mardi 30 août 2022

Un homme sans concession

Finalement, je suis d'accord avec Jean-Attila Mélenchon : « Ça va être la bataille générale, il n’y a pas d’arrangement possible avec nous, ni arrangement ni concession », a-t-il déclaré le 26 août, à Valence lors des journées d’été de La France insoumise.
C'est ce que je dis depuis toujours à ma compagne, à mes enfants, à mes amis : on ne discute pas avec moi. Mais aujourd'hui, il n'y a plus que mon chien pour m'écouter. Parfois, il ouvre un œil quand je lui parle.

lundi 29 août 2022

L'ivresse du voyage

Enfin ! Enfin, les gouvernements commencent à envisager des politiques de sobriété énergétique! Depuis le temps que les scientifiques, les naturalistes et les écologistes les y convient. 
Dans le même temps, les Américains lancent, aujourd'hui, leur mission Artemis-1. Son objectif : tester tous les systèmes nécessaires à un aller-retour Terre-Lune, avant les vols habités prévus en 2024 et 2025. Et au-delà organiser des voyages vers Mars. On se le demande : de tels voyages sont-ils compatibles avec une politique de sobriété énergétique ? On a des doutes.

Post-scriptum : Je n'y suis pour rien, mais ça me réjouit :
https://www.lalibre.be/planete/sciences-espace/2022/08/29/retour-sur-la-lune-suivez-en-direct-des-14h30-le-decollage-de-la-fusee-la-plus-puissante-au-monde-video-ZHN3IVHH6FCQPB76GJ25KLCM2M/

jeudi 25 août 2022

Un chasseur sachant ne pas chasser

Rien ne peut arrêter le chasseur. Surtout pas la souffrance animale, ni même l'hécatombe dont est victime la faune sauvage du fait des incendies, des canicules, de la sécheresse, des inondations, de la baisse de la biodiversité. On a tous vu, dans des reportages télé, ces sangliers aux pattes brûlées, ces chevreuils fuyant le feu, ces cadavres d'animaux carbonisés. Tous, sauf les chasseurs qui ne voient que le bout de leur fusil.
Ainsi Régis Hargues, directeur de la fédération des chasseurs des Landes (où le 12 août 7.400 hectares déjà avaient brûlés) : "Il n'y a pas eu de mortalité. Il n'y a pas eu de déplacement massif des animaux. Si on voit des signes de détresse des populations, on reculera l'ouverture." (1) Il tombe sous le sens du commun des mortels qu'il faudrait interdire toute chasse cette année au moins. Mais les chasseurs ne sont pas le commun des mortels, mais le commun des obstinés qui détruiront jusqu'au dernier des vers de terre, avant de se plaindre qu'ils n'ont plus rien à se mettre sous le canon.
Marc Giraud, écrivain et porte-parole de l'Association pour la protection des animaux sauvages, est d'un tout autre avis : "Les victimes les plus visibles sont les poissons, privés de leur milieu de vie, agonisant par milliers dans l'eau brûlante, séchés sur la boue fissurée. Avec eux trépassent les grenouilles, les insectes et tant d'autres misérables bestioles sur lesquelles personne ne semble se pencher, mais qui sont les bases de toute chaîne de vie. Même phénomène avec les animaux terrestres : seuls les plus gros arrivent à toucher nos consciences, une image de faon ou de sanglier sauvés des flammes nous cache l'hécatombe silencieuse de nos forêts en cendre. Même les oiseaux ne peuvent échapper aux incendies géants et aux gaz toxiques." (2)
Même sans incendie, le manque d'humidité tue la microfaune, les vers, les insectes qui nourrissent les autres espèces. Et les survivants sont plus vulnérables que jamais.
C'est toute la chaîne alimentaire de la vie sauvage qui est gravement perturbée. Mais le chasseur, ce grand écologiste, ne veut rien voir. 
Laisser tirer des chasseurs aveugles, c'est accélérer l'hécatombe.

Oui, l'homme est responsable et rendra compte un jour (...)
Ce gai chasseur, armant son fusil ou son piège
Confine à l'assassin et touche au sacrilège.
Victor Hugo, "Le droit de l'animal".

