mercredi 28 février 2018

Cet homme trop humain

C'est dur à admettre mais il faut en prendre son parti: l'homme est un être très humain. S'il a plein de qualités et peut être séduisant, voire enthousiasmant à plus d'un titre, il est loin d'être parfait.
L'homme ou la femme politique en tous points admirable n'existe pas. Pas plus que l'artiste, le travailleur social, le sportif, le boucher, l'agriculteur bio, l'ouvrier automobile ou le patron d'une entreprise du CAC 40 (mais lui, on le savait déjà).
Aujourd'hui, on découvre que des travailleurs d'ONG ont monnayé leurs interventions contre des faveurs sexuelles.
On apprend qu'un saint homme, devenu gourou de l'islam moderne, a violé des femmes.
On lit qu'un média qui se veut alternatif fonctionne comme les traditionnels, avec les mêmes rapports de pouvoir et les mêmes méthodes d'exploitation de la main d'œuvre.
On voit que des représentants de partis aux règles strictes et aux exigences fortes sont dépassés par leurs ego et leurs ambitions personnelles.
On comprend que personne n'est un modèle de vertu et qu'en toute chose il faut garder de la distance. 
Bien sûr, il faut continuer à s'indigner et surtout à se battre pour changer les pratiques et les attitudes.
Mais il faut aussi cesser de jouer les Tartuffe en s'indignant que des gens soient comme les autres et accepter que l'homme ou la femme parfait-e n'existe pas plus que le Père Noël ou le prince charmant.
On voit par là que le pire problème de l'homme est d'être un être humain, créé, nous dit-on, par Dieu  à son image: imparfait.

lundi 26 février 2018

Billy the Kid

Ubu Trump est le plus averti des ethnologues. Il a compris la société américaine: il y a d'un côté les gentils, de l'autre les méchants. Les méchants sont ceux qui tuent les autres, mais ceux qui tuent les méchants sont des gentils. Cet homme sait faire la part de choses
Dans les quarante-cinq premiers jours de cette année 2018, les fusillades de masse aux Etats-Unis ont fait 82 morts et 139 blessés. En moyenne, il y en a eu une tous les deux jours et, jusqu'à celle de Parkland le 14 février dernier, en 2018, il n'y eut que seize jours sans fusillade de masse. En 2017, 589 personnes ont perdu la vie dans ce type de fusillades aux Etats-Unis.
Si on fait le compte de tous les morts par armes à feu (sans les suicides) depuis le 1er janvier 2018, on arrive au nombre de 1826. (1)
Mais pour le-président-qui-a-tout-compris ces morts sont le fait de cerveaux dérangés. Il n'entend pas - ou si peu - réglementer la possession individuelle d'armes. Il envisage d'empêcher la commercialisation d'appareils qui permettent de transformer une arme semi-automatique en arme automatique (2). Etant entendu que n'importe qui a le droit sacro-saint de se procurer ces armes et qu'avant de les utiliser sauvagement leurs possesseurs étaient rarement repérés comme des malades mentaux. C'est l'usage qui fait l'assassin.
Aujourd'hui, Ubu Trump propose d'armer les enseignants, du moins ceux d'entre eux sachant manier une arme (3). Il faut leur permettre de défendre leurs élèves parce que "une école sans arme attire les méchants". Et ça, c'est l'idée géniale que personne d'autre que Trump n'aurait pu avoir: armer les enseignants qui savent manier une arme. Le premier clampin venu aurait décidé de donner des armes à n'importe qui, même à ceux qui ne savent pas les utiliser, mais lui, le Génie de l'Hudson, il donne des armes à qui sait les utiliser. Ce ne devait pas sans doute pas être le cas du garde armé qui se trouvait dans l'école de Parkland où dix-sept personnes ont été tuées sans que cet agent puisse empêcher le tueur d'agir.
Monsieur Moi n'envisage donc que de très légères restrictions aux conditions (extrêmement laxistes) de l'achat d'armes. Le président américain est un homme simple: plus d'armes signifie pour lui moins de morts, puisque les gentils pourront ainsi tuer les méchants. Cet homme regarde trop de westerns et de dessins animés. D'autres pays (sans doute moins simples dans leurs analyses) ont cependant pris, suite à des tueries par armes à feu, des mesures drastiques qui ont porté leurs fruits. Ainsi en vingt ans, l'Australie a divisé par deux le nombre de morts par armes à feu. Au Japon (127 millions d'habitants), on ne compte pas plus de dix morts par armes à feu par an (4). Mais Trump, très lié à la NRA (5), le lobby des armes, préfère continuer à avancer les yeux fermés. Heureusement, les nombreuses réactions indignées (des jeunes surtout), suite à cet nième massacre, ont amené une série d'entreprises à rompre leurs liens avec la NRA qui fulmine (6).
Le président américain a, depuis longtemps, placé la barre très haut en termes d'idées et de déclarations ahurissantes. A chaque essai, il la passe. Et pourtant à chaque fois en se prenant les pieds dans le tapis. Mais comment fait-il? 

