vendredi 30 juillet 2021

Désaccordés

Les lecteurs de ce blog ne m'en voudront pas, j'espère, si je reviens une fois encore (je me tairai ensuite pendant deux semaines) sur cette opposition au passe sanitaire, mais elle prend de telles proportions, s'exprime de manière tellement stupide et violente qu'elle inquiète. A sa tête tentent de se faire voir et entendre notamment de petits leaders d'extrême droite qui peinaient jusqu'ici à exister médiatiquement et une députée qui nous démontre qu'être psychiatre n'empêche pas de sombrer dans la folie (1). Lors de manifestations samedi dernier, des pharmacies ont été agressées, des centres de vaccination détruits, incendiés. Les opposants au passe sanitaire traitent les membres du gouvernement de nazis et agissent avec les méthodes de ces derniers. C'est la haine qui s'exprime sans qu'on comprenne bien ce flot de fureur imbécile. Il n'est le fait que d'une minorité, mais une minorité qui fait grand bruit et grande casse. A tous points de vue.

A gauche aussi on s'oppose au passe. Il n'y a pas que le virus qui mute. Ainsi, la CGT et Lutte ouvrière, qu'on avait toujours crus à gauche, sont-ils devenus les porte-parole de l'ultra-libéralisme. Lors d'une manifestation récente à Châteauroux (2), qui a dépassé les espérances des organisateurs, la secrétaire départementale de la CGT de l'Indre affirmait que "le refus de la mise en place d'un pass sanitaire, ce n'est pas qu'une question de vaccination, c'est une question de liberté fondamentale et de démocratie", laissant entendre que chacun a le droit de faire ce qu'il veut de son corps. Loin de toute vision collective.

Le slogan féministe "Mon corps m'appartient" a été récupéré par des opposants nombrilistes incapables de comprendre que tout corps est aussi social. Pendant toute notre existence, rappelle le journaliste et écrivain Jean-François Bouthors (3), notre corps dépend de la solidarité nationale "par laquelle se déploie tout un réseau d’accompagnement : en premier lieu le système de santé, la sécurité sociale, mais ensuite tous les équipements sociaux qui nous facilitent la vie, depuis l’école jusqu’aux transports et réseaux de communication. On peut même y joindre à des degrés divers tout le maillage économique, qui permet de se procurer nourriture, vêtements, travail, logements, équipements, etc. Par conséquent, si nul ne peut disposer du corps d’un autre à sa guise, force est de reconnaître que nos corps n’existent que dans une interdépendance et l’écologie nous a appris que celle-ci s’étend à tout le vivant." Dès lors, aucun corps ne peut se prétendre pleinement autonome. "Il en résulte des responsabilités et même des devoirs, puisque ce que nous vivons individuellement retentit d’une manière ou d’une autre sur tous les autres. C’est particulièrement évident en matière de vaccination, et de façon non symétrique, puisque se faire vacciner ne retire rien à personne, tandis que ne pas le faire affaiblit la protection de tous face à la pandémie. Qui plus est, c’est aussi prendre le risque d’occuper un lit de réanimation dont pourrait avoir besoin un accidenté de la route ou quelqu’un victime d’un infarctus ou d’un AVC… Nier cette dimension collective du corps n’est pas seulement s’entretenir dans une illusion solipsiste et libertarienne, c’est défaire le long travail des générations précédentes, certes imparfait, mais considérable, pour tisser les liens qui permettent d’échapper à la fatalité, à la brutalité dont fait parfois preuve la nature, à tout ce qui fait aussi de l’homme un loup pour l’homme." (...) "Affirmer mon corps m’appartient pour s’affranchir des solidarités essentielles, c’est donc ouvrir grande la voie de toutes les régressions sociales, à tous les replis identitaires qui taillent en pièces la communauté nationale, alors même que ceux qui défilent ces jours-ci prétendent les combattre. C’est aussi donner raison par avance à tous ceux qui demain s’opposeront aux mesures les plus urgentes de lutte contre le réchauffement climatique, en se prévalant de leur liberté pour s’exonérer de toute contrainte."

