proches de MLP qui entretiennent des liens étroits avec la Russie et analyse les liens financiers du RN avec la Russie et les contreparties qu'on peut soupçonner. Ces liens avec la Russie mettent à mal la volonté souverainiste de la candidate du RN.

Suffisance contre insuffisance
L'attitude d'Emmanuel Macron semble définitivement qualifiée de prétentieuse ou d'arrogante par ses adversaires. Mais on pourrait élargir à d'autres ces adjectifs : toute personne qui maîtrise son sujet apparaît aujourd'hui arrogante et donneuse de leçon. Surtout quand la personne en face est brouillonne et fait la preuve de son incompétence. Comme le disait Benoît Forgeard (4), le débat d'entre deux tours, c'était "suffisance contre insuffisance". C'était aussi prétention contre prétention. Le président sortant est vu comme prétentieux, mais Marine Le Pen l'est au moins autant, elle qui s'identifie à son pays. Le choix est simple, ose-t-elle dire : c'est ou Macron ou la France. "Je suis la porte-parole des Français", a-t-elle déclaré lors du débat. Ne serait-ce pas de l'arrogance que de croire qu'on peut à soi seul représenter tout un peuple dans sa diversité et malgré les divisions qu'on a soi-même créées ?

(2)  "Empêcher le pays de se défaire" - https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/22/empecher-le-pays-de-se-defaire_6123258_3232.html

jeudi 21 avril 2022

Ets Le Pen, démolitions en tout genre (Maison fondée en 1972)

Existe-t-il programme plus positif, plus audacieux, en un mot plus enthousiasmant que celui de la fille à papa ? Elle ne manque pas de projets pour ses chers Français. Elle veut avant tout leur "rendre leur argent". Elle le serine comme un mantra. On ne sait de quel argent il s'agit, ni pourquoi il faut le "rendre".  Après tout, les services publics - santé, éducation, sécurité, routes, culture, aides économiques, poste, gestion des déchets, etc. - sont autant de manières de "rendre" aux contribuables leur argent. C'est ainsi que fonctionne un Etat. 
Elle veut diminuer les taxes et notamment supprimer la TVA sur les produits de première nécessité, ce qui constitue une mesure injuste et non ciblée, lui a fait remarquer son adversaire, plus intéressante pour les grands distributeurs que pour les consommateurs. Elle veut diminuer drastiquement la taxe sur les énergies fossiles et, à l'écouter hier soir, son grand projet, pour lutter contre le réchauffement climatique, est de démanteler toutes les éoliennes. Elles polluent et gâchent les paysages. Envisage-t-elle également de supprimer les autoroutes, qui polluent plus encore et gâchent tout autant les paysages ? Et les zones commerciales ainsi que les aéroports ?
Elle veut interdire les travailleurs détachés dans l'UE (au risque de priver d'emploi les Français qui travaillent à l'étranger), réautoriser la peine de mort, supprimer les aménagements de peine et le droit du sol, interdire le port du voile dans l'espace public et la régularisation de "clandestins",  mettre fin "à la barbarie et à l'ensauvagement" qui sévissent, assurent-elles, jusque dans les coins les plus reculés des campagnes, sortir du marché européen de l'électricité et quitter, même si elle ne le formule pas de la sorte, l'Union européenne. Tout cela au nom du bon sens. On voit par là que le bon sens de l'un est le mauvais sens de l'autre. Bref, on peut difficilement qualifier le programme de Marine Le Pen de constructif. Il s'inscrit dans un mouvement de destruction. Détruire, dit-elle.

Commentaire de Jean Quatremer dans Libération ce jour sur le débat d'hier soir :
"Marine Le Pen s’est une nouvelle fois noyée dans le verre européen : comment expliquer qu’on ne veut pas sortir de l’Union (et donc de l’euro) tout en sortant unilatéralement des politiques communes qui vous déplaisent (Schengen, marché européen de l’énergie, politique d’immigration) au nom de «l’intérêt national» ou en jetant par-dessus bord la pierre angulaire du marché intérieur, la supériorité du droit européen sur les droits nationaux, tout cela en violation des traités européens. La candidate du Rassemblement national s’est défendue en faisant valoir qu’elle voulait en réalité transformer l’Europe «de l’intérieur» pour passer à une «Europe des nations souveraines», mais sans expliquer comment elle parviendrait à réunir une majorité pour transformer les politiques existantes (ce qui prendra du temps) et surtout une unanimité des vingt-sept Etats membres pour modifier les traités (ce qui prendrait encore plus de temps si même c’était possible)."

L'appel de Yannick Jadot à voter Macron pour empêcher Le Pen de gagner :


mercredi 20 avril 2022

Message de Latifa Ibn Ziaten

Avaaz relaie cette lettre ouverte de Latifa Ibn Ziaten, mère d'Imad, sergent de l'armée française, qui il y a dix ans a été assassiné par Mohammed Merah dans une attaque terroriste qui avait choqué toute la France. 

" Comme la plupart d'entre nous, j'ai peur de voir ce qui pourrait arriver, alors que nous faisons face à un moment fatidique dans la vie de notre nation. Et chaque fois que j'ai peur, je pense au courage d'Imad, qui a refusé de s'agenouiller face à l'extrémisme, alors qu'il faisait face à Mohammed Merah et à sa mort imminente.
Aujourd'hui, nous avons le choix : nous devons défendre les valeurs qui nous unissent et refuser la victoire à ceux qui veulent nous monter les uns contre les autres. Et quand viendra le moment d'élire notre prochain Président le 24 avril, la seule façon de sauver la France que nous aimons est de battre Mme Le Pen en votant pour M. Macron.
Depuis l'assassinat d'Imad il y a dix ans, je parcours le pays et le monde, rencontrant chaque année des dizaines de milliers de jeunes pour donner une chance à la paix et à la tolérance. En regardant les sondages et le programme du Rassemblement national, je crains pour leur avenir si l’extrême droite accède au pouvoir.
La plupart des jeunes que je rencontre dans mes projets éducatifs, dans les établissements scolaires ou dans les prisons, ont peur et sont en colère. Ils ont le sentiment que la République les a abandonnés, qu'il n'y a pas de place pour eux dans notre société.
Rien qu'en matière d'éducation, le programme de Mme Le Pen les laisserait derrière, effaçant des décennies de dur labeur pour réduire les inégalités. Son rejet des autres langues et cultures déchirerait nos communautés au nom de l'assimilation. Même en ce qui concerne la foi, une affaire personnelle, la désignation de l'Islam comme bouc émissaire par son parti enterrerait tout espoir d'unité sociale dans notre pays.
Il faut du courage pour choisir la fraternité plutôt que la haine. Je sais combien il peut être difficile pour beaucoup d'entre nous de croire que des jours meilleurs sont à venir. Mais si nous ne nous montrons pas à la hauteur pour vaincre l'extrême droite, nous laissons tomber nos enfants, et la haine l'emportera.
Pour eux, et pour nous tous, votons. "


mardi 19 avril 2022

Ets Le Pen, magouilles en tout genre (Maison fondée en 1972)

La fille à papa est la candidate du pouvoir d'achat. Elle connaît le sujet, elle est proche des petites gens. Elle qui a toujours eu des fins de mois difficiles. Jugez un peu : elle ne gagnait mensuellement qu'une dizaine de milliers d'euros pour siéger de temps à autre au Parlement européen. Elle a toujours figuré parmi les plus mauvais élèves de la classe. L'exemple est venu d'en haut. Son cher papa y était surtout connu pour son absentéisme. Mais tous deux ont bien profité de la fonction à des fins personnelles et partisanes. 