(1) http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/02/15/etats-unis-depuis-le-debut-de-l-annee-pas-plus-de-deux-jours-sans-victime-dans-des-fusillades-de-masse_5257522_4355770.html
(2) http://www.lalibre.be/actu/international/sous-pression-trump-bouge-un-peu-sur-les-armes-a-feu-5a8d1308cd70b558ed78f217
(3) http://www.lalibre.be/actu/international/fusillade-dans-une-ecole-de-floride-trump-pret-a-envisager-le-port-d-arme-pour-les-enseignants-5a8de7dacd70f0681dd5f805
(4) http://www.huffingtonpost.fr/2018/02/25/trump-veut-plus-darmes-pour-enrayer-les-fusillades-ces-pays-y-arrivent-en-faisant-tout-le-contraire_a_23369235/?utm_hp_ref=fr-homepage
(5) David Frum dans The Atlantic (Washington) évoque "les soupçons sur le fait que les Russes auraient versé des millions de dollars à des campagnes électorales par le biais des comités d'action de la NRA" (18.2.2018, in Le Courrier international, 22.2.2018)
(6) http://www.huffingtonpost.fr/2018/02/25/le-lobby-des-armes-americain-la-nra-hurle-a-la-lachete-civique-et-politique-face-aux-prises-de-distance-de-ses-partenaires_a_23370421/?utm_hp_ref=fr-homepage
(Re)lire sur ce blog "Rien à voir", 7.11.2017 et "Le cauchemar américain", 4.10.2017.
Note: le titre de ce billet fait référence à la manière dont Morris et Goscinny, dans l'album éponyme, voient Billy the Kid: un être capricieux, infantile et mal élevé.

Post-scriptum: A propos de la tuerie de Parkland, David Frum, dans The Atlantic (Washington), relève que "le président américain n'a que brièvement interrompu ses vacances dans son complexe de Mar-a-Lago pour se rendre dans un hôpital où étaient soignées des victimes. En sortant, il a posé pour des photographes, la mine réjouie et le pouce en l'air. L'empathie face au chagrin d'autrui est apparemment réservée aux ratés".  (18.2.2018, in Le Courrier international, 22.2.2018)