(1) Charlie Hebdo, 24.8.2022.
(2) Luce Lapin, "Ni chasse, ni pêche !", Charlie Hebdo, 24.8.2022.
 A lire : https://www.aspas-nature.org/la-faune-a-besoin-deau-pas-de-fusils

mercredi 24 août 2022

Indignation sourde

L'indignation est-elle compatible avec la réflexion ? Nous voilà dans un temps où il faut s'indigner. De tout et de rien. De l'inaction comme de l'action. Beaucoup d'indignés tempêtent à tort et à travers, hurlant sans réfléchir. 
En Finlande, on trouve scandaleux de voir - via des images d'une fête privée qui n'avaient évidemment pas vocation à être diffusées publiquement - la première ministre danser.
La dernière polémique (à cette heure) en France concerne l'organisation d'activités de type Koh-Lanta à la prison de Fresnes. Le 27 juillet dernier, durant une demi-journée, trois équipes de dix membres chacune se sont affrontées amicalement : des détenus, des surveillants pénitentiaires et des jeunes de la commune de Fresnes. Elle se sont rencontrées dans des épreuves ludiques et sportives : quiz, tir à la corde au-dessus d’une piscine, karting. C'est grave, a tonné l'extrême droite, dont l'indignation a été reprise par une partie de la presse et tous les comptoirs de bistrots. 

Des détenus s'amusent comme une vulgaire première ministre finlandaise, voilà ce qui met hors d'eux les gens comme il faut. Les détenus devraient rester enfermés à ne rien faire, le temps de leur peine, voilà ce que pensent sans réfléchir les gens bien. Le Ministre de la Justice jure ses grands dieux qu'il n'a pas été informé des projets de la prison. Mais pourquoi devrait-il l'être, alors que des activités sportives et culturelles sont organisées très régulièrement, comme le prévoit la loi, dans les 187 centres pénitentiaires du pays (1) ? La sélection des détenus s'est faite dans les règles : "le comportement en détention et l’investissement dans une formation ou un travail sont pris en compte dans l’évaluation avant de pouvoir bénéficier d’une telle carotte, y compris pour des personnes incarcérées pour un crime" (2).
Eric Dupond-Moretti a cependant réaffirmé l’importance qu’il accordait aux activités en détention, que ce soit un travail, une formation ou une activité sportive ou culturelle. La prison, c’est « la sanction et la réinsertion », a-t-il martelé, tout en estimant - donnant raison à l'extrême droite - que le karting devrait être exclu des ces activités, sans qu'on comprenne pourquoi le ministre exclut celle-là plutôt qu'une autre.
De plus, le financement de ces activités n'a pas été "payé par le contribuable" mais a été intégralement pris en charge par l’association Unitess qui organise régulièrement des compétitions et des animations entre jeunes de cités et policiers pour récréer du lien.

Le président de l’Observatoire international des prisons, Matthieu Quinquis, estime cette polémique "choquante" et symptomatique des fantasmes que la société plaque sur les conditions de vie des personnes détenues (3).  "Le scandale , dit-il, ne doit pas venir de cette activité mais plutôt du quotidien des personnes détenues et des conditions de détention qui leur sont imposées chaque jour, dans de très nombreux établissements pénitentiaires, qui sont parfaitement connus et documentés et que le ministère de la Justice ne peut ignorer. La France est régulièrement condamnée par les juridictions françaises et européennes. Donc je suis scandalisé de voir que le garde des Sceaux préfère consacrer sa rentrée politique à cette polémique plutôt qu’à enfin mettre en œuvre les réformes qui s’imposent pour que les droits des détenus soient respectés." Il dénonce ces élus pour qui la prison doit se contenter d'enfermer  des condamnés comme s'ils devaient payer leur peine sans être préparés à une réinsertion et qui aiment présenter les centres de détention comme des centres de vacances. "Le quotidien des personnes détenues, c’est beaucoup d’attente et d’ennui, peu d’accès aux formations, peu d’accès au travail, peu d’accès aux activités socioculturelles. C’est beaucoup de temps vide. Et donc chaque fois qu’on peut le remplir pour projeter les détenus vers l’extérieur, il faut en saisir l’occasion."
Ceux qui ont créé cette polémique considèreront toujours que la prison ou même la peine de mort n’est pas suffisante. "C’est un refus de toute réflexion raisonnée sur ce que doit être la justice, ce que doit être une sanction, l’exécution d’une peine et la réintégration dans une société. Aujourd’hui, les politiques qui ont créé cette polémique s’appuient sur la peine que peuvent ressentir les victimes en voyant ces images. C’est de l’instrumentalisation pure et simple. C’est extrêmement regrettable car cela ne sert ni les intérêts des victimes ni des personnes détenues. Ni l’intérêt de la société." (...)  "Il faut que la société admette que toute personne qui entre en prison a vocation un jour à en sortir. Et qu’elle se pose la question de savoir dans quelles conditions elle doit sortir. Tout doit être mis en œuvre pendant la période d’exécution de peine, pendant l’incarcération, pour que l’on puisse tirer le meilleur de chacun et que les sortants de prison puissent aller vers des projets sérieux et crédibles de réinsertion."

