samedi 31 janvier 2015

Le sens de la famille

Près d'un Français sur trois a fait un choix cohérent. Selon un récent sondage, s'il devait aujourd'hui se choisir un nouveau président, ce serait une présidente. Quelqu'un qui est en parfait accord avec son programme qui se résume au bon vieux temps. On l'a compris, il s'agit de la fille à papa Le Pen, présidente d'un parti clanique. Celui de sa famille. Quoi de plus cohérent qu'une famille qui se partage un parti quand celui-ci voudrait en revenir au Moyen-Age? Les nobles ont toujours fonctionné de la sorte, se distribuant postes et pouvoir au sein de la famille. Les dictateurs en ont fait et en font tout autant. On comprend que la fille à papa a parfaitement raison quand elle affirme que son parti est très différent des autres. 
Résumons nous: Marine a hérité du parti de papa. Celui-ci, Jean-Marie, en est aujourd'hui le président d'honneur (ou de déshonneur, on ne sait plus très bien, tant la moindre de ses déclarations ressemble à un pet tonitruant et nauséabond). La nièce de Marine, Marion Maréchal - Le Pen, en est députée. Bon sang ne peut mentir: elle a, quand elle s'exprime, autant de délicatesse et de sens de la nuance que son grand-père (1). Louis Aliot, le compagnon de Marine, en est l'assistant parlementaire et le vice-président du parti (2). Yann, autre fille à papa, sœur de Marine donc et mère de Marion M.L.P., est "chargée de l'organisation des plus grands événements" au F.N. (3). On retrouve aussi, dans ce jeu des 7 familles qui n'en est qu'une, Marie-Caroline Le Pen, autre fille à papa et donc sœur des deux autres, qui n'est plus militante au F.N., mais "dirige National Vidéo qui produit les cassettes vidéo du Front national (4)". On voit par là que les cotisations des militants du F.N. et les subventions publiques que celui-ci perçoit servent, pour une part non négligeable, à faire vivre le clan.
Donc, ce parti n'est - en effet - pas comme les autres. Il l'a d'ailleurs encore prouvé lors des rassemblements de soutien à Charlie Hebdo le 11 janvier dernier, manifestant sur ses terres, à Beaucaire, se désolidarisant ainsi du reste du pays. On le comprend: quand on est habitué à fonctionner en famille, c'est difficile de se mélanger à d'autres. Et à n'importe qui. Surtout quand on ne l'est pas.
Marine Le Pen avait un grand projet en prenant le relais de son cher papa avec qui elle semble jouer un jeu d'amour-haine: banaliser le FN. Visiblement, elle y arrive puisque une majorité de Français considère que ce parti est un parti comme les autres. Ce qui ne fait pas son affaire, puisqu'elle ne cesse de dire qu'il est différent des autres. Et on voit bien, en effet, qu'il l'est. Quoique, tout aussi visiblement, il semble aussi empêtré dans les querelles internes et les affaires que certains autres partis. On le sait depuis un moment (5), le micro-parti de la fille à papa, "Jeanne", est soupçonné d'avoir joué un rôle plus financier que politique. Voilà aujourd'hui que Frédéric Chatillon "ami" de Marine Le Pen, en charge de sa communication, est mis en examen pour "escroquerie", "faux et usages de faux" et "abus de biens sociaux". Un système de prêt aux candidats du FN et de surfacturation d'outils de campagne aurait permis d'apporter dix millions d'euros à ce micro-parti de la présidente banalisée (6).
Que comprendre de tout cela? Qu'il est très difficile de se banaliser quand on veut être différent des autres. Et inversement. 
On voit aussi qu'un Français sur trois est prêt à voter pour soutenir une famille anti-système qui a tout mis en place pour profiter au maximum de celui-ci.

(1) www.lalibre.be/actu/international/marion-marechal-le-pen-a-un-journaliste-franchement-c-est-minable-on-va-vous-avoir-54ca113e35700d752244725f
(2) selon sa fiche Wikipedia.
(3) La famille Addams Le Pen, le Canard enchaîné, 28 janvier 2015.
(4) selon sa fiche Wikipedia.
(5) lire, sur ce blog, "Pauvre petite fille riche", 17 avril 2014.
(6) www.liberation.fr/politiques/2015/01/30/au-fn-des-boulets-en-batterie_1192463

A (re)lire aussi, sur ce blog (parmi tant d'autres) "Difficultés de la filiation", 27 février 2012 et "Vieilles marmites", 16 janvier 2012.

jeudi 29 janvier 2015

Le devoir de penser

Chaque jour dans le monde, des gens sont menacés, agressés, emprisonnés, torturés ou même tués pour avoir commis un crime horrible: s'être déclarés athées.
En Egypte, l'athéisme est une attitude quasiment interdite. "La révolution nous a apporté la liberté, dit un homme âgé, mais ce n'est pas parce qu'on accepte la liberté qu'on doit accepter l'athéisme." (1) Un jeune homme, après avoir dénoncé dans une émission la violence inhérente à l'islam, a été agressé. Voulant porter plainte auprès de policiers, il a été tabassé par ceux-ci. Depuis lors, il a été licencié et a dû déménager plusieurs fois. Un étudiant égyptien a été condamné à trois ans de prison pour insulte à l'islam. Ne pas croire croire en Dieu, c'est insulter l'islam. On voit par là que le crime de blasphème n'a strictement aucun sens. On est toujours, que l'on croit ou non en un dieu quelconque, le blasphémateur de quelqu'un d'autre. "L'athéisme est un danger pour l'individu et pour la société égyptienne", affirme un imam qui défend sa boutique et croit que les athées diffusent "une pensée retorse" qui n'apporte rien ni à la société ni aux athées. Et aux croyants ne leur apporte-t-elle pas une occasion de voir les choses autrement ? On aimerait le croire.
La jeune avocate Shaïmaa al Sabbagh, figure de la gauche laïque, a été abattue samedi au Caire alors qu'elle voulait déposer des fleurs au pied du monument commémorant les martyrs de la révolution (2). Difficile de savoir si elle a été expressément visée par les tirs de la police (ou d'une milice?) pour ses convictions. Mais cette jeune femme de 31 ans, mère de deux ans, était bien connue pour son franc parler et ses positions claires et courageuses.

Tous ceux, ici comme ailleurs, qui critiquent les caricatures du Prophète et la dernière une de Charlie Hebdo apportent de l'eau au moulin des censeurs et des agresseurs d'athées, à celui des prédicateurs de haine. Plus ceux-ci feront plier de gens devant leurs ukases, plus ils se montreront exigeants, menaçants et violents. Ici comme ailleurs. Pourquoi les religions, qui insultent les athées, devraient-elles seules être respectées? Donc, que les esprits politiquement corrects (et donc mal pensants) cessent leurs appels à ne pas se moquer. Ces frileux compatissants se rangent du côté de la violence, qu'ils le veuillent ou non. Mais avec qui compatissent-ils? Avec les tenants d'une idée qu'on n'aurait pas le droit de critiquer?

"J'ai été choqué par les manifestations anti-Charlie Hebdo qui ont eu lieu au Niger, au Sénégal, ainsi que dans mon pays d'origine, l'Algérie", dit Abdel Merah (frère aîné de Mohamed). "Ce sont ces fous qui se prétendent envoyés par Dieu qui salissent l'islam à mes yeux, et pas Charlie Hebdo. J'ai grandi avec Cabu et ces humoristes qui rient de tout! Je n'étais pas d'accord avec tous leurs dessins, en particulier avec les caricatures danoises (...), mais j'ai de la peine, beaucoup de peine." (3) Le jeune homme appelle chacun à rester maître de son cerveau et l'islam à former ses imams. "Les prédicateurs sont toujours à l'œuvre dans la plupart des quartiers, on les voit lancer leurs messages de haine et de mort. Ils ont fait basse sur nos jeunes, nos petits frères, nos enfants. Ils cherchent à endoctriner les plus faibles, en leur servant un prêt-à-penser qui fait mouche. Pour contrer ces prédicateurs, il faudrait de vrais imams bien formés. J'aimerais que tous les Maghrébins et que tous les musulmans, comme moi, au lieu de se soulever contre les caricatures, se soulèvent contre ces fous de Dieu."

De nombreux laïcs issu du monde islamique ont signé un appel à une double réforme: religieuse de l'islam et politique des pays musulmans. Non, disent-ils, la guerre menée par les islamistes n'est pas étrangère à l'islam et certains passages du Coran devraient être mis à l'index, tels que la sourate 9, verset 5, qui dit: "tuez les infidèles où que vous les trouviez". Il faut, estime Ghaleb Bencheick, islamologue franco-algérien, "prêcher que tel ou tel passage martial, violent, que ses incidences politiques et morales sont inacceptables, inapplicables" (5). Il attend des imams qu'ils déclarent que certains extraits du Coran sont "attentatoires à la dignité humaine et anti-humanistes".
Il faut exclure la loi coranique du droit des Etats, affirme l'historienne franco-tunisienne Sophie Bessis (5). Il faut investir dans l'éducation, dans la culture, "des chantiers laissés en friche par les dictatures arabes qui ont une responsabilité écrasante dans la permanence de cette normativité religieuse dont ils se sont servi." 

Résumons-nous: ne plions pas les genoux.