samedi 24 février 2018

Une communauté peu commune

Combien de fois dans une vie se sera-t-on senti impuissant, honteux, rageant de voir des innocents se faire massacrer sans qu'on n'arrive à lever le petit doigt?
Il y a eu, qu'on y assiste quasiment en direct ou qu'on le découvre peu après, le Cambodge tout entier, Sabra et Chatila, Sarajevo et Srebrenica, Kigali et l'ensemble du Rwanda, Alep et tant d'autres villes et régions où des crimes de masse ont été perpétrés sans que ce qu'on appelle la communauté internationale ne réagisse. 
Il y a aujourd'hui la Ghouta en Syrie où Bachar el-Assad fait tranquillement massacrer ses compatriotes par centaines. Cinq cents en sept jours. Bientôt des milliers sans doute, vu l'incapacité du reste du monde à empêcher cette tuerie programmée.
Honte à Assad qui tue son propre peuple juste pour pouvoir prolonger (de combien de temps?) son pouvoir. Honte à Poutine qui le soutient activement. Honte à l'Iran et à ses barbus qui servent un dieu aux mains pleines de sang. Honte aussi à ceux qui détournent pudiquement les yeux en renvoyant dos à dos armée syrienne, rebelles et jihadistes de Daech. 90 % des victimes syriennes sont le fait de l'armée d'Assad. Cet homme est un boucher.
Et nous, nous sommes là, navrés, scandalisés de voir des enfants, des femmes, des hommes  mourir sous les bombes de celui qui n'a jamais mérité d'être leur président.
Il y a quelques années, Barak Obama et le reste des pays démocratiques ont laissé passer les occasions, qui ne manquaient pas, d'intervenir fermement en Syrie en rappelant le pouvoir en place au respect des règles minimales. Assad et Poutine ont bien compris qu'ils pouvaient tout se permettre, que nous nous contenterions de dire que ça ne se fait pas.
L'ONU se trouve prisonnier de ses propres règles de fonctionnement. Poutine le cynique n'est pas prêt à lâcher son allié sanguinaire et utilisera jusqu'au bout son droit de veto pour éviter toute décision du Conseil de Sécurité qui permettrait une intervention forte en Syrie.
Combien de fois dans une vie est-on assourdi par son propre silence?

Post-scriptum: le Conseil de Sécurité de l'ONU réclame - enfin - un cessez-le-feu en Syrie.
http://www.lalibre.be/actu/international/le-conseil-de-securite-de-l-onu-reclame-a-l-unanimite-un-cessez-le-feu-en-syrie-5a91a1c6cd70b558ed7ca572

http://www.lalibre.be/actu/international/syrie-plus-de-500-civils-tues-en-sept-jours-de-raids-sur-la-ghouta-5a915b99cd70f0681dd6bdb6
http://www.lemonde.fr/syrie/article/2018/02/24/plus-de-500-morts-civils-au-septieme-jour-de-bombardement-sur-la-ghouta-orientale_5262081_1618247.html
(Re)lire sur ce blog "Alep, notre honte", 2.10.2016.

mardi 20 février 2018

Vélocité et cécité

L'homme est un animal étonnant. Parmi ses innombrables sous-espèces, il en est une en particulier qui ne cesse de nous intriguer. Celle de l'automobiliste.
Observons un automobiliste sur le périphérique de l'Ile-de-France. De très nombreux bouchons et ralentissements sont annoncés. Dès qu'il sort d'un bouchon, l'automobiliste accélère fortement, tant il est pressé d'entrer dans le bouchon suivant à quelques centaines de mètres. Tout dans son attitude laisse supposer que l'automobiliste semble perdu hors des bouchons, qu'il se sent protégé en leur sein. Il en a besoin comme le lapin de son terrier.
Observons à présent un automobiliste sur l'autoroute. Un phare gyroscopique orange visible de loin signale qu'une équipe d'hommes procède à un entretien de la voirie. Mais l'automobiliste semble l'ignorer, se colle à son prédécesseur qui, par précaution et par respect pour ces travailleurs, lève le pied. Dès que la voie est libre devant lui, l'automobiliste accélère pour entrer plus vite dans la zone de travaux. S'il se trouve face à un rétrécissement de la chaussée, l'automobiliste se dépêche de dépasser un maximum de voiture avant de se coller le nez sur l'arrière d'un camion.
Observons enfin un automobiliste en zone rurale. Il roule sur une voirie où la vitesse est limitée à 90 km/h. Mais il est seul au monde, pense-t-il, ce qui l'autorise à rouler à 120. Même si dans cette région, il est courant, à la sortie d'un virage, de se retrouver derrière un tracteur, derrière un troupeau de brebis changeant de pâture, face à un chevreuil qui traverse sans crier gare ou encore devant l'une ou l'autre vache en goguette. Mais l'automobiliste n'en a cure, si sûr de ses réflexes et de sa supériorité de conducteur de voiture.
Ainsi va l'automobiliste: vite. Parfois, il rate un virage ou voit trop tard un tracteur ou rencontre un sanglier. Il a alors ce qu'on appelle un accident. Il est surpris. Jusqu'alors il n'en avait jamais eu. Il ne comprend pas.
Que peut-on tirer de ces observations? Qu'avant d'avoir un premier accident, on n'en avait, le plus souvent, jamais eu. Et que si la sous-espèce automobilistes était en voie d'extinction, on ne signerait pas de pétition pour la sauver.