Il faudrait pour cela que les indignés réfléchissent. Ce qu'empêchent leurs hurlements.

(1) C'est d'ailleurs pour cela qu'existent les Spip, les services pénitentiaires d'insertion et de probation.
(2) https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/24/eric-dupond-moretti-rend-publique-l-enquete-sur-l-affaire-du-karting-a-la-prison-de-fresnes_6138815_3224.html
(3) https://www.huffingtonpost.fr/life/article/karting-a-la-prison-de-fresnes-on-surfe-sur-des-images-d-epinal-qui-n-ont-jamais-existe_206829.html

mardi 16 août 2022

Comment dit-on hypocrisie en persan ?

L'Etat iranien a la mémoire qui flanche. Il n'a rien à voir, affirme-t-il, avec l'agression au couteau dont a été victime Salman Rushdie. « Dans cette attaque, seuls Salman Rushdie et ses partisans mériteraient d’être blâmés et même condamnés », a affirmé le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères (1). On est peu de choses en Iran. Voilà ce brave ayatollah Khomeini tombé dans les oubliettes de l'histoire. Le si sympathique « chef spirituel suprême » de l'Iran de 1979 à 1989 avait, peu avant sa mort, appelé, via une fatwa, à tuer l'écrivain Salman Rushdie accusé de blasphème contre le prophète Mahomet dans son roman "Les Versets sataniques".

"Aussi paradoxal que cela paraisse, écrit l’écrivain franco-turc Nedim Gürsel (2), (lui-même poursuivi pour blasphème), ce roman, qui a fait couler beaucoup d’encre et pas mal de sang, dont celui de son auteur (...), n’est pas à proprement parler un roman sur Mahomet, ni sur l’islam. Le Prophète est certes l’un de ses personnages sous le nom de Mahound, mais le récit a plusieurs axes, une trame complexe et une forme narrative que l’on peut qualifier de postmoderne. Voire de comédie burlesque." Mais, on le sait, les religieux raides n'ont aucun sens de l'humour pas plus que de la création. "Il n'y a pas de création sans liberté, affirme Nedim Gürsel. Au nom de celle-ci et en tant que romancier, et notamment en tant qu’auteur des Filles d’Allah, qui a été poursuivi en justice pour blasphème et soutenu par Rushdie, je défendrai le recours à la fiction pour parler notamment du Prophète de l’islam sans me soucier du fait que le considérer comme un personnage de roman le désacraliserait." (...) "Il faut admettre qu’un romancier, en puisant dans les récits historiques ou religieux, a le droit de créer des personnages, y compris des prophètes pour en faire des protagonistes d’une parodie, voire d’une farce burlesque. C’est ce qu’a fait Salman Rushdie et rien d’autre." 

Le crime dont a été victime Salman Rushdie trente-trois ans après le lancement de la fatwa appelant à son assassinat a ravivé l'intérêt pour son roman auprès de personnes qui n'en avaient jamais entendu parler. Les ventes sont en hausse (3). Son agresseur et l'Etat iranien auront aidé à faire découvrir cette œuvre qu'ils veulent interdire.