Mediapart révèle (1) que " la justice française a été saisie mi-mars d’un rapport accablant de l’Office européen de lutte anti-fraude (Olaf) de l’Union européenne (UE). Le document vise en effet personnellement la candidate du Rassemblement national (RN), l’accusant d’avoir détourné l’argent public du parlement de Strasbourg quand elle y a siégé en tant que députée entre 2004 et 2017. "
Le rapport est solide - 116 pages - et est  siglé « sensible ». L’Olaf y préconise le remboursement par Marine Le Pen, à titre personnel, de la somme de 136 993,99 euros, correspondant à différents détournements de fonds qui lui sont imputés par l’organisme anti-fraude. Elle n'est pas la seule de son parti à se faire épingler. "Outre Marine Le Pen, trois autres ex-députés européens – son père Jean-Marie Le Pen, son ancien compagnon Louis Aliot et Bruno Gollnisch, membre du bureau national du RN –, ainsi que le groupe parlementaire d’extrême droite Europe des nations et des libertés (ENL), sont directement mis en cause par l’Olaf. Le montant total des sommes réclamées s’élève exactement à 617 379,77 euros." Les conclusions du rapport de l’Olaf "sont assassines pour Marine Le Pen et son clan, qui revendiquent pourtant depuis des années le vieux slogan maison : Mains propres et tête haute." L’Olaf, poursuit Mediapart, a conclu que le comportement des quatre anciens députés du Parlement européen (Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch, Marine Le Pen et Louis Aliot) "a mis en péril la réputation des institutions de l’Union", peut-on lire dans le rapport.

Ce qu'on leur reproche : d’abord d’avoir détourné des fonds publics européens du fameux « budget 400 » à des fins de politique nationale.
"Parmi les exemples : 23 100 euros d’objets promotionnels (sacs, stylos, porte-clés, etc.) livrés au siège du parti et qui « semblent avoir été achetés pour le congrès du FN à Lyon », en 2014 ; 4 107 euros de bouteilles de Beaujolais distribuées par Bruno Gollnisch au même congrès (comme l’attestent des photos) ; la demande (rejetée) de remboursement concernant des frais liés à la venue à ce congrès d’une « experte », qui était en réalité une prestataire d’eurodéputé·es ; des virements, entre 2012 et 2014, d’une autre société prestataire à l’association « Groupe des droites européennes » (GDE) « à des fins politiques » (ces fonds auraient notamment servi, d’après l’ex-assistant de Marine Le Pen, à rémunérer des proches du parti, tels que son garde du corps – ce qui « surprend » Marine Le Pen, qui fait valoir qu’il était déjà rémunéré comme assistant parlementaire)."
En 2018, la candidate du RN avait déjà été mise en examen pour « détournements de fonds publics » dans le dossier de ses assistants parlementaires européens. "Marine Le Pen est soupçonnée d’avoir fait travailler pour le compte de son parti des collaborateurs payés par l’argent public européen, normalement au service exclusif du parlement de Strasbourg. Dans ce dossier, le Parlement européen, sur la base d’un premier rapport de l’Olaf, lui avait déjà réclamé en 2016 le remboursement de 339 000 euros de fonds, considérés comme le fruit d’une malversation."
Le père Le Pen, lui, a rempli sa cave à (grands) vins aux frais du Parlement européen, des conflits d'intérêts ont été dénoncés, des sommes ont été utilisées pour des services jamais créés ou des réunions fictives organisées. Bref, le parti a les mains bien plus sales qu'il ne l'affirme. A la lecture de l'article, très documenté, de Mediapart, on se rend compte que le RN dénonce un système dont il use et abuse à des fins personnelles et qu'il passe son temps à piller.  

Il y a cinq ans, peu avant l'élection présidentielle de 2017, voici ce que j'écrivais sur ce même blog (2) :

Celle qui caracole en tête, c'est Marine Le Pen, la candidate anti-système qui a pu faire ses premières armes en politique en étant employée par son père qui lui a ensuite légué son parti. Grâce à son nom, elle a été élue au Parlement européen où elle est classée parmi les plus mauvais élèves pour manque d'assiduité. Elle collectionne les casseroles :
- Le Parlement européen lui reproche de ne pas avoir respecté ses règles et d'avoir employé des assistants parlementaires comme conseillers pour son parti ou comme garde du corps. Mais il faut dire qu'elle a été initiée par papa à ces pratiques: dans les années '90, ses enfants ont eu comme baby-sitter une assistante parlementaire d'un élu européen du F.N. (3)
- Quasiment toutes les campagnes du FN menées depuis qu'elle a pris la succession de son père font l'objet d'instructions judiciaires pour "escroqueries", "recels d'escroquerie", "abus de biens sociaux", "recels d'abus de biens sociaux" et "blanchiment". Son micro-parti Jeanne se serait enrichi de 9 millions d'euros sur le dos de l'Etat.
- L'agence russe d'assurance des dépôts bancaires réclame au F.N. le remboursement de neuf millions d'euros que le parti avait obtenu auprès d'une banque qui a fait faillite. Un prêt qui alimente les soupçons d'accointances entre le parti d'extrême droite et la Russie de Poutine.
- La Haute autorité pour la transparence de la vie publique mène une enquête sur Marine Le Pen et son père pour "sous-évaluation manifeste de certains actifs" que détiennent en commun  père et fille.
Ce parti anti-système sait comment profiter de celui-ci et aime, plus que les autres, l'argent. Ce qui n'empêche pas sa présidente d'être la préférée des Français, donnée en tête du premier tour à 25-26%.
Les électeurs sont comme des supporters de sportifs. Leurs champions ont le droit de tricher, de truquer des compétitions, de se doper, pourvu qu'ils les fassent rêver. Mais les autres qui en feraient tout autant doivent être éliminés radicalement. C'est ce qu'on appelle des fans. Des fanatiques.
Que voit-on par là? Que la démocratie représentative élective ne repose pas sur la raison. Qui peut encore croire que les électeurs mettent l'honnêteté (financière et intellectuelle) en tête des valeurs qu'ils s'attendent à voir respectées au premier chef par leurs élus?

Emmanuel Macron a été ou s'est enfermé dans une caricature de "président des riches". Et Marine Le Pen essaie de se faire passer pour la candidate des pauvres. Pauvre petite fille riche (4) et enrichie frauduleusement. 

(1) https://www.mediapart.fr/journal/france/160422/argent-public-un-rapport-accuse-marine-le-pen-de-detournements-la-justice-saisie
(2) Extrait de "Gens honnêtes et honnêtes gens", 17.2.2017.
(3) Le baby-sitting, c'est le Parlement européen qui le lui a payé, avec mes indemnités!, avait déclaré Jean-Claude Martinez à Caroline Fourest et Fiammetta Venner. Ils m'ont fait engager Huguette Fatna, la marraine des enfants, comme assistante parlementaire... Mais à l'époque, le Parlement européen, elle ne savait pas où ça se trouvait, elle n'y venait jamais. Par contre, elle passait son temps à garder les enfants de Marine!" ("Marine Le Pen - biographie", Grasset, 2011, p. 120)
(4) (Re)lire sur ce blog : "Pauvre petite fille riche", 17.4.2014.

lundi 18 avril 2022

Cherchez l'erreur

En France, les patrons de bars et restaurants cherchent actuellement et sans succès à recruter 300.000 personnes (1). Et la fille à papa ne veut plus d'immigrés. Avec elle, la France va mourir de faim et de soif.