mercredi 14 février 2018

Une belle Saint-Valentin

Si la chanson est le reflet de son époque, alors la nôtre est plutôt à la haine et à la brutalité. Le rap est à la mode. Au point que c'est un rappeur qui a remporté tout récemment les Victoires de la Musique de meilleur artiste, de meilleur album de musiques urbaines et de meilleur clip. On comprend pourquoi. Les chansons d'Orelsan sont fraiches et délicates comme un match de boxe thaïlandaise. Des textes aussi raffinés et élégants qu'un concours de dragsters. Bref, de la poésie à l'état brut. Vraiment brut. Témoin sa chanson Saint-Valentin (sortie il y a une dizaine d'années)  qui dit: "J' vais la limer jusqu'à ce qu'elle soit couchée et qu'elle voit des clochettes / Mais ferme ta gueule ou tu vas t' faire marie-trintignier / Je te l' dis gentiment / j'suis pas là pour faire de sentiments / J' suis là pour te mettre 21 centimètres / Tu seras ma petite chienne et je serai ton gentil maître / J' bois, baise jusqu'à ce que t'en sois mal en point" (1). Bref, une vraie chanson d'amour où la tendresse transparaît entre les lignes.
On pense à d'autres rappeurs tout aussi poétiques.
A Nekfeu qui appelait à "un autodafé pour ces chiens de Charlie Hebdo". C'était un peu plus d'un an avant le massacre d'une grande partie de l'équipe par des fous furieux d'Allah (2). Avaient-ils écouté son appel?
On pense aussi à Disiz la Peste (qui porte si bien son nom) qui, dans le même temps, s'adressant à l'équipe de Charlie, annonçait: "même si vous étiez muets je vous couperai la parole / vous voulez savoir comment je ferai / eh bien je vous couperai les mains" (3).
Ou encore à Black M qui chante "je me sens coupable quand je vois ce que vous a fait ce pays de kouffars", ou "je crois qu'il est temps que les pédés périssent, coupe-leur le pénis, laisse-les morts, retrouvés sur le périphérique", ou encore "les youpins s'éclatent et font les magasins" (4).
Ces rappeurs à la mauvaise haleine crieront sûrement à la censure si on critique leurs textes repoussants, d'autant qu'ils se savent populaires et, à ce titre, pensent sans doute pouvoir vomir les pires horreurs.
Sauf que les temps changent. Voilà qu'une pétition demande que les Victoires de la musique soient retirées à Orelsan pour le sexisme et les appels violents de certaines de ses chansons (1). 
Qui donc mettra fin à tous ces dérapages contrôlés, quels animateurs cesseront d'inviter dans leurs émissions ces chantres de la haine aux propos répugnants?

Post-scriptum:
- une opinion différente dans la Libre Belgique qui souligne que le rappeur a mûri, et celui-ci se défend en affirmant que les paroles citées ont été "sorties de leur contexte". Cet homme pourrait faire de la politique! Le contexte, le voici : https://www.youtube.com/watch?v=PRzKsIiOVkE (très contexte caniveau). http://www.lalibre.be/culture/musique/et-si-on-laissait-orelsan-tranquille-5a8593adcd70b558ed5d484d
- un autre rappeur, Booba, est critiqué pour ses "propos injurieux envers les femmes". 
http://www.lesoir.be/140192/article/2018-02-14/des-policiers-supplementaires-prevus-pour-le-concert-de-booba-ce-vendredi
Je ne mets pas tous les rappeurs dans le même sac, mais ce milieu-là semble quand même assez réac, non?