"Et maintenant, Mahound arrive en triomphateur ; et, en fin de compte, je vais perdre la vie. Maintenant son pouvoir est devenu trop grand pour que je puisse le défaire."
Baal lui demanda : "Pourquoi es-tu si sûr qu'il va te tuer ?"
Salman le Persan répondit : "C'est sa Parole contre la mienne."
(Salman Rushdie, "Les Versets sataniques", Pocket Plon 1999, p. 479)


(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/14/les-versets-sataniques-qui-ont-fait-couler-beaucoup-d-encre-et-pas-mal-de-sang-ne-sont-pas-a-proprement-parler-un-roman-sur-mahomet-ni-sur-l-islam_6138036_3232.html
(3) https://www.lalibre.be/culture/livres-bd/2022/08/13/les-ventes-des-versets-sataniques-en-hausse-apres-lattaque-contre-salman-rushdie-FRNHEXHRXBA6LHFCWCH4QCTJAU/

dimanche 14 août 2022

Rushdie et les sombres crapules

Il n'y a pas d'âge pour être un sombre salaud. C'est à quatre-vingt-sept ans que Khomeiny a proféré une fatwa contre Salman Rushdie appelant à le tuer. Et c'est, trente-trois ans plus tard, un autre sombre crétin de vingt-quatre ans qui l'a exécutée en poignardant l'écrivain (heureusement sans réussir à lui ôter la vie) . Le jeune agresseur n'a sans doute jamais lu Les Versets sataniques, à peine en a-t-il entendu parler. Sans doute lui a-t-il suffi de savoir que ce livre est prétendument islamophobe pour se transformer en assassin de la liberté d'expression et de création.

"Un nouveau mot avait été inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugles : l'islamophobie", écrit Salman Rushdie dans sa remarquable autobiographie Joseph Anton (1). "Critiquer la violence militante de cette religion dans son incarnation contemporaine était considéré comme du fanatisme. Une personne phobique avait des positions extrêmes et irrationnelles, c'était donc elle qui était fautive et non pas le système religieux qui revendiquait plus d'un milliard d'adeptes à travers le monde. (...) Une religion n'était pas une race. C'était une idée, et les idées résistaient (ou s'effondraient) parce qu'elles étaient assez fortes (ou trop faibles) pour supporter la critique, non parce qu'elles en étaient protégées. Les idées fortes accueillaient volontiers les opinions contraires."

Pour expliquer l'agression de Salman Rushdie, le journal iranien Javan évoque aujourd'hui, (2) de manière totalement incompréhensible, comme si Khomeiny n'avait jamais appelé au meurtre, l'hypothèse d'un complot ourdi par les Américains : "Un autre scénario, c'est que les Etats-Unis veulent probablement propager l'islamophobie dans le monde". Alors que l'islamophobie si elle existe se nourrit des actes violents de tous ces fous furieux de Dieu. Une fois encore - air connu, on tente de faire passer l'agresseur pour la victime.
"Les manifestations, les mots de haine, les agressions sous couvert de défense, les menaces de ceux qui se prétendent menacés, le couteau affirmant qu'on cherche à le poignarder, le poing accusant le menton de l'avoir attaqué, tout cela devint familier, la grande hypocrisie malveillante de l'époque, a écrit Salman Rushdie (3). Même le prêcheur sorti de nulle part n'étonnait plus personne. De tels saints hommes bien peu saints surgissent tout le temps, issus d'une sorte de parthénogénèse pathologique, un bizarre tour de passe-passe qui transforme des nullités en sommités."

"Lorsqu'elle est combinée avec l'armement moderne, écrit encore Salman Rushdie, la religion, cette forme médiévale de déraison, devient une véritable menace pour nos libertés. Ce totalitarisme religieux a causé une mutation meurtrière dans le cœur de l'islam et nous en voyons les tragiques conséquences à Paris aujourd'hui. (note : après le massacre barbare de l'équipe de Charlie Hebdo) Les religions, comme toutes les autres idées, doivent faire l'objet de critique, de satire et, oui, méritent que nous leur manquions de respect sans avoir peur. (4)"

Pour tous les dangereux obscurantistes qui tuent celles et ceux qui ne pensent pas comme eux - et en particulier pour l'agresseur de Salman Rushdie assez lâche pour ne pas assumer son acte -, cet extrait des "Versets sataniques" de Salman Rushdie. Et qu'ils se grattent où ça les démange !
Parmi les palmiers de l'oasis, Gibreel apparut au Prophète et se retrouva en train de débiter des règles, des règles, des règles, jusqu'à ce que les fidèles puissent à peine supporter l'idée d'une autre révélation, dit Salman, des règles sur la moindre chose, si un homme pète, il doit se tourner vers le vent, une règle sur la main à utiliser pour se nettoyer le derrière. Comme si aucun aspect de l'existence humaine n'était laissé sans règlement, libre. La révélation - la "récitation" - indiquait aux fidèles la quantité de nourriture à manger, la profondeur du sommeil, et les positions sexuelles qui avaient reçu l'autorisation divine, et ils apprirent ainsi que la sodomie et la position du missionnaire étaient approuvées par l'Archange, tandis que la loi interdisait toutes les positions où la femme était au-dessus. Gibreel dressa en plus la liste des sujets de conversation permis et interdits, et indiqua les parties du corps qu'on ne pouvait pas gratter quelle que soit la démangeaison.