Téméraire!
On devient sacrilège alors qu'on délibère.
Loin de moi les mortels assez audacieux
Pour juger par eux-mêmes,
et pour voir par leurs yeux.
Quiconque ose penser n'est pas né pour me croire:
Obéir en silence est votre seule gloire.

Voltaire: Le fanatisme ou Mahomet le Prophète, éd. Mille et une nuits, n° 506.

(1) Arte Journal, 27 janvier 2015, 19h45.
(2) www.lefigaro.fr/international/2015/01/25/01003-20150125ARTFIG00255-egypte-shaimaa-al-sabbagh-icone-d-une-revolution-assassinee.php
www.huffingtonpost.fr/2015/01/26/revolution-egyptienne-mort-photo-militante-shaimaa-alsabbagh-boulverse-reseaux-sociaux_n_6545060.html
(3) "J'ai beaucoup de peine", Télérama, 28 janvier 2015.
(4) Arte Journal, 28 janvier 2015, 19h45.

mardi 27 janvier 2015

Comprendre (essayer de)

Les massacres perpétrés au siège de Charlie Hebdo et dans une épicerie casher ne cessent de susciter commentaires et analyses. Pour détourner tant de jeunes de la tentation djihadiste, il faut sortir les banlieues du désespoir. Les monumentales (c'est le cas de le dire) erreurs architecturales et urbanistiques commises dans les années '60-'70, le chômage endémique, les discriminations à l'embauche, les trafics qui permettent à des jeunes de gagner en une journée autant que ce que gagnent leurs parents en un mois, toutes ces causes doivent être combattues fermement et des moyens doivent être mobilisés pour ce faire. Mais elles n'expliquent pas tout. On aimerait bien que les choses soient simples à comprendre. Elles ne le sont jamais. Il faut donc entrer dans leur complexité. C'est fatigant.

Les djihadistes occidentaux ne sont pas tous - loin s'en faut - des jeunes qui peuvent prétendre avoir été rejetés par la société. "On a vu récemment que des profils très différents étaient concernés par les départs en Syrie, dit Philippe Faucon, réalisateur du film La Désintégration, et ne correspondaient pas forcément à ce portrait habituellement fait du djihadisme français: Jeunes issus de l'immigration en pertes de repères. (0)"
Dans la région de Montargis, deux frères sont partis faire le djihad. Leur entourage se dit sidéré. L'un était étudiant, l'autre vendeur dans une boutique (1). Hayat Boumeddiene, la compagne d'Amedy Coulibaly, avait un emploi. Sur des photos, on peut, paraît-il, les voir tous deux en vacances, elle en bikini, "elle a les cheveux lâchés et des lunettes de starlette" (2). Ce qui ne l'empêchera pas de revêtir, peu après, le niqab, le voile intégral des salafistes. Les frères Belhoucine, qui ont emmené Hayat Boumeddiene en Syrie juste avant les crimes commis par Coulibaly, semblaient eux aussi "intégrés". Mohamed, l'aîné, avait accédé aux études supérieures (l'Ecole des Mines où il a choisi comme thème de recherche, en première année, "la correction de la trajectoire d'un missile"!)  et, après avoir flirté avec l'islamisme, était employé par la mairie d'Aulnay-sous-Bois, où il aidait les jeunes en difficulté scolaire. Son frère Mehdi était, dit-on, un "étudiant brillant" (3).

Les frères Kouachi ont commis le lâche massacre de Charlie Hebdo pour venger le Prophète, ont-ils déclaré. Est-ce en son nom que Chérif Kouachi visionnait et stockait sur son ordinateur des images pédopornographiques très violentes (4)?
Il y a aussi tous ces jeunes, très croyants, voire dévots, choqués par les caricatures du Prophète qui estiment que "il n'y a rien de pire qu'être athée". C'est même pire, visiblement, que "délinquant et trafiquant de drogue", comme ils se présentent eux-mêmes (5). On s'interroge sur leurs valeurs, sur leurs notions de bien et de mal.
Mais les musulmans, les vrais, n'ont rien, mais alors rien du tout, à voir avec ces dérives radicales et violentes. "Fréquenter une mosquée, ce n'est pas se radicaliser, affirme l'imam de Montigny-les-Corneilles (Val d'Oise), c'est exactement le contraire: c'est apprendre, connaître, s'élever. (6)". Il a cependant dû quitter Cergy-Pontoise "où la communauté des fidèles était, dit-il, sous l'influence rétrograde de l'Arabie saoudite, on lui reprochait  ses opinions différentes, et notamment de donner trop de place à la femme dans ses prêches. La femme est une honte pour eux, dit-il." On croit donc pouvoir comprendre que toutes les mosquées n'aident pas à comprendre, à connaître et à s'élever. 

L'Arabie saoudite, parlons-en: "Le jour où les pays occidentaux arrêteront d'entretenir des liens  avec l'Arabie saoudite ou le Qatar, ils auront une crédibilité à mes yeux", affirme le journaliste (français et vivant en Algérie) Kamel Haddar. Qui vend des armes à Daech? Qui a financé le terrorisme au Nigéria, au Moyen-Orient? Les terroristes se nourrissent au sein des wahhabites. Que les pays occidentaux en tirent les conséquences. (7)." Et qui a été, ces derniers jours, se recueillir devant la dépouille du roi saoudien Abdallah? La plupart des chefs d'Etat qui entendent faire la guerre à Daech, à Boko Haram et au radicalisme islamique (8). "Comment pouvons-nous continuer à considérer l'Arabie saoudite comme un pays ami?, demande Hind Meddeb, alors qu'elle rémunère depuis les années 1960 des prêcheurs qui vident l'islam de sa spiritualité et réduisent le Coran à un un mini-kit halal/haram de lois à respecter, au mépris de sa civilisation et de son histoire? (9)"

De toute façon, ces attentats sont des complots des services secrets français ou des Américains ou des Juifs ou de tous ceux-là ensemble, laissent entendre sur Internet (qui n'en demande pas tant) des fous furieux qui ont tout compris et vomissent leur bêtise, semblant oublier (ou ne pas vouloir voir) qui sont les victimes.
"Il y a ce point commun entre Mohamed Merah, Mehdi Nemmouche, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly, dit encore Philippe Faucon, c'est la haine à l'encontre d'Israël, généralisée à tous les juifs. Le ressentiment de chacun vis-à-vis de la société française ayant été probablement récupéré, exacerbé, téléguidé de façon meurtrière, pour des motifs géostratégiques. (0)"
Si le conflit israélo-palestinien trouvait enfin une solution, tout le monde se calmerait, entend-on dire. On ne demande que cela. Ce qui ne semble pas être la position de nombreux protagonistes. Là-bas comme ici. Chaque fois qu'Israël repart en guerre contre les Palestiniens, on déplore les agressions dont les Juifs sont victimes dans nos pays, de la part de gens qui confondent Juifs, Israéliens et  gouvernement israélien. Mais qui vient en France consoler des Juifs qui ont perdu des proches? Le premier ministre israélien. Et il en profite pour inviter les Juifs de France à s'exiler dans son pays, où ils seront mieux protégés. Où les accueillera-t-il? Selon toute probabilité, dans de nouvelles colonies de peuplement, créées sur des terres volées aux Palestiniens. On voit par là que l'attitude de Nethanyaou n'aide pas plus que les actes violents des djihadistes à trouver une solution à ce conflit qui serait, nous dit-on, à la base de tant d'autres à travers la planète.

On le voit, le monde n'est pas facile à comprendre. Nous ne sommes ni dans "La Guerre des étoiles" ni dans Tintin. Il n'y a pas les bons et les méchants, il y a plein de gens gris, flous, incohérents et la compréhension réclame un certain sens de la nuance. Reste qu'il est tellement plus facile de s'envoyer à la tête des clichés, des injures, des imprécations, des explications simplistes et des solutions toutes faites. 
Résumons-nous: rien n'est simple.

(0) Il n'y a pas de profils types, L'Obs, 22 janvier 2015.
(1) France 3 Centre, Journal, 22 janvier 2015, 19h.
(2) La fugitive, L'Obs, 22 janvier 2015.
(3) Ses complices de l'ombre, L'Obs, 22 janvier 2015.
(4) Comment Chérif Kouachi s'est rendu invisible, L'Obs, 22 janvier 2015.
(5) Des banlieues divisées, The Daily Beast (N.Y.), 13 janvier 2015, in Le Courrier International, 22 janvier 2015.
(6) La journée d'un imam du "juste milieu", L'Obs, 22 janvier 2015.
(7) J'étais un sale Arabe, mais je suis français, L'Orient-Le Jour (Beyrouth), 16 janvier 2015, in Le Courrier International, 22 janvier 2015.
(8) http://deredactie.be/cm/vrtnieuws.francais/Politique/1.2220151
(9) "C'est à l'Islam de s'adapter à l'Europe", L'Obs, 22 janvier 2015.