(1) http://www.lalibre.be/culture/musique/25-000-signatures-contre-les-textes-graves-et-inacceptables-du-rappeur-orelsan-5a843144cd70fdabba01d5b8
(2) (re)lire sur ce blog "Dé-rap-age", 27.11.2013.
(3) (re)lire sur ce blog "Le monde comme il essaie d'aller", 4.12.2013.
(4) (re)lire sur ce blog "J'irai danser sur vos tombes", 6.5.2016.
et aussi "La question des limites", 9.1.2015.

mardi 13 février 2018

Ma terre dolorosa

On aimerait bien se sentir solidaire des agriculteurs qui ne parviennent plus à vivre de leur travail. Mais faut avouer qu'on a du mal... Quand donc l'agriculture parviendra-t-elle à sortir de l'impasse dans laquelle elle s'est elle-même enfermée? Celle qu'on appelle conventionnelle, c'est-à-dire la majeure partie du secteur agricole en Europe, est depuis longtemps devenue - et reste - une agriculture chimique.
ll y a quelques mois, on entendait nombre d'agriculteurs protester contre l'éventualité d'une interdiction par l'Union européenne du glyphosate. Sans ce poison, nous mourrons, laissaient entendre les addicts au glyphosate. Ils ont alors manifesté un peu partout en France contre l'interdiction qui en avait été annoncée par Nicolas Hulot. "On n'a aucune solution de rechange" pour détruire les herbes avant les semis et pour "avoir de meilleurs relevés de culture", affirmait un agriculteur de l'Indre (1).
Même si l'agriculture biologique s'en passe aisément. Comment faisaient les grands-parents des agriculteurs conventionnels? Comment produisaient-ils sans cette chimie dangereuse?
Car dangereuse elle l'est. Il y a quelques jours, en Région Centre - Val de Loire, un colloque avait pour thème "Produits phytosanitaires et santé des agriculteurs et salariés agricoles". Le vice-président de la Chambre régionale d'agriculture y rappelait la nécessité de se protéger lors des épandages: cabines fermées, combinaisons, masques, gants sont indispensables, même si certains imprudents s'en passent lors de fortes chaleurs ou parce qu'ils les gênent pour certaines manipulations. Voilà donc les agriculteurs forcés de s'habiller comme des travailleurs de centrale nucléaire pour enrichir la terre de ce qui apparaît clairement comme un poison. Mais le vice-président de la Chambre d'agriculture rassure: "il n'y a pas d'explosion de chiffres" des maladies professionnelles, en particulier la maladie de Parkinson et les lymphomes malins non hodgkiniens. "La population agricole n'est pas la plus touchée", assure-t-il (2). Et là, brusquement, on s'inquiète plus encore: peut-être les riverains de grandes parcelles agro-industrielles sont-ils plus touchés que les espèces de cosmonautes qui les gèrent.
Cette agriculture-là est devenue totalement folle. Elle ne remet aucunement en cause cette utilisation de la chimie, elle se contente de tenter de se protéger de ses effets néfastes. La FNSEA, le syndicat majoritaire et lui aussi conventionnel (entendez par là agro-industriel), pousse ses membres au suréquipement (et donc au surendettement), à la surproduction, à l'utilisation de pesticides, d'herbicides, de fongicides (il y a là quelque chose de profondément contradictoire: comment peut-on prétendre créer du vivant à partir du déversement de produits qui - par définition et par fonction - tuent?).
Entre 2009 et 2015, l'usage de produits phytosanitaires a encore progressé de 20% dans l'agriculture française (3).