(1) Plon, 2012, p. 400.
(2) https://www.lalibre.be/international/amerique/2022/08/14/lattaque-contre-rushdie-est-un-complot-des-etats-unis-pour-propager-lislamophobie-dans-le-monde-selon-un-journal-iranien-GBUXADWPJJFK3K6EQRK5SSZALQ/
(3) Salman Rushdie, "Deux ans, huit mois et vingt-huit jours", traduction Gérard Meudal, Actes Sud, 2016.
(4) publié sur le site de l'English PEN, association d'écrivains qui défend la liberté d'expression, in Le Courrier international, 15 janvier 2015.
A lire :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/14/ce-qu-incarne-salman-rushdie-c-est-la-liberte-d-expression-face-a-l-islamisme-et-aux-fondamentalismes-et-il-l-a-payee-a-plusieurs-titres_6138000_3232.html
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/13/attaque-contre-salman-rushdie-faire-front-contre-l-obscurantisme_6137951_3232.html
https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/de-charlie-hebdo-a-salman-rushdie-de-la-kalachnikov-au-poignard

mercredi 10 août 2022

Dumont le visionnaire

A l'époque, tout le monde ou presque s'est moqué de lui. De quelles bêtises venait nous parler ce clown sinistre ? Quelle mauvaise comédie venait-il jouer dans la campagne électorale de l'élection présidentielle française de 1974 ? L'agronome René Dumont avait vu clair, bien avant tout le monde, mais on ne voulait voir en lui qu'un prophète de malheur. Son message, à l'époque, sa dénonciation du pillage du tiers-monde, de la surconsommation, de la pollution, de la destruction de l'environnement, personne ne voulait les entendre. Nous voulions continuer à nous amuser, à voyager, à consommer, à dépenser sans trop compter. "Nous allons bientôt manquer d'eau", affirmait-il (1), sous les sarcasmes. Près de cinquante ans après, qui peut encore rire de René Dumont ? Le fantaisiste est devenu le sage et le rigolard est grotesque.

(1) https://www.youtube.com/watch?v=nMRFKNu0f30
https://www.youtube.com/watch?v=1_weZ8284-0

mardi 9 août 2022

Etrange solution miracle

C'est LA solution énergétique pour lutter contre le réchauffement climatique. Le gouvernement français en est convaincu et le président Macron a annoncé la construction d'une dizaine de mini-centrales EPR. Pour eux, la production électrique doit passer prioritairement par le nucléaire parce qu'il ne produit pas de CO2. Donc there is no alternative ou si peu. 
Sauf qu'en Ukraine, deuxième pays le plus nucléarisé d'Europe, les centrales nucléaires deviennent des cibles stratégiques dont les explosions, si elles devaient arriver, auraient des conséquences totalement imprévisibles et catastrophiques pour l'Europe entière comme pour la Russie. 
Sauf que la moitié des cinquante-six réacteurs nucléaires français est actuellement à l'arrêt, soit pour entretien, soit à cause de problèmes de corrosion.
Sauf que l'EPR en construction à Flamanville depuis 2007 devait être inaugurée en 2012 et qu'il est toujours en chantier et que son budget a été multiplié par quatre, passant de 3 milliards d'euros à 12,7.
Sauf que le réchauffement climatique oblige EDF à abaisser la production d’électricité de son parc en raison des hautes températures des cours d’eau utilisés pour refroidir des réacteurs, qui mettent en péril la faune et la flore. "Face à la canicule et aux hautes températures des cours d’eau utilisés pour le refroidissement des réacteurs, explique l'hebdomadaire Marianne (1), EDF est contraint de réduire la production de plusieurs de ses centrales nucléaires, a indiqué l’entreprise ce vendredi 5 août. Chaque site dispose de ses propres limites réglementaires de température de rejet de l'eau à ne pas franchir afin de protéger la faune et la flore. Les baisses de production pour ces raisons sont fréquentes en période estivale, mais elles sont arrivées plus tôt que d'habitude cette année, c'est à dire dès le mois de mai." L'eau de la Garonne, par exemple, a atteint 28°C.