(1) France 3, Journal de 19h30, 18.4.2022.

Mon appel du 18 avril

Message envoyé ce jour à mes amis, amies et connaissances françaises. 

Apprendre le portugais ou améliorer mon anglais ? J'hésite. Vais-je me réfugier au Portugal ou en Irlande ?
Je ne peux en tout cas pas envisager de rester vivre dans un pays qui n'est pas le mien  et où je ne peux voter si d'aventure il était présidé par l'extrême droite qui fera alors la chasse aux immigrés et où je ne me sentirais plus le bienvenu. Même si la fille à papa considère différemment les membres de l'UE, je me sentirais solidaire de tous les étrangers, les réfugiés en particulier. Je n'ai fui ni la guerre ni la misère, contrairement à ceux qui cherchent ici un refuge où vivre, simplement vivre en sécurité.

Vincent Martigny, professeur de sciences politiques, parlait il y a peu sur France Inter (1) de la schadenfreude qu'il traduit en français par la joie de faire du mal, la joie mauvaise de voir quelqu'un échouer, la jubilation qu'on ressent au malheur d'autrui surtout quand on ne l'aime pas. "Ce sentiment semble devenu un leitmotiv très puissant pour une partie des électeurs" qui n'espèrent pas voir gagner l'une mais espèrent voir tomber l'autre. "La cible principale de cette schadenfreude est aujourd'hui Emmanuel Macron". De nombreux Français ont envie de le punir en s'abstenant ou en votant Le Pen. Cette volonté de punir a évidemment diverses explications mais est "une passion politique triste". C'est, selon Vincent Martigny, "la politique du pire pour être entendu". Car qui sera le plus puni en cas de défaite de Macron et donc de victoire de Le Pen ? Macron ? Il prendra une claque, mais on ne devra pas s'inquiéter de son avenir. En revanche, c'est l'ensemble de la société française qui va la prendre, cette claque et elle sera cuisante, si la Nuisible - à cause de cette erreur historique de cible - devenait présidente. Et en particulier les étrangers, les juifs, les musulmans, les femmes, les homos, toutes celles et tous ceux qui n'apparaissent pas comme des Français dans la norme. Tous les racistes, les sexistes, les antisémites, les homophobes se sentiront enfin libres de s'exprimer. Laisser passer Le Pen, c'est ouvrir la voie à la haine et au rejet de l'autre. L'Union européenne sera mise à mal, mais aussi les politiques culturelles et sociales et toutes les avancées sociétales. Déjà, Le Pen annonce qu'elle réintroduirait volontiers la peine de mort. Faire tomber Macron pour lui donner une leçon, c'est se tirer plusieurs balles dans le pied. 

" On n’essaie pas Marine Le Pen !, clame Ariane Mnouchkine, directrice du Théâtre du Soleil (2). On n’essaie pas le fascisme, aussi déguisé, aussi masqué soit-il. On ne se livre pas aux forces obscures. Si elle est élue, alors, avec ceux qui, restés dans l’ombre jusqu’ici, apparaîtront autour d’elle le matin du 25 avril 2022, elle infligera à la France, et à l’Europe, des dégâts incommensurables, irréversibles. Les mêmes que ceux qu’infligent encore Trump aux États-Unis, Bolsonaro au Brésil, Orbán en Hongrie. Elle veut tripatouiller la Constitution. Se rend-on compte de ce que cela signifie ? Elle veut introduire dans notre Constitution, qui reste un modèle pour les démocraties du monde, des mesures indignes qui n’ont rien à y faire, mettant en danger le droit d’asile, l’égalité, l’hospitalité, le devoir de protection, et j’en passe."

"Ils sont les ennemis de la liberté de penser, de créer", affirme (3) Jack Lang, ancien ministre de la Culture, à propos de "Madame Le Pen et ses amis" qui, là où ils "exercent le pouvoir en France", "censurent les créateurs, oppriment les enseignants, les professeurs, les chercheurs". Ils "sont habités par la haine des arabes, des musulmans, des juifs", ajoute le président de l'Institut du monde arabe selon qui la candidate du RN "mènerait une politique d'exclusion et de discrimination à l'égard de ces communautés culturelles".
Une centaine de directeurs de théâtre l'annoncent (3) : "nous voterons le 24 avril pour Emmanuel Macron, et invitons toutes celles et ceux qui seraient tentés par l'abstentionnisme à faire de même". "Il n'y va pas seulement du monde de l'art et de la culture, il y va de l'art de vivre ensemble et de la culture d'un monde commun". Dans les milieux économiques (4), universitaires et sportifs, on entend les mêmes appels.

Mais certains - nombreux, trop nombreux - disent refuser de choisir "entre la peste et le choléra". Un slogan facile qui manque cruellement de subtilité et témoigne d'un mélange de lâcheté, de cynisme et d'analphabétisme politique. Qu'ils lisent le programme de l'Héritière. Marine Le Pen est la peste et le choléra. Il existe une différence considérable entre un démocrate, par ailleurs critiquable sur bien des aspects de sa politique, et une ennemie de la démocratie. Entre une soutien de Poutine (elle est son cheval de Troie dans l'UE), admiratrice de Trump, d'Orban et de Mohdi et un homme qui fait tout ce qu'il peut pour que la paix et le droit reviennent en Ukraine. Entre un Européen convaincu - qui ouvre des portes, et une dangereuse souverainiste - qui les ferme. Qu'y a-t-il de positif dans le programme des populistes d'extrême droite ? Leur seul objectif, on l'a vu avec Trump, est de détruire. Détruire tout ce qui, difficilement, patiemment, s'est construit à force d'échanges, de débats, de négociations, tout ce qui crée du lien et de la solidarité.
Qu'est-ce qu'être de gauche, sinon faire passer l'intérêt collectif avant son point de vue individuel ? Etre incapable d'imaginer les effets immédiats qu'aurait l'élection d'une présidente d'extrême droite sur les étrangers et ne pas agir pour l'éviter serait une attitude bourgeoise, avant tout soucieuse de son confort personnel. 
"C’est ça, la politique : travailler au bien commun. Cela devrait être ça !, dit encore Ariane Mnouchkine. En dépit des aléas des élections, en dépit des différences et donc des différends. C’est être capable de mettre de côté une énième déception, aussi cruelle et injuste soit-elle. Ce n’est pas se retirer sur l’Aventin en laissant advenir un désastre possible, pour ne pas dire probable."

Ce qui fait défaut aujourd'hui, c'est l'humilité. Chez l'actuel président qui apparaît à certains trop sûr de lui et arrogant (5), mais aussi chez ces (non)électeurs qui considèrent que leur vote est tellement sacré qu'ils ne peuvent le salir en le donnant à quelqu'un vis-à-vis de qui ils sont très critiques. On a l'impression que de très nombreux électeurs qui se disent de gauche veulent ignorer l'extrême importance des enjeux de cette élection. Seule leur importe leur petite voix qu'ils veulent préserver, sans voir que leur passivité peut emmener la France et l'ensemble de l'Europe vers le pire. Si ce ne sont pas mes idées et mon candidat qui passent, alors il arrivera ce qu'il doit arriver, je m'en lave les mains, ce n'est pas mon problème, disent-ils. Y a-t-il beaucoup de Ponce Pilate en France ? Qu'est-il arrivé au pays de Descartes pour qu'il bascule à ce point dans l'irrationnel et l'émotionnel ?
Au second tour, le système français veut qu'on choisisse le moins mauvais des deux pour éviter le et cette fois la pire. 