"L'agriculture conventionnelle tue les sols, empoisonne les rivières et les hommes, détruit les écosystèmes et participe fortement au réchauffement climatique", écrit Vincent Lucchese dans Usbek &Rica (3), c'est ce qui ressort selon lui du documentaire d'Hélène Médigue On a 20 ans pour changer le monde (qui sortira en salles en avril).
Il y a urgence à changer le rapport de l'agriculteur à la terre, mais aussi les systèmes d'aide.
"On milite, explique Maxime de Rostolan (qui travaille sur des projets de transition agricole) pour que les agriculteurs soient rémunérés selon une compatibilité en triple capital: financier, humain et naturel. Il faut mettre en place des mesures permettant d'évaluer les services écosystémiques qu'ils rendent à la société. Si le travail de l'agriculteur permet d'entretenir les paysages, de filtrer l'eau, de préserver la biodiversité, je préfère qu'on leur verse directement de l'argent pour ces services rendus plutôt que de payer des impôts pour réparer les dégâts de l'agriculture conventionnelle."
Rostolan plaide pour que le métier d'agriculteur soit "désirable", pour revaloriser le métier dans les esprits, pour que des jeunes - en travaillant en polyculture, en local, en bio - se lancent dans ce secteur qui, d'ici 2025, verra partir à la retraite la moitié des agriculteurs.

L'agroécologie est-elle rentable? De toute façon, il y a urgence à changer radicalement d'approche.  "Déjà le conventionnel ne fonctionne pas. On nous demande de prouver que nous sommes rentables alors que le modèle dominant ne l'est pas... Il est subventionné à hauteur de 10 milliards d'euros par an. A l'inverse on sait que certains agriculteurs arrivent à sortir 2.000 euros de salaire par mois en agriculture bio, locale." (3)
"Je pense sincèrement que l'agriculture dite conventionnelle, c'est-à-dire chimique, est une parenthèse dans l'histoire", déclarait récemment Patrick Bouju, viticulteur auvergnat (4).

(1) La Nouvelle République - Indre, 19.9.2017.
(2) "Ce sont bien les agriculteurs qui sont en première ligne", la Nouvelle République - Indre, 13.2.2018.
(3) https://usbeketrica.com/article/maxime-de-rostolan-certains-agriculteurs-bio-sortent-2-000-euros-de-salaire-par-mois
(4) Télérama, 13.9.2017.


jeudi 8 février 2018

La semaine du blanc

Non mais, on se fout de nous, non? On ne paie pas assez d'impôts ou quoi? Que fait le gouvernement? Que fait le président Macron? 
Trois jours que le centre de la France est bloqué par la neige. Ça commence à bien faire. Et voilà qu'on nous annonce de nouvelles chutes de neige pour cette nuit et la journée de demain. Un scandale! Hier, le pauvre Alain Juppé a mis quatre heures (oui, quatre!) pour aller de Bordeaux à Paris dans un TGV limité à 220 km/h à cause des intempéries (1). Vous croyez qu'il n'a que ça à faire, le maire Bordeaux, rouler si lentement ? Elle est belle, la France!
La neige, c'est bien dans les stations de ski, mais que font les maires, les préfets, la gendarmerie pour l'empêcher de tomber sur les trottoirs, les nationales et les autoroutes (2)? Qu'on fasse intervenir l'armée, on vient d'augmenter son budget.
Même le père tranquille Jean-Pierre Pernaut s'est énervé (2). C'est dire si le laxisme est grand et l'Etat incapable.
On se souvient de cet appel à manifester à la station de métro Glacière à Paris, lors d'un hiver assez rude dans les années '80, sous le slogan "Verglas assassin, Mitterrand complice!". 
N'ayons pas peur de le clamer: la neige, comme le disait Sarkozy à propos de l'environnement, ça commence à bien faire!