Sur l'Arabie saoudite, écouter (et voir!) l'excellent billet de Sophia Aram hier matin sur France Inter:
www.huffingtonpost.fr/2015/01/26/sophia-aram-burqa-france-inter-replay-video-abdallah-arabie-saoudite_n_6544970.html?utm_hp_ref=france

dimanche 25 janvier 2015

Les djihadistes du Standard

L'apostasie existe aussi dans le milieu du football. Le joueur qui a le culot de changer d'équipe ne mérite rien d'autre que la mort, estiment de nombreux supporters du Standard de Liège, à travers des calicots inspirés des pratiques et des images des djihadistes (1).
Si on ferme des cinémas, des salles de spectacle et d'expos par crainte d'attentats, qu'attend-on pour fermer ces stades de foot qui puent la haine et la violence?

(1) www.lesoir.be/767600/article/sports/football/2015-01-25/supporters-du-standard-accueillent-defour-par-une-mise-mort-photos
www.lesoir.be/767725/article/debats/editos/2015-01-25/standard-anderlecht-pire-du-football-belge-en-90-minutes

Quitter les clichés

Ce qui mine les débats sur les attentats qu'a connus la France, c'est la généralisation. On dit les musulmans, les juifs, les Français, les journalistes, les politiques. C'est trop souvent le même sac qui est utilisé pour y fourrer tous ceux qui, vus de l'extérieur, ont l'air semblable. Pour certains, tous les blancs sont forcément chrétiens; pour d'autres, tous les journalistes mentent; pour d'autres encore, la communauté musulmane n'a strictement rien à voir avec ce qui s'est passé ou est au contraire responsable de tout. "Charlie, c'est pour les chrétiens", dit un gamin à son copain (1), ignorant que depuis sa création l'hebdomadaire a bouffé du curé bien plus que de l'imam.  "Tous les musulmans sont responsables", lancent des irresponsables d'extrême droite. C'est tellement pratique de pouvoir comprendre que les uns sont comme ceci, les autres comme cela. Les clichés sont censés aider à maîtriser une situation qui est en réalité extrêmement complexe. Les premiers à faire des amalgames avec les autres sont parfois ceux qui les dénoncent quand ils en sont victimes. L'ignorance est la mère de l'incompréhension qui elle-même s'alimente de rumeurs, de stigmatisations, de manque de recul et de réflexion.
D'où - on ne cesse de le dire et il semble que le Gouvernement français ait décidé d'investir dans le secteur - la nécessité de soutenir l'éducation et les enseignants. L'éducation permanente devrait également jouer son rôle, tant ces problèmes ne sont pas l'apanage des jeunes. Ils sont nombreux les adultes à qui on ne la fait pas et qui se la jouent Café du Commerce avec le premier copain croisé.
Il est temps d'équiper les enseignants, les éducateurs, les animateurs d'outils qui permettent de faire la part des choses entre science et croyance, entre critique des idées et attaques de personnes, entre humour et haine, entre travail journalistique et diffusion d'opinions et de rumeurs.
Il faut, disait une enseignante (2), que certains jeunes découvrent les gens qui vivent autour d'eux. On peut espérer la même ouverture de quantité d'adultes. Mais les amalgames sont confortables, les théories du complot fascinantes et l'auto-critique fatigante. On voit par là qu'il vaut mieux penser que croire.

(1) L'école de la désunion, L'Obs, 22 janvier 2015.
(2) France Musique, 13 janvier 2015, vers 8h15.

samedi 24 janvier 2015

Sans José Artur

"Je suis un vivant presque incurable", disait-il. Il est cependant mort ce matin, même s'il aurait préféré que ce fût la nuit dernière: "si je meure un jour, j'aimerais que ce soit une nuit", avait-t-il écrit. Le voilà affaire classée: "Pour Dieu, chaque être qui meurt est une affaire classée". Mais ils n'étaient pas proches tous deux: "Galilée à genoux, Salman Rushdie mort vivant... je ne suis pas fou de Dieu en ce moment." Beaucoup de ses réflexions restent, hélas, d'actualité", telles que celles-ci: "La bêtise est aussi dangereuse en temps de paix que l'étaient les nazis pendant la guerre" ou encore "Le vrai mystère de la religion: il y a des gens pour la pratiquer".
José Artur était la radio. 
"Aujourd'hui, il fait un temps à faire autre chose."

(Citations extraites de Les Pensées, José Arthur, Le Cherche-midi éditeur, 1993.

vendredi 23 janvier 2015

Quand j'entends le mot culture

Ceux qui croient et ne pensent pas veulent qu'on en fasse autant. Qu'on arrête de réfléchir, de voir le monde autrement, de se parler, de se rencontrer, d'échanger, de débattre. Les annulations de manifestations culturelles se succèdent, à cause de menaces d'attentats prises au sérieux par la police, en Belgique comme en France. Et ailleurs aussi sans doute.
Voilà qu'à Tournai le Festival Ramdam, excellent festival "du film qui dérange", est annulé deux jours après son ouverture(1) et le complexe cinématographique Imagix qui l'accueille est fermé durant une semaine. Les fous de Dieu (ou de fascisme ou d'eux-mêmes ou de tout cela) gagnent. Ils ont seuls le droit de déranger.
Le Musée Hergé à Louvain-la-Neuve annule son exposition consacrée à Charlie Hebdo. La bibliothèque de Welkenraedt ferme son expo sur la censure vingt-quatre heures après son vernissage (2). A Paris, la pièce de théâtre "Lapidée" n'aura été jouée que trois jours (3). Ailleurs, en France, en Belgique, ce sont des débats, des rencontres, des projections de films qui sont annulés.
C'est toujours à la culture que s'en prennent, d'abord, les fascistes qui ne craignent rien plus que l'intelligence et l'ouverture d'esprit.
Les religieux de tous bords n'ont pas le droit de dire qu'on ne peut tuer, tout en ajoutant qu'on ne peut blasphémer, excusant ainsi certaines violences. Tout est aujourd'hui devenu blasphème pour les fous furieux qui dévoient les religions. Mais les pires blasphémateurs, ce sont eux qui par leurs actes et leurs menaces sont devenus les plus grandes injures qu'on puisse faire à leurs dieux, si ceux-ci sont vraiment des dieux de tolérance et d'amour. Il faudra continuer à le dire haut et fort.
Ceux qui veulent empêcher les rencontres culturelles marchent dans les pas des assassins du chanteur kabyle Lounes Matoub, dans ceux des tueurs de Daech qui ont - monstrueuse lâcheté - massacré treize enfants irakiens coupables d'avoir regardé un match de foot à la télé (4). La même logique de terreur est à l'œuvre.

Ils sont les massacreurs de la vie
Ils n'ont pas le pouvoir, quel saccage déjà!
S'ils l'ont, désolation, chaos, mort!

Hé oui! Nous les voyons se répandre,
Ils ont pénétré les arcanes du pouvoir,
Après avoir changé leur fusil d'épaule.
L'esprit s'asphyxie de son ignorance,
Ils l'asservissent à leur guise,
Jusqu'à la soumission de notre peuple tout entier.

Lounes Matoub: "Lettre ouverte aux...", 1998.

Post-scriptum à propos du Ramdam: ouf! le festival a pu redémarrer ce dimanche 25!
www.lalibre.be/actu/belgique/tournai-le-cinema-imagix-rouvert-le-festival-ramdam-autorise-a-reprendre-54c4b0ea3570af82d50f98f8

(1) www.lalibre.be/culture/cinema/menace-terroriste-au-ramdam-je-regrette-que-les-valeurs-du-festival-soient-attaquees-54c2023c3570af82d50787e6
www.lalibre.be/regions/hainaut/menace-terroriste-le-festival-ramdam-annule-a-tournai-54c1219c3570af82d50488f6

(2) www.rtbf.be/info/regions/detail_auto-censure-d-une-exposition-sur-la-censure-a-welkenraedt?id=8806032
(3) www.lefigaro.fr/theatre/2015/01/21/03003-20150121ARTFIG00387-la-piece-lapidee-reportee-apres-les-attentats-jihadistes.php
(4) www.lalibre.be/actu/international/des-enfants-tues-pour-avoir-regarde-un-match-de-foot-54bf8e4535701f354347d3fc

jeudi 22 janvier 2015

Tiré par les cheveux

Un sourire, dans le ciel noir qui nous recouvre ces dernières semaines: un nom de salon de coiffure à ajouter à ma collection (1): Aur' Kidécoiff. Un salon qui se situe au Dorat (Haute-Vienne), au nom à relire deux fois (au moins) pour le comprendre. Mais tellement dans l'esprit de cet humour typique des coiffeurs.