Je ne suis pas politologue, mais il m'apparaît que Jacques Chirac était bien plus à droite qu'Emmanuel Macron. Mais là où l'actuel président apparaît hautain, l'ancien avait une image bonhomme qui a lui permis de traîner tranquillement derrière lui un certain nombre de casseroles. Il y a vingt ans, les électeurs français de gauche se sont pincé le nez mais ont cependant été nombreux à voter pour Chirac pour barrer fermement la route à Le Pen père. Aujourd'hui, à l'heure où domine le moi, ces électeurs jouent les coquettes. Et les inconscients. En s'abstenant, ils tiennent ouverte la porte de l'Elysée pour Marine Le Pen.
On reproche souvent aux politiques leur manque de courage, mais beaucoup de (non) électeurs n'en ont pas plus. Verra-t-on lundi prochain, comme après le premier tour de 2002, des citoyens qui n'avaient pas voté  manifester courageusement pour faire barrage à l'extrême droite ?

Au soir du premier tour, Marine Le Pen  affirmait que "le 24 avril, ce sera un choix fondamental entre deux visions opposées du pays : soit la division et le désordre, soit le rassemblement des Français autour de la justice sociale garantie par un cadre fraternel ». Pour une fois, je suis d'accord avec elle : elle nous propose la division et le désordre et c'est pour cela qu'il faut voter clairement pour son adversaire.  "Ce qui se jouera ce 24 avril est un choix de société et même de civilisation." Elle a raison : avec elle et son parti, notre société fera un énorme bond en arrière. Et sa victoire en sera aussi une pour Poutine à qui on ne pourrait faire plus beau cadeau.

"Le monde que veut réaliser Marine le Pen (...), c'est celui de la préférence nationale, de la discrimination et de la xénophobie érigées en principes constitutionnels, du retour au droit du sang, de la fermeture à l'autre, du renoncement à toute forme de diversité et d'hospitalité", dénonce le milieu théâtral.
A chacun de prendre ses responsabilités ce 24 avril pour éviter qu'arrive le pire. Personne ne s'attendait à ce que Trump gagne l'élection de 2016. On sait quels dégâts il a fait. Ici, personne ne pourra dire qu'il ne savait pas.

Je veux bien vous offrir un pince-nez. Si c'est le prix à payer pour que vive longtemps la démocratie.

(1) https://www.franceinter.fr/personnes/vincent-martigny
(2) https://www.telerama.fr/debats-reportages/on-n-essaie-pas-marine-le-pen-on-n-essaie-pas-le-fascisme-le-plaidoyer-d-ariane-mnouchkine-7009875.php
(3) La Croix, 13.4.2022.
(4) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/16/presidentielle-une-presidence-avec-marine-le-pen-serait-une-catastrophe-economique-sociale-et-environnementale_6122435_3232.html
(5) On notera que Nicolas Sarkozy n'a pas été réélu parce qu'il apparaissait comme un président trop vulgaire et trop brutal et qu'on a reproché à François Hollande d'être trop mou, lui qui voulait  être un "président normal". Président de la République française ? Une mission impossible.

(Re)lire sur ce blog :
- "Le diable s'habille en Pravda", 15.4.2022
- "Celle qui rime avec Poutine", 8.4.2022
- Ma "Lettre à Elvire et à mes amis français", en avril 2017 :
https://moeursethumeurs.blogspot.com/2017/04/lettre-elvire-et-mes-amis-francais.html

A écouter (ou lire) : Sophia Aram, toujours aussi pertinente :
https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-18-avril-2022

En prime, une histoire belge.
(Mieux que cent discours pour tout comprendre).

Une vieille dame belge paie son journal du matin et demande :

– Monsieur, que se passe-t-il en Ukraine ? À mon avis, quelque chose de terrible, mais je n'y comprends rien!

- Madame, je réponds, vous avez acheté un journal, tout y est dit en détail, il y a même des cartes.

La dame me regarde un peu confuse et dit :

- Monsieur, savez-vous quel âge j'ai ? 95 ans ! Ces articles ne sont pas faciles à comprendre.

Un monsieur à l'air intelligent, debout devant les étagères des magazines, demande :

– Madame, êtes-vous née en Belgique ?

- Oh, bien sûr! J'ai vécu toute ma vie en Wallonie, à Liège.

- Imaginez un instant que Le Pen remporte l'élection présidentielle en France et déclare que la Belgique n'est pas un État souverain, mais une entité artificielle créée après les guerres napoléoniennes et qui n'a jamais existé sous ce nom auparavant. De plus, la France prétend que les nationalistes flamands oppriment la population francophone wallonne, que leur province du Limbourg faisait en général partie de la Principauté de Liège autrefois et devait donc être annexée à la Wallonie. Mais ce n'est pas tout, puisqu'au début du XIXe siècle la Belgique faisait partie de la France, elle devrait redevenir française.

— Pardonnez-moi, essaya d'objecter la dame, mais mon père était Flamand et il n'a jamais opprimé personne !

- Ah, madame ! - sourit l'homme, - n'avez vous pas entendu parler des collaborateurs flamands pendant la Seconde Guerre mondiale ? Ils ont collaboré avec Adolf ! Et ce sont toujours des nazillons.

- Bien sûr je l’ai entendu dire, mais j'ai aussi entendu parler de la brigade SS de Wallonie !

– Justement, se redressa le monsieur. - Alors, madame, imaginez que la France lance une opération militaire spéciale pour dénazifier la Belgique. Ils bombardent non seulement Bruges, Gand et Anvers, mais aussi notre Liège. Rien de grave - nous prendrons notre mal en patience. Que sont plusieurs milliers de personnes tuées et mutilées ? Car après nous vivrons tous au sein de la grande France !

– Mais je ne veux PAS vivre en France ! Je suis BELGE ! objecta la dame.

- "C'est la MÊME chose que disent les Ukrainiens", conclut l'homme.

(Blague racontée par Alexandre Rodnianski, partagée par Eléna Smyslova et Accents Russes, traduite par Nicolas Planchais)

dimanche 17 avril 2022

samedi 16 avril 2022

Des nouvelles de la France profonde

A la campagne, on ne peut se passer de voiture. C'est ce qu'on entend dans tous les reportages sur la mobilité. C'est ce qu'on constate autour de nous. 
Avec cet homme qui cinq ou six fois par jour sort en voiture de chez lui pour y revenir dix, quinze ou trente minutes plus tard, sans qu'on ne sache où il va, faire un tour, relever des collets, acheter un pain ou visiter ses bêtes.
Avec cette femme en parfaite santé qui quotidiennement prend sa voiture pour se rendre à la boulangerie à 200 ou 300 mètres de chez elle.
Avec cette femme jeune qui deux fois par jour promène ses chiens, eux trottinent, elle les suit en voiture.
Le vélo et la marche sont devenus ici, au milieu de la nature, des pratiques exceptionnelles. La voiture un usage qu'on s'impose sans même y penser. 

