dimanche 27 mars 2022

A mes amies et amis mélenchonistes

(Ce billet est principalement constitué d'extraits de textes publiés sur ce blog. Les références des publications sont signalées entre parenthèses)

Je sais, les amis, vous admirez Jean-Luc Mélenchon pour son verbe haut, pour ses talents de tribun, pour ses coups de gueule.
Moi, je me méfie de cette espèce de gourou qu'est devenu le MélenChe qui pense que tout lui est permis. Je ne l'aime pas, pour son populisme, pour sa traitrise, pour ses contradictions, pour ses analyses simplistes, pour son ego hypertrophié. 

Une haine de la presse
Pour ses attaques contre les journalistes aussi qui en disent long sur sa conception de la la liberté de la presse.
J'ai déjà exprimé ici combien je trouvais sa France insoumise très soumise à la production d'UBM, ces unités de bruit médiatique. Paradoxalement, son leader, avec le même sens de la nuance que la fille à papa Le Pen, ne cesse de vomir les médias, parlant du "parti médiatique" ou même de "la CIA médiatique". Soutenant sur ce terrain Laurent Wauquiez, leader de la droite dure, l'homme refuse les invitations de nombreux médias, ceux qui ne lui posent pas les bonnes questions. "Le pouvoir médiatique est d'essence complotiste", affirme-t-il, n'hésitant pas ainsi à participer à la diffusion de théories du complot. A cracher ainsi sur la presse, on ne peut s'affirmer démocrate. On se classe plutôt parmi les populistes. Ou les staliniens. Comment s'étonner que des véhicules de médias, telle une voiture de Radio France, aient été vandalisés lors de "La fête à Macron" organisée en mai 2018 par les Français insoumis ? "Vous n'avez rien à faire ici !", ont entendu les techniciens. Faudrait-il alors que les médias cessent d'évoquer la France insoumise, ses actions et les interventions de ses représentants ? Ce parti a un rapport particulier aux médias : quand et comme ça l'arrange. ("Jean-Luc Iznogoud", 10.5.2018)

Ces derniers temps, les attaques contre des élus se sont multipliées, inquiétantes et inacceptables. Comme beaucoup d'autres, Jean-Luc Mélenchon en a été victime et à raison s'en est plaint. Sauf qu'il avait lui-même traité, en 2018, des journalistes de France Info de "menteurs", de "tricheurs" et d’"abrutis", appelant à "les discréditer". "Pourrissez-les partout où vous pouvez”, s'était-il écrié. Il a été, au début de cette année, condamné pour injure publique et diffamation envers Radio France. Le leader maximo a une conception de la presse très particulière et des indignations à géométrie variable. Les menaces qu'il avait lancées hier lui sont revenues en boomerang. Il a le culot de s'en offusquer. ("Toi-même", 14.1.22)
En meeting à Paris en décembre dernier, le candidat de La France insoumise s'adressait à son peuple et trois chaînes d'information en continu sur quatre retransmettaient en direct et sans filtre son message si essentiel. Elles en faisaient de même avec le discours, tout aussi important, de l'épouvantail Z. Les écrans de ces trois chaînes indiquaient que les images étaient fournies par le candidat. Le son l'était aussi. BFM TV, C-News et LCI se sont ainsi "transformées en robinets à propagande électorale". Elles remettent "les clés de leur antenne à des communicants", constatait la journaliste de France Inter Sonia Devillers. Elle rappelait qu'en 2019 LCI s'était fait remonter les bretelles par le CSA pour "non maîtrise de son antenne". Mais que ce rappel à la déontologie journalistique est restée lettre morte. "Sacrée défaite du journalisme", déplorait-elle. France Info a, heureusement, refusé de jouer ce jeu dangereux. Ce dont MélenChe s'est plaint pendant son meeting. Il a remercié "les chaînes de télévision qui accomplissent leur devoir civique en nous permettant de nous exprimer devant tous les Français qui le souhaitent, ce qui n'est pas le cas du prétendu service public" (acclamations). On sait maintenant à quoi ressemblerait le service public dans un régime tenu par la France insoumise :  un service soumis. On sait aussi quel président sud-américain il serait : Fidel Castro (MélenChe a récemment déclaré que s'il était élu, il serait un président sud-américain).  ("France (Info) soumise", 6.12.21)

L'Etat, c'est moi
Plus d'une fois, Jean-Luc Mélenchon a eu une attitude indigne d'un candidat à la présidence. Quand il ne sait pas répondre, il agresse. Alors qu'il fustigeait une justice aux ordres, parce qu'elle le poursuit, une journaliste lui a demandé s'il ne se sentait pas en contradiction avec ses propos précédents quand il critiquait les Le Pen et Fillon qui pointaient une justice politique. Incapable de répondre, il a choisi la méthode Trump : attaquer, insulter. Il s'est moqué de l'accent de cette journaliste du midi: "quesseu-queu ça veut direu?", a demandé l'élu de Marseille. Et d'ajouter: "quelqu'un a une question formulée en français et à peu près compréhensible? Parce que votre niveau me dépasse, je ne comprends pas". Sait-il que les gens méprisants sont méprisables?
Il s'était gentiment - et à raison - moqué de ces candidats (Fillon, Le Pen fille) poursuivis par la justice pour non respect des règles mais qui se posent en victimes. Mais il a fait de même en hurlant face aux policiers qui opéraient une perquisition chez lui et dans les locaux de son parti. On peut évidemment comprendre qu'il y ait là de quoi s'énerver, mais de là à se présenter comme "La République" intouchable, il y a un pas. Comme si les policiers et le juge qu'il bouscule n'agissaient pas précisément au nom de celle-ci. La République représente un ensemble de principes, de valeurs, de règles. Lesquels incarne encore Jean-Luc Mélenchon ? Quand la justice agit contre ses concurrents, il la soutient. Quand elle s'intéresse de trop près à lui, il lui crache à la figure. ("Merci, Jean-Luc", 20.10.2018)

"Le populisme de la France Insoumise est en train de tourner au bonapartisme", affirmait au début 2020 Federico Tarragoni. Le sociologue estime que quand, Mélenchon, s'opposant à une perquisition de ses locaux par l'Office central de lutte contre la corruption, a présenté sa personne comme sacrée, clamant "la République, c'est moi" et "c'est une attaque contre moi et donc contre la France", a révélé "une forme aiguë de personnalisation du pouvoir. Il a révélé sa propre vision du rôle du leader en politique". ("Saint-Peuple", 29.1.2020)