Les soutiens du nucléaire le présentent comme totalement sûr. Mais le physicien David Boilley, président de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'ouest (Acro), rappelle (2) qu'en France le nucléaire est la seule industrie qui dispose d'un Institut de radioprotection et de sûreté (IRSN) et d'une Autorité de sûreté (ASN). "On a tendance à s'endormir là-dessus", souligne-t-il, indiquant qu'aucune autre filière énergétique n'a besoin de contrôles aussi stricts, ce qui en dit long sur sa dangerosité.
"Même à l'arrêt, écrit Télérama, une centrale nucléaire reste un système industriel éminemment complexe, vulnérable et qui peut être détourné." La guerre d'Ukraine "fait exploser les frontières supposées entre la bombe et le réacteur". Sezin Topçu, chargée de recherche au CNRS, estime que les deux filières nucléaires, civil et militaire, "sont totalement liées". 
"Face à la nouvelle donne imposée par Vladimir Poutine, écrit Télérama, il est (...) difficile de savoir ce qui nous menacerait le plus, entre le déclenchement d'une arme atomique, le bombardements de réacteurs civils ou l'accident dans une centrale assiégée..."

En octobre 2021, les engagements français sur la réduction des déchets radioactifs en mer (pour les ramener quasiment à zéro) ont été repoussés de trente ans à... 2050 ! Elle est pourtant prévue par la Convention pour la protection de l'Atlantique nord-est. Tout bénéfice pour la France. "L'usine de La Hague a les plus forts rejets radioactifs en mer, relève David Boilley. Chaque mois, elle rejette, par exemple, autant de tritium dans la Manche que ce que l'installation de Fukushima déversera dans le Pacifique en trente ans".

La France veut être indépendante sur le plan énergétique. Mais le nucléaire ne vit ni du vent ni du soleil, mais d'uranium. Or la France a fermé sa dernière mine en 2001 et se fournit à présent au Kazakhstan (sous l'orbite de Moscou), en Ouzbekistan, au Niger, au Canada et en Australie. Son uranium retraité à La Hague est envoyé dans une ville secrète de Russie pour y être réenrichi ou recyclé. Et, ajoute Télérama, "EDF est, malgré la guerre, en train de renforcer sa collaboration avec Rosatom, colosse russe des programmes nucléaires civil et militaire, pour la construction de turbines pour centrales nucléaires."
Yves Marignac de l'institut négaWatt constate qu'on compte dix-huit réacteurs de conception russe en fonctionnement en Europe. "Quiconque parle de poursuivre le développement du nucléaire au nom de la lutte climatique parle de permettre à la Russie (et à la Chine) d'exporter leur technologie et d'étendre leur influence."

Les écologistes qui s'opposent depuis toujours au nucléaire pour lui privilégier les énergies renouvelables et les économies d'énergie sont vus comme de raides idéologues. Les tenants du nucléaire, eux, ne font pas d'idéologie, juste des affaires. En souplesse.

(1) https://www.marianne.net/economie/economie-francaise/canicule-edf-contraint-de-reduire-la-production-de-plusieurs-de-ses-centrales-nucleaires
(2) Weronika Zarachowicz, "Atome - des centrales invulnérables ?", Télérama, 30.3.2022.

vendredi 5 août 2022

Plaidoyer pour le renard

Le prince de ceux que les Français d'un autre âge classent parmi les nuisibles et traquent systématiquement est le renard. L'animal est fin et rusé, peut-être est-ce pour cela qu'ils le trouvent insupportable. Une question de jalousie. Il joue pourtant, bien plus que l'homme, un rôle utile dans l'équilibre des espèces et l'assainissement de la nature.
"Si les renards se nourrissent parfois de lapins et de taupes, ils se délectent des rats et des mulots, luttant ainsi très efficacement contre la diffusion de la maladie de Lyme, rappelle Alain Baraton (1). Mieux encore, ce sont eux qui éliminent les cadavres d'autres animaux, comme les oiseaux, évitant ainsi la propagation de nombreuses maladies."
Comment expliquer, sinon par une tradition totalement dépassée et insensée, que le renard soit chassable de juin à mars en tant que « gibier sédentaire » et puisse être tué par différents moyens tout au long de l’année dans les 91 départements où il est classé « espèce susceptible d’occasionner des dégâts » ?