J'attache mon vélo devant la supérette d'un village voisin. Un homme masqué en sort, il semble avoir le même âge que moi, celui d'un retraité. Il me regarde droit dans les yeux. Je lui dis bonjour. Il se retourne, entendant une alarme de voiture dans son dos. Il me fixe à nouveau. Je lui dis : je vous disais juste bonjour. "Oui, ben, c'est bon !", me crache-t-il en s'éloignant.

Au Conseil municipal, il est question d'un label bio que peut obtenir la commune parce qu'une part importante de sa superficie agricole est cultivée en bio. Plusieurs conseillers n'en veulent pas. "Le bio, c'est de la merde!". "Si tu crois que tu vas nourrir la planète avec du bio..." "Faut arrêter avec le bio, c'est n'importe quoi !". 

Parfois, je me demande qui peut bien voter pour la Le Pen.

Voilà des nouvelles de la France profonde. Mais comment appelle-t-on l'autre France? La France légère, la France de surface, la France superficielle?

Dans la même série, (re)lire sur ce blog
"Des nouvelles de la France profonde", 17.1.2019, 17.6.2018, 10.10.2017 et 8.10.2016 ;
"Pour éviter le torticolis", 1.8.2016 ; 
"Carnet rose", 2.8.2016

vendredi 15 avril 2022

Le diable s'habille en Pravda

C'est la digne fille de son père. D'ailleurs, alors qu'on les avait cru brouillés, elle annonce déjà qu'elle l'invitera à l'Elysée quand elle y entrera. Marine Le Pen est un mélange de bêtise, de mensonge, d'hypocrisie, de contradictions et d'affirmations brutales. Le second tour s'avère plus difficile pour elle que le premier. Les jolies photos avec des petits chats et les promesses de raser gratis ne suffisent plus. Il faut maintenant faire preuve de maitrise de tous les sujets et voilà que la Le Pen du second tour de 2017, celle qui avait fait la preuve de sa grande indigence intellectuelle, refait surface. Mais elle est plus retorse. Elle a pris des leçons chez les illibéraux, chez ses maîtres à penser ou à gouverner que sont Poutine, Trump, Mohdi et Orban.

Elle se (et nous) perd dans le labyrinthe de ses projets et de ses envies, peinant à unifier les uns avec les autres. Elle ne veut pas sortir de l'Union européenne, mais fera tout ce qu'elle peut pour y arriver. 
" Elle a redit que le Frexit, la sortie de l’Union à 27, n’est pas dans son projet. Ah bon, vraiment ? , s'étonne le journaliste économique Dominique Seux (1). Noir sur blanc pourtant, son programme prévoit qu’une nouvelle Alliance Européenne des Nations se substituera à l’Union européenne. Substituera : c’est bien l’histoire écrite depuis 1957 qui serait remise en cause. Deuxième exemple, hier encore (le 13 avril), la candidate a expliqué qu’elle présidente, elle ne rétablirait pas des frontières commerciales aux frontières de la France, avec des droits de douane. Le marché unique sera toujours là. Ah bon vraiment ? Son projet écrit précise, entre autres, que « les importations de produits agricoles qui n'auraient pu être cultivés ou fabriqués de la même manière en France seront interdites ». Cela s’appelle une fermeture des frontières, contradictoire avec le principe invoqué, avec deux conséquences : un, les exportateurs français, en retour, auraient du souci à se faire ; et, deux, les consommateurs peuvent s’attendre à une hausse des prix que ne compenserait sûrement pas la baisse de la TVA de 5,5% à 0% ! Dernier exemple, le climat enfin. La France, a dit enfin Marine Le Pen hier, ne sortira pas de l’accord de Paris de 2015. Ah bon, vraiment ? Son projet spécifie pourtant qu’elle libèrera les Français de ces engagements irraisonnés et qu’elle ira au rythme qu’elle choisira. Et donc ? Il y a un an, Marine Le Pen a renoncé à sortir de l’euro. Mais peut-on garder l’euro sans Union européenne, sans règles communes, sans confiance entre pays ? – hier elle a davantage taclé l’Allemagne que la Russie, ce qui est un comble. Garder l'euro sans l'UE ? La réponse est évidemment non. Il est évident que l’Europe doit être plus proche des peuples (sur les vaccins et le bouclier anti-récession, elle l’a été), une candidate à la présidentielle a le droit de penser que nos modèles doivent être la Hongrie, la Pologne et le Royaume-Uni (qui est sorti de l’Europe).
Mais il ne faut pas raconter d’histoires. Son objectif, c’est bien la fin de l’Union et de l’euro."

Et qui espère vivement que cet objectif soit atteint ? Son modèle : Vladimir Poutine.
"En dépit de quelques récents changements tactiques, écrit Alain Frachon dans Le Monde (2), la diplomatie que préconise Mme Le Pen correspond, sur le fond, à ce que l’URSS a toujours voulu et à ce que souhaite la Russie de Poutine depuis 2011 : l’affaiblissement de l’Union européenne et du lien transatlantique – ce qui unit, économiquement, les Européens entre eux et ce qui les relie, stratégiquement, aux Etats-Unis. Ce doublé, dont Poutine n’osait plus rêver, la diplomatie Le Pen le lui livrerait sur un plateau tricolore. Tel est le programme annoncé et confirmé, mercredi 13 avril, par la candidate d’extrême droite."
Le Pen est opposée aux sanctions prises contre la Russie et aux livraisons d’armes à l'Ukraine. "Pour obtenir un cessez-le-feu, favoriser une négociation, elle compte sur la seule force de son discours. On le sait, Poutine, toujours un tantinet angélique, un rien rêveur, a la faiblesse de céder à qui lui fait du charme… Sur quelle planète vit Mme Le Pen ?"
Alain Frachon rappelle que Marine Le Pen "flirte depuis longtemps avec l’autocrate de Moscou. En 2017, guignant l’Elysée, elle est allée au Kremlin solliciter une photo avec son grand homme – et un prêt, pour son parti, auprès d’une banque russe. Elle confiait alors à la BBC qu’elle était sur la ligne de Poutine et de deux autres ultranationalistes, Donald Trump et l’Indien Narendra Modi. Ce goût prononcé pour les gros bras de l’époque, doublé de l’amitié qu’elle entretient avec le Hongrois Viktor Orban, démocrate  illibéral assumé, définit un profil politique inquiétant". Alain Frachon cite le politologue américain Ian Bremmer selon qui Le Pen "représente la meilleure carte de Poutine pour diviser les Occidentaux". Ou encore l’ancien premier ministre italien Enrico Letta: « Si, le 24 avril, c’était Le Pen, eh bien là, Poutine pourrait arrêter ses chars. Il aurait gagné. Il serait entré au cœur de l’Europe. » Car la candidate d'extrême droite en voulant déstabiliser l'UE fera le jeu du Kremlin. Une victoire de Marine Le Pen serait aussi celle de Poutine.