Non aligné ou munichois ?
En mai 2018, Mélenchon s'est rendu à Moscou à l'occasion de la commémoration de la victoire de l'URSS sur l'Allemagne nazie. Il y a rencontré un des leaders de l'opposition de gauche à Vladimir Poutine. "Je ne veux pas entrer dans le concert d'aboiements et d'hystérie anti-russe qui s'observe en Europe sous prétexte de Monsieur Poutine", a-t-il déclaré. Il semblait entendre ce qu'il avait envie d'entendre : qui donc en Europe n'est pas capable de faire la part des choses entre les Russes et leur président? "Je viens ici le 9 mai, c'est un acte militant pour dire : les Russes sont nos amis."
"En clair, un message à la Macron, soulignait la journaliste d'Arte : en même temps, les Russes, oui ; la Russie, oui ; mais un bémol sur Vladimir Poutine."
Son porte-parole, Alexis Corbière, n'a pas fait pas non plus dans la nuance tout en appelant à le faire : "arrêtons ce climat aujourd'hui, qui vise à considérer que quiconque n'est pas aligné sur le discours agressif, notamment des Etats-Unis, qui désigne Mr Poutine comme étant quasiment en train de préparer une nouvelle guerre mondiale, se voit immédiatement traité d'agent poutinien". 
"Un grand écart difficile, estimait la journaliste d'Arte : Mélenchon condamne l'attitude de Poutine mais aussi les sanctions contre la Russie pour l'annexion de la Crimée et sa participation à la guerre en Syrie. "Un voyage symbolique au pays de Poutine. Pas sûr qu'il remette les pendules à l'heure, tel que le souhaite Mélenchon." 
Pas sûr non plus que ce sujet réconcilie l'ancien député européen anti-européen avec "la CIA médiatique" et en particulier avec la chaîne de télé qui entend participer à la construction européenne. ("Jean-Luc Iznogoud", 10.5.2018)

Pour en finir (ou non) avec la guerre barbare que mène aujourd'hui (et de manière inattendue de son point de vue) la Russie en Ukraine, MélenChe porte l'idée du "non-alignement". Il condamne l'intervention russe mais réussit à la trouver compréhensible. « La Russie en porte toute la responsabilité », écrit-il, mais il considère cette guerre comme « un rebondissement d’une de ces guerres sans fin qui, depuis Pierre Le Grand et Catherine II, tenaillent les peuples du secteur ». Si demain un pays de l'Union européenne en agressait un autre, Mélenchon pourrait aisément ressortir le même constat fataliste. Après tout, que sont septante ans de paix dans l'histoire guerrière de l'Europe ?
« Poutine a dû comprendre que la décision [américaine d’intégrer l’Ukraine dans l’Otan] était déjà prise », écrit encore le Che français. Comprenons par là que Poutine a dû (c'est Marc-Olivier Padis qui analyse les propos de JLM) "prendre les devants sur une offensive américaine dont il avait annoncé qu’il la considérerait comme une agression, par une action préventive rétablissant par avance un équilibre que le candidat insoumis considère comme légitime. Cette hypothèse sortie de nulle part («tout cela se déduit facilement de l’observation», explique-t-il) ne fait rien d’autre que reprendre à son compte le discours victimaire de Poutine, selon lequel la pression de l’Otan sur les frontières de la Russie désigne son pays comme une victime de l’Occident acculée à une légitime défense : si Poutine envahit l’Ukraine, c’est de la faute de Biden". Les analyses de Mélenchon de la situation internationale semblent uniquement menées sous l'angle de l'anti-américanisme, avec des lunettes des années '60. ("Contorsionnistes", 17.3.2022)

Il ne croyait pas à la possibilité d'une intervention russe en Ukraine. Pas plus qu'il ne croit à celle de la Chine à Taïwan. Son analyse est confondante : " Les Chinois n'ont pas l'intention d'envahir Taïwan, mais si Taïwan se déclare indépendante, alors, il est possible, à juste titre, que la Chine trouve qu'une ligne rouge a été franchie, donc il faut trouver le moyen qu'il ne se passe rien". On voit par là que le MélenChe justifie a priori l'injustifiable. Comme l'écrivait Guillaume Erner dans Charlie Hebdo, "Taïwan n'a pas à se déclarer indépendante : l'île l'est de facto. Elle a une armée, une monnaie, accorde des visas. la seule chose qui la distingue d'un pays souverain, c'est le refus chinois. A priori, entre une dictature implacable et une démocratie, le choix devrait être rapide...". Mélenchon visiblement a fait le sien. Un ami qui connaît bien Taïwan me disait qu'il y a quelques années le MélenChe avait comparé la présidente taïwanaise, élue au suffrage universel, à Marine Le Pen : elle refuse la mainmise de la Chine, donc elle est anti-communiste, donc elle est d'extrême droite. Quand les analyses politiques sont aussi simplistes, elles vous mènent au goulag. ("Le MélenChe, un festival à lui tout seul", 15.11.2021)

Il est très séduit par la Chine : "Je considère que le développement chinois est une chance pour l'humanité. (...) Je trouve stimulant et intéressant de voir comment la planification a été un outil de développement."
(Fabrice Nicolino, "Mélenchon est-il vraiment écologiste ?", Charlie Hebdo, 2.3.2022)

Etre enfin calife
Dans le corso peu fleuri de la France Insoumise à Paris en mai 2018, trois chars fustigeaient le président Macron : Macron en Jupiter, Macron en Dracula et Macron en Napoléon. Puis, un quatrième char promenant le leader des Insoumis et ses députés. Mélenchon en Zeus, en Mars, en Che ? Les élus insoumis ne pouvaient sans doute marcher avec les manifestants de crainte d'être confondus avec des représentants de La France en MarcheEtrange calicot dans cette manif festive : "Elu par défaut, viré pour défauts", pouvait-on y lire. Si Emmanuel Macron a été élu par défaut, c'est qu'il était, aux yeux de la majorité des Français, le moins pire des candidats (ainsi fonctionne l'élection présidentielle française). Parmi lesquels figurait un certain Jean-Luc Mélenchon. Les manifestants de la F.I. semblent avoir oublié, un peu vite, que leur candidat n'a pas réussi à séduire une majorité de Français. Il n'a pas été élu, ni par choix positif, ni par défaut. Ce qu'on peut comprendre : comment un tel dinosaure de la politique, ce vieux de la vieille qui depuis trente-cinq ans a occupé toutes les fonctions politiques imaginables pourrait-il encore apparaître comme l'homme du renouveau ? Seule fonction politique qu'il n'ait pas exercée : celle de président de la République. Et on sent qu'il aimerait tant être calife à la place du calife. Avant d'être député à l'Assemblée nationale, il l'avait été au Parlement européen (où il a brillé par son absence), abandonnant son mandat à mi-course, témoignant du mépris qu'il a pour la fonction et pour ses électeurs. Comment faire confiance à un élu si volage? ("Jean-Luc Iznogoud", 10.5.2018)
La responsabilité de la division de la gauche française est partagée entre les différents partis qui la composent, mais Jean-Luc Mélenchon a été le premier à se déclarer candidat, n'écoutant que son ego qui l'encourageait vivement à se présenter. Tous les appels à rencontre et négociation lancés ensuite par les uns et les autres n'ont reçu que son mépris.