(1) http://www.huffingtonpost.fr/2018/02/06/meteo-la-neige-contraint-le-foll-a-faire-sa-conference-de-presse-par-telephone_a_23354078/?utm_hp_ref=fr-homepage

lundi 5 février 2018

Home sweet home

Finalement, c'est bien ou c'est pas bien les droits de l'homme, la démocratie, tout ce bazar sur lequel crachent ces djihadistes, nés et élevés en Europe et partis faire la guerre dite sainte (1) en Syrie ou en Irak? Ils rejettent les modes de vie à l'occidentale et veulent remplacer nos gouvernements d'impies et de mécréants par des institutions islamiques. La seule loi, pour eux, c'est la charia. Et voilà maintenant que celles et ceux qui ont été arrêtés dans ces pays demandent à être jugés dans leur pays d'origine. Là où les droits de l'homme sont respectés, au contraire des pays où ils ont contribué à faire tout exploser: des êtres humains, des maisons et des règles. Ils ont une conception de la justice à géométrie variable. Ou plutôt à intérêts variables. Entendez par là que c'est le leur qui prime largement sur celui des autres pour lequel ils n'ont que mépris. "Ces djihadistes, constate Guy Konopnicki (2), qui n'ont cessé de clamer leur haine de la France et de la République laïque, redécouvrent leur passeport français pour échapper à la justice des pays où ils ont semé la mort et la terreur."
Home sweet home, c'est désormais leur devise.
Suivre leurs souhaits et ceux de leurs avocats de les voir jugés dans leur pays d'origine serait contraire aux régles habituelles qui veulent que les crimes soient jugés là où ils ont été commis. "En suivant les beaux raisonnements de leurs défenseurs, souligne Guy Konopnicki, la nationalité française permettrait de protéger une partie des djihadistes, de les distinguer du gros des troupes. Les terroristes français jouiraient donc d'un privilège, ils pourraient agir en n'importe quel pays, sans jamais partager le sort de leurs frères d'armes. On ne saurait mieux revendiquer une justice coloniale séparant les djihadistes français des indigènes du Proche-Orient et du Maghreb, qui, eux, peuvent bien être pendus."
Oui mais, soulignent les défenseurs des djihadistes, on ne peut accepter qu'ils soient jugés par la justice d'un Etat qui n'existe pas (l'Etat kurde) ou qui, trop instable ou trop fragile, n'offrirait aucune garantie d'application de la peine prononcée. Pour juger des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, il existe une solution indiscutable: un tribunal pénal international qui jugerait les djihadistes quelles que soient leurs nationalités. "La France, conclut Guy Konopnicki, perdrait tout honneur en protégeant des criminels français. Il lui revient d'agir pour que les crimes de Daech soient traduits devant un tribunal international, pour n'être pas recouverts par l'oubli et la négation."

Pendant ce temps-là, face à la justice belge, Salah Abdeslam refuse de répondre aux questions du tribunal. Ce qui est son droit. "Moi, c'est en mon seigneur que je place ma confiance, s'est-il contenté de dire. Je n'ai pas peur de vous, je n'ai pas peur de vos alliés, de vos associés, je place ma confiance en Allah et c'est tout."  (3) Peut-être est-ce cela que veulent nos djihadistes: pouvoir venir se taire dans les tribunaux de chez eux. Voilà donc ce que sont les soldats internationaux de Dieu: de piètres individus qui veulent être jugés à la maison tout en étant incapables d'assumer leurs actes si peu glorieux et de les expliquer.

(1) Quelqu'un peut-il nous expliquer ce qu'une guerre peut avoir de sainte?
(2) "Juger les crimes de Daech", Marianne, 2.2.2018.
(3) http://www.lalibre.be/actu/belgique/20-ans-de-prison-requis-pour-abdeslam-et-ayari-le-proces-suspendu-jusque-jeudi-5a77f08ecd70f924c7d9d40e