En 2017, cette étrange souverainiste qu'est la fille à papa affirmait, interviewée par CNN (3), que la Russie n'avait pas envahi la Crimée.
MLP : "Il y a eu un coup d'Etat en Crimée."
La journaliste : "C'est ce que vous croyez ?"
MLP, comme si elle tombait des nues:  "Ben oui, euh mais c'est pas mon avis, c'est, c'est... Il y a eu un coup d'Etat. Il y a eu un référendum."
La journaliste : "Après l'invasion et l'annexion."
MLP : après un blanc et comme stupéfaite  : "Mais il n'y a pas eu d'invasion de la Crimée ! Mais écoutez, faut arrêter de raconter n'importe quoi !"
La journaliste :  "Ils ont annexé la Crimée qui faisait partie de l'Ukraine."
MLP : "La population se sent russe. La population est russe. La population a décidé à une majorité écrasante de revenir dans le giron de la Russie. On ne peut pas être démocrate quand ça vous arrange et rejeter la démocratie quand ça vous dérange."

Tout Marine Le Pen est là, elle est capable de nier des faits avérés, de réécrire l'histoire, de revendiquer la démocratie pour justifier la brutalité : la Crimée n'a pas été envahie, c'est sa population qui a décidé de changer de pays. Position incompréhensible de la part de quelqu'un qui se définit comme souverainiste et s'oppose à l'autonomie de la Corse. Demain, les troupes de la présidente envahiront-elles la Belgique francophone sous prétexte que ce territoire a autrefois appartenu à la France et que Clovis y est né ? 

Voilà ce qu'est Le Pen. Mais certains faibles d'esprit ne veulent pas voir l'extrême danger qu'elle représente et déclarent, la main sur le cœur, qu'ils ne pourront choisir entre la peste et le choléra, rejetant d'un même geste un démocrate, certes critiquable, et une ennemie de la démocratie. Marine Le Pen est la peste et le choléra. Une destructrice dont l'élection mettrait à mal l'ensemble de l'Union européenne et la paix en Europe. De jeunes antifascistes ont occupé la Sorbonne clamant qu'ils ne veulent ni Macron, ni Le Pen, les renvoyant dos-à-dos (4). S'ils étaient vraiment antifascistes, ils auraient compris qu'il y a une ennemie à combattre et que leur abstention inconsidérée risque de laisser l'extrême droite arriver au pouvoir. Qu'ils relisent l'Histoire et prennent leurs responsabilités.

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-eco/l-edito-eco-du-jeudi-14-avril-2022
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/14/la-diplomatie-que-preconise-marine-le-pen-correspond-a-ce-que-souhaite-la-russie-de-poutine_6122067_3232.html
(3) https://www.france.tv/france-5/c-a-vous/c-a-vous-saison-13/3202207-invites-cyril-dion-bertrand-piccard-et-caroline-fourest.html
(4) https://www.lalibre.be/international/europe/elections-france/2022/04/13/presidentielle-francaise-2022-luniversite-pantheon-sorbonne-occupee-par-des-militants-antifascistes-CNWZ6ACDINHRTCWZKAI5KJHTY4/


mercredi 13 avril 2022

Il fait froid

Que retenir du premier tour de l'élection présidentielle française ?
Que l'extrême droite est désormais, et de loin, le premier parti de France avec 32,15% des voix si on additionne les résultats de Le Pen, de Zemmour et de Dupont-Aignan. Un Français sur trois a voté pour l'extrême droite. Comment expliquer un score aussi effrayant ? La fille à papa a poursuivi son travail de dédiabolisation - aidée par les excès délirants de Zemmour - en se transformant en madone des pleurnicheurs. Elle est la grande consolatrice. Elle a tu tout ce qui dérange dans son programme, mais il n'a pas changé, il est toujours d'extrême droite. Les photos de ses chats si charmants ont fait oublier que Poutine et Trump sont ses modèles et qu'elle représente un réel danger pour la démocratie.
Que le président Macron, sous le prétexte de son rôle de leader de l'Union européenne (qu'il joue plutôt bien d'ailleurs) a joué avec le feu, évitant les débats et cultivant la distance. Augmentant encore son image d'homme hautain.
Que si la gauche s'était présentée unie, elle aurait pu accéder au second tour, mais Jean-Luc Mélenchon a décidé dès le début de faire cavalier seul, refusant primaire et négociation sur un programme et une candidature unique si ce n'était pas le sien et la sienne. Et son parti de reprocher ensuite à d'autres candidats de ne pas s'être retirés en faveur du leader maximo... (1)
Que l'écologie n'est pas un souci pour l'immense majorité des Français. Le réchauffement climatique mène le monde à la catastrophe, les scientifiques ne savent plus en quelle langue le dire, tous les voyants sont dans le rouge, mais la plupart des politiques et des électeurs s'en moquent.
Que les deux vieux partis, socialiste et libéral-conservateur, largement majoritaires aux niveaux municipal, départemental et régional, s'effondrent totalement au niveau national : 6,5% des voix à eux deux.
Que le système présidentiel français est basé sur une bataille d'ego bien plus que d'idées, une affaire de showmen ou de showwomen. Y triomphent les bateleurs, les forts en gueule, celles et ceux qui savent doser leurs coups de colère, leurs clins d'œil et leurs sourires.
Que des électeurs de la gauche radicale se disent prêts à voter pour l'extrême droite quand d'autres ont l'intention de s'abstenir, incapables de distinguer un démocrate d'une ennemie de la démocratie. Qu'on se demande alors quel sens de l'intérêt collectif ils peuvent avoir.
Que le fond de l'air est frais et qu'y traîne une odeur d'égout. 

Post-scriptum (16 avril) : un constat à partir de la réflexion d'un intervenant de l'émission de débat de ce midi sur France Inter : les quatre candidats arrivés en tête au premier tour (Macron, Le Pen, Mélenchon, Zemmour) ne sont pas issus de la primaire d'un parti. Ce sont des personnalités qui se sont portées candidates seules, sans en référer à personne, sûres de leur capacité à rassembler sur leur seul nom.

(1) https://www.marianne.net/politique/ecolos/on-sest-fait-siphonner-par-meluch-chez-jadot-le-vote-utile-lfi-ne-passe-pas

vendredi 8 avril 2022

Celle qui rime avec Poutine

Ces derniers jours, de nombreux médias laissent entendre que ce pourrait être son heure. Et si c'était elle ?, s'interrogent-ils. Et si la fille à papa forçait la porte de l'Elysée, portée au pouvoir par l'inflation et sa campagne axée sur le pouvoir d'achat ? La candidature de Zorglub l'a finalement bien servie. On apparaît jamais aussi modéré que quand on est comparé au pire. Pourtant, derrière ses rictus qu'elle déguise en  sourires, le discours n'a pas changé. Le diable s'habille en Pra(v)da.