En 2017, pour le second tour, opposant Marine Le Pen à Emmanuel Macron, il a renvoyé dos à dos les deux qualifiés, refusant de se positionner et d'appeler au « front républicain », comme il l'avait fait pour contrer Le Pen père en 2002. Est-il incapable de faire la différence entre un démocrate et une ennemie de démocratie ? Ou cette différence lui importe-t-elle si peu ?

Avec les barbus
En 2010, Jean-Luc Mélenchon affirmait que les femmes voilées se stigmatisaient toutes seules et il récusait le terme d'islamophobie. En 2018 encore, il estimait que la religion devenait de plus en plus ostentatoire dans nos sociétés. Mais l'année suivante le MélenChe n'a pas hésité à participer à une manif où la foule scandait Allah Akbar et huait les noms de Mohamed Sifaoui ou de Zineb El Rhazoui parce qu'ils ont l'outrecuidance de dénoncer l'islamisme, ce pourquoi ils vivent, l'un et l'autre, sous protection policière.
En 2015 Mélenchon, à l'enterrement de son ami Charb, lâchement assassiné au nom du Prophète, dénonçait son exécution par "les fanatiques religieux, crétins sanglants qui vocifèrent de tous temps". Depuis, MélenChe s'est dévoilé : il n'est qu'un traitre qui marche sur le cadavre de celui qui fut son ami, un vulgaire politicien en quête de voix, communautaires en l'occurrence. Lui et tous ceux qui essaient, parfois de manière très paternaliste, de protéger contre ses dérives violentes l'Islam de France et de l'absoudre de son manque d'auto-critique ouvrent un boulevard à l'extrême droite, trop contente de les voir flirter avec les islamistes et de pouvoir se présenter ainsi comme le seul rempart contre cette violence indéniable. ("Moments de dévoilement", 2.12.2019)
Par contre, il n'éprouve aucun état d'âme pour le million d'Ouïgours enfermés dans des camps en Chine, torturés, assassinés. Ce n'est qu'"une répression que fait le gouvernement chinois contre les organisations islamistes ouïgoures". Circulez, tout va bien. Quant au Tibet, il a, selon lui, été "libéré" de la théocratie. (Fabrice Nicolino, "Mélenchon est-il vraiment écologiste ?", Charlie Hebdo, 2.3.2022)

Un écolo productiviste
Pour Mélenchon, l'avenir s'annonce radieux. Il suffit de se lancer dans l'exploration de l'espace et des mers. "L'exploration spatiale a d'ores et déjà apporté sur terre beaucoup de bienfaits. Elle a contribué à des avancées majeures." Dans son meeting immersif de Nantes en janvier, il a vanté ces "milliers d'applications dans nos poches qui dépendent de l'espace : météo, GPS, cartographie et surveillance écologique des traités internationaux". Sans doute faudrait-il qu'on lui explique ce qu'implique cette colonisation de l'espace. "Qu'importe la réalité, écrit Fabrice Nicolino. Qu'importe que l'espace soit devenu une décharge industrielle pleine de millions de déchets tournant autour de la Terre. Que Musk lance des milliers de satellites qui empêcheront beaucoup d'observations astronomiques. Pas grave. C'est le rêve qui compte. Et de même pour la mer." Qui est pour lui une terre de conquête : "la mer est notre nouvel espace de réussite et d'exploits scientifiques et techniques". Ce qui fait aussi réagir Nicolino : "pas un seul mot sur l'état réel des mers. Pas un mot sur leur acidification. Pas un mot sur la pêche industrielle, et donc sur les risques d'extinction pesant sur tant d'espèces." Pas un mot sur les  amas de déchets en plein océan, sur les zones mortes, etc. La mer est un espace à conquérir.
"D'évidence, (Mélenchon) est resté un productiviste", constate Nicolino. "Ecologiste, Mélenchon ? Dans ses envolées si peu lyriques, il ajoute aux terres de conquistadors que sont pour lui l'espace et la mer, le numérique." (Fabrice Nicolino, "Mélenchon est-il vraiment écologiste ?", Charlie Hebdo, 2.3.2022)

Voilà, les amis, si vous me lisez régulièrement, vous le saviez déjà : Mélenchon n'est pas et ne sera pas mon camarade. Je n'ai aucune confiance en ce grand colérique, imbu de lui-même. Ceci dit, je ne suis pas Français, je ne peux voter à l'élection présidentielle, mais mon choix se porterait sur le candidat écologiste, malgré ses manques et ses défauts. Parce que le ou la candidat-e parfait-e n'existe pas. Mais surtout parce qu'il y a une urgence absolue à changer de lunettes et de cap.

"Si le public devait retenir quelque chose de mon film, ce serait peut-être que lorsqu’on va voter, mieux vaut laisser de côté sa fascination pour la face obscure des hommes de pouvoir. Les candidats qu’on trouve vraiment, profondément, ennuyeux dans la vie, voilà, c’est pour eux qu’il faut voter."
Paolo Sorrentino, réalisateur italien, à propos de son film Il Divo, consacré à Giulio Andreotti (Télérama, 21.5.2008)

"Lorsque vous jugerez nécessaire de vous mettre en colère, choisissez, pour vous mettre en colère, un moment où vous ne serez pas en colère. Vous n’aurez jamais l’air mieux en colère et vous proportionnerez exactement ainsi votre colère à l’objet de votre colère, ce qui deviendrait impossible si vous étiez vraiment en colère."
Pierre Gatérat : Vade-mecum du petit homme d’Etat, Seuil, 1952

"Quand un homme oscille entre l’être et le paraître, et quand le paraître plus que l’être lui ramène les ovations, alors il finit par perdre jusqu’au besoin de mentir, il convainc naturellement parce qu’il a lui-même dissipé ses doutes, parce qu’il adhère à ses paroles par les fibres essentielles de son être. Sans doute garde-t-il un noyau de lucidité, il sait bien qu’il ne pourra pas tenir ses promesses, mais ce savoir-là ne l’encombre aucunement tandis qu’il s’exprime à la tribune, tout occupé qu’il est de plaire à l’auditoire. Il croit en qu’il dit parce qu’il croit en ce qu’il montre, je veux dire qu’il devient son personnage, se regarde au travers des yeux de tous ces gens qui l’approuvent et l’applaudissent, et finit par se pénétrer de son rôle et de sa vocation. Il gagne en sincérité parce qu’il ajuste non ses paroles à ses croyances, mais ses croyances à ses paroles, et cette sincérité est la condition même de son leadership."
Alain Eraly : Le Pouvoir enchaîné, Labor, 2002

Post-scriptum :
J'oubliais cet élément : dans le cadre de la campagne, Mélenchon a annoncé (1) que, s'il était élu président, il amnistierait les Gilets jaunes qui ont été condamnés par la justice. Que nous dit cette promesse ? Que selon MélenChe la justice est aux mains du pouvoir et que les gens mécontents ont raison de tout casser au nom de leur colère. Mais surtout que lui président cassera les décisions de justice, ce qui signifie que la justice sera aux mains du pouvoir qu'il incarnera et que ce fait du prince ne respectera pas la séparation des pouvoirs. Un peu de cohérence, Jean-Luc ? 