(1) lire, sur ce blog "Humour de coiffeur (2)", 17 novembre 2014.

mercredi 21 janvier 2015

The times, they are a changin'

Les barbares qui ont massacré l'équipe de Charlie Hebdo ont marqué des points. Et même des poings. Là où on ne s'y attendait pas. Voilà que le si gentil pape François déclare que "si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s'attendre à un coup de poing" (1). Peut-on être rassuré quand on n'est pas un grand ami du pape? Peut-on alors dire ce qu'on veut? On comprend en tout cas qu'on peut répondre par la violence physique à une critique verbale. Le temps du "si on te frappe sur la joue gauche, tends la joue droite" est fini. Ou alors c'était juste des mots. Comme les critiques par rapport aux religions, par exemple. Juste des mots ou des dessins. Pas de quoi fouetter un mécréant. Eh bien si, fini de rire. Pour les religions, la violence est une réponse juste aux critiques ou aux moqueries.
"Pardonnez-moi, écrivait l'an dernier Abnousse Shalmani (dont la famille a dû fuir le régime théocratique iranien), mais le progrès c'est rire de Dieu et surtout de ses légionnaires. Pardonnez-moi, mais rire de ceux qui détiennent le pouvoir séculaire ou le pouvoir religieux, qui maintiennent un carcan au-dessus des têtes craignant que le ciel leur tombe dessus, qui tiennent toutes les couilles entre leurs mains de fer, c'est avoir beaucoup moins peur, c'est être dans le changement. Pardonnez-moi, mais il n'y a aucune raison de s'excuser de rire des religieux, de rire des figures du pouvoir. Aucune. Et même si les locaux de tel journal satirique sont plastiqués, même si des dirigeants de pays amis - ou pas - râlent, même si des contrats sont foutus, même si les politiques ne savent pas comment régler le problème diplomatiquement, il faut continuer de caricaturer l'absurde, il faut continuer de manquer de respect, il faut continuer de rire. C'est toujours le moment de la caricature, c'est toujours l'instant du sourire, c'est toujours le bon bâton quand c'est le bâton de la liberté de la presse. Point barre." (2)

A propos de rire, le magazine Spirou vient de sortir un hors-série en hommage à Charlie Hebdo: 150 auteurs pour défendre la liberté d'expression.

(1) http://tempsreel.nouvelobs.com/charlie-hebdo/20150115.OBS0036/charlie-on-ne-peut-insulter-la-foi-des-autres-estime-le-pape-francois.ht
(2) Abnousse Shalmani, Khomeiny, Sade et moi, Grasset, 2014.

lundi 19 janvier 2015

Comment l'islam crée lui-même l'islamophobie

Naïvement, à lire le titre de l'article du Monde (1), j'ai été - un instant - juste un instant seulement - un peu rassuré. Lisant que "Les futurs imams vident leur sac", j'ai pensé que les futurs "cadres de l'islam", en formation à la grande mosquée de Paris, pleuraient sur le sort que font à l'islam les islamistes, sur les morts atroces commises en son nom.
Et c'est l'inverse. C'est pas eux, ils n'ont rien à voir là-dedans. Le Mahomet dessiné par Luz en couverture du dernier Charlie est plus empathique qu'eux. Eux n'expriment pas un regret, pas une excuse pour les crimes commis au nom du même dieu. Au contraire, ils crachent sur les morts, en n'hésitant pas à relayer les théories du complot. Un homme voit "un scénario préparé d'avance". Là, on est d'accord, mais les comploteurs ne seraient pas ceux que l'on pense selon lui, puisqu'on n'a jamais vu le visage des tueurs, ils étaient cagoulés. On voit qu'on a affaire à un fin limier. Il devrait "faire" policier, pas imam. Une femme va plus loin encore, laissant entendre que c'était là l'occasion pour le journal de se refaire une santé. Des explications qui donnent envie de vomir. D'autres ne veulent pas voir la différence entre antisémitisme et islamophobie, comme si, pour eux, ce qu'on pense était inhérent à ce qu'on est. Ils sont, selon l'expression de Sophia Aram ce matin (2), "ceux qui ne font que croire ce qu'ils pensent". Un homme voit même dans le dessin de la dernière couverture des sexes cachés. Il connaît mal l'hebdomadaire: quand dans Charlie on dessine une bite, c'est une bite. Elle n'est pas cachée, elle ose se montrer. Mais des esprits tordus en voient partout et sont donc incapables de voir "la tendresse et l'intelligence"(3) que traduit le dessin de Luz.
J'ai été formateur durant des années. Mon ambition essentielle était d'aider mes étudiants à réfléchir, de les rendre plus intelligents, plus capables de comprendre et d'agir. Pas d'en faire des autruches qui éructent avec la tête dans le sable, relaient des rumeurs stupides et injurieuses, sortent des monstruosités. Comment ces futurs imams et ceux qui les forment ne comprennent-ils pas que des propos aussi idiots et infâmes sont dommageables pour l'ensemble des musulmans? Ce ne sont pas les caricaturistes qui donnent une mauvaise image de l'islam, disait Cabu, mais ceux qui tuent en son nom. Ceux qui crachent en son nom ternissent un peu plus cette image.
Comment ne pas comprendre que cet islam-là fait peur, qu'il crée une vraie phobie? Qu'il est aussi dangereux pour les musulmans que les attaques et les raccourcis répugnants de l'extrême droite et des identitaires?
Est-ce ainsi qu'Allah est grand?

Post-scriptum: les manifestations contre les caricatures de Charlie Hebdo organisées un peu partout dans le monde musulman (comme, par exemple, en Tchétchénie) sont des caricatures de manifestations (4). De véritables insultes à la démocratie. Qui se lèvera contre elles?

(1) www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/17/a-la-grande-mosquee-de-paris-les-futurs-imams-vident-leur-sac_4558443_3224.html
(2) www.franceinter.fr, ce 19 janvier 2015, 8h55. Excellent billet sur les rumeurs et les complots!
(3) www.liberation.fr/societe/2015/01/14/aujourd-hui-le-prophete-est-aussi-charlie_1180802
(4) France Inter, Journal, 19 janvier, 13h.

dimanche 18 janvier 2015

Confusion

Qu'ont en commun les églises catholiques et évangéliques nigériennes et Charlie Hebdo? On se le demande. Plusieurs d'entre elles ont été incendiées par des manifestants qui veulent ainsi défendre leur Prophète injurié par Charlie Hebdo. Il est grand le mystère de la foi. Depuis sa création en 1970, Charlie a tourné en dérision bien plus souvent l'église catholique que l'islam, mais ce sont les chrétiens nigériens qui paient aujourd'hui pour de petits dessins avec lesquels ils n'ont strictement rien à voir. On aurait pu, beaucoup plus logiquement, s'attendre à ce que ce soient les morts de Charlie lâchement assassinés au nom du Prophète qu'on cherche à venger. Mais non, des foules enflammées (par qui?) s'en prennent à n'importe qui pour un dessin que tous ces gens n'ont vraisemblablement pas vu, qu'ils n'ont en tout cas pas compris. Le Prophète, tout comme Charlie, a bon dos. Tous ces manifestants fous furieux en font la démonstration tous les jours : la religion, c'est comme le sport : dangereux. "Lorsqu'elle est combinée avec l'armement moderne, écrit Salman Rushdie, la religion, cette forme médiévale de déraison, devient une véritable menace pour nos libertés. Ce totalitarisme religieux a causé une mutation meurtrière dans le cœur de l'islam et nous en voyons les tragiques conséquences à Paris aujourd'hui. (...) Les religions, comme toutes les autres idées, doivent faire l'objet de critique, de satire et, oui, méritent que nous leur manquions de respect sans avoir peur. (1)" 

(1) publié sur le site de l'English PEN, association d'écrivains qui défend la liberté d'expression, in Le Courrier international, 15 janvier 2015.



samedi 17 janvier 2015

Blablasphème

La couverture du dernier Charlie Hebdo fait des vagues. Elle n'est pas vengeresse, on pourrait la qualifier de gentille, tant elle est sobre et sereine par rapport à l'horrible et inacceptable massacre commis au nom du Prophète. De nombreux organes de presse à travers le monde l'ont reproduite. D'autres n'osent pas, ne veulent pas, pour ne pas choquer leur public musulman. Lui ont-ils caché, pour ne pas le heurter, tous les crimes commis chaque jour au nom de sa religion?
A Karachi, hier au sortir de la prière, des hommes ont manifesté en masse contre Charlie Hebdo, un journal qu'ils ne connaissent évidemment pas, et ont tabassé des journalistes. On voit par là que la prière, c'est vraiment chouette.

Le plus dérangeant dans toutes ces attaques, qu'elles soient verbales ou physiques, c'est qu'elle sont si peu justifiées. Ces dessins sont des insultes au prophète, entend-on. Encore une fois, en quoi représenter  Mahomet verser une larme sur les crimes commis en son nom serait-il insultant à son égard, alors que le dessin le présente compatissant? (voir post-scriptum)
Tous ces dieux seraient-ils des colosses aux pieds d'argile, menacés d'être réduits en poussière par un coup de crayon? Ce serait si facile?
On n'a pas le droit de représenter le Prophète, entend-on dire couramment. Qui a érigé ce droit? "Que dit la loi de l'islam, dont se revendiquent les assassins de Charlie Hebdo?", demande Juliette Bénavent dans Télérama (1)? Elle trouve des réponses auprès du théologien François Bœspflug: "En Perse, en Inde, dans l'Empire ottoman, on trouve de très nombreuses miniatures. Dans le monde chiite, des bustes, des tapisseries, des panneaux le représentaient avant la révolution khomeyniste. Il y a encore vingt ou trente ans, les souks d'Iran regorgeaient de posters montrant le Prophète sous les traits d'un beau jeune homme, brun et barbu." Ce sont le wahhabisme, puis les Frères musulmans et le salafisme, donc l'islam radical, qui ont imposé la prohibition des images. "Des jeunes qui tuent en croyant défendre l'honneur du Prophète: voilà le fruit d'un islam devenu inculte, tragiquement incapable de transmettre une culture savante et documentée, donc critique de sa propre histoire. Cette ignorance n'a pas de vainqueur, elle ne fait que des victimes", dit encore François Bœspflug.
Oui, mais le caricaturer, c'est blasphémer entend-on encore. "Le blasphème, je ne sais tout simplement pas ce que c'est, affirme le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne (1). Que m'importe, d'abord, ce que peuvent dire de ma religion ceux qui ne croient pas? Mais surtout, personne - personne ! - ne peut affirmer: Voici ce que dit le Coran à ceux qui insultent le Prophète. Le Coran ne dit rien sur le sujet! Un verset célèbre conseille même de dire aux incroyants: A vous votre religion, à moi la mienne... Le malheur est que ceux qui appellent au meurtre, après avoir bricolé leur pseudo-discours du Coran sur le blasphème, sont pris au sérieux."
Jusqu'à cette enseignante française, enregistrée à son insu par une de ses élèves, qui a affirmé qu'on a le droit de tuer si sa religion est attaquée. Elle sera entendue par la Justice (2).
Comme le disait je ne sais plus quel dessinateur (ce devait être dans Pilote dans les années '70), "nul névropathe en son pays".