Parmi les opposants au passe sanitaire, il y a ceux qui s'inquiètent du danger de l'injection de "chimie" dans leur corps, mais qui travaillent au quotidien avec des engins thermiques qui dégagent généreusement des gaz d'échappement très... chimiques. Ceux qui, pour le moindre déplacement, prennent leur voiture, sans aucun souci de la pollution qu'ils génèrent, mais qui, tout à coup, refusent un vaccin parce qu'ils se mettent à rêver d'un monde qui préserverait leur pureté. Comme s'ils n'avaient de leur vie ingéré aucun médicament, reçu aucun vaccin, respiré aucun air pollué. Comme si seul leur corps comptait.

Il y a quelques jours, un sénateur de la majorité, Claude Malhuret, médecin, raillait les antivax: "On nous a tous inoculé dès notre plus jeune âge le DT-coq-polio et depuis, Agnès Buzyn, cette autocrate, a rajouté huit vaccins obligatoires. Le carnet de vaccination, ancêtre du passe sanitaire, instaurait un contrôle généralisé de la population. Big brother avait décidé qu’aucun enfant, tenez-vous bien, ne pouvait entrer à l’école sans cet ausweiss pour parler comme notre collègue (il parle d'un élu RN-ex-FN). Notre droit le plus sacré à choisir la maladie plutôt que l’immunité était bafoué depuis Pasteur. Les Français eux-mêmes avaient intériorisé la servitude, pensant, comme Hobbes, que seul un Léviathan armé de seringues et d’aiguilles pouvait les sauver. Heureusement, comme Zorro, Facebook et Twitter sont arrivés, permettant à une avant-garde éclairée de se regrouper contre le totalitarisme vaccinal. Après que durant des années 11 vaccins nous aient été injectés à l’insu de notre plein gré, au douzième, bingo, nos yeux se sont dessillés, grâce à ces combattants de la liberté qui ont eu le courage de nommer l’infamie du passe sanitaire : apartheid pour Florian Philippot, coup d’Etat pour Asselineau, discrimination généralisée pour Coquerel, et ce soir enfermement généralisé pour Ravier ; étoile jaune ou Shoah pour les plus audacieux. En définitive la meilleure preuve des progrès de l’humanité, c’est qu’en 2500 ans nous sommes passés de Socrate sur l’agora à Francis Lalanne sur Facebook. Quel dommage que les réseaux sociaux n’aient pas existé plus tôt pour défendre contre les dictateurs de la piqûre la liberté de mourir en harmonie avec la nature et ses dons, parmi lesquels nos compagnons de toujours, la variole, la poliomyélite, la peste et le choléra qui ont permis aux plus grands auteurs, Camus, Giono, Thomas Mann ou d’autres, d’écrire les chefs-d’œuvres immortels de la littérature de pandémies. La variole a disparu, le COVID, lui, a des chances de survivre grâce à tous les résistants numériques qui exigent le droit d’attraper le virus et de le combattre, comme les Polonais de 40 contre les chars soviétiques, à la seule force de leurs poitrines et de leurs mains nues, et le seul secours de l’hydroxychloroquine, elle parfois renforcée par un médicament redécouvert : le Ricard. (...) Je voudrais, très sérieusement cette fois, implorer qu’on veuille bien cesser cette mauvaise querelle sur les libertés. Ce n’est pas le gouvernement, le pouvoir médical ou les partisans de la vaccination obligatoire qui les restreignent, c’est la pandémie. Loin d’être un viol de notre liberté, les mesures annoncées sont les conditions de son rétablissement. Vaccination accélérée ou confinement dans deux mois, voilà l’alternative qu’ont très bien comprise la grande majorité des français, qui réalisent que c’est en bornant quelques libertés aujourd’hui qu’on a une chance d’en sauver de bien plus précieuses en septembre. C’est donc ce que nous allons faire et ce choix ne fait pas du Président un dictateur mais un décideur. Il ne fait pas du Parlement un rassemblement de tyrans mais une assemblée de responsables. Cette décision est-elle difficile ? Elle est au contraire limpide. Le vaccin est une prouesse scientifique que des milliards d’êtres humains attendent désespérément d’obtenir. Quel gouvernement serait assez irresponsable pour ne pas le proposer à tous, le plus vite possible et protéger en attendant ceux qui ne le sont pas encore ? Il ne reste donc que des questions de méthode, ce qui ne les rend pas plus simples pour autant. Et d’abord fallait-il choisir la vaccination obligatoire pour tous ou le durcissement du passe sanitaire ? La première solution a l’avantage de nombreux précédents et de la simplicité du message. Son inconvénient est de ne pouvoir être achevée avant plusieurs mois alors que le temps presse. L’épidémie flambe de manière exponentielle. Les Chinois viennent de découvrir que la charge virale du variant delta est mille fois supérieure à celle des variants précédents. Et nous serons dans quelques jours à 40 000 ou 50 000 cas quotidiens. Le gouvernement a choisi le passe sanitaire, estimant qu’il sera mieux accepté et surtout qu’il est d’application immédiate, et enfin qu’il n’exclut pas, le cas échéant, la première solution. Si l’on se rallie à cette stratégie, et c’est mon cas, il nous reste donc à en préciser les contours."