(1) https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/03/21/marine-le-pen-s-oppose-a-la-proposition-de-jean-luc-melenchon-d-amnistier-les-gilets-jaunes-condamnes_6118440_6059010.html

mercredi 23 mars 2022

Nostra culpa

L'homme occidental reste profondément imprégné de judéo-christianisme, marqué à jamais par le péché originel. Tout drame qui arrive à autrui nous est (au moins partiellement) imputable. Il en va ainsi de l'islamisme : si des crimes sont commis au nom du Prophète, c'est évidemment du fait de notre passé colonial et de notre racisme. Bref, de notre islamophobie.
Et il en va ainsi aujourd'hui de la brutalité de Poutine et de ses troupes en Ukraine : nous l'avons provoquée par notre prétention, notre légèreté, notre incapacité à écouter la douleur d'un chef d'Etat qui souffre de ne pas être empereur.
C'est là être sourd et aveugle à l'Histoire, autant récente qu'ancienne. « Poutine, l’agresseur de l’Ukraine, n’est pas le produit de l’extension de l’OTAN ni des humiliations de l’Occident », explique Alain Frachon dans un éditorial du Monde (1). 

Les Occidentaux sont coupables d'avoir « abandonné » la Russie depuis la chute de l'URSS, puis n’ont cessé de l' « humilier », affirme l’historienne Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuelle de l’Académie française. "Dans sa folie guerrière, le président Poutine serait l’enfant de cet environnement : un affectif blessé", écrit Alain Frachon.
Il invite à se pencher sur l'Histoire récente : "Sous la pression des Etats-Unis, la Russie entre en 1992 au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale : elle obtient des dizaines de milliards de dollars de prêts continus dans les années qui suivent. Elle rejoint le Conseil de l’Europe en 1996, puis le G7 en 1997 (qui devient G8) (...). Moscou bénéficie du soutien de Washington lors de la crise du rouble en 1998 et d’une assistance financière d’urgence de Bruxelles. Sans compter le partenariat Russie-OTAN mis en place, au moins formellement, dès 1991. Un traitement offensant ? Du mépris et de l’arrogance, il y eut, certes – notamment de la part des Etats-Unis durant les guerres des Balkans. Mais la balance ne penche pas du côté de l’humiliation".

Alain Frachon examine aussi l’explication de la guerre actuelle par l’extension de l’OTAN. "C’est la thèse officielle entendue à Moscou, mais aussi ailleurs. Stratège avisé et prévoyant, Poutine met la main sur l’Ukraine parce qu’elle pourrait un jour rejoindre l’OTAN et, forte de cette appartenance, partir à la reconquête de la Crimée et du Donbass (...). Si l’OTAN a admis en 2008 que Kiev avait vocation à la rejoindre, l’Alliance se refuse toujours à ouvrir la procédure d’adhésion."
Autre explication concomitante qu'examine Alain Frachon : aux Etats-Unis, l’école néoréaliste en politique étrangère estime que "l’histoire, la géographie et la culture font que la Russie a inévitablement droit à une ceinture de sécurité autour d’elle et, dans cette zone, les Etats et les peuples concernés doivent savoir que leur souveraineté est limitée. La situation de l’Ukraine détermine son destin politique : une forme de vassalité. La classe politique ukrainienne aurait dû intégrer cette dimension, dit l’école néoréaliste occidentale, sauf à risquer un conflit avec le Kremlin. Un néoréaliste aussi brillant que John Mearsheimer, grand professeur à l’université de Chicago, invoque la nécessaire prise en compte des intérêts de sécurité de la Russie – pas de ceux de ses voisins". (...) "Le problème avec l’école néoréaliste, c’est qu’elle pense que Poutine pense comme elle – en termes de (sage) raison d’Etat. Une part de la réalité « réelle » échappe aux néoréalistes : ils sous-estiment toujours la force de l’idéologie. Convaincu qu’une majorité d’Ukrainiens partage son opinion, le président russe a dit et écrit que l’Ukraine n’existe pas : elle fait partie de la Russie." Et tant pis si la volonté des Etats et des peuples à disposer d'eux-mêmes est écrasée sous les bottes de Poutine.

Il y a une autre explication : celle du despotisme : "enfermé dans sa bulle de mensonges, l’autocrate, convaincu de sa supériorité intellectuelle, n’écoute plus que ses fantasmes. Il sera le tsar des temps modernes, celui qui va « restaurer la Russie dans son intégralité historique ». Tel est le Poutine que décrit l’agence officielle Novosti dans un article célébrant un peu vite, fin février, la conquête de l’Ukraine par les troupes russes – l’article a, depuis, été retiré."
"La réalité, la vraie, échappe au missionnaire Vladimir Poutine, écrit encore Alain Frachon, comme la réalité irakienne, la vraie, avait échappé aux néoconservateurs américains entourant George W. Bush en 2003. Le président russe n’est pas sur la défensive en Ukraine contre une éventuelle et improbable adhésion de ce pays à l’OTAN. Il est à l’offensive au service de la restauration de la Grande Russie, comme dit Novosti, son agence de presse. Sur le site du New Yorker toujours (le 3 mars), Stephen Kotkin, éminent spécialiste américain de la Russie, situe Poutine dans une continuité russe ininterrompue. L’agresseur de l’Ukraine « n’est pas le produit de l’extension de l’OTAN » ou des humiliations que l’Occident aurait infligées à la Russie, dit Kotkin. Cette guerre relève d’une « permanence historique russe » – cette insatiable et mystérieuse « volonté d’expansion » d’un pays qui est pourtant le plus vaste Etat de la planète et potentiellement l’un des plus riches."