La Fondation Jean Jaurès le rappelle (1) : Marine Le Pen rejette régulièrement « le multiculturalisme », considérant que « l’immigration massive empêche l’assimilation ». Sur le plan migratoire, son programme s’est « durci » depuis 2010, selon la fondation. Comme Zemmour, elle veut expulser les clandestins, les criminels et délinquants étrangers, les « fichés S » étrangers, ainsi que les étrangers sans emploi depuis plus d’un an. Elle veut supprimer le droit du sol et l' « l'acquisition systématique de la nationalité par le mariage », elle entend restreindre la naturalisation et l'inscription dans la Constitution des circonstances pouvant conduire au retrait ou à la déchéance de la nationalité. Elle veut inscrire dans la Constitution, par un référendum, la « priorité nationale » et la supériorité du droit français sur le droit international (par exemple, donner accès aux logements sociaux et étudiants en priorité aux Français). Elle souhaite interdire les régularisations d'étrangers en situation irrégulière, permettre leur expulsion systématique, de même que celle des étrangers condamnés. Enfin elle ambitionne de pénaliser la présence et l'entrée illégales sur le territoire. 
Elle veut aussi augmenter le nombre de places en prison, rétablir les peines planchers, supprimer les aménagements de peine, instaurer une présomption de légitime défense pour les policiers et les gendarmes.
Sur le plan environnemental, elle soutient le nucléaire contre le renouvelable en construisant trois nouveaux réacteurs EPR et en stoppant tout nouveau projet éolien et solaire. Elle veut aussi réautoriser les produits phytosanitaires.
Au niveau européen, Marine Le Pen compte renégocier les accords de Schengen, rétablir un contrôle aux frontières tout en maintenant des procédures simplifiées pour les ressortissants des Etats de l'Union européenne. Elle veut affirmer la supériorité des lois françaises sur les lois européennes. Elle n'envisage plus de quitter l'Union européenne, mais elle compte « remettre à sa place » cette « structure supranationale illégitime ». Ce qui revient clairement à contester un des fondements de l'Union européenne.
Enfin, elle veut privatiser l'audiovisuel public. (2)

La première mesure qu’elle prendra, si elle est présidente, sera de soumettre par référendum un projet de loi, déjà rédigé, sur l’immigration et l’identité, et dont découle sa politique. "Elle compte, par ce référendum, vider de son contenu une partie du préambule de la Constitution de 1946 et modifier au moins six articles de la Constitution de 1958. Pour ce faire, elle entend s’appuyer sur l’article 11 de la Constitution, qui ne vise pourtant pas les révisions constitutionnelles. « Ce que Marine Le Pen propose, c’est une sorte de coup d’Etat ! », s’est notamment indigné récemment le constitutionnaliste Dominique Rousseau, dans un article du Monde consacré au programme de la candidate du RN." (1)
Bref, Jean-Marie peut être fier de Marine : elle assure la continuité de son projet d'extrême droite.

Elle s'est réjouie, il y a quelques jours, de la nouvelle victoire de son ami hongrois, l'illibéral Orban. Et c'est bien ce type de régime qu'elle défend : une situation qui a les apparences de la démocratie mais dans laquelle l’indépendance de la justice est aussi malmenée que la liberté de la presse et où les citoyens ne bénéficient pas d’un traitement égalitaire face à la loi, ni de protections suffisantes face à l’État ou à des acteurs privés.
Il y a quelques semaines encore, elle était très fière d'afficher sa proximité avec le président russe Poutine. Le début de la guerre en Ukraine a obligé son parti à mettre rapidement à la poubelle 1,2 million d'exemplaires d'un document électoral de huit pages où figurait une photo d'elle serrant la main de Poutine le sanglant. Dans la rubrique "une femme de conviction". Elle a longtemps été fascinée (et le reste sans doute, mais n'ose plus l'exprimer) par ce régime autocratique, répressif et manipulateur (3). En 2014, elle déclarait que l'annexion de la Crimée par la Russie n'était pas illégale. Aujourd'hui, elle est prudente concernant le massacre de Boutcha, "n’excluant pas l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’un crime de guerre commis par des Ukrainiens" (4). Elle condamne la guerre, mais, dit-elle comme pour l'excuser dans un alignement total avec les propos de Vladimir Poutine, “qu’on le veuille ou non, l’Ukraine appartient à la sphère d’influence russe”. Le 23 mars dernier, Volodymyr Zelensky s'est adressé aux députés français. Marine Le Pen avait annoncé qu'elle n'assisterait pas à la séance à l'Assemblée nationale et qu'elle n'avait pas d'admiration particulière pour le président ukrainien. Elle est venue quand même, se reprenant, dansant d'un pied sur l'autre, après avoir "réussi à bouleverser (son) agenda". (5) Visiblement, son agenda est plus bouleversé qu'elle par cette guerre. Comment une fan de Poutine peut-elle susciter tant d'adhésion ?

Avec la fille à papa, la France se trumpiserait. Elle se replierait sur elle-même et participerait plus encore, après Trump, avec Orban, Poutine, Bolsonaro, Erdogan et d'autres, au déséquilibre du monde, à la montée en force des démocratures, à l'affaiblissement des libertés individuelles, à l'augmentation du nationalisme (on voit à quelles dérives meurtrières il mène) et du racisme.

(1) https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/04/presidentielle-2022-le-discours-de-marine-le-pen-est-plus-police-mais-son-programme-tout-aussi-radical-sur-le-fond-selon-la-fondation-jean-jaures_6120499_6059010.html
(2) https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/03/31/presidentielle-2022-derriere-la-normalisation-de-marine-le-pen-un-projet-qui-reste-d-extreme-droite_6119942_6059010.html
https://www.huffingtonpost.fr/entry/marine-le-pen-malgre-la-dediabolisation-reste-dextreme-droite_fr_624dc457e4b0d8266ab45e3d
(3) https://www.nouvelobs.com/edito/20220330.OBS56394/poutine-et-ses-idiots-utiles.html
(4) https://www.huffingtonpost.fr/entry/marine-le-pen-et-eric-zemmour-prudents-sur-boutcha-et-la-responsabilite-russe_fr_624bf4b1e4b007d3845a579c
(5) France Inter, 23.3.2022, Journal de 13h.

jeudi 7 avril 2022

C'est quoi ce pays ?

C'est quoi ce pays dont, d'après les sondages, un tiers de la population est prêt à voter pour l'extrême droite au premier tour de l'élection présidentielle et la moitié au second ? Ce pays où les affiches du RN-ex-FN ne sont même plus arrachées ou taguées ? Où l'extrême droite est partout sans que plus personne ne s'en offusque ?
C'est quoi ce pays où un candidat, journaliste ouvertement raciste et condamné pour cela, séduit plus de dix pour cent des électeurs et peut cracher régulièrement à la télé son fiel sur les étrangers, sur les femmes, sur ses ex-confrères et en réécrivant l'histoire ?
C'est quoi ce pays où des électeurs de la gauche radicale annoncent que si leur champion n'est pas au second tour ils voteront pour l'extrême droite ou s'abstiendront, se lavant les mains d'une possible victoire de celle-ci avec tout ce que cela impliquerait comme dégâts pour les étrangers, les homosexuels, les femmes, la culture, l'action sociale ? Si leur candidat n'accède pas au second tour, peu leur chaut qu'arrive le pire. Etrange conception de l'intérêt collectif pour des gens de gauche.
C'est quoi ce pays où le verbe est roi dont le président candidat à sa succession refuse par arrogance de débattre avec ses adversaires ?
C'est quoi ce pays où l'écologie et la lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas un souci, où les discours populistes l'emportent et où la notion de nuance semble avoir disparu ?
C'est quoi ce pays où  de très nombreux électeurs annoncent qu'ils n'iront pas voter parce que les élections ne changent rien, mais qui descendent dans la rue parce qu'ils ne veulent pas du changement ? C'est quoi ce grand pays qui se croit révolutionnaire mais est très conservateur ?