Dans le climat confus qui règne actuellement, les décisions les plus paniquées se prennent, au mépris de l'intelligence. Ainsi le maire UMP de Villiers-sur-Marne qui a interdit la diffusion, dans sa commune du remarquable film Timbuktu d'Abderrahmane Sissako, parce qu'il ferait "l'apologie du terrorisme". Alors qu'au contraire il le dénonce et que ce film devrait être diffusé partout. Surtout auprès de tous ceux qui seraient tentés par le djihadisme. On voit par là que des actes stupides en entraînent souvent d'autres.

Post-scriptum: une note positive, pleine d'espoir: ce texte interpellant d'un professeur de philosophie à Lille, Soufiane Zitouni, qui salue "le très beau dessin de Luz" dans lequel il trouve "tendresse et intelligence":
www.liberation.fr/societe/2015/01/14/aujourd-hui-le-prophete-est-aussi-charlie_1180802
A lire aussi: www.lalibre.be/light/societe/est-il-vraiment-interdit-de-representer-mahomet-dans-l-islam-54b8eae535703897f83c7705

(1) Télérama, 14 janvier 2015.
(2) France 3, Journal, 16 janvier 2015, 19h30.

vendredi 16 janvier 2015

Y des jours comme ça

Il y a des jours où on n'a pas de chance. Pourquoi se lève-t-on un matin en se disant: allez, faut y aller, je vais aller massacrer l'équipe de Charlie Hebdo? Alors qu'on aurait pu faire la grasse matinée ou les courses pour sa mère ou regarder la rediffusion de "Plus belle la vie" ou crever un pneu. Au lieu de quoi, non, tout se passe comme prévu. "On a tué Charlie", peut-on crier, une fois la mission accomplie. Sauf que, on ne le sait pas encore (et d'ailleurs on ne le saura jamais), ce faisant, on a ressuscité un journal moribond, qui ne tirait plus qu'à 60.000 exemplaires et risquait de mourir dans l'indifférence générale dans un an ou deux. Une semaine après, le voilà qui tire à cinq millions.
Ou alors on décide d'abattre des clients au hasard dans un magasin casher, ça fera toujours autant de juifs en moins. On n'a pas pensé que ça ferait venir en France le premier ministre israélien qui en profite pour inviter les juifs à émigrer sur la "terre promise". On peut aisément imaginer qu'il est prêt pour cela à permettre la création de nouvelles colonies de peuplement, qui seront gagnées sur les terres palestiniennes. Et qui rendront un peu plus improbables une paix entre les deux communautés et la création d'un Etat palestinien qu'on appelle de ses vœux.
Mais voilà, y a des jours comme ça. Des jours où on est cons, où on ne pense pas aux conséquences de ses actes, où on n'a aucun sens de la dialectique. C'est con parfois la vie. 
Que voit-on par là? Que réfléchir peut être utile. Parfois.

jeudi 15 janvier 2015

Ca suffit!

Noms de dieux, ce monde devient complètement fou! Les théories du complot concernant le massacre de Charlie circulent sur le net et sont rediffusées par des jeunes qui y croient au moins autant qu'à leur prophète. On a vu sur les toits, à l'abri des tueurs, un journaliste vêtu d'un gilet pare-balles, c'est donc qu'il était prévenu, se disent certains qui visiblement découvrent un métier dont ils n'avaient jamais entendu parler. On n'a pas de preuve de la mort de tel policier, dit une étudiante (1) qui ne sait pas qu'elle insulte ainsi la douleur d'une famille et qu'on en a bien plus de preuves que de l'existence d'Allah ou de Mahomet. La bêtise se porte bien et Internet est son prophète.

A l'occasion de son enterrement, on apprend que le dessinateur Tignous se rendait régulièrement dans des écoles de Montreuil (où il vivait depuis trente ans) pour participer à des rencontres avec des élèves en tentant de lutter contre le racisme et l'homophie. Combien de jeunes - et de journalistes de pays musulmans - restent convaincus que Charlie est un journal raciste?

Au Nigéria, une femme a été tuée en plein accouchement par des assassins islamistes de Boko Haram. Mais ce qui scandalise, au même moment, certains musulmans, c'est le dessin de leur prophète qui fait preuve de compassion et pleure les morts de Charlie. Où sont les imams, les ayattolahs, les mollahs, les gouvernements islamiques? Qu'ont-ils à dire? A quoi croient-ils? Quelles sont leurs valeurs?

Il faut en finir avec les explications faussement naïves selon lesquelles les tueurs auraient agi parce qu'ils étaient choqués par les insultes ou l'irrespect de Charlie Hebdo vis-à-vis de Mahomet. Personne n'est obligé de lire Charlie s'il se sent heurté par cette lecture, pas plus que personne n'est forcé de lire le Coran, la Bible ou tout autre livre sacré parce qu'il le trouve rempli d'inepties qui seraient des insultes à la rationalité. Les tueurs ont agi avec la même logique que leurs "collègues" nigérians, syriens irakiens et autres qui enlèvent, violent, mutilent, tuent froidement enfants, femmes et hommes. Ils peuvent s'inventer tous les alibis, toutes les motivations du monde, ils n'ont qu'un objectif: installer par la terreur un régime fasciste, dont la religion - totalement dévoyée - n'est qu'un instrument.

Peut-on avoir un peu de silence et de respect pour les personnes lâchement abattues, plutôt que ce fatras de bêtises et de haine?

Ne deviens pas l'imbécile qu'ils ont besoin que tu sois.
Colum Mc Cann


(1) France Inter, Journal, 15 janvier 2015, 13h.

mercredi 14 janvier 2015

Charlie est bien vivant


La une d'aujourd'hui est bien fidèle à l'esprit de Charlie: drôle, impertinente, intelligente.
Mais déjà des esprits chagrins se font entendre, nous dit-on, dans le monde arabo-musulman. Elle serait insultante pour le Prophète.
N'est-il pas beaucoup plus insulté quand en son nom des fous furieux assassinent des journalistes, des caricaturistes, des policiers, des juifs, des agents d'entretien?
N'est-il pas beaucoup plus insulté quand en son nom des crapules forcent une gamine de dix ans à se faire exploser en faisant vingt morts autour d'elle?
N'est-il pas beaucoup plus insulté quand en son nom on lapide des femmes, on coupe des mains ou des langues, on viole, on tue?
N'est-il pas beaucoup plus insulté quand en son nom on condamne à mort un militant anti-esclavagisme en Mauritanie (1)?
N'est-il pas beaucoup plus insulté quand en son nom on appelle à la mort de l'écrivain Kamel Daoud pour avoir critiqué l'islam (2)?
N'est-il pas beaucoup plus insulté quand en son nom on oblige les femmes à vivre cachées, on empêche les gens d'écouter de la musique, de danser, de boire, bref de profiter de la vie?
N'est-il pas beaucoup plus insulté quand en son nom des salafistes détruisent à Nice la devanture d'un épicier parce qu'il vend du jambon et de l'alcool (3)?
N'est-il pas beaucoup plus insulté quand en son nom on interdit aux enfants de fabriquer des bonshommes de neige sous prétexte qu'ils seraient sacrilèges (4)?
Et le représenter dans la compassion, versant une larme sur les victimes tuées en son nom serait insultant? On a du mal à suivre.
Le délit de blasphème n'existe pas. Celui de crime oui.
Ne pas se lever contre tous les crimes, toutes les exactions, toutes les bêtises commises au nom d'un dieu ou d'un prophète quel qu'il soit, c'est insulter l'humanité. Elle est vivante, elle.
Et comme le disait Sophia Aram, "on a décidé (les athées) que votre droit de prier est un droit inaliénable. (...) Votre liberté de prier est le pendant de notre liberté de penser" (5).
Amen.