Alors que le variant Delta fait repartir à la hausse les contaminations un peu partout, en Chine, aux Etats-Unis, en Thaïlande, au Sénégal, au Bangladesh et ailleurs, débordant les services de soin, des milliers de gens ne trouvent rien de plus positif et utile à faire que de manifester  contre le passe sanitaire, voire contre le vaccin. Que veulent-ils donc ces opposants ? Que leur gouvernement agisse comme Trump ou Bolsanoro qui ont totalement minimisé la gravité de ce virus avec les conséquences que l'on connaît ? Qu'a-t-il donc ce vaccin qui rend stupides ceux qui s'y opposent ? On se met à rêver d'un vaccin contre la bêtise, l'individualisme, la haine et la violence. Les leaders de cette absurde lutte antivax sont écœurants, mais ils nous font parfois rire, même si c'est jaune. Ainsi, Florian Philippot qui grâce à son passe sanitaire a pu aller en Italie manifester contre... le passe sanitaire. Ou François Asselineau qui vient d'être atteint par la Covid-19 et se soigne, dit-il, avec de l’ivermectine et de l’hydroxychloroquine «fabriquée en Chine», ce qui lui permettra de manifester ce samedi à Paris contre le passe sanitaire, qu'il juge «absurde, injuste et totalement liberticide», et de répandre ainsi le virus autour de lui. Et son venin.

Je suis le nombril du monde / Tu es le nombril du monde / Le nombril, le nombril / La Lune aussi est le nombril du monde / La Lune aussi est le nombril du monde / Je t'ignore, tu m'ignores / Norge

Post-scriptum du 1er août: https://www.liberation.fr/societe/indignation-apres-lagression-dun-pharmacien-a-montpellier-par-des-anti-pass-20210801_F4VT5SEH3BH55OUVELVMZ2FEJM/

P.S. du 12 août: https://www.huffingtonpost.fr/entry/vous-hesitez-a-vous-faire-vacciner-les-reponses-aux-questions-qui-vous-font-douter_fr_61126e5ae4b0710ba2e02803

https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/les-manifestations-anti-passe-sanitaire-ou-la-liberte-usurpee

Post-scriptum du 14 août: excellente tribune sur les fourvoiements de la gauche: https://www.nouvelobs.com/idees/20210814.OBS47507/tribune-la-critique-de-gauche-du-pass-sanitaire-se-perd-dans-une-impasse-confusionniste.html

(1) https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/07/27/du-masque-qui-ne-sert-a-rien-aux-vaccins-qui-ne-protegent-personne-martine-wonner-itineraire-d-une-deputee-sous-influence-complotiste_6089617_4355770.html

(2) https://www.lanouvellerepublique.fr/indre/a-chateauroux-le-pass-ne-passe-pas?queryId%5Bquery1%5D=57cd2206459a452f008b4594&queryId%5Bquery2%5D=57c95b34479a452f008b459d&page=30&pageId=57da5ce5459a4552008b469a

(3) https://www.ouest-france.fr/reflexion/point-de-vue/point-de-vue-corps-individuel-et-collectif-6d9f1858-ef82-11eb-b392-b52b571b94f4


(4) https://www.vosgesmatin.fr/sante/2021/07/25/il-demonte-les-antis-les-punchlines-du-senateur-claude-malhuret-ont-fait-le-buzz

samedi 24 juillet 2021

L'homme sage

Moi, je me ferai vacciner quand on m'aura prouvé que ça ne provoque pas le cancer, dit l'homme en allumant une cigarette.