C'est un pays de grogne, un pays de râleurs - ses habitants en conviennent volontiers. "Il y a toujours un ressenti négatif d'une partie de la population. Ce qui est assez spécifique à la France, si on la compare aux pays voisins", estime Richard Werly, correspondant en France du quotidien suisse Le Temps. (1). Il constate un "pessimisme permanent qui règne sur la France : trop de gens ne se voient plus capables d'être acteurs de l'avenir du pays". C'est un pays qui s'enflamme régulièrement, contre le mariage homosexuel, contre les écotaxes, contre l'augmentation du prix de l'essence. Jamais contre l'indigence des mesures gouvernementales pour éviter que l'humanité ne disparaisse à cause du réchauffement climatique. "Ces colères n'ont pas d'objectif désigné. Certes, Emmanuel Macron n'est pas aimé par une partie des gens, mais il n'est pas responsable de toutes les difficultés ressenties. La colère est donc d'autant plus forte que les gens qui la ressentent ne savent pas vers qui se tourner", écrit encore Richard Werly.
C'est un pays où on se fait face sans beaucoup se parler. Vu d'Allemagne, on est surpris de voir le président Macron tenir une conférence de presse de quatre heures dix pour exposer son programme. Il a fallu attendre une heure trente-cinq avant qu'un journaliste puisse poser une première question. "C'est comme ça, à l'école aussi l'enseignement est frontal", constate en haussant les épaules une journaliste allemande qui connaît bien la France. (2) En témoignent les meetings électoraux dont est le plus souvent absente l'idée même d'équipe : un homme ou une femme seul-e face à la foule.
C'est un pays de clivage, ainsi le veut le système présidentiel, unique en son genre en Europe. "Le système français confère au président (...) davantage de pouvoir qu'à n'importe quel autre chef d'Etat ou de gouvernement occidental", écrit Matthias Krupa dans Die Zeit (2). Pour en sortir, il faudrait changer le système électoral, mais qui le veut ? Le président est un bouc émissaire idéal, dont on attend tout et son contraire : être au-dessus de la mêlée et faire preuve d'empathie, voir loin et être au plus près de ses citoyens, être un pater familias et un homme à tout faire. Mais retirer au président son super pouvoir serait s'attaquer aux fondements de la République et passer à un système à un tour avec des majorités composites, comme dans la majorité des autres démocraties, obligerait à des compromis honnis. Les Français, on l'assez dit ici, adorent élire leur roi et le décapiter le lendemain. Sarkozy s'est fait dégager après un mandat, Hollande n'a même pas osé se représenter, Macron sera-t-il éjecté au profit de celle dont le prénom rime avec Poutine ? On n'ose croire que ça puisse arriver dans ce pays qu'on aime autant qu'il nous effraye. Celui des droits de l'homme et du citoyen.

(1)  Le Courrier international, 7.4.2022.
(2) "Stop aux cours magistraux, on veut participer !", Die Zeit (Hambourg), 24.3.2022, in Le Courrier international, 7.4.2022.

dimanche 3 avril 2022

Relire Anna Politkovskaïa

Comment avons-nous pu, depuis tant d'années, ignorer la malfaisance d'un Poutine ? Comment avons-nous pu dialoguer avec lui comme s'il était démocrate ? Comment a-t-il pu être un modèle pour certains leaders occidentaux ? Pourquoi avons-nous fermé les yeux, pourquoi n'avons-nous pas écouté les démocrates russes, celles et ceux qui, au péril de leur vie, ont osé dénoncer la guerre que menait le pouvoir russe à la Tchétchénie, à la Géorgie, aux démocrates syriens, à la population du Donbass ?
Aujourd'hui,  Novaïa Gazeta, menacée par le pouvoir russe, se voit forcée de suspendre ses publications. "Il faut que nous nous protégions les uns les autres," estime son rédacteur en chef Dmitri Mouratov, prix Nobel de la Paix 2021. "Nous avons essayé de comprendre comment notre peuple a laissé faire deux guerres à la fois : l'une, de conquête, en Ukraine, et une autre, presque civile, chez nous, en Russie."

Pour essayer de comprendre, relisons une des grandes plumes de Novaïa Gazeta : Anna Politkovskaïa, assassinée par le pouvoir russe en 2006.

"Après un bref interlude eltsinien, la Russie, amputée des républiques sœurs de l'URSS, sentit qu'elle n'était pas capable de vivre confortablement sans traditions ni ambitions impériales. Elle eut besoin d'un petit et d'un méchant pour pouvoir se sentir grande et importante. La joie orgasmique d'être une puissance se nourrit de l'écrasement, de l'humiliation de l'autre, que l'on peut piétiner en toute impunité. Le principe est simple : ici, c'est la zone de résidence pour les méchants qu'il faut rééduquer, et là, par rapport à cet enfer, le reste du territoire russe, où vivent les bons, semble un paradis.
Telle est la nature de notre patriotisme néo-impérial et néo-soviétique - embrassé par Poutine et par toute la verticale du pouvoir. Aujourd'hui, la plupart de nos gouverneurs sont des mini-Poutine qui parlent de l'Etat fort et du patriotisme et fustigent les ennemis de l'Etat.
Cela semble irrationnel. Pourtant, cela donne des fruits tout à fait rationnels et tangibles, comme une cote de popularité assez élevée pour les autorités, et Poutine en particulier. Car nous aimons bien trouver une léger voile de passion imprévisible chez nos chefs. Peu importe qu'il recouvre les dessous cyniques et sanglants, peu importe les conséquences. Chez nous, on ne pense qu'à la jouissance immédiate. C'est pourquoi nos chefs n'ont pas de vision à long terme et ne brillent pas par leur intelligence. Poutine ne fait pas exception. Le mythe de son intelligence satanique n'est qu'une campagne de publicité à destination de l'Occident. Et je suppose que l'Europe et les Etats-Unis l'apprivoisent, non pour son intelligence et sa perspicacité, mais uniquement pour sa capacité à contenir la Russie dans des limites qui leur conviennent, sans se soucier des moyens utilisés par le pouvoir russe.
En fait, l'Occident ne se donne pas la peine de réfléchir au prix du phénomène Poutine : aux droits de l'homme en Tchétchénie qui font partie de ce prix, à la justice sommaire devenue la norme en Russie, à la possibilité même de l'existence d'un ghetto dans l'Europe du XXIe siècle...  "

" Je n'aime pas Poutine, parce que, pour s'asseoir sur le trône et régner en maître (et avoir toujours de bons sondages), il a encouragé la gangrène morale de la Russie."

"Je n'aime pas le président de mon pays parce qu'il a joué (et continue de jouer) avec mon pays à des jeux idéologiques dangereux. 
Le premier jeu, probablement le plus dangereux, porte le vieux nom de racisme. (...) Il ne fait aucun doute qu'en Russie, pays éternellement occupé à trouver des ennemis intérieurs responsables de tous ses malheurs, ce jeu est très profitable en termes de popularité. C'est ce même mécanisme qui explique la montée en flèche récente de la popularité de Jean-Marie Le Pen en France. Ici et là, on fait appel aux bas instincts de la foule..."

"Poutine a, en public, un comportement réservé et convenable, comme il se doit pour un homme d'Etat, mais, malgré ses paroles polies, il se comporte mal. Ce mélange d'hypocrisie et de mensonges qu'on présente pour leur contraire est typiquement soviétique."

Voici donc quelques extraits - d'autres auraient pu être cités - de "Tchétchénie, le déshonneur russe" d'Anna Politkovskaïa (Folio Documents). Ce texte, dans sa version française, date de 2003. Voilà près de vingt ans que nous sommes restés sourds à la voix courageuse d'Anna Politkovskaïa. Est-elle morte pour rien ?