samedi 3 février 2018

Un crime d'Etat

"Vous venez de passer un bon moment en regardant votre fiction avec telle marque", dit la voix off après la diffusion de Crime d'Etat (1). Eh bien non, on n'a pas passé un bon moment devant ce qui n'est pas une fiction. On a regardé effrayé le récit d'une réalité glaçante. Celle de l'assassinat déguisé en suicide d'un ministre français en 1979, celle de l'implication au plus haut sommet de l'Etat d'un groupuscule mafieux et criminel, celle d'un crime resté impuni à ce jour.
Ecœuré par ce qu'il avait découvert, Robert Boulin, 59 ans, alors Ministre du Travail et de la Participation dans le gouvernement dirigé par Raymond Barre, avait visiblement décidé de dire ce qu'il savait: le financement occulte du RPR, nouvellement créé par Jacques Chirac, par la Françafrique. Il avait des preuves que des valises de billets étaient apportées à des responsables du parti par des hommes de main de dictateurs africains. Comme l'explique dans le téléfilm l'un des acteurs de cette histoire, tout ce monde-là s'y retrouvait: l'Etat français soutenait les dictateurs en place, faisait des affaires dans ces pays aux ressources intéressantes et envoyait son armée soutenir les forces locales en cas de troubles. Et ce soutien avait un prix que des autocrates africains payaient au RPR sans trop d'états d'âme.
Dangereux concurrent aux yeux de certains, Robert Boulin, qui visiblement avait une vraie éthique, était l'objet d'une campagne de diffamation. Tout en se défendant, il a voulu contre-attaquer. Mal lui en lui a pris: trop seul et trahi par certains de ses proches, il a fini suicidé dans 50 cm d'eau dans un étang. Ce suicide est, aujourd'hui encore, la thèse officielle. Même si les gendarmes qui l'ont trouvé ont découvert un homme au visage tuméfié, comme après un tabassage, sans aucune trace de boue ni sur ses chaussures ni sur le bas de son pantalon, alors qu'il était censé avoir marché sept mètres dans la boue et la vase. Ces gendarmes ont été aussitôt écartés de l'enquête, confiée à des membres de la SRPJ qui l'ont expédiée rapidement. Le médecin appelé sur les lieux a signé le certificat de décès sans même examiner le corps.
Vers deux heures du matin, Raymond Barre, premier Ministre, et Christian Bonnet, Ministre de l'Intérieur, avaient été prévenus que le corps de Robert Boulin avait été retrouvé, mais l'avis officiel de recherche ne sera lancé qu'à 6h25 et le corps retrouvé par deux motards de la gendarmerie qu'à 8h40.
Au fil des années, de nombreuses pièces de l'enquête (y compris des organes du ministre) disparaissent. La veuve de Robert Boulin, pas dupe du sort qui avait été réservé à son mari, reçoit des pressions. Une forte somme lui est proposée pour qu'elle cesse de proclamer sa conviction que son mari a été assassiné. C'est visiblement le S.A.C., Service d'Action civique, groupe de barbouzes attaché au RPR, qui est derrière cet assassinat.
L'enquête apparaît complètement orientée. De nombreuses analyses pourtant logiques et indispensables n'ont jamais été effectuées. Comme s'ils avaient la certitude qu'aucune enquête sérieuse ne serait jamais menée, les exécuteurs du ministre ont à peine pris la peine de maquiller leur crime, sûrs que la thèse du suicide serait la thèse officielle soutenue par les plus hautes instances de la PJ, du Parquet, de l'Etat.

En septembre 2015, une nouvelle information judiciaire a - enfin - été ouverte au Tribunal de Versailles pour arrestation, enlèvement et séquestration suivi de mort ou assassinat. "L'enquête va enfin commencer", déclarait alors la fille de Robert Boulin, Fabienne Boulin-Burgeat. Beaucoup de protagonistes de l'affaire sont morts, mais quels sont les complices de ce crime d'Etat qui ont occupé et occupent encore d'importantes fonctions? On aimerait le savoir. 

Toutes les informations sur cette affaire sont très largement détaillées sur le site de l'association Robert Boulin - Pour la vérité (http://www.robertboulin.net) qui a "pour objet d'apporter son soutien moral et financier au combat de Fabienne Boulin-Burgeat. Trop d'éléments probants ont fait exploser la thèse du suicide, trop de questions restent en suspens auxquelles la justice française ne peut s'exonérer de répondre. La part d'ombre de la 5e République que renferme la vérité de l'affaire Boulin est plus que jamais d'actualité".

(1) Téléfilm de Pierre Atkine, 2012, diffusé sur France 3 en 2013 et rediffusé sur France 5 le 29.1.2018.