Ma position, qui n'engage que moi bien sûr, est la suivante: je suis pour la vaccination, je suis catégorique. Je pense que le fait de ne pas se faire vacciner serait irresponsable. Bien sûr, chacun est libre de faire ce qu'il veut, mais, par exemple, l'argument de dire: c'est mon corps et je ne veux pas qu'on y touche est valable dans le cas d'une personne isolée. C'est oublier que nous vivons en collectivité et que, en ne nous vaccinant pas, nous risquons de contaminer les autres. Nous fragilisons le système de défense face au virus, qui cherche à muter pour atteindre le plus de monde possible. Si nous le laissons faire, il finira par atteindre nos plus jeunes enfants.

Hubert Reeves (lu sur Facebook)

lundi 19 juillet 2021

Supprimons le code de la route

Bien sûr, ceux qui ont envie de respecter les limitations de vitesse peuvent le faire. Si ça leur plaît, pourquoi pas? Mais chacun doit avoir le droit de rouler à la vitesse qu'il veut. D'ailleurs, tout le monde n'a pas le temps de rouler tranquillement. Ceux qui font vivre l'économie n'ont pas de temps à gaspiller sur les routes. Le port de la ceinture de sécurité doit rester un choix personnel. Nous sommes en démocratie, chacun a le droit de faire ce qu'il veut de son corps. Et il est quand même ahurissant de voir que tant de gouvernements se sont soumis au lobby des fabricants de ceinture. Ceux qui veulent à toute force nous contraindre à rouler prudemment sont des nazis. Et puis, tant qu'à faire, supprimons le permis de conduire qui est très élitiste et conduit à diviser en deux la société, stigmatisant ceux qui ne l'ont pas. C'est leur droit, quand même, de rouler sans permis. Nous sommes en démocratie.

On voit par là que, contrairement à ce que veulent (nous faire) croire les anti-vaccins, la liberté individuelle n'existe pas dans l'absolu, que dans toute société des règles et des contraintes sont indispensables pour nous protéger les uns les autres, les uns des autres. Mais la raison semble les avoir quittés. Au point de rendre ignobles certains des tenants de "la liberté". Samedi, des milliers de manifestants un peu partout en France ont protesté contre le passe sanitaire. A Marseille, certains d'entre eux affichaient des photos du président de la République, du Premier ministre, du Ministre de la Santé et d'experts scientifiques et de médecins, tous affublés de la moustache d'Hitler. Comme si protéger la population - fonction régalienne de tout Etat - revenait à diriger le pire des régimes. "Ces gens qui jouent aux résistants en temps de paix, ces gens qui osent promettre aux médecins un nouveau Nuremberg sont des pourritures", a déclaré un médecin visé nommément, s'en prenant aux organisateurs de ces manifestations qu'il accuse d'être des menteurs et des manipulateurs (1). D'autres manifestants affichaient une étoile jaune, laissant entendre que la situation des non-vaccinés est comparable à celle des juifs pendant la seconde guerre mondiale. Immoral, monstrueux, abject, ignoble, révoltant, honteux sont autant de qualificatifs que leur ont renvoyés divers élus politiques. « L’étoile jaune était un passeport qui vous conduisait à la mort, tandis que le vaccin permet de sauver des vies », a rappelé Arno Klarsfeld à ces philistins qui ont perdu tout sens de la mesure et de la dignité (2). D'autres ont été plus loin encore, dépassant les limites de l'abjection: une panne d'électricité volontaire a touché un centre de vaccination dans le Doubs, un autre a été vandalisé en Isère et un troisième incendié dans les Pyrénées atlantiques (3). Les criminels sont parmi eux.

"La plus grande bataille que nous ayons à mener aujourd'hui est une bataille pour la raison, écrit Jacques Julliard dans Marianne. Contre le fidéisme. Contre l'économisme. Contre le déconstructivisme." On pourrait ajouter: contre l'abjection, contre l'amalgame, contre le crétinisme. Citant Alain Finkielkraut, Jacques Julliard voit dans le mouvement antivax une défaite de la pensée. "Si la crise du Covid amenait les Français à prendre conscience que le seul choix véritable n'est pas entre la droite et la gauche, mais entre le déclin et la renaissance, la crise actuelle n'aurait pas été inutile", conclue-t-il.