Aujourd'hui, certaines personnalités politiques, en France et ailleurs en Europe, feignent de s'étonner : le Poutine 2022 n'est pas celui qu'ils ont connu. La brute épaisse qui massacre les Ukrainiens aurait donc remplacé un démocrate qui a mis la Tchétchénie à feu et à sang, terrorisé la Syrie en soutenant ce brave Assad ? Comme le disait de manière cinglante Sophia Aram récemment, "la seule véritable surprise c’est qu’il aura fallu qu’il massacre l’Ukraine pour comprendre ce qu’il avait déjà réalisé en Tchétchénie et en Syrie. Parce que la surprise, ce serait quoi ? Qu'un dictateur qui a passé ses vingt-deux premières années de pouvoir à éliminer ses opposants, envahir et annexer ses voisins, tuer des centaines de milliers de civils et bombarder des centaines d’hôpitaux, d’écoles, de maternités, de musées, de mosquées et d’églises puisse continuer à le faire … en Ukraine ? C'était quoi l'idée, qu'il allait se lasser ? Qu'avec l'âge et les amphétamines il allait oublier ce qu'il avait dit qu'il continuerait à faire ? A ce niveau de naïveté on peut commencer à parler de connerie, voire de complicité non ?" 

Arrêtons de nous flageller et de trouver des excuses à ce criminel de guerre. De guerres.

Post-scriptum : Alexis Corbière, député de La France insoumise, estime que Poutine a changé. Celui d'aujourd'hui est différent de ce qu'il était il y a quelques mois encore. Peut-on inviter Corbière à discuter avec les Tchétchènes, les Géorgiens, les Syriens, les opposants russes ? Dans quelle bulle vivait Corbière ces vingt-deux dernières années ?
https://www.huffingtonpost.fr/entry/pour-alexis-corbiere-le-poutine-daujourdhui-nest-pas-le-meme-quil-y-a-quelques-mois_fr_623c3671e4b009ab930253db

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/17/poutine-l-agresseur-de-l-ukraine-n-est-pas-le-produit-de-l-extension-de-l-otan-ou-des-humiliations-de-l-occident_6117934_3232.html
(2) https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-14-mars-2022

A voir : "Rozy / Donbass" par le groupe ukrainien Dack Daughters (2013) :  
https://www.youtube.com/watch?v=6wCgZh-nczY

lundi 21 mars 2022

Dieu de sang

Dieu est amour, dit-on. On a du mal à y croire, tant l'Histoire a connu de guerres, de massacres, de tortures perpétrés au nom d'un dieu ou l'autre. L'Eglise orthodoxe russe est du côté de la guerre. Son dieu est de sang et de feu. Dernièrement, le patriarche Kirill de Moscou soutenait la guerre brutale que mène son pays en Ukraine. Elle place la Russie "du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins". (1) Kirill a une vision de la lumière, très particulière, il ne doit pas exister de lumière plus noire. La Russie, selon lui, a raison face à un Occident "décadent" et "pécheur". Cette guerre dépasse la politique. "Il s'agit du Salut de l'homme, de la place qu'il occupera à droite ou à gauche de Dieu". Si Kirill respecte l'injonction christique "Tu aimeras ton prochain comme toi-même", c'est qu'il se hait.

Ces déclarations ne sont surprenantes, affirme la philosophe Veronica Cibotaru (2), "que si l'on méconnaît l’idéologie anti-occidentale que les hiérarques de l’Eglise russe tâchent de propager depuis de nombreuses années en Russie, dans son espace canonique mais aussi dans le monde occidental. Pour cela l’Eglise russe dispose d’importants moyens médiatiques, tels que de nombreux réseaux sociaux et des émissions de télévision qui sont retransmises sur YouTube, et souvent aussi traduites."
Quelques jours avant le début de la guerre, le métropolite Hilarion (président du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou) déclarait que les Russes devaient être protégés de la propagande des « valeurs » occidentales, valeurs qui selon lui résideraient dans un libéralisme sexuel immoral car opposées à l’ordre divin. Il est curieux, constate Veronica Cibotaru, "que les hiérarques de l’Eglise russe aient une approche somme toute si réductrice de la question de la moralité, axée de façon presque obsessionnelle sur la sexualité, et notamment sur les formes de sexualité considérées comme étant déviantes. Ce qui ressort en tout cas de leur discours, ce n’est pas uniquement une dénonciation de ces pseudo-valeurs, mais une véritable posture défensive : l’Eglise russe se doit de défendre la Russie ainsi que son espace canonique de cette destruction de l’ordre moral".
La philosophe estime qu'on n'a pas assez insisté sur la dimension défensive et donc guerrière de cette idéologie. "Cette dimension est particulièrement dangereuse si l’on prend en compte les rapports étroits qui unissent l’Eglise russe et le pouvoir russe actuel." Elle note cependant que de nombreux prêtres et hiérarques, orthodoxes et catholiques, se sont exprimés depuis le début de la guerre en faveur de la paix, en appelant les fidèles à la prière.
Le pape François, lui, dénonce une "inacceptable agression armée" et qualifie de "barbare" le "massacre d'enfants et d'innocents". Il appelle à la fin de la violence. "Au nom de Dieu, que les cris de ceux qui souffrent soient entendus et que les bombardements et les attaques cessent."

Cette position isole le patriarcat de Moscou: "de nombreuses églises orthodoxes se distancient de lui, inaugurant de nouveaux équilibres au sein de l'orthodoxie mondiale", estime l'historien Jean-Benoît Poulle (1). "Une Eglise peut-elle être fondée sur le rejet de l’autre, que ce soit le rejet d’un groupe de personnes ou d’un espace culturel , interroge Veronica Cibotaru ? Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de développer une théologie orthodoxe de la paix qui puisse nous rendre vigilants face à tout ce qui peut mener vers de telles atrocités."

Récemment, en Biélorussie, des femmes ont été arrêtées pour avoir prié pour la paix dans une église. Si elles avaient prié pour la guerre, seraient-elles libres ?

(1) "Le pape François muscle son discours envers Moscou", La Libre Belgique, 15.3.2022.
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/20/eglise-orthodoxe-russe-une-ideologie-qui-est-en-partie-responsable-de-la-guerre-qui-sevit-actuellement-en-ukraine_6118318_3232.html

jeudi 17 mars 2022

Contorsionnistes

Ils sont nombreux celles et ceux qui, aux extrémités de l'échiquier politique, voyaient d'un œil bienveillant, voire admiratif, le monstre froid du Kremlin. C'était pour eux le modèle du chef. Aujourd'hui, ils se contorsionnent pour tenter d'expliquer qu'on les a mal compris, rarement pour avouer qu'ils se sont trompés.