(1) Mohamed Cheikh Ould El Mkhaitir a été condamné à mort pour avoir écrit un texte "contre l'esclavage et notamment contre sa justification par la religion islamique, tel qu'il est encore pratiqué au pays des Maures". La répression est de plus en plus dure contre les militants abolitionnistes en Mauritanie. "L'islam, s'il a adouci et réglementé l'esclavage, ne l'a jamais aboli. Bien au contraire, Mahomet lui-même possédait des esclaves, et ses enseignements ont même consacré la condition servile, notamment celle des concubines, qui doivent se soumettre à un droit de cuissage du maître sans aucun droit en retour, même pas celui de disposer de leurs enfants. Aujourd'hui encore, les esclaves mauritaniennes, toutes nées en captivité, subissent ces mêmes lois sans que médias, ONG ou institutions étatiques puissent leur apporter assistance." Zineb El Rhazoui, "Esclaves contre dieux et maîtres", Charlie Hebdo, 7 janvier 2015.
(3) Zineb El Rhazoui, "Inquisition halal à Nice", Charlie Hebdo, 31 décembre 2014.
(2) Zineb El Rhazoui, "Les salafistes regardent Ruquier", Charlie Hebdo, 24 décembre 2014.
(4) www.liberation.fr/monde/2015/01/13/la-fabrication-de-bonhommes-de-neige-sacrilege-en-arabie-saoudite_1179819
(5) excellent billet de Sophia Aram ce lundi 12 janvier (8h55): "Le blasphème, c'est sacré", à réécouter sur www.franceinter.fr

mardi 13 janvier 2015

Qui est donc responsable?

L'enquête devra déterminer qui a armé, et éventuellement mandaté, les assassins de Charlie Hebdo. Mais il y a aussi une autre question: qu'est-ce qui a poussé certains à considérer que Charlie Hebdo devait être éradiqué, certains à aller jusqu'à commettre cet acte odieux et d'autres encore à se réjouir que ce soit chose faite? Il y a eu des appels de rappeurs à autodafé et à agression (1). Il y a cette idée, érigée par certains en principe, qu'on ne peut représenter le Prophète et moins encore s'en moquer. Que le faire serait preuve d'islamophobie. Et qu'il n'est que logique que les islamophobes paient un jour pour leur faute. Mais de quelle faute parle-t-on?
Je l'ai écrit souvent (2), il est temps d'en finir avec ce terme pervers d'islamophobie. Une invention de barbus qui est censé interdire qu'on les critique, eux et leurs pratiques. Ce terme n'existe pas pour qualifier des attaques contre d'autres religions. On ne parle pas de christianophobie, alors même que les pratiquants de cette religion sont aujourd'hui les plus menacés dans le monde. On ne parle pas de charliphobie, alors que les appels à agression se sont multipliés (le plus souvent dans l'indifférence générale). On ne parle pas d'écolophobie, alors que des militants écolos se font insulter - et parfois tuer - un peu partout. Il y a toute cette gauche européenne bien pensante qui se dépêche de traiter d'islamophobes tous ceux, de gauche comme de droite, qui ont l'outrecuidance d'être critiques par rapport à l'islam et ses pratiques. Donc, supprimons ce terme d'islamophobie de notre vocabulaire. Car de deux choses l'une: soit il s'agit de racisme, d'agressions, d'attentats (quant on s'attaque à des croyants en fonction de ce qu'ils pensent, à leurs mosquées, leurs églises, leurs synagogues, etc.) et ces faits sont condamnables par la loi, soit il s'agit de critique d'une religion et de ses pratiques et on entre alors simplement dans le jeu démocratique du débat d'idées. Pour l'instant, le terme d'islamophobie entretient - à dessein - la confusion. 

Il est évident que la grande majorité des musulmans ne voulait pas voir des assassins agir au nom de l'islam et tout aussi évident qu'il faut éviter les amalgames. Mais l'islam doit admettre qu'elle  (voir note en bas de page) a une face sombre, qu'une de ses composantes est aujourd'hui extrêmement violente. Quand on a la tête dans le sable, il est difficile d'avancer. "Il y a aujourd'hui une lepénisation de l'islam, estime le réalisateur Romain Goupil (3), même si les musulmans en sont les principales victimes."
Dans sa remarquable "lettre ouverte au monde musulman" (4),  parlant du "démon" DAESH, le philosophe Abdennour Bidar estime qu'il est évidemment indispensable que le monde musulman proclame qu'il dénonce la barbarie commise en son nom, mais que c'est insuffisant, qu'il ne peut se réfugier dans l'autodéfense "sans assumer aussi, et surtout, la responsabilité de l'autocritique". Au-delà de l'indignation, dit-il, c'est le moment d'une remise en question. "Le monstre est sorti de ton propre ventre, le cancer est dans ton propre corps." De nombreuses voix s'élèvent, dit-il, au sein de la communauté musulmane pour amener l'islam à effectuer son aggiornamento, mais elles ne sont pas encore assez nombreuses, assez entendues. "Tu as choisi, dit-il au monde musulman, de croire et d'imposer que l'islam veut dire soumission alors que le Coran lui-même proclame qu' il n'y a pas de contrainte en religion." Il appelle à instituer la "liberté spirituelle à la place de toutes les lois inventées par des générations de théologiens!". Il invite à ouvrir les esprits. "Il y a tant de ces familles, tant de ces sociétés musulmanes où cette confusion entre spiritualité et servitude est incrustée dans les esprits dès le plus jeune âge et où l'éducation spirituelle est d'une telle pauvreté que tout ce qui concerne de près ou de loin la religion reste ainsi quelque chose qui ne se discute pas."
Comment s'étonner alors que, lors de débats dans des écoles, ces derniers jours, des collégiens et des lycéens affirment que les dessinateurs de Charlie l'ont bien cherché, qu'on peut tout faire sauf se moquer du Prophète et que ces assassinats sont donc logiques? Comment s'étonner que lors de ces débats certains de ces jeunes de 14-15 ans aient découvert le mot athéisme, aient découvert, effarés, que certains ne se reconnaissent aucun dieu et en nient même l'existence (5)? "Il faut que tu commences par réformer toute l'éducation que tu donnes à tes enfants", poursuit Abdennour Bidar. Il faut, selon lui, que l'islam entame une profonde réforme dans le sens de la liberté de conscience, de l'émancipation des femmes, de l'égalité des sexes, la démocratie, la tolérance, la réflexion et la culture critique du religieux. 
Sa critique est sévère, il le reconnaît, mais, dit-il, "tous ceux qui ne sont pas assez sévères avec toi - qui te trouvent toujours des excuses, qui veulent faire de toi une victime, ou qui ne voient pas ta responsabilité dans ce qui t'arrive - tous ceux-là en réalité ne te rendent pas service".

A Châteauroux, ce dimanche après-midi, les organisateurs du rassemblement en hommage à Charlie avaient invité les représentants des religions à s'exprimer.  Le premier à le faire, de manière très (trop) véhémente, fut celui des musulmans. Il condamna les assassinats, mais pour, aussitôt après, estimer qu'il faudrait "des garde-fous à la liberté d'expression" (6). Quelques sifflets lui répondirent. Dimanche soir, sur France 2 (3), le représentant de "Reporters sans frontières" a annoncé qu'il comptait inviter les représentants des différentes religions à signer une charte d'engagement à ne pas vouloir imposer le sacré aux autres. Pour lui, "la liberté d'expression n'a pas de religion".

Parmi les responsables présumés de l'état d'esprit actuel, de cette montée de la violence, il  y a ceux-là mêmes qui se sont fabriqués sur le sentiment d'insécurité et la peur, ces partis politiques d'extrême droite qui ont fait du rejet de l'autre leur fonds de commerce, ces pseudo intellectuels qui pensent avec le regard dans le rétroviseur, nostalgiques d'un temps où les peuples étaient, pensent-ils, plus homogènes, sans ces immigrés qui ont envahi l'Europe. "Il faut rejeter les professeurs de désespérance, disait récemment Abdennour Bidar (7), les sirènes de la haine et du rejet. Le temps de la fraternité doit venir."
On ne demande qu'à y croire.

(1) sur ce blog, : "La question des limites", 9 janvier 2015.
(2) sur ce blog:
- "Faut-il enfiler une burqa pour parler de l'islamisme - (1) 6 septembre 2010 - (2)  9 septembre 2010.
- "Islamofolies", 19 avril 2013.`
(3) Emission d'hommage à Charlie Hebdo, France 2, France Inter, etc., soirée du 11 janvier 2015.
(4)
www.huffpostmaghreb.com/abdennour-bidar/lettre-ouverte-au-monde-m_1_b_6443610.html
(5) témoignage d'une enseignante, France Musique, 13 janvier 2015, vers 8h15.
(6) www.lanouvellerepublique.fr/Indre/Actualite/24-Heures/n/Contenus/Articles/2015/01/12/Une-confusion-d-emotions-2182414
(7) dans l'émission "28 minutes", Arte, la semaine dernière.
Note: me relisant, je constate que j'ai automatiquement féminisé l'islam, alors que c'est plutôt une affaire mâle...
A propos d'Abdennour Bidar, lire aussi sur ce blog "Modérons-nous", 3 novembre 2011.