Post-scriptum (ce même 19 juillet en soirée): à lire, cet article d'Antonio Fischetti sur le site de Charlie Hebdo "Le gloubi-boulga des anti-pass sanitaire" https://charliehebdo.fr/2021/07/societe/gloubi-boulga-manifs-anti-pass-sanitaire/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=QUOTIDIENNE_19072021__ABONNES&utm_medium=email En voici les dernières lignes: "question atteinte aux libertés, on pourrait dire la même chose de toutes les campagnes sanitaires. En France, la première vaccination obligatoire date de 1902 (contre la variole, qui a été éradiquée depuis), suivie par bien d’autres à partir des années 1930 : diphtérie (1938), tétanos (1940), poliomyélite (1964)… Il faut quand même rappeler – car il y en a qui semblent l’avoir oublié – que ces vaccinations forcées ont permis de sauver des millions de vies. Qu’on le veuille ou non, la vaccination massive est aujourd’hui le plus court chemin pour retrouver la liberté de se déplacer. Et il serait même judicieux d’ajouter, à l’obligation de se vacciner, une autre obligation : celle de donner des vrais moyens aux hôpitaux. Mais ça, ce n’est malheureusement pas à l’ordre du jour."

(1) https://www.huffingtonpost.fr/entry/pass-sanitaire-la-colere-froide-de-ce-medecin-sali-par-la-manifestation-a-marseille_fr_60f33463e4b0a771e804c7ff

(2) https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/07/19/le-port-de-l-etoile-jaune-lors-des-manifestations-contre-le-passe-sanitaire-suscite-l-indignation_6088738_823448.html

(3) https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/07/19/doubs-plainte-deposee-a-la-suite-d-une-coupure-d-electricite-ciblee-dans-un-centre-de-vaccination_6088745_3224.html

(4) Jacques Julliard, "Les antivax, une défaite de la pensée", Marianne, 16.7.2021.

mercredi 14 juillet 2021

Se vacciner contre l'individualisme

Désormais en France, il faudra montrer patte blanche - un passe sanitaire - pour entrer dans les lieux culturels et sportifs, dans les bars et restaurants, dans tous les centres commerciaux, les transports collectifs à longue distance, tous les espaces qui rassemblent plus de cinquante personnes. C'est qu'il faut bien tenter d'éviter une quatrième vague qui menace et dont le variant Delta et les résistants à la vaccination favorisent l'émergence. Cette exigence est apparemment plutôt bien acceptée par la majeure partie de la population et par les différents partis, à part ceux des extrêmes qui multiplient les arguments populistes pour soutenir ceux que l'idée même d'un passe sanitaire fait hurler. Certains n'hésitent pas à parler de  dictature ou, un peu plus subtilement, de démocrature. La seule dictature actuellement dans nos pays est celle du virus. Peut-on continuer à le laisser régulièrement empêcher les activités publiques, nous obliger à nous confiner, à vivre avec un masque, à rester distants les uns des autres? Alors qu'il existe une et une seule solution: la vaccination. Les opposants au vaccin n'ont d'intérêt que pour leur nombril qu'ils appellent liberté individuelle, sans souci pour l'intérêt collectif. Le vaccin trouve tout son sens et son intérêt dans son impact sur l'ensemble de la population.

"La coexistence de vaccins obligatoires et de vaccins recommandés est le reflet de l’histoire de la vaccination en France, rappelle le Ministère français des Solidarités et de la Santé (1). Avant l’arrivée des vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, ces maladies représentaient de véritables fléaux, responsables à elles trois de plusieurs milliers de décès d’enfants par an en France. L’État a décidé de les rendre obligatoires afin de s’assurer que tous les enfants puissent y avoir accès et être protégés." (...) " La couverture vaccinale correspond à la proportion de personnes vaccinées dans une population à un moment donné. Une couverture vaccinale élevée constitue un élément clé dans le contrôle des maladies infectieuses, permettant de protéger une population contre une maladie donnée. Ainsi, par exemple, l’élimination de la rougeole nécessite un niveau de couverture vaccinale de 95 % chez le jeune enfant. En France, ce niveau n’a jamais été atteint depuis l’intégration de cette vaccination dans le calendrier vaccinal, ce qui explique l’épidémie qui a provoqué des milliers de cas entre 2008 et 2011. Seule une couverture vaccinale élevée a permis l’élimination de la diphtérie et de la poliomyélite et la quasi- élimination des infections massives à Hæmophilus influenzae b, Hib. Les niveaux insuffisants de couverture vaccinale atteints pour la vaccination rougeole-oreillons-rubéole et contre le méningocoque C, ainsi que contre la grippe et l’hépatite B, sont à l’origine d’une morbidité et d’une mortalité résiduelles, que l’on peut considérer inacceptables, d’autant que les vaccins correspondant ont un profil de sécurité d’utilisation tout à fait satisfaisant. Augmenter ces couvertures vaccinales devrait être considéré comme une priorité de santé publique afin de prévenir la survenue de drames facilement évitables."