Un article du Monde il y a quelques mois (2) soulignait le point de vue d'un chasseur siégeant dans l’une des commissions départementales de la chasse et de la faune sauvage (et qui a préféré rester anonyme !) selon qui l’argument de la protection des élevages ne tient pas. « Le renard est accusé de croquer poules et agneaux, mais il y a d’autres moyens pour protéger les enclos », estime-t-il. De plus, ce comportement serait minoritaire. « Les animaux d’élevage sont des proies quand les prédateurs économisent leur potentiel énergétique. Le renard se nourrit à 75 % des petits rongeurs, c’est d’ailleurs ce qui en fait un excellent auxiliaire de l’agriculture et un moyen de lutter contre la propagation de certaines maladies », affirme Carine Gresse, assistante vétérinaire et fondatrice du Clos des Renardises, premier refuge pour renard, citée également par Le Monde. Un renard mange jusqu’à 6.000 campagnols par an. Dans un documentaire (3), un paysan supplie les chasseurs de respecter les renards qu'il considère comme de précieux et indispensables alliés.
« La maladie de Lyme est transportée par les tiques via les rongeurs. Leurs prédateurs limitent donc sa propagation », affirme Marc Giraud, naturaliste et porte-parole de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Selon les années, cette maladie bactérienne touche entre 50.000 et 100.000 personnes en France, d’après les estimations des autorités sanitaires, précise Le Monde. Alors que l’échinococcose alvéolaire, une maladie parasitaire véhiculée par les renards et qui sert d'argument aux anti-renards ne touche qu'une trentaine de personnes par an en France. Le Monde ajoute que "en se nourrissant principalement de petits rongeurs, les renards représenteraient un gain économique pour l’agriculture, en évitant l’utilisation de produits chimiques. Un arrêté préfectoral a ainsi fait retirer le renard des ESOD (espèce susceptible d’occasionner des dégâts) dans 117 communes du Doubs en 2019 afin de « favoriser la prédation exercée sur les campagnols par les renards dans les communes où au moins un agriculteur aura souscrit un contrat de lutte raisonnée ». Il participe en outre à l’élimination des animaux malades et des cadavres, et, friand de végétaux, à la dissémination des graines de diverses essences d’arbres par ses déjections, plaide l’Aspas."
Patrick Janin, juriste dans le droit environnemental et membre de l’Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, constate qu'« il y a les motifs officiels et les motifs inavoués » au classement en nuisible. « Pour repeupler un territoire, les chasseurs utilisent du gibier d’élevage (faisans, perdrix, lièvres) qui n’a pas acquis de capacité de défense, ni d’instinct sauvage ». Des proies particulièrement faciles pour un renard. Les chasseurs considéreraient, selon lui, le renard comme un concurrent.
Reste alors à classer les chasseurs parmi les ESOD. Allez, hop !



(1) Alain Baraton, "Mon tour de France des bois et forêts", Stock, 2022.
(2) https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/04/09/le-renard-tue-toute-l-annee-doit-il-rester-classe-espece-nuisible_6121382_3244.html
(3) https://www.france.tv/france-3/la-ligne-bleue/2128147-des-fraises-pour-le-renard.html

jeudi 4 août 2022

Le pire des nuisibles

Le site Internet d'une commune indique la procédure à suivre pour se faire dédommager si l'on a été victime de dégâts causés par des nuisibles. Comment se fera-t-on dédommager par les pires nuisibles qui soient ? Les industries pétrolière, automobile, aéronautique, chimique, agricole et tant d'autres saccagent allègrement la planète, l'empoisonnent, la noient, la brûlent avec la complicité d'une classe politique globalement incapable d'être à la hauteur de sa mission, de l'immense défi auquel est aujourd'hui confrontée l'humanité tout entière : mettre fin à l'action délétère des nuisibles. 
Les députés français sont très fiers d'avoir limité à 1,50 € le prix du litre de carburant, donc d'encourager sa consommation. Business as usual. On se réjouit de voir le secteur touristique retrouver "une bonne santé". Les Américains reviennent en force en France. Visiblement, ils ne viennent ni à la voile ni en pédalo, mais c'est une excellente nouvelle, nous assure-t-on. Tout autant que la saturation des aéroports. L'homme est un nuisible pour lui-même. Mais il manque de prédateurs.