lundi 12 janvier 2015

En avant, y a pas d'avance

J'ai toujours pensé que l'abonnement à Charlie Hebdo devrait être remboursé par la sécurité sociale. Sa lecture est roborative, informe, fait rire, fait réfléchir, fait débattre.
Hier, tout le monde le disait, les rassemblements autour de Charlie ont "fait du bien". Toutes les classes sociales, toutes les générations étaient rassemblées. Le matin, à Argenton-sur-Creuse, ville de 5.200 habitants, nous étions près de 3 à 4.000. L'après-midi, 11.000 à Châteauroux. 
Il y a un an, je fustigeais la France grognonne, la France des anti-mariage pour tous, des Bonnets rouges, des pleurnicheurs, de tous ceux qui ont peur du changement, de tous ceux qui veulent que rien ne bouge ou qui veulent revenir en arrière. Hier, c'était une France debout, déterminée, qui disait "même pas peur", qui, au-delà du partage d'une émotion extrêmement vive, disait que le terrorisme ne passera pas. Les assassins ont réussi leurs crimes mais raté leur objectif, les morts ne sont pas morts pour rien. La France s'est rassemblée pour défendre la liberté d'expression, de pensée, de création.  "On pensait qu'il y avait moins d'humanité en France, a dit Erik Orsenna (1), mais on en a fait provision hier." 
Reste à pérenniser et concrétiser ce mouvement positif. Bien sûr, il y a et il restera un monde de différence entre tous ceux qui étaient dans les rues hier, les libertaires, bouffeurs de curés, fidèles de Charlie Hebdo et les bons bourgeois indignés et les croyants de différentes confessions et les politiques de tous bords. Mais tant mieux, c'est la vie. Bien sûr, le jeu politique va reprendre ses droits. C'est normal. A chacun maintenant  de se positionner, de se remettre en question, d'être plus intransigeant sur le respect de la liberté d'expression, d'investir dans les politiques éducatives et culturelles, de sortir certaines banlieues du désespoir, de repenser les politiques carcérales trop souvent criminogènes, d'éradiquer les mauvaises fois que portent en elles certaines religions, de réduire à rien les partis de la division. "Il faut se méfier des partis qui divisent plutôt que de rassembler", disait hier Lilian Thuram (1). Reste aux citoyens à agir en quittant définitivement leur posture trop facilement grognonne. Elle est effrayante la quantité d'énergie humaine que les Français ont pu gaspiller ces dernières années !

(1) émission de soutien à Charlie Hebdo sur France 2, France Inter, etc. ce dimanche 11 en soirée.

samedi 10 janvier 2015

Indignité

Jean-Marie Le Nauséabond n'arrive pas à maîtriser ses incontinences verbales. Voilà que, profitant du massacre de l'équipe de Charlie, il appelle à voter Le Pen (1), se désolidarisant du mouvement de soutien, en déclarant qu'il n'est pas Charlie, mais "Charlie Martel", voulant signifier qu'il est celui qui arrêtera l'invasion arabe. C'est vrai, ce type est complètement martel depuis longtemps, maniant en toutes occasions - même en celles qui réclameraient un minimum de dignité - de la morgue, de la suffisance et du mépris. Si le FN ne se sépare pas tout de suite de son président "d'honneur", c'est qu'il n'est décidément pas dédiabolisé. Le diable éructe à sa tête.
De toute façon, comment la fille à papa et ses sbires oseraient-ils participer au rassemblement de ce dimanche? Charlie Hebdo et eux se faisaient la guerre. Combien de dessins et d'articles de Charlie n'ont pas dénoncé les positions populistes, racistes, nauséabondes, extrémistes du vieux chef, de l'héritière et de leur parti? Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, Oncle Bernard et tous les autres en avaient fait une de leurs cibles préférées.
En 1996, l'équipe de Charlie avait lancé une pétition pour "dissoudre le FN, cette ligue dont le but politique est de faire disparaître la République". Elle recueillera 173 704 signatures. Deux ans plus tard,  l'équipe de Charlie constate que le FN a oublié de renouveler le dépôt légal de la marque Front National. Il effectue alors cette formalité auprès de l'INPI, pour "restituer le nom aux résistants" du vrai Front National, créé en 1941 par des militants communistes pour lutter contre les nazis (2). 
"Les électeurs du FN ne votent pas pour changer la société qui les opprime, écrivait Charb (3), ils votent pour se venger perversement sur les immigrés de malheurs dont ces derniers ne sont pas responsables. Les frontistes ne veulent pas mettre à bas le patronat qui les roule dans la farine, ils veulent devenir les contremaîtres du capitalisme pour pouvoir botter le cul des étrangers. Les électeurs du FN souffrent moins qu'ils ne veulent faire souffrir. En ce sens, ce sont des malades, mais d'une autre nature que celle que l'on prétend."
Combien de procès des élus et des factions d'extrême droite n'ont-ils pas intenté à Charlie (pour les perdre, le plus souvent) (4)? 
Alors, comment le parti de la famille Le Pen pourrait-il aller s'incliner devant les dépouilles des morts de Charlie sans apparaître comme hypocrite? Ce parti sait-il ce que signifient les mots dignité, respect, réserve?
Comme d'habitude, il prend sa posture préférée, celle de victime. Il ne pleure pas sur les dessinateurs et journalistes, mais sur son sort à lui, mis dans le coin, pas invité aux rassemblements de ce dimanche. Allez savoir pourquoi, il ne suscite aucune compassion. Juste un peu plus de mépris encore.
Donc, pas de FN ce dimanche, mais aussi, de grâce, pas de drapeaux, pas de messes, pas de Marseillaise, pas de Panthéon. Ils ont vécu libres, ils sont morts libres. Qu'ils le restent.

P.S.: lire à ce sujet:
 www.liberation.fr/politiques/2015/01/09/pour-charlie-voir-le-front-serait-un-affront_1177337

(1) www.huffingtonpost.fr/2015/01/09/jean-marie-le-pen-front-national-charlie-martel-hebdo-tweet-declarations_n_6443248.html?utm_hp_ref=france
(2) Jean-Yves Camus: "Front National, laboratoire de l'UMP?", in "1992-2012 - Charlie Hebdo" (hors-série).
(3) Charb: "La souffrance de l'électeur frontiste", in "1992-2012 - Charlie Hebdo" (hors-série).
(4) www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/08/charlie-hebdo-22-ans-de-proces-en-tous-genres_4551824_3224.html

vendredi 9 janvier 2015

La question des limites

Il y a des limites à l'humour, pensent certains esprits peu éclairés qui n'en mettent pas à la violence, verbale comme physique. On ne pourrait, selon eux, se moquer du "sacré". La difficulté, je l'ai souvent écrit ici, c'est de déterminer ce qui serait sacré et ce qui ne le serait pas, sachant que ce qui est sacré pour les uns, selon leurs croyances, est sacrilège pour d'autres. Affirmer qu'il n'y a qu'un seul dieu et que c'est Allah doit être considéré comme blasphématoire par les adeptes des autres religions que l'Islam. Et inversement. On ne s'en sort jamais. Pourquoi, à ce compte-là, Charlie Hebdo ne serait-il pas "sacré" pour les libertaires, bouffeurs de curés ? Voilà pourquoi le blasphème n'est heureusement pas un délit dans nos pays où la liberté d'expression fait loi (1).
Reste à régler les limites de celle-ci. Il y a à peine plus d'un an, Charlie Hebdo avait été l'objet d'un appel à pratiques inquisitoires de la part d'un rappeur : un certain Nekfeu invitait à un "autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo" (2). Un autre rappeur, à l'élégant nom de Disiz la Peste, lui emboîtait le pas en annonçant aux membres de l'équipe de Charlie qu'il les ferait taire : "je vous couperai les mains" (3). Ces appels violents ont été peu condamnés par l'opinion publique et par la presse. Mais visiblement entendus... Quelle part de responsabilité ont-ils dans le massacre de ce mercredi?
Aujourd'hui, on se réjouit de l'immense mobilisation à laquelle on assiste en France et bien au-delà autour de l'équipe de Charlie. Mais on lit aussi les "hyhaines" qui se déchaînent sur Internet, en soutien aux sinistres assassins (4). Et on se dit qu'il est urgent de règlementer cet espace qui peut être un outil de dialogue et d'information magnifique, mais aussi un vomissoir immonde où s'exprime une violence abjecte. Il est temps de responsabiliser les utilisateurs d'Internet et les gestionnaires de réseaux. Oui, on peut discuter de tout, comme on peut rire de tout. Mais non, on ne peut pas tout dire. Et oui, il y a des règles à la communication. De l'intelligence. De l'intelligence. Si ce n'est pas trop demander.