On ne peut s'empêcher de maudire tous ceux et toutes celles qui refusent de se faire vacciner contre la Covid-19 sous prétexte qu'on est en démocratie et que chacun fait fait fait c'qui lui plaît plaît plaît. En démocratie, chacun est censé faire preuve de solidarité. Voilà les cafetiers et les restaurateurs, les responsables de cinémas, de théâtres, de salles de sport invités à jouer les flics pour contrôler les passeports sanitaires afin d'enrayer la propagation du virus que stopperait pourtant une vaccination de l'ensemble de la population. Les opposants au passe ignorent ou méprisent du haut de leur superbe tous ceux dont les activités professionnelles ou associatives vont être compliquées, freinées ou empêchées. Ils ne veulent pas voir que derrière le vaccin ce sont la santé publique et la liberté collective qui se profilent.

"La liberté est au fondement de notre vie collective et ma sensibilité personnelle me pousse à en faire la base de mes représentations politiques, affirme le sociologue Gérald Bronner. Cependant, comme toute valeur, elle devient idéologique et même parfois mortifère lorsqu’elle est défendue inconditionnellement. Sur ce point, Hobbes a tout dit dans son Léviathan lorsqu’il souligna que la liberté non régulée aboutit immanquablement à la pire des tyrannies. Cette régulation des libertés individuelles est rendue nécessaire lorsque l’expression de l’égoïsme de chacun peut gravement nuire à l’intérêt de tous. Nous y sommes : nous sommes tyrannisés par un virus et ses variants qui menacent notre santé, nos libertés de circuler, de nous voir, notre joie de vivre donc et plus encore. La crédulité de certains de nos concitoyens - qui refusent de se faire vacciner, qui imaginent des dangers irréels - collabore à proprement parler avec cette menace. Dans ces conditions l’obligation vaccinale me paraît moins une violation de nos libertés que la possibilité même de les rétablir."

Post-scriptum du 15 juillet: J'ai croisé ce matin G., 97 ans. Il est furieux. Il a, m'explique-t-il, claqué la porte du bistrot parce que la tenancière refuse de se faire vacciner. Je ne comprends pas, peste-t-il. Il dit qu'il a vu autour de lui tant de gens mourir de la tuberculose, tant d'autres rendus infirmes par la poliomyélite et se réjouit que les vaccins aient protégé toutes les générations depuis. Et le vaccin contre la rage, poursuit-il, combien de vies n'a-t-il pas sauvées? Je ne comprends vraiment pas qu'on puisse s'opposer à la vaccination, répète-t-il. Ceci dit, conclue-t-il, on a le droit de refuser le vaccin, mais alors on reste chez soi, sans aucun contact physique avec qui ce soit.

(1) https://solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/preserver-sa-sante/vaccination/vaccins-obligatoires/article/11-vaccins-obligatoires-depuis-2018

(Re)lire sur ce blog "Faire société", 3.7.2021; "Faiblesse intellectuelle", 23.5.2021; "Liberté chérie", 12.4.2021.

mercredi 7 juillet 2021

Un moral de looseuse

Marine Le Pen ne croit pas à la possibilité d'être présidente de la République française en 2022. Le week-end dernier, au congrès de son parti, à peine réélue à son poste de présidente avec un score nord-coréen (98,35% des voix), elle s'en est mise en congé à partir de septembre, faisant désigner président intérimaire Jordan Bardella, député européen. Elle aura ainsi tout le temps de se consacrer à sa campagne et d'aller à la chasse aux innombrables électeurs perdus lors des dernières élections régionales et départementales. Elle aurait pu démissionner, posant un geste fort, affirmant ainsi sa conviction que cette fois serait la bonne, que le terme de cette campagne ne peut être que son élection à la tête de la République. Mais elle préfère se garder au chaud - et au sein de la famille (Bardella est aussi le compagnon d'une de ses nièces) - la place que lui a cédée son cher papa. Elle laisse juste entendre qu'elle va faire campagne et la perdre. Son destin: rester une fille à papa.