L'extrême droite voyait le tsar "comme le symbole d’une autre Europe, écrit Le Monde (1). Une Europe de l’identité chrétienne face au mythe du grand remplacement. Une Europe de la souveraineté nationale face aux technocrates de Bruxelles. Une Europe des valeurs conservatrices et virilistes contre des avancées sociétales honnies." Face à l'indignation qu'a suscitée partout en Europe la brutale intervention russe en Ukraine, face aux milliers de morts qu'elle a déjà causés, Zemmour et Le Pen ont dû changer leur discours. Zorglub avait même pris le pari sur un plateau de télé que jamais Poutine n'envahirait l'Ukraine. Pari perdu. Il aurait dû mettre en jeu sa participation à l'élection présidentielle. Il dévisse néanmoins dans les sondages. Ce qui n'est pas le cas de sa concurrente, la fille à papa Le Pen, si fière d'avoir rencontré son maître. Au point que dans un document de campagne, elle avait publié une photo d'elle avec lui. Document tiré à plus d'un million d'exemplaires qu'elle a fait mettre à la poubelle. A cause d'une faute d'orthographe, assure son parti. Au RN, une faute politique s'appelle faute d'orthographe.
En Grande-Bretagne, Nigel Farage, fondateur de l’ancien parti d’extrême droite Ukip, avait déclaré en 2014 : "Poutine est le leader que j’admire le plus". Il a changé d'avis. 
En Belgique, le Vlaams Belang, "longtemps admiratif du projet politique du dirigeant russe, a hésité à tourner le dos à la Russie, avant de voter une résolution condamnant Moscou". Mais le parti est divisé.
En Hongrie, le premier ministre Orban "navigue difficilement entre sa proximité affichée avec M. Poutine et sa condamnation de l’offensive. S’il soutient les sanctions, il refuse de livrer des armes et n’a autorisé qu’en catimini un déploiement de l’OTAN sur son territoire. Pour justifier cet équilibre précaire, il se présente comme un défenseur du camp de la paix". Quel courage !
"A travers l’Europe, d’autres représentants de ce courant idéologique oscillent entre une position d’équilibre et des condamnations sans réserve, quand ils n’ont pas choisi, plus rarement, mais de manière plus cohérente, de persister dans leur soutien à la Russie." Plusieurs de ces partis ont bénéficié de financements russes. Faudrait-il y voir un lien avec leurs contorsions pathétiques ?

Certains des admirateurs du psychopathe du Kremlin tombent carrément dans le ridicule. Matteo Salvini, leader de l'extrême droite italienne et ancien ministre, considérait encore récemment Poutine comme « le plus grand chef d’Etat » du moment. Il soutenait d'ailleurs l'annexion de la Crimée. Plutôt que de se faire discret, le coq milanais s'est rendu dans la petite ville polonaise de Przemysl, à deux pas de la frontière ukrainienne, en compagnie de représentants d'organisations humanitaires. Le maire de la ville lui a offert un tee-shirt blanc à l’effigie du président russe. "Je considère cela (cette visite) comme une insolence de votre part, a-t-il déclaré, aussi ai-je décidé de vous offrir un maillot à l’effigie de votre ami Poutine et de vous inviter à visiter un centre de réfugiés dans lequel se trouvent des milliers de victimes de cette guerre. » Ce t-shirt faisait référence à celui que Salvini avait arboré fièrement sur la Place rouge et au Parlement européen. "Vergogna !",  "Buffone !" Le coq n'a pu que battre en retraite, la crête en berne.
Beppe Grillo, du Mouvement 5 Etoiles, fait moins le fier, se concentrant courageusement sur la défense des animaux, histoire de faire oublier ses positions pro-russes.

Côté gauche radicale, MélenChe porte l'idée du "non-alignement". Il condamne l'intervention russe mais réussit à la trouver compréhensible. « La Russie en porte toute la responsabilité », écrit-il, mais il considère cette guerre comme « un rebondissement d’une de ces guerres sans fin qui, depuis Pierre Le Grand et Catherine II, tenaillent les peuples du secteur ». Si demain un pays de l'Union européenne en agressait un autre, Mélenchon pourrait aisément ressortir le même constat fataliste. Après tout, que sont septante ans de paix dans l'histoire guerrière de l'Europe ?
« Poutine a dû comprendre que la décision [américaine d’intégrer l’Ukraine dans l’Otan] était déjà prise », écrit encore le Che français. Comprenons par là qu'il a dû, comme l'analyse Marc-Olivier Padis (3), "prendre les devants sur une offensive américaine dont il avait annoncé qu’il la considérerait comme une agression, par une action préventive rétablissant par avance un équilibre que le candidat insoumis considère comme légitime. Cette hypothèse sortie de nulle part («tout cela se déduit facilement de l’observation», explique-t-il) ne fait rien d’autre que reprendre à son compte le discours victimaire de Poutine, selon lequel la pression de l’Otan sur les frontières de la Russie désigne son pays comme une victime de l’Occident acculée à une légitime défense : si Poutine envahit l’Ukraine, c’est de la faute de Biden".
"Contrairement à ce que disent les fascinés de Poutine, renchérit l'ancien ministre français Stéphane Le Foll (4), la progression de l’Otan n’est pas la cause de l’intervention russe. Ce n’est pas l’Otan qui a déterminé Poutine, mais l’intérêt grandissant des peuples de l’ancien régime soviétique vers l’Europe et son modèle démocratique." Mais que valent les peuples, méprisés par ceux dont l'anti-américanisme leur tient de seule grille d'analyse ? Les peuples ne peuvent être que manipulés.
"La gauche est profondément divisée, car les positions de Jean-Luc Mélenchon rendent impossible toute union pour l’avenir, conclut Stéphane Le Foll. L’avenir de la gauche ne se trouve ni dans le souverainisme anti-européen ni dans la complaisance envers des régimes autoritaires, en particulier celui de Vladimir Poutine. La gauche doit plus que jamais rester européenne et internationaliste, respectueuse du droit international et de ses institutions. La gauche doit réaffirmer son attachement à lutter contre le nationalisme, à défendre la liberté et à la démocratie."

Non-aligné, n'est-ce pas un synonyme de munichois ?

  (1) https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/10/en-europe-l-extreme-droite-s-efforce-d-inflechir-son-discours-sur-la-russie_6116947_3210.html
(2) https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/10/quand-matteo-salvini-tente-de-faire-oublier-son-admiration-pour-vladimir-poutine_6116910_3210.html
https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-matteo-salvini-rattrape-par-son-passe-pro-poutine-lors-de-sa-visite-en-pologne_4999824.html
(3) https://tnova.fr/democratie/international-defense/melenchon-poutine-et-lhistoire/
(4) https://www.huffingtonpost.fr/entry/les-positions-de-jean-luc-melenchon-sur-lukraine-rendent-impossible-toute-union-pour-lavenir_fr_62288042e4b0dd8abd5b6308

lundi 14 mars 2022

Néandertal, le retour

Six espèces humaines coexistaient il y a trois cent mille ans, quand homo sapiens a commencé à évoluer. Et peu à peu à s'imposer. "Curieusement, écrit Kate Ravilious dans The New Scientist (1), ce sont peut-être certaines de nos plus grandes vulnérabilités - notre dépendance vis-à-vis des autres, notre aptitude à la compassion et à l'empathie - qui nous ont donné l'avantage." Homo sapiens vivait dans des groupes plus importants que les autres humains et pouvait former des groupes au-delà de son cadre immédiat. Il savait s'adapter aux circonstances. "Notre besoin affectif nous a poussés à entrer en contact avec les autres", estime l'archéologue Penny Spikins. Le sens du groupe nous a rendus plus résistants et "a permis à l'être humain de chasser des animaux dangereux tout en vivant avec les conséquences en matière de risques de blessures. Et cela a allongé la durée de vie, donnant aux grands-parents la possibilité de s'impliquer dans l'éducation des plus jeunes et de leur transmettre leur savoir et leurs compétences."
Peu à peu, homo sapiens a étendu ses réseaux, a multiplié les interactions entre groupes et a ainsi acquis des comportements et des inventions auprès de groupes voisins, ce qui a pu aider à sa survie, affirme le paléoanthropologue Chris Stringer. 
Les néandertaliens, eux, parfois décrits comme ayant l'air de brutes, avaient un mode de vie isolé, ce qui leur a coûté cher. Aujourd'hui, on croit voir néandertal se réincarner en un autocrate brutal qui veut à toute force conquérir un territoire, dût-il en faire un champ de ruines et un cimetière. Qui dira à Vladimir Poutine que néandertal n'a pas d'avenir ?

(1) "Mon ami Sapiens"Kate Ravilious, The New Scientist, 24.11.2021, in Le Courrier international, 10.2.2022.

jeudi 10 mars 2022

Hommage à Lop

Pour éviter les candidats fantaisistes, le système français prévoit que tout candidat à l'élection présidentielle soit présenté par au moins 500 élus (parlementaires, membres de conseils régionaux et départementaux ou maires). Depuis que les signatures sont rendues publiques, beaucoup d'entre eux évitent de faire un choix de peur de choquer leur électorat. Douze candidates et candidats cependant ont obtenu leurs parrainages, Certains in extremis. D'autres ne les ont pas obtenus. Des observateurs s'interrogent : faut-il modifier ce système ? Et si oui, comment ? (1)

Si le système actuel avait été d'application sous la IVe République, Ferdinand Lop n'aurait sans doute pas pu être candidat. C'eût été dommage.
Ce journaliste, dessinateur, écrivain et poète - qui nommait ses adversaires les anti-Lop - fut candidat aux élections de 1945 à 1958. Ses slogans : « Tous pour le Front Lopulaire ! » et « Au char de l’État, il faut la roue d’un Lop ».
Son programme était séduisant : extinction du paupérisme à partir de 22h ; construction d'un pont de trois cents mètres de large pour abriter tous les clochards ; prolongement de la rade de Brest jusqu’à Montmartre et extension du boulevard Saint-Michel jusqu'à la mer ; raccourcissement de la grossesse de neuf à sept mois ; octroi d'une pension à la femme du soldat inconnu ; aménagement de trottoirs roulants pour faciliter le labeur des péripatéticiennes ; suppression du wagon de queue du métro ; installation de Paris à la campagne pour que les habitants profitent de l'air pur (on notera que ce dernier point de son programme a été réalisé par d'autres que lui, bien qu'il soit peu probable que les habitants profitent de l'air pur).
Après les élections législatives d'octobre 1945, Ferdinand Lop remonta le « Boul Mich » dans une voiture décapotable, saluant ses électeurs, ou plutôt son électeur : lui-même.

On dénonce aujourd'hui la vision passéiste de plusieurs candidats à l'élection 2022. Il nous manque des visionnaires tels que Lop. 

(1) Arte, 28 minutes, 21.2.2022

lundi 7 mars 2022

Le suicide russe

C'est un homme qui aime faire peur, qui fait peur et qui a peur. Vladimir Poutine s'est isolé, n'accordant plus sa confiance qu'à une poignée de personnes. "Poutine vit désormais dans une bulle de verre à sa résidence de Novo-Ogaryovo, dans les environs de Moscou", entouré d'une garde rapprochée parfaitement sous contrôle", écrit la journaliste tchèque Petra Prochazkova (1). "Il ne redoute pas seulement une contamination potentielle (au Covid-19), mais aussi plus symboliquement, un monde semblable à une maladie infectieuse, avec lequel il ne s'entend pas." Il y a longtemps, dit-elle, qu'il a perdu contact avec la réalité, la pandémie n'ayant fait "qu'amplifier le gouffre qui le sépare du monde des gens normaux, y compris des politiques, des hommes d'Etat et des journalistes". Il se tient loin des réseaux sociaux et ne se confierait plus à la plupart de ses conseillers. Ce "petit homme à l'ego démesuré" (comme l'a qualifié la journaliste russo-américaine Masha Gessen) surestime ses capacités et celles de son pays, "convaincu que la Grande Russie saura faire face aux sanctions les plus dures". Il est aujourd'hui "l'homme politique le plus seul sur la planète" perçu "comme un menteur et un agresseur", estime le journaliste bulgare Svetoslav Terziev (2).

Tout lui paraît possible. "Les frontières de la Russie ne s'arrêtent nulle part", a un jour déclaré Poutine (3). Et il est devenu l'incarnation du culot et de la mauvaise foi érigés en valeurs suprêmes et indiscutables. Il compare les sanctions qui frappe la Russie à une "déclaration de guerre". On en rirait si la situation n'était pas aussi dramatique pour l'ensemble de l'Ukraine. Car lui évidement ne mène pas de guerre, juste une opération militaire que refuse de comprendre le monde entier. Il se dit prêt à dialoguer si la partie adverse accepte toutes ses exigences (4). Le Larousse définit le dialogue comme une "discussion visant à trouver un terrain d'entente". Dans la langue poutinienne, dialogue se dit oukase.
Il n'a que mépris pour les peuples. Le sien et ceux des pays qu'il a déjà placés sous son joug. Déjà plus de dix mille Russes ont été arrêtés pour avoir critiqué cette guerre qui n'est pas la leur. Les journalistes sont à présent menacés de quinze ans de prison s'ils qualifient de guerre l'intervention militaire russe en Ukraine.
Les Occidentaux, l'OTAN, l'U.E. ont sans doute manqué de jugement et pêché par arrogance - et par naïveté - vis-à-vis de la Russie après la chute du régime soviétique. Mais si certains pays se tournent vers l'ouest, c'est que leurs populations dans leur grande majorité ne veulent plus de la Russie, n'ont pas oublié l'extrême souffrance que fut pour elles le régime soviétique et savent que la Russie de Poutine n'est pas et ne sera jamais une démocratie. 

Poutine est comme Assad : il sera fier d'une victoire à la Pyrrhus, fier d'être président d'un champ de ruines, voire d'un cimetière.
"Cette tentative de la part de mon Etat – d’une ampleur inouïe, irrationnelle, et qui causera sa propre perte – de détruire l’Etat ukrainien n’a aucun fondement historique, stratégique, ni même pragmatique, sans parler de fondements éthiques ou simplement humains." C'est ce qu'écrit l’écrivain russe Andreï Dmitriev (5) qui a vécu en Ukraine de 2012 à 2020. "Il ne s’agit pas des intérêts de la Russie ou de ses dirigeants, mais d’une démarche suicidaire, d’une prise de risque mortel pour tout le monde. On est prêt à tous les sacrifices, prêt à payer n’importe quel prix… pour quoi ? au nom de quoi ?… Nous avons là un cas stupéfiant d’autosuggestion." Cette guerre s'est bâtie sur le mensonge. "Ayant inventé leur propre méchante bête géopolitique, nos dirigeants, pourtant adultes, se sont mis à croire à la réalité des griffes et des dents d’un Occident imaginaire qui s’apprêterait à anéantir la Russie – sans même se demander pourquoi, s’il en est ainsi, ce même Occident avait, en 1994, demandé à l’Ukraine de faire confiance à la Russie en renonçant à son arsenal nucléaire. Ils se sont mis à croire à l’existence d’un « projet Ukraine » antirusse, en multipliant jour après jour des « preuves » diverses et variées, les unes aussi fausses que les autres. Cette propagande vénéneuse, au début destinée à la population, a fini par les empoisonner. Je ne suis pas le seul à estimer que les auteurs du mensonge en sont arrivés à le prendre eux-mêmes pour la vérité – aujourd’hui, cette hypothèse baroque est presque devenue un lieu commun."
En détruisant l'Ukraine, c'est elle-même que tue la Russie. "Impossible de faire la guerre à l’Ukraine, écrit encore Andreï Dmitriev. Impossible de la vaincre. Même en éradiquant en soi-même les restes d’humanité dans les efforts pour détruire l’Ukraine, on finira par détruire un autre pays et seulement lui : la Russie. En attendant…"
En attendant, ce suicide est et sera un désastre pour la planète.

(1) Petra Prochazkova, "Au Kremlin, un monarque isolé entouré d'une cour de généraux", Denik N (Prague), 25.2.2022, in Le Courrier international, 3.3.2022.
(2) Svetoslav Terziev, "Naissance d'un paria", Le Courrier international, 3.3.2022.
(3) https://www.arte.tv/fr/videos/098406-000-A/poutine-le-retour-de-l-ours-dans-la-danse/
(4) https://www.lalibre.be/international/europe/2022/03/04/le-dialogue-nest-possible-que-si-toutes-les-exigences-russes-sont-acceptees-avertit-poutine-KJVSHV7ZGZHFFB7G6KXASTNACY/
(5) https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/03/03/andrei-dmitriev-des-annees-de-contreverites-corrosives_6116041_3260.html

vendredi 4 mars 2022

Solidarité

 Rassemblement de solidarité avec le peuple ukrainien devant la mairie de Bélâbre (36), ce 3 mars 2022.

Avec les maires de Lignac, Bélâbre, Saint-Hilaire-sur-Benaize, Chalais et Mauvières.


La guerre que mène Poutine à l'Ukraine provoque des manifestations même dans des pays qui le soutiennent. Ce fut le cas à Téhéran le 26 février. En Biélorussie, des manifestants scandaient : " Gloire à l'Ukraine" et "Gloire aux héros".  A Moscou, des citoyens ont déposé des fleurs là où a été assassiné il y a sept ans l'opposant Boris Nemtsov qui avait pris position contre la guerre dans le Donbass. Mais en Russie, la répression des opposants se fait de plus en plus féroce.


mercredi 2 mars 2022

Gare au gorille

Depuis six jours, nous suivons, angoissés, heure par heure, la guerre que mène la Russie à l'Ukraine. Dans l'ensemble de l'Europe, semble-t-il, le sentiment d'empathie avec les Ukrainiens est très fort. Même si nous ne connaissons rien de ce pays complexe. On lira utilement, pour tenter de le comprendre, l'article que Bernard De Backer avait rédigé à son propos en 2006 pour La Revue Nouvelle :  

Dans cet article, Bernard De Backer y cite Dostoïevski : « La beauté sauvera le monde et le potager la Russie ». On se dit que si Poutine savait cultiver son jardin plutôt que ses muscles, le monde en serait plus beau. Moins effrayant en tout cas. Un dessin de Riss en une de Charlie Hebdo de cette semaine représente le sinistre personnage en monstrueux gorille prêt à appuyer avec son sexe minuscule sur le bouton nucléaire. Le même Riss conclue son éditorial, "Guerre au réel", par cette phrase : "Le monde n'est plus divisé entre l'Est et l'Ouest, mais entre, d'un côté, le déni et la paranoïa et, de l'autre, la raison et le dialogue, censés être incarnés par un droit international souvent mal conçu et manifestement incapable d'éviter les guerres". Mais quelles règles peuvent empêcher les fous furieux de mener leurs projets barbares ? Et que leur opposer d'autre que la menace d'une riposte pire que leurs actes ? On regrette de ne plus pouvoir se dire pacifiste.

Les protestations contre la folie brutale de Poutine le restent cependant, dans l'Union européenne, mais aussi en Russie et en Biélorussie. On ne parle pas des Biélorusses qui disent cependant avoir vaincu la peur et osent à nouveau descendre dans la rue pour la première fois depuis un an pour protester contre la guerre et contre l'envoi des troupes biélorusses en guerre. Ils appellent (un ami biélorusse a répercuté sur sa page Facebook un texte de mobilisation des opposants) à arrêter la désinformation, invitant les travailleurs à expliquer à leurs collègues qui est l'agresseur et comment leur pays est un peu plus englouti par cette guerre. Ils appellent à se retrouver dans les gares, à bloquer la circulation, à saboter le travail, à convaincre les conscrits de fuir l'armée. Ils espèrent pouvoir épuiser l'économie de leur pays devenu vassal de la Russie qui en fait un outil de sa sale guerre. Il faudrait que Poutine tombe pour entraîner le dictateur Loukachenko dans sa chute. Mais qui pourra le renverser ?