(1) A relire sur ce blog: "Blasphème?", 13 mars 2007, ou encore "Vade retro", 22 avril 2013.
(2) "Dé-rap-age", 27 novembre 2013.
(3) "Le monde comme il essaie d'aller", 4 décembre 2013.
(4) Ainsi, nous dit-on, certains, évoquant le massacre de l'équipe de Charlie, le qualifient d' "attaque héroïque". Flinguer sans sommation avec des kalachnikovs des gens sans défense serait donc "héroïque"? C'est confondre héroïsme et lâcheté. Et susciter, un peu plus, le dégoût des assassins et des hyènes qui les suivent pour se repaître.

jeudi 8 janvier 2015

Des questions

Qu'est-ce qui peut donc bien se passer dans la tête de sombres crétins pour qu'ils décident un jour d'aller massacrer l'équipe de Charlie Hebdo? Que gagnent-ils, qui gagne quoi à faire disparaître des journalistes et des dessinateurs dont tout le travail se concentrait sur la lutte contre le racisme, contre la violence, contre la bêtise? "Charlie s'est toujours battu contre toutes les formes d'extrémisme, contre la connerie", rappelait ce matin entre ses larmes Patrick Pelloux sur France Inter. Quel soutien, à part celui de quelques hyènes, espéraient-ils recevoir après un acte aussi lâche et ignoble? Quand ils mourront, ce n'est pas face à 70 vierges que se trouveront ces assassins, mais devant 70 pages vierges sur lesquelles ils devront écrire ce qu'ils ont fait de positif dans leur vie. Ils pourront y décrire la société idéale dont ils rêvaient et pourront s'inspirer pour cela des textes de Bernard Maris qu'ils ont tué. Oncle Bernard, un des trop rares économistes capables d'expliquer pourquoi et comment une autre économie est possible (1). Et ces imbéciles l'ont assassiné froidement. 
Oui, mais Charlie Hebdo était contre l'islam, disent des âmes bien croyantes et mal pensantes. Charlie n'aimait pas les religions, toutes les religions, comme il n'aimait pas le racisme et la connerie, comme il démontait les manipulations et rabotait les langues de bois. Pour tout cela, il reste indispensable.
Ils croyaient avoir tué Charlie, mais Charlie sera toujours en kiosques mercredi prochain. La solidarité le sauvera. Pourvu qu'elle perdure au-delà de l'émotion. 
En attendant, on découvre d'autres noms dans la liste des morts (2). A ceux de Charb, Cabu, Oncle Bernard, Wolinski, Tignous, s'ajoutent ceux du dessinateur Honoré, de la psychanalyste Elsa Cayat, de Michel Renaud, organisateur du festival Carnets de voyage à Clermont-Ferrand, de Frédéric Boisseau, agent d'entretien, de deux policiers Ahmed Merabet et Franck Brinsolaro. Celui aussi de Moustapha Ourrad, correcteur à Charlie à qui un membre de l'équipe (c'était Cavanna, je pense) avait rendu un bel hommage il y a plusieurs mois, louant notamment sa parfaite maîtrise de la langue française. Douze morts pour quoi? Est-il permis de l'espérer? Pour qu'il y ait plus de solidarité au sein de la société française? Plus d'affirmation de la liberté d'expression? Moins de place pour la violence et la bêtise crasse? En tout cas, comme le dit Patrick Pelloux, "c'est pas la connerie qui va gagner".

Une grande manifestation se prépare à Paris ce dimanche, rassemblant toutes les composantes de la société. Le FN aurait évidemment le culot d'en être, lui qui a multiplié les procès à l'encontre de Charlie qu'il haïssait. Par respect pour la mémoire des disparus de Charlie, le FN devrait se contenter d'aller à la messe ce jour-là. Et même à confesse, tant qu'à faire.

A voir des dessins d'hommage de différents dessinateurs à travers le monde:
http://www.lemonde.fr/grands-formats/visuel/2015/01/08/dessinateurs-du-monde-entier-tous-charlie_4551870_4497053.html#xtor=RSS-3208

(1) www.huffingtonpost.fr/jacques-sapir/bernard-maris-mort_b_6429820.html?utm_hp_ref=france
(2) www.huffingtonpost.fr/2015/01/08/victimes-charlie-hebdo_n_6434150.html?utm_hp_ref=france
www.rtbf.be/info/societe/detail_charlie-hebdo-des-journalistes-tues-mais-aussi-des-victimes-collaterales?id=8733608

mercredi 7 janvier 2015

Nous nous appelons tous Charlie




Il ne doit pas cesser de se retourner dans sa tombe, le Prophète. Il faut dire que le voilà arrosé de sang, si c'est bien pour le "venger" comme ils le clamaient que des barbares ont lâchement assassiné l'équipe de Charlie Hebdo. La bête immonde est donc partout, de moins en moins tapie dans l'ombre. Elle sort du bois, attaque, frappe, viole, blesse, tue. Ici, c'est à la liberté de pensée et d'expression qu'elle s'en est pris, croyant qu'il suffit de décimer une rédaction pour achever cette liberté. Charlie Hebdo ne s'en remettra, hélas, sans doute jamais, comme le pense l'un des siens, Antonio Fischetti (1). Mais, quoi que croient ceux qui ne savent pas ce qu'est penser, cette liberté survit à tout. Même au pire. On peut tuer un symbole de la liberté, mais pas la liberté. En attendant, on pleure la mort de Charb, de Wolinski, de Tignous, de Bernard Maris (Oncle Bernard), de Cabu et de qui d'autre encore? Cabu! Ils ont tué Cabu! Cet homme magnifique, cet amateur de jazz, ce chantre de Trénet, ce caricaturiste sans égal! Je ne connaissais personnellement aucun des journalistes et caricaturistes de Charlie, mais ce sont autant de proches que j'ai perdus aujourd'hui. On peut parier que ces bêtes humaines qui les ont tués ne savaient même pas quels esprits libres et talentueux elles avaient en face d'elles. En massacrant aussi lâchement des gens intelligents, drôles, courageux, armés de leurs seules plumes, ces monstres font non seulement preuve d'une violence terrifiante mais aussi d'une bêtise et d'une veulerie abyssales. En agissant avec une telle sauvagerie pour s'attaquer à des idées, à des dessins, ces fascistes font le lit des racistes et d'une autre extrême droite. Comme le lui faisait dire Cabu en couverture de Charlie Hebdo du 8 février 2006, sous le titre Mahomet débordé par les intégristes, le Prophète doit une fois de plus sangloter en se disant que "c'est dur d'être aimé par des cons". Et il pourrait ajouter "et d'immondes assassins".



(1) www.liberation.fr/societe/2015/01/07/antonio-fischetti-charlie-hebdo-ces-derniers-temps-la-vigilance-s-etait-relachee_1175422
A voir l'émission "28 minutes" de ce soir sur Arte: www.arte-tv.com
A lire le billet d'Axel Kahn:
http://rue89.nouvelobs.com/2015/01/07/axel-kahn-humanite-est-niee-massacree-256954
et aussi, un peu partout, tant d'appels à la solidarité, à rester debout, à continuer à rire malgré les loups et les hyènes (qui visiblement ricanent sur Internet).


mardi 6 janvier 2015

Idées bancales

Je formulais ici même le vœu que cette année 2015 soit celle de l'intelligence. Mais où avais-je la tête? Dans la brume des fêtes sans doute. La société fait preuve, chaque jour un peu plus, d'intelligence. Ainsi la ville d'Angoulême qui, pour éviter que les bancs publics ne soient squattés par les sans-logis, les a grillagés, témoignant là à la fois d'un sens pratique et d'un sens esthétique hors du commun (1). Il suffisait d'y penser. La Ville de Perpignan (2) vient de lui emboîter le pas en supprimant carrément ces bancs trop souvent occupés par des SDF et des jeunes. D'autres villes ont depuis longtemps installé des dispositifs qui empêchent qui que ce soit de s'asseoir ou se coucher en certains lieux publics (1). Il est vrai que le problème des bancs, c'est que les gens ont tendance à s'y asseoir. 
A ces idées lumineuses, je me permets d'apporter les miennes. Supprimons les trottoirs rendus dangereux par les passages de skateurs et sur lesquelles les piétons n'hésitent pas à stationner, voire à se rencontrer. Démontons les abribus: les gens ont parfois tendance à s'y réfugier. Les arbres des villes sont régulièrement occupés par des hordes d'étourneaux dont les cris dérangent la quiétude urbaine. Pourquoi ne pas entourer ces arbres de filets ou, plus simplement, les abattre? Ce sera autant de places de parking de gagnées. Bitumons les bacs à sable des jardins d'enfants, trop souvent utilisés par les chiens pour leurs besoins naturels. Plaçons des dispositifs anti-pigeons sur les balançoires, trop souvent fréquentées par des personnes qui ont passé l'âge de leur utilisation. Et pourquoi pas des bancs anti-pigeons, comme le propose un artiste qui dénonce le cynisme des ces municipalistes bien pâles (3)? On le voit, l'intelligence humaine n'a pas de limite. 2015 sera une belle année.

(1)http://rue89.nouvelobs.com/2014/12/26/les-bancs-cage-dangouleme-ont-enerves-ouvrez-les-yeux-256762
(2) http://www.charentelibre.fr/2015/01/05/la-ville-de-perpignan-supprime-ses-bancs-publics,1933360.php (3) http://www.cynicom.com/portfolio/banc-anti-pigeons/

samedi 3 janvier 2015

En 2015

A quoi mène l'intelligence? A la réflexion, au jugement critique, à la compréhension, à l'audace, à la créativité, à la recherche de collaboration, à la solidarité. Et à tant d'autres avantages encore. Elle aide à regarder devant soi et à avancer, plutôt qu'à appuyer sur le frein ou à enclencher la marche arrière. A l'heure où tant d'esprits se zemmourisent et se lepénisent (ce qui constitue la même régression), on ne peut que souhaiter qu'en 2015 l'intelligence, tant collective qu'individuelle, progresse. Le monde ne s'en porterait que mieux. Sur Internet, ses forums, ses twiteries, la bêtise se démultiplie. Elle en fait tout autant dans les médias, les chaînes de télés en particulier.  C'est donc dans l'éducation et la culture que nos gouvernement doivent investir prioritairement. Donc, pour 2015, de l'intelligence. Encore et encore. 
Si ce n'est pas trop demander.