samedi 3 juillet 2021

Faire société

La pandémie de Covid-19 a fait près de 4 millions de morts dans le monde depuis fin décembre 2019, mais l'OMS estime que le bilan pourrait être deux à trois fois plus élevé que celui officiellement calculé. Et on est loin d'en avoir fini avec ce satané virus. L'Ouganda reconfine, de même que le Portugal dans de nombreuses villes. Tunis est partiellement reconfiné. Djakarta met en place des restrictions d’urgence face à des records de contaminations quotidiennes. Israël réinstaure le port du masque dans certaines zones. C'est que le variant Delta galope un peu partout. En Grande-Bretagne et à Moscou, il représente 90% des nouvelles contaminations. Dans le Royaume dit Uni, il s'attaque principalement aux 20-29 ans. En Russie, 62% de la population refusent de se faire vacciner. La nouvelle vague de Covid-19 amène les autorités russes à imposer de plus en plus le vaccin. Les campagnes de vaccination rencontrent dans les grands pays un plafond de verre, qui, selon Jean-François Delfraissy (1), "correspond à deux types de population qui seront responsables d’un impact du variant Delta. Ce sont les non vaccinés au-dessus de 70 ans et les 40-60 ans, à risques, qui ne se sont pas fait vacciner." Quant à savoir quand le Covid-19 sera éradiqué, "on en aura fini quand 100% de la population sera vaccinée ou contaminée, probablement en 2022", estime le président du Conseil scientifique français.

Les opposants au vaccin sont moins nombreux qu'il y a un an, mais leur nombre reste trop important et c'est lui qui permet au virus de muter et de continuer à se développer. "D'après les données remontant des quatre coins du monde, une vaccination généralisée resterait malgré tout le meilleur remède contre les variants", écrit Marianne (2). Les scientifiques s'accordent pour nous annoncer une quatrième vague à la rentrée avec son lot de fermetures et d'interdictions si la vaccination ne progresse pas. Mais comment convaincre les anti-vaccins? Ils sont souvent anti-système et ne veulent pas se rendre compte que leur attitude favorise le système virus qui, plus malin qu'eux, s'adapte, mute, se répand avec une ampleur qu'il n'espérait plus. Ils ne veulent pas non plus voir que leur position individualiste met à mal le bénéfice collectif de la vaccination. Hier encore, alors que le gouvernement français envisage de rendre obligatoire la vaccination chez les soignants, on entendait dans un journal télévisé une anesthésiste anti-vaccin déclarer qu'elle est adulte et qu'elle est à même de savoir ce qui est bien ou non pour elle. Elle ne se pose pas la question de savoir ce qui serait bien pour l'ensemble de la société. Est-elle vraiment aussi adulte qu'elle le pense? " Si nous sommes frappés par une quatrième vague, ce ne sera ni la faute de la mère Nature ni même, pour une fois, celle du gouvernement. Mais la faute des non-vaccinés. À cause d’eux, nous risquons de perdre la course contre la montre : monter le niveau d’immunité collective avant que le virus n’ait trop muté", écrivait récemment Caroline Fourest dans Marianne.

En fait, on l'a écrit déjà, les anti-vaccins ont une attitude ultra-libérale: je fais ce que je veux, l'Etat ne peut rien m'imposer. Ce sont pourtant les mêmes sans doute qui se feront vacciner quand ils auront besoin d'un passe sanitaire pour se rendre en vacances à l'étranger. Leur rapport au vaccin est lié au confort individuel. Combien d'entre eux n'ont pas un jour accepté, sans aucune réticence, de se faire vacciner contre la fièvre jaune ou d'autres maladies tropicales parce qu'ils avaient envie de voyager en Afrique ou en Asie? Le vaccin est la seule solution pour se protéger, protéger les autres et vaincre un virus. Mais les anti-vaccins ressemblent à ceux qui refusent, au second tour d'une élection, de voter pour la droite pour empêcher l'extrême droite de l'emporter: ils comptent sur les autres pour empêcher le virus de s'installer, mais sont fiers de se présenter comme des purs. Leur pureté individuelle compte plus que l'intérêt collectif. 

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-30-juin-2021

(2) "Variant Delta - Le coup du lièvre et de la tortue?", Marianne, 2.7.2021.

(Re)lire sur ce blog "Liberté chérie", 12.4.2021 et "Collective par définition", 27.8.2020.