lundi 31 janvier 2011

De la difficulté de devenir adulte

La NVA a grandi trop vite. C'est un parti pré-adolescent qui dépasse les autres d'une tête. Et qui fait le malin. Les autres sont des minus, lui est grand et fort. Il montre ses muscles et son début de moustache. A "Mise au point", hier, Dany Pieters, l'un de ses membres éminents, estimait qu'on ne peut mettre de côté le plus important parti de Belgique. Mais le plus important parti de Belgique s'est mis lui-même de côté, refusant d'assumer ses responsabilités. Chaque fois qu'un compromis semble possible, il dit non, revient sur ses pas, change de tactique au point qu'on se demande s'il en a une. Il ne sait pas ce qu'il veut. En fait, il veut tout. Sinon, rien. Il a l'air d'un adolescent qui cherche à s'affirmer, mais ne sait ni qui il est, ni ce qu'il veut.
Dans la Libre Belgique (1), Hugues Dumont - professeur de droit constitutionnel - évoque six scénarios pour sortir de la crise. Il considère que "la NVA n'est incontournable que si le CDV le veut. Dans un régime parlementaire combiné avec un système électoral proportionnel, la notion relative de victoire électorale ne doit pas être confondue avec le principe de majorité absolue". "Il n'y aurait, dit-il plus loin, strictement rien de scandaleux de laisser cette coalition politique en dehors de la coalition gouvernementale. Ce serait même légitime, ajoute-t-il, si l'on voulait bien s'aviser de la contradiction logique qui consiste à demander à un parti qui veut la mort d'un Etat de contribuer à sa reconstruction."
Dans un dessin de Sempé, un gamin, le nez en l'air, passe devant ses copains, avec l'air de les ignorer, et dit: "il nous faut un chef, je propose que ce soit moi". Les autres le regardent médusés, ne le comprennent pas. La NVA joue aujourd'hui le rôle de ce gamin-là. Elle est chef. Mais de quoi et pour faire quoi? Elle impose ses règles, mais personne ne les connaît. Elle les invente au fur et à mesure. Les crises d'adolescence peuvent parfois être longues.

(1) 29.01.2010

dimanche 30 janvier 2011

Envolée

"J'aime bien réfléchir; ça, c'est mon truc." C'est ce que disait une petite fille de 8-10 ans dans un sujet sur l'enseignement au JT de France 2 ce samedi. C'est la plus jolie phrase que j'ai entendue depuis longtemps. On aimerait que ce soit le truc de tout le monde. Mais tout le monde n'a pas la chance d'être une petite fille.

vendredi 28 janvier 2011

Coeur de pierre

Une jeune femme cachée sous une burqa. Elle a vingt ans. On l'a placée dans un trou. Elle reçoit une pierre sur la tête. Puis deux, puis trois, puis tant d'autres. Un coup de feu l'achève. Puis, c'est le tour d'un homme.
Ils étaient amants, apprend-on (1). Là-bas, dans le nord de l'Afghanistan où règnent les talibans, l'amour est un crime. Et la lapidation un juste châtiment qui condamne comme il se doit l'adultère. Existe-t-il un seul animal aussi cruel que ces individus qui ne méritent pas le nom d'hommes? Là-bas, Allah est mort depuis longtemps. La barbarie a pris sa place. Et tue chaque jour en son nom.

Je n'ai pas prétendu mettre seulement une action vraie sur la scène, mais des moeurs vraies, faire penser les hommes comme ils pensent dans les circonstances où ils se trouvent, et représenter enfin ce que la fourberie peut inventer de plus atroce, et ce que le fanatisme peut exécuter de plus horrible. Mahomet n'est ici autre chose que Tartuffe les armes à la main.
Voltaire, dans l'introduction de "Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète"

(1) JT RTBF, 27.01.2011

jeudi 27 janvier 2011

Portrait de la bêtise humaine

"Qui s'étonne encore de la haine à laquelle doivent faire face les immigrés?", demandait en 1985 le journaliste allemand Günter Wallraff. (1) Il s'était alors mis, deux ans durant, dans la peau d'un travailleur turc, effectuant les pires tâches, encaissant insultes et agressions. Elles venaient de partout: alors que le patron d'un bistrot où il voulait - comme tout le monde - boire un verre - le protège d'un fou furieux, "voici qu'entre en scène un type qui se révélera être un ponte de la municipalité; pendant tout l'esclandre, il est demeuré paisiblement assis à sa table, comme plongé dans ses réflexions. A peine les choses se sont-elles calmées qu'il tire un couteau de sa poche et l'enfonce dans le comptoir. Puis il explose: Veux-tu bien foutre le camp, espèce de Turc de merde!".

A 68 ans, vingt-cinq ans après avoir été une "Tête de Turc", Günter Wallraff a remis le couvert. Parcourant, pendant un an, l'Allemagne de long en large, dans la peau d'un noir cette fois (2). Une perruque et de la peinture noire l'ont transformé en Kwami le Somalien et ont suffi pour dévoiler - une fois encore - le racisme quotidien de nombre de ses compatriotes. "La couleur de peau est déterminante", a-t-il vite constaté. Noir, on l'évite, on le raille, on le rabaisse, on l'injurie, on le menace, on le jette.

La propriétaire d'un appartement que voudrait louer Kwani, après l'avoir poliment éconduit, dit au comparse allemand (qu'elle ne sait pas équipé d'une caméra cachée): "c'est pas du racisme, mais ça ne cadre pas. Je préfère encore que ça reste vide, plutôt que de louer à un noir". Nous sommes en 2010 et plus avant la décolonisation, mais ils sont bien nombreux ceux qui ne savent pas qu'on a changé de siècle. "Il ne nous inspire pas", dira un autre blanc. "Seul, il n'est pas dangereux, mais dieu sait combien ils sont."
Sa présence dans une barque parmi d'autres touristes indispose ses voisins. Visiblement leur après-midi est gâchée par sa présence. Dans un parc, c'est un couple de personnes âgées qui quitte ostensiblement le banc sur lequel vient de s'asseoir Kwami.
"On ne veut pas d'Africains ici, ils ne pensent qu'à faire la fête", disent des campeurs, ignorant visiblement que les Allemands n'ont pas bonne réputation dans les campings, à cause d'un goût parfois immodéré pour... la fête. "Si tu acceptes des gitans, on fait nos valises", ont dit des campeurs au gérant qui prévient Kwami: "ils ne vont peut-être pas vous accepter; ils vont vous éviter, c'est petit ici." L'adjectif est approprié: c'est petit, c'est mesquin, c'est peureux. Ce sont des gens enfermés en eux-mêmes, qui vivent dans l'ignorance, dans la peur de l'autre. Des handicapés sociaux.
La caméra cachée les montrent tels qu'ils ne s'imaginent pas. L'apparence noire de cet homme entraîne de facto son rejet. Ils sont à cent lieues d'imaginer combien ils sont ridicules, combien ils apparaissent à la fois effrayés et effrayants. Combien leur réalité est triste et... sombre.

Kwami veut s'inscrire dans un club canin pour faire dresser son chien, il pourra ainsi se protéger des agressions des skins, dit-il. Mais c'est cher, le prévient le gérant: 250 € d'inscription et 500 € d'abonnement annuel. Pour la jeune fille blanche qui se présentera plus tard, les tarifs ont brusquement chuté: 60 et 65 €. Cherchez la cause.
Avec un autre Allemand d'origine africaine, Kwami se rend à l'administration. Tous deux voudraient connaître les conditions à remplir pour obtenir un permis de chasse. Les fonctionnaires refusent de répondre à leurs questions, les menacent d'appeler la police et... les chassent. Visiblement, ils ont un permis. Eux.

On lui refuse une fois, deux fois, trois fois, l'entrée dans une discothèque. Il faut une carte de membre, lui dit le vigile. Et il ne pourra l'avoir qu'en revenant la semaine prochaine. Quel jour?, demande-t-il. La semaine prochaine.
Dans un café, on le raille, on l'insulte, on le provoque. "Regarde moi ça: un nègre!", dit un client. Des consommateurs protègent heureusement Kwami de son agressivité et de sa volonté d'en découdre.
Parfois (rarement hélas), les dialogues sont drôles. Chez lui à Cologne, dans un café, il trinque avec un homme. "Je ne le connais pas", dit celui-ci à la femme avec laquelle il est attablé. "Moi non plus, tu ne me connais pas", lui répond-elle. Elle est blanche, faut-il le préciser.

Les matchs de foot rassemblent les individus les plus ouvertement agressifs. La bière qu'ils ont tous à la main ou à la bouche n'a visiblement pas les capacités de les rendre plus intelligents. Les plus calmes l'ignorent, ne répondent pas à ses questions. Les autres l'empêchent de passer, l'injurient, le menacent. "Je suis blanc, je suis grand, je suis ton maître", lui dit un jeune, incapable d'imaginer que, ce faisant, il exprime combien il est petit et grotesque. Il faudra l'intervention d'une policière dans le train pour éviter l'agression physique. "Je m'attendais à chaque instant à ce qu'ils me tombent dessus, dira lors du débat Günter Wallraff. Je n'ai jamais ressenti autant d'estime pour la police. Elle joue vraiment un rôle protecteur."

Un patron toutefois est prêt à l'engager pour un contrat de trois mois si ses papiers sont en règle. Wallraff expliquera lors du débat qu'il a eu droit parfois à des attitudes amicales ou bienveillantes. Parfois. Le plus souvent, c'était de l'ignorance ou de l'agressivité.
Une jeune Allemande d'origine africaine témoigne: "il y a beaucoup de sous-entendus, de moqueries, surtout de la part des vieux". On se moque de ses cheveux: "ça a brûlé", dit-on autour d'elle. Elle rêve de rentrer dans son pays d'origine.

Mais au fond qu'est-ce qu'être noir? C'est simple, "c'est ne pas être blanc", explique au cours du débat l'ancien footballeur Lilian Thuram. Son fils, alors qu'il avait six ans, considérait qu'il n'était pas noir, mais beige sans doute ou café au lait ou que sais-je. Et ses copains n'étaient pas blancs, mais roses, expliquait-il à son père. "Le racisme, c'est une construction intellectuelle, l'expression d'un complexe de supériorité", dit Thuram. Un complexe qui témoigne évidemment d'une faiblesse intellectuelle totale et d'un manque de culture affligeant. "Vingt-cinq pour cent des Allemands se déclarent ouvertement racistes, mais beaucoup plus sont des racistes latents, estime Wallraff qui l'a constaté de près. "On n'est jugé qu'en fonction de sa couleur de peau", dit-il. On ne l'est pas en fonction de son intelligence, de ses compétences, de ses valeurs.
Où sont - en Allemagne, mais aussi sans doute en Belgique, en France, en Italie...- les valeurs de respect, d'ouverture, de tolérance? Il faut travailler sur l'éducation, disent Wallraff et Thuram. Ils ont raison. A la sortie de "Tête de Turc", tout le monde s'accordait à dire qu'il fallait travailler sur l'éducation. C'était en 1985.

Günter Wallraff témoigne de cette expérience dans l'ouvrage "Parmi les perdants du meilleur des mondes", mais aussi de son expérience de SDF, d'ouvrier, de patron, etc. (La Découverte, 2010).

(1) "Tête de Turc", La Découverte, 1985
(2) documentaire "Noir sur blanc - Voyage en Allemagne" de Pagonis Pagonakis et Suzanne Jäger (2009), diffusé sur Arte ce mardi 25

lundi 24 janvier 2011

Débarrassez-vous

Joli succès pour la shame manif hier à Bruxelles. Quelques milliers de Belges ont dit leur envie d'avoir un gouvernement. Au plus vite, insistent-ils. Et de maintenir une Belgique unie. Disons aussi unie que possible. La situation est complexe. La plupart des acteurs autour de la table - disons cinq partis sur sept - ont vraiment envie de trouver un compromis. La NVA, non, malgré ses belles déclarations offusquées. Le parti des petit-bourgeois nombrilistes organisait sa séance de voeux samedi soir. Il l'a inaugurée sur l'air de "It's a shame" de Talk Talk. Affichant ainsi son mépris pour la manif du lendemain. Wie is verantwoordelijk van de schaamte?
De Wever estime qu'il s'agissait d'une manifestation "belgicaine et francophile". Il est les trois petits singes à lui tout seul. Il ne veut ni voir, ni comprendre, ni entendre le souhait de conserver un pays multiculturel, où on se parle (talk talk!), où on échange. Bart le Tisserand n'est pas un homme de lien. C'est un enfant gâté. Il veut ceci, mais quand on lui donne, il n'en veut plus: il veut cela. Dès qu'un compromis semble proche, il prend ses distances. On lui demande pourquoi il n'est pas d'accord. Il répond: parce que. Il tape du pied. On a du mal à le suivre. On comprend qu'il est contre. Il est en train de gagner au grand jeu de l'imbécile couillon. Il en est fier. Aujourd'hui, il appelle les partis qui veulent se débarrasser de la NVA à le dire clairement. Caroline Gennez, présidente du SPA, dit qu'elle soupçonne la NVA de ne pas vouloir entrer dans un gouvernement. Enfin, une politique affirme clairement ce que la presse et la grande majorité des citoyens de ce pays pensent et disent depuis des mois. Jean-Michel Javaux déclare qu'Ecolo pourrait quitter les négociations si elles n'aboutissent pas rapidement. Il est temps de rebattre les cartes et, effectivement, de se débarrasser du parti qui veut se débarrasser de la Belgique. Mais le caniche CDV est très attaché à son maître.

Hier à Bruxelles, un groupuscule du Taal Aktie Komitee détruisait des tracts de la manif et les jetait rageusement sur la foule. Cette manifestation bon enfant était insupportable aux yeux des flamingants. Vendredi, d'autres membres du TAK forçaient la porte de l'habitation privée du bourgmestre de Wezzembeek-Oppem, tentant de l'intimider. On voit par là que le nationalisme n'aime pas la démocratie et est assez bête pour le démontrer régulièrement. Mais au moins, c'est clair.

dimanche 23 janvier 2011

La mauvaise haleine de la télé

Qu'est-ce qu'un fait, selon Eric Zemmour? C'est ce qu'il affirme. Qu'est-ce qu'un droit? C'est ce qu'il considère comme tel. En mars 2010, sur Canal+, il estimait logiques les contrôles au faciès: "pourquoi on est contrôlé? Pourquoi? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c'est comme ça, c'est un fait", disait-il, sans se soucier de démontrer ce qui établirait ce fait. Le même jour, décidément très en verve, il légitimait la discrimination à l'embauche: "mais ils ont le droit!". "Zemmour dit tout haut ce que Le Pen pense tout haut", titre Charlie Hebdo (1). Il défend mordicus l'idée que Noirs et Blancs appartiennent à deux races différentes. Ce qui distingue ces deux races: "ben, la couleur de la peau tout bêtement." Le tout bêtement est approprié, on trouvera difficilement argumentation plus bête, à mille lieues de toute réflexion aussi bien scientifique qu'humaniste. Zemmour se fait le chantre de la discrimination, du racisme et de la philosophie de comptoir. Mais aussi du masculinisme: "l'homme qui accepte de changer les couches-culottes de son enfant renonce dangereusement à sa virilité", affirmait-il tout bêtement en 2006 dans une émission d'Ardisson.
Les vérités de bistrot de Zemmour font des petits: vous perdez votre téléphone portable et vous souhaitez faire jouer l'assurance? Vous n'avez qu'à déclarer que c'est un "grand noir" qui vous l'a volé. C'est le conseil qu'ont donné des vendeurs à une journaliste de France Info (2) qui enquêtait sur le sujet. Comme les assurances vols de portables ne jouent que dans les cas d'agressions, il suffirait, selon deux des vendeurs interrogés, de déclarer à la police que "'il était grand, il était noir (ou black) et que vous n'avez rien pu faire".
Le vendredi 14 janvier, le parquet a requis la condamnation de Zemmour pour diffamation et incitation à la discrimination raciale. Le bas parleur n'a toutefois pas de souci à se faire: même s'il est condamné, il conservera son siège de chroniqueur chez Ruquier. "Il y a des ministres condamnés et qui sont toujours ministres. Pourquoi est-ce que ça changerait quelque chose pour un chroniqueur?", a argumenté tout bêtement l'animateur (2), démontrant par là que l'audience prime sur l'éthique et que télévision et intelligence ne font décidément pas bon ménage.
Je viens de découvrir à mon vieux poste de télé des vertus que je ne lui connaissais pas: c'est une télé olfactive. Pendant les émissions de Ruquier, elle dégage une odeur d'égout.

(1) 19.01.2011
(2) voir http://www.rue89.com/2011/01/21/lhistoire-du-grand-noir-qui-vous-a-vole-votre-portable-186721
(3) dans le Parisien, cité par LLB du 17.01.2011

voir aussi à ce sujet le billet de Caroline Forest "Sauvons la Halde" (15.01.2010): http://carolinefourest.wordpress.com/

jeudi 20 janvier 2011

Riche moyenne

En moyenne, chaque Belge a mis de côté 84.000 €, nous dit le JT de la RTBF (1), sous forme d'épargne, de bons du trésor, de placements divers. C'est une moyenne. Ce qui ne veut rien dire. Je ne suis pas dans la moyenne et me demande qui l'est. J'interroge mes amis, ils sont comme moi: loin, très loin sous la moyenne. Ils ne l'aperçoivent même pas. Bien plus: ils ne l'imaginent même pas. L'épargne totale en Belgique s'élève à 909 milliards d'euros, mais "il est impossible de savoir comment elle se répartit entre riches et moins riches", précise le JT. On comprend mieux. Et la journaliste ajoute que "18.000 demandes de règlement collectif de dette ont été déposées en 2010. Soit 2.000 de plus qu'en 2009". On voit par là que calculer une moyenne est parfois idiot. Et on se dit qu'on pourrait créer un impôt sur la fortune, comme chez nos voisins. Mais on ne se fait pas d'illusion. Les riches - combien sont-ils? - n'aiment pas l'impôt. Allez savoir pourquoi. Et il ne faut jamais brusquer les riches. C'est une règle.


(1) ce 20.01.2011

mercredi 19 janvier 2011

Sur la route

Ils sont deux. Elle, c'est une liane légère et souple qui se balade, saute, s'abaisse, se relève, se retourne sur les poutres et les fils tendus en triangle sur la scène centrale.
Lui, tout en muscles, se déplace lourdement, difficilement, victime il y a onze ans d'un accident qui l'a laissé paraplégique. Le fildefériste que la vie a réellement cassé doit s'aider de ses mains pour plier les genoux, doit étendre les bras pour trouver son équilibre.
La funambule le voit passer en-dessous d'elle de sa démarche alourdie. Le duo va se former, chacun apportant sa part d'efforts et de soutien à l'autre.
Elle s'aide de lui et lui s'appuie sur elle. Il va la hisser sur le fil, elle va marcher sur ses bras tendus. Elle va le porter, le tirer, le guider, l'aider à marcher sur les poutres. A reprendre sa route interrompue.
Elle, c'est Sanja Kosonen, lui, c'est Antoine Rigot, eux, ce sont les Colporteurs.
"Sur la route" (1) est un spectacle de cirque qui, sans un mot et avec une technique remarquablement maîtrisée, parle de la reconstruction, de la volonté, de la complémentarité, de la confiance, de l'équilibre, de la légèreté même quand on est lourd...
Un spectacle bouleversant, à la symbolique forte, mais ancré dans une réalité à la fois douloureuse et optimiste, celle d'un artiste qui reprend vie grâce à son art. C'est debout que le public a salué les artistes. C'est bien le moins qu'il pouvait faire.

(1) présenté hier soir et ce soir encore à la Maison de la Culture de Tournai (20h), "Sur la route" sera joué aux Halles de Schaerbeek ces 21 et 22 (20h30) et 23 (16h) janvier.

mardi 18 janvier 2011

Suicide universel

Le Pakistan est plus islamiste que jamais. Un gouverneur a été assassiné parce qu'il entendait alléger la loi qui réprime le blasphème. Actuellement, tout blasphémateur au Pakistan est exécuté. Des dizaines d'avocats se sont proposés pour défendre gratuitement le meurtrier devenu héros quasi national. Des milliers de gens l'applaudissent, jettent des roses sur le passage de son fourgon cellulaire (1). Le gouvernement s'empresse de préciser qu'il n'entend pas modifier cette loi qui, dans les faits, permet à n'importe qui de se débarrasser aisément de toute personne avec laquelle il est en conflit. On voit par là que la bêtise et la haine se portent bien. Même les défenseurs du droit n'en ont aujourd'hui qu'une idée extrêmement violente. Les mots et les attitudes sont plus importants que la vie. S'il faut condamner de manière radicale le blasphème, il ne restera rapidement plus aucun être humain vivant sur cette planète. Car, enfin, le principe même du blasphème se retourne contre lui-même. Considérer qu'il y a un autre dieu qu'Allah, c'est - si on les comprend bien - blasphémer. Et donc mériter la mort. Les chrétiens d'Irak et d'Egypte le savent, victimes de meurtres et d'attentats ciblés sur leur religion. Mais, si on adopte l'autre point de vue, on considérera que croire en Allah plutôt qu'en Yaveh, en Jehova ou en Jésus serait aussi blasphémer. Et donc mériter la mort. Quant à ceux qui ne croient en aucun dieu, ils ne méritent tout simplement pas de vivre. On voit par là que ni le Pakistan ni cette traduction obscurantiste de l'islam n'aide à vivre et à devenir intelligent. "La décadence intellectuelle et spirituelle du monde musulman vers le dogmatisme et l'obscurantisme de masse semble tellement avancée qu'elle paraît interdire tout espoir sérieux de régénération", écrit Abdennour Bidar (2). Le philosophe estime que "voilà venu le temps de l'islam de cimetière... Les musulmans prennent pour un autel chacune de ces tombes qu'ils nomment fondements et fondations. Ils confondent la vérité et le sacré avec la cohorte immobilisée de leurs spectres: tous ces rites, moeurs et dogmes, tous ces piliers auxquels "il ne faut pas toucher", tout ce qui est repris mécaniquement, génération après génération, tous ces gestes, toutes ces habitudes, ces préjugés, ces idées toutes faites sur l'islam et sur la vie... et qui ne sont que les ruines où, autrefois, le mystère de l'existence s'est déposé".
Dans "L'islam face à la mort de Dieu", Abdennour Bidar essaie de pousser l'islam à sortir de son "autisme religieux" et de réhabiliter la pensée de Mohammed Iqbal, autre philosophe qui, il y a un siècle, tentait d'ouvrir la voie à un nouvel humanisme: "sans arrêt, Mohammed Iqbal tente (...) de faire valoir la dimension de l'individu, de sa liberté personnelle et de sa puissance créatrice, contre une religion qui l'écrase sous des formes multiples de soumission, aussi bien sociales que spirituelles. Comme le souligne bien Denis Matringe, Iqbal n'a de cesse de proclamer, et surtout de conceptualiser mieux qu'aucun autre penseur musulman moderne, le rôle créateur de l'être humain, aux antipodes tout à la fois du libre abandon à la providence de certaines spéculations soufies, et de l'engoncement dans les préceptes d'une jurisprudence fossilisée depuis des siècles".
Le Pakistan, nous dit A. Bidar, est fier de présenter Mohammed Iqbal comme son père spirituel. Que reste-t-il aujourd'hui au Pakistan de l'esprit du père?

sur ce sujet, lire sur ce blog: "Blasphème?", billet du 13.03.2007
(1) JT France2, 17.01.2011
(2) Abdennour Bidar: "L'islam face à la mort de Dieu", François Bourin éditeur, 2010

lundi 17 janvier 2011

Dégoût d'ego

L'Express l'a rebaptisé Patrick Plagiat d'Arvor (1). Ce pourrait être Patrick Poivre d'Ego. C'est qu'il faut un sacré ego - et un ego sacré - pour oser plagier aussi impunément un autre auteur. Pour qui faut-il se prendre? On se le demande. Pour plus que soi sans doute.
PPDA devait sortir dans deux jours sa biographie d'Ernest Hemingway. Il est vite apparu à un journaliste de l'Express que son Hemingway, une vie jusqu'à l'excès a joyeusement emprunté près de cent pages à la biographie rédigée par l'auteur américain Peter Griffin, parue aux Etats-Unis en 1985 et traduite en français en 1989. Et l'Express de le prouver en publiant, parmi des centaines d'autres possibilités, trois passages où la comparaison entre Griffin et PPDA ne laisse aucun doute: il s'agit bien de l'original et de la copie, le plagiat est patent. Son éditeur, Arthaud, s'en défend mal. Très mal même: "en gros, le livre envoyé à la presse avant sa mise en librairie, explique Télérama (2), n'était qu'une version provisoire, une fiche de lecture géante que PPDA n'avait pas validée, même s'il en avait dédicacé de nombreux exemplaires. Convaincant, non? Si l'on comprend bien, ce sont donc les nègres qui ont mal fait leur boulot".
L'homme n'est pas en quête de notoriété, ni d'argent sans doute. Qu'il ait envie d'écrire un livre, soit. Mais alors pourquoi ne pas l'écrire lui-même sans aller piller le travail des autres? Et s'il s'est pris un nègre, comme il est d'usage notamment dans le milieu de la télévision, qu'il a fait écrire son livre par un autre, il l'a bien mal choisi: la réécriture du livre de Griffin est lourde, sans style, on y cherche en vain un écrivain. Mais après tout s'agit-il en quoi que ce soit de littérature?

(1) le Vif/l'Express, 07.01.2010
(2) 12.01.2011

Excusez-moi de vous déranger

Heureuse initiative à Tournai: Art et Essai, Imagix, la Maison de la Culture et No Télé lancent un nouveau festival de cinéma. Baptisé "Ramdam", il est consacré au "film qui dérange" (voir www.ramdamfestival.be). Il débute ce mardi 18 janvier. A l'affiche: des fictions, en avant-premières, inédites ou dans la partie rétro. Et aussi des documentaires, tels que "L'affaire Coca-Cola" de German Guttierez et Carmen Garcia, "un réquisitoire accablant contre l'empire Coca-Cola, soupçonné d'être impliqué dans l'enlèvement, la torture et le meurtre de chefs syndicaux qui luttaient pour l'amélioration des conditions de travail en Colombie, au Guatémala et en Turquie".
Ou "Torture made in USA" de Marie-Monique Robin, sur l'utilisation de la torture par les Etats-Unis depuis les attentats du 11 septembre.
Ou encore "Black Diamond" de Pascale Lamche, qui dénonce le trafic de jeunes footballeurs africains en Europe. "Le monde abject des trafiquants d'espoir", écrit TélécinéObs. Ce documentaire sera diffusé dans le cadre d'une soirée présentée comme "soirée sport", mais qui pourrait plus pertinemment être intitulée "soirée droits de l'homme". Il résonnera en tout cas particulièrement à Tournai: dans cette bonne ville, le bourgmestre et certains de ses adjoints restent poursuivis pour faux titre de séjour délivré à un footballeur congolais.
"Singa Manzangala est cet ex-joueur du RFC Tournai, rappelait le Courrier de l'Escaut le 15 octobre dernier, auquel l'administration communale de Tournai avait délivré un titre de séjour illégal (un faux CIRE, Certificat d'inscription au registre des étrangers) pour qu'il puisse être aligné en championnat de Division 3 nationale. Le bourgmestre de Tournai, Christian Massy, président du club de foot à cette époque, avait été personnellement mis en cause."
Voilà cinq ans que la procédure a démarré, suite à une plainte de l'Office des étrangers à Bruxelles.
Finalement, l'appellation "soirée sports" est peut-être bien indiquée: du sport, il pourrait y en avoir lors du débat qui suivra la projection du lundi 24. Et le Festival Ramdam pourrait peut-être bien déranger.

jeudi 13 janvier 2011

Des p'tits trous

Avec un coq comme emblème, il est sans doute normal que la Wallonie soit le royaume des nids-de-poule. Les trous sont innombrables. Le service de médiation de la Région wallonne reçoit quotidiennement deux cents plaintes d'automobilistes en ces journées post-gel.
Voilà une éternité (quinze ans? vingt ans? plus peut-être) que la Cour des Comptes souligne chaque année l'insuffisance des budgets d'entretien des routes en Wallonie. Certains parlementaires (j'en fus) ont relayé ces observations auprès du Gouvernement wallon. Mais rien n'y fit (ni n'y fait, semble-t-il): les soi-disant chainons manquant avaient priorité. Toujours plus de routes dans un des Etats qui a la plus forte densité routière au monde. Sans que suivent les moyens de les entretenir.
Voici plusieurs mois, l'émission "Questions à la Une" comparait la gestion des travaux routiers entre France et Wallonie. Les Français ont gagné. Comme chez nous, c'est logiquement à un appel d'offres que répondent les entrepreneurs. Mais chez eux, la réalisation des travaux est contrôlée. Pas chez nous. Ce qui est explique que, très souvent, le revêtement des (auto)routes wallonnes ne soit pas conforme au cahier des charges. Et qu'il manque ici un centimètre de tel matériau, là trois ou quatre. Ou plus peut-être. Et que tout soit toujours à recommencer. Les autoroutes wallonnes ou le tonneau des Danaïdes.
Chez eux, les autoroutes sont payantes et la qualité suit, du revêtement, des aires de repos, de la propreté. Chez nous, pour des raisons d'abord populistes, elles restent gratuites. Les résultats du populisme ne sont guère populaires en ce moment.
Pendant une dizaine d'années, le ministre de tutelle des travaux publics en Wallonie fut un certain Michel Daerden. A qui il fut (et il reste) reproché bien des choses, mais on entendait toujours l'un ou l'autre supporter affirmer qu'il s'agissait d'un excellent comptable et d'un très bon gestionnaire. On en a la preuve aujourd'hui dès qu'on prend sa voiture.

mercredi 12 janvier 2011

L'art et le sens

Le Belge Chris Dercon prendra la direction de la Tate Modern de Londres au printemps prochain.
La Tate a fait le bon choix. Ne serait-ce que parce que (c'est la Libre qui l'écrit (1)) "il juge que notre époque est parfois infantile par son enthousiasme exagéré, une génération hourra, sans plus de jugements fondés". Il parle de l'art contemporain, mais ces réflexions peuvent s'appliquer plus largement à d'autres domaines. Dans notre société du temps dit réel, les jugements sont souvent forgés - si tant est qu'ils le soient justement - à l'emporte-pièce et on tend à croire que tout se vaut.

Ceci dit, il est (au moins) deux expositions, d'art contemporain précisément, à voir d'urgence, avant qu'elles ne ferment leurs portes.
La première est consacrée à un autre Flamand, de la même génération que Chris Dercon: c'est Francis Alÿs. Une expo exceptionnelle au Wiels à Bruxelles. Des dessins, des installations, des peintures et surtout des films, dix-huit films, de l'homme qui marche. Il marche dans Mexico un révolver à la main ou en poussant un bloc de glace. Il marche dans Jérusalem en laissant couler un filet de peinture traçant la ligne verte qui, sur la carte, séparait Israéliens et Palestiniens. Il monte une dune avec cinq cents étudiants de Lima tous équipés d'une pelle pour la rehausser de dix centimètres. Il se précipite dans les tornades. Il cherche le sens, s'interroge sur l'utilité de nos actes, ce qu'il en reste. Une vidéo s'intitule d'ailleurs "Sometimes Making Something Leads to Nothing" - Parfois faire quelque chose ne mène à rien.
L'expo se termine ce 30 janvier.
L'autre expo s'intitule "La route de la soie", elle présente au Tri postal, juste à côté de la gare de Lille Flandres, des oeuvres de la Saatchi Gallery de Londres. Des créateurs d'aujourd'hui, depuis la Syrie et le Liban jusqu'en Chine, en passant par l'Iran, l'Irak, le Pakistan, l'Inde, parlent de la violence (notamment celle faite aux femmes), de la ville, de la démocratie, du pouvoir, de la liberté d'expression, de l'absence de communication. Des peintures, des sculptures, des photos et surtout des installations d'une force inouïe.
L'expo est prolongée jusqu'au 23 janvier.

(1) 08.01.2011

mardi 11 janvier 2011

Tiédeurs wallonnes

C'est Karel De Gucht qui l'affirme: "la Wallonie a deux visages: au niveau régional, elle mène une politique libérale, et les employeurs wallons n'ont d'ailleurs pas de problèmes avec le gouvernement régional. En revanche, la Wallonie pratique une approche beaucoup plus à gauche au niveau fédéral, là où s'organise la protection sociale" (1). On ne peut lui donner entièrement tort. On lui fera quand même remarquer que le ministre écolo Philippe Henry a refusé le projet Citta (peu) Verde à Farciennes et qu'il a bien cadré le projet dit de Centre de glisse à Antoing, deux beaux projets d'essence libérale très soutenus par le Ps. Pour le reste, on sera assez d'accord avec lui pour convenir que si la Wallonie est essentiellement sous la menée du Ps depuis trente ans, la politique qui la (et le) guide est plutôt, effectivement, de nature socio-libérale. Le pilote actuel du Gouvernement wallon aime d'ailleurs parfois se qualifier de manager. Le vocabulaire est un indicateur intéressant. Le Ministre-Président wallon a des accents libéraux. "L'avenir-Le Courrier de l'Escaut" le laisse entendre sous le titre "les voeux d'un socialiste... réformateur". Dimanche, Rudy W.P. Demotte recevait le tout Tournai à la Halle aux Draps. On s'y bousculait pour témoigner son allégeance au premier bourgmestre non élu de Tournai. Une heure et demie de serrements de mains n'a pas suffi, nous dit le journal, les invités étaient trop nombreux. "Du discours proprement dit, écrit Géry Eykerman, on retiendra la tonalité socio-économique marquée. Si Louis Michel parlait volontiers de libéralisme social, Rudy Demotte n'emploie certes pas celle de socialisme réformateur, mais pas une phrase prononcée par lui n'aurait écorché une bouche bleue."
Les fidèles lecteurs de ce blog savent que j'ai tendance à me répéter, j'ai déjà dit maintes fois combien je déplore que le Ps et la majorité de ses ténors aient opté depuis longtemps pour le socialibéralisme. Rudy Demotte en est l'incarnation même. Un socialibéral est un adepte du consensualisme, ce qui signifie qu'il a le conflit en horreur, il ne s'énerve pas, il est plus lisse que lisse. Il comprend chacun et est d'accord avec tout le monde. Il pense et penche à gauche, mais comprend parfaitement la droite. D'ailleurs, il trouve que ce sont des notions dépassées ou à dépasser. Il soutient l'économie génératrice de croissance parce qu'elle crée de la richesse qui elle-même doit être redistribuée pour assurer une certaine justice sociale. C'est la doctrine du socialibéral. Il a le souci des gens, donc de l'argent et inversement. Il reconnaît que ce sont les marchés qui font la loi, même s'il admet qu'il faut, ou en en tout cas faudrait, les réguler. En fait, il pense de tous côtés. Il est à lui seul une synthèse politique. On se dit que les partis ne devraient plus exister. Il suffit. La preuve, c'est qu'il a créé le consensus autour de lui. Tout le monde lui baise les pieds et lui reconnaît une grande intelligence. Il a effectivement l'intelligence de se placer au centre. Dans tous les sens du terme.
La girouette aussi est au centre de son mât.
"Ce qui m'indigne, c'est le consensualisme, qui m'apparaît comme une des négations de la personne humaine. Il se traduit par l'immobilisme, l'inertie, tout ce qui fait que rien ne bouge, que chacun se contente de la bonne parole sans lendemain. la pensée unique réduit l'originalité, limite la créativité, banalise l'action. Elle aboutit non à une censure, mais à une autocensure et donc à l'inaction", déclarait récemment dans "Marianne" (2) Olivier Metzner, avocat à la cour (France).

(1) Le Vif/l'Express, 10.12.2010
(2) dans le dossier sur l'indignation, Marianne, 01.01.2011

lundi 10 janvier 2011

De l'indignation

L'explosion des ventes de l'opuscule de Stéphane Hessel, "Indignez-vous!" (500.000 exemplaires vendus, aux dernières nouvelles), suscite évidemment des articles, voire des dossiers. On se réjouit qu'en ces temps que certains croyaient mous et désabusés l'indignation déclenche un mouvement. Mais mouvement y a-t-il? Ou, mieux sans doute, y aura-t-il? Et qu'en ferons-nous? Avons-nous tous les mêmes indignations? Sommes-nous indignés par ce qui bouscule notre confort personnel ou par les atteintes à l'intérêt collectif? Nos indignations sont-elles progressites ou réactionnaires? Serons-nous capables de transformer, de transcender l'émotion qui mène l'indignation? De ne pas rester au balcon parmi le choeur des pleureuses (et des pleureurs aussi)? L'indignation est souvent vertueuse, on peut s'en draper, s'en statufier. On peut s'écouter s'indigner. Et y trouver plaisir et fierté. La télé, grande banalisatrice, peut faire des émissions sur l'indignation, la réduisant à rien.
En Tunisie, en Algérie, le prix du pain et le chômage ont poussé dans la rue les jeunes à laquelle la classe politique n'offre aucun avenir. C'est de la colère. Et elle est juste. C'est autre chose que de l'indignation. mais toutes deux sont nécessaires. Et, on l'espère, salutaires.
"L'indignation, selon Descartes, réagit aux injustices qui touche les autres quand la colère répond à ce qui nous affecte directement. L'indignation désintéressée est supérieure à la colère, laquelle se révèle souvent injuste, disproportionnée, égoïste ou jalouse." C'est Eric Conan qui l'écrit dans Marianne (1). Il cite aussi Victor Hugo pour qui "la colère peut être folle ou absurde; on peut être irrité à tort; on n'est indigné au fond, que lorsqu'on a raison par quelque côté." On ne pense pas cependant que les jeunes tunisiens et algériens soient à tort en colère. On comprend leurs motifs, ils leur donnent raison. La colère telle qu'ils l'expriment est un soulèvement du corps qui répond au "soulèvement de l'âme" face à une situation insupportable que serait l'indignation, selon Bernanos . Qui dit aussi (2) que " on méprise d'en bas, on ne saurait s'indigner qu'à partir d'une certaine hauteur où il faut se maintenir coûte que coûte, sauf à rougir de soi".
Toujours dans Marianne, Marie Huet cite Flaubert qui, dans une lettre à George Sand, dénonçait "la haine que l'on porte au Bédouin, à l'hérétique, au philosophe, au solitaire, au poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m'exaspère, il est vrai que beaucoup de choses m'exaspèrent. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat comme une poupée à qui on retire son bâton". André Gide ne disait pas autre chose: "quand je cesserai de m'indigner, j'aurai commencé ma vieillesse". Visiblement, à 93 ans, Stéphane Hessel n'a pas encore commencé sa vieillesse. "La vente de l'opuscule de Hessel est un phénomène populaire et Hessel redonne du sens au mot peuple, écrit Bernard Maris dans Charlie Hebdo (3), et il ajoute: "l'argent tue la fraternité, l'indignation en crée. Neuilly avait presque réussi à nous faire croire qu'il ne fallait pas s'indigner contre l'argent et sa dictature! C'est raté. Merci, Hessel."

(1) 01.01.2011
(2) toujours cité par Eric Conan dans Marianne
(3) 05.01.2011

vendredi 7 janvier 2011

Bonne année, pires voeux

Notre ministre de la Culture a de l'humour. Il est particulier. La presse ne l'a pas compris, cet humour, et se moque d'elle, la ministre. On conviendra que la vidéo de présentation de ses voeux est surprenante. On n'oserait la qualifier de surréaliste. On n'oserait pas la qualifier en fait. On convient qu'elle est créative. D'une certaine manière. La ministre dialogue avec un "nounours". On ne sait s'il doit être qualifié de grotesque, de ridicule, de lamentable ou d'idiot. D'imbécile peut-être. On a du respect pour les ours, ils doivent être protégés. On ne se prononce pas. On fait mieux: on se pince. La ministre fait de même et se réveille. C'était ou plutôt ce n'était qu'un cauchemar. Ouf, elle a eu peur. Nous aussi. On se réveille le lendemain et on se dit qu'on n'a pas rêvé, on l'a bien vue cette vidéo. On vérifie: oui, elle est toujours là:
http://levif.rnews.be/fr/news/actualite/technologie/fadila-laanan-rate-ses-voeux-sur-youtube/article-1194911664636.htm
On voit par là que la communication mérite réflexion. Qu'entre l'émetteur qui envoie ses meilleurs voeux et le récepteur qui encaisse les pires, il y a plus qu'un fossé. On ne sait s'il faut en rire (jaune) ou en pleurer. Vous reprendrez bien une coupe de champagne?

P.S. Le Ministre-président de la Région wallonne nous a également vidéé ses voeux. Ils sont bons. Il est gentil. Il parle bien, même s'il ne dit rien. Il aime bien les jeunes. Et aussi les personnes âgées. Et la Wallonie, c'est très bien aussi, elle va mieux qu'hier et bien moins que demain. Quelle belle année sera 2011! On voudrait que le temps s'arrête. Mais, comme dit Renaud, le temps est un salaud.

mardi 4 janvier 2011

A Laurent Gbagbo

Des extraits de chansons de deux de ses plus illustres compatriotes.

Une seconde de plus, une seconde trop
un cadavre de plus, un cadavre de trop
le mandat de plus, c'est le mandat de trop!
On en a marre, on en a marre, on dit qu'on en a marre,
on vit dans ce reste, on dit qu'on en a marre
on n'a même pas de pain, on dit qu'on en a marre,
tout le peuple, tous les gosses, tous les mecs en ont marre!
Voilà la porte et sors dans le calme,
pas de balle, pas de sang, tu sors dans le calme
voilà la porte, tu sors dans le calme!
Quitte le pouvoir, quitte le pouvoir
je te dis quitte le pouvoir!

Tiken Jah Fakoly: "Quitte le pouvoir" (2004)

Y'a du sang sur la route
Qui mène à la tour du pouvoir
Y'a du sang innocent
Les partis en face
Sont d'accord qu'ils ne seront jamais d'accord
Opposition radicale
Parti au pouvoir radical
Le verbe devient inamical
Et la démocratie tribale
Ils ont beteisé le débat
Ils ont baouleisé le débat
Ils ont diouleise le débat
Les querelles de personnes mettent en péril la république
La désinformation intoxique l'opinion publique
C'est la course au pouvoir
Course au pouvoir
C'est la course au pouvoir

Alpha Blondy: "Course au pouvoir" (1994)

Eclispe

Le ceil a bien voulu s'ouvrir quelques minutes, au sud-estn, vers la France, le temps de nous permettre de contempleer le soleil. Il ressemblait au caht souriant d'Alice au pays des mervceilles.
Superbe! mais je crois qu'ils avaint raison, les journalustes à la radio: j'aurais dû me protéger les yeux.

lundi 3 janvier 2011

Les bas de la Marine

A tout saigneur, tout honneur: le premier billet de l'année 2011 est consacré à la fille à son bouledogue de papa, j'ai nommé Marine Le Pen. On ne parle plus que d'elle dans la presse française. Elle fait le buzz, comme on dit aujourd'hui. Toute la presse en parle, elle court les plateaux de télé, on se l'arrache. "Au plan médiatique, la diabolisation a vécu, écrit R. Ro dans le Vif (1), Marine Le Pen a été la vedette de toutes les émissions littéraires ou politiques de la rentrée. Je suis un produit d'appel, se réjouit-elle." "Il y a l'image télévisuelle et il y a la face cachée, poursuit R. Ro. Sur les plateaux, Marine Le Pen développe son programme économique pour sortir de l'euro; dans les fédérations, elle martèle les fondamentaux du parti, prônant la préférence nationale et la peine de mort pour certains crimes."
"La plus-value de Marine Le Pen, ajoute Jacques Julliard dans Marianne (2), comprend, rappelons-le, le rétablissement de la peine de mort, l'arrêt de l'immigration, la suspension du droit du sol, c'est-à-dire de la conception humaniste et non raciale de la nationalité, et l'on en passe. Mais c'est aussi, dans le domaine économique et social, la sortie de l'euro, le protectionnisme, la fermeture des frontières, en un mot, un improbable mélange de France seule à la Maurras et de socialisme dans un seul pays à la soviétique. Peu importe que ce programme de retour à l'âge de la pierre n'ait ni cohérence ni réalisme: il sert avant tout de marqueur social et tend à présenter le Front national comme l'aile populaire d'une vaste coalition de droite."
Et ça marche: "Marine Le Pen, si elle était candidate à l'élection présidentielle, pourrait dépasser 18% des suffrages. Des sondages, non encore rendus publics, l'indiquent", écrit Jean-Françis Kahn dans Marianne (2).
Les télés l'y aident bien. Elle y est une représentante politique parmi les autres, mais une excellente cliente. Le discours de l'extrême-droite s'est banalisé notamment grâce à la télé. On se souvient qu'il y a plus de vingt ans déjà, dans Ciel, mon mardi!, Christophe Dechavanne invitait des racistes et des anti-racistes. Comme si toutes les opinions se valaient et qu'il suffisait juste d'argumenter. De faire du spectacle en réalité, et donc de l'audience. Elle n'a pas de prix. Les discours de l'extrême-droite, réduits au simplisme, passent bien en télé. Face à une phrase slogan d'un extrémiste, il faut cinq minutes de contre-argumentation d'un démocrate. "Les professionnels de ce secteur (la télévision) ont choisi de privilégier le spectacle et l'affectif au détriment du fond", déclare Michel Rocard (3). L'ancien premier ministre estime que "dès que vous avez un entrelacs d'arguments ou de faits rassemblés pour comprendre un événement ou une simple information qui nécessiterait un début d'explication, c'est impossible: les acteurs de la télévision vous affirment qu'un tel exercice suppose une attention toute particulière qu'aucun téléspectateur n'est en mesure de soutenir". Donc, la Le Pen a raison, sur un point: elle est bien un produit d'appel. D'appel de quoi? Du simplisme, de la haine, de la bêtise? De tout cela à la fois sans doute.

Putain! Marine Le Pen, non, non.
Mais Marine Le Pen, non, non.
Tu le crois pas, tu le crois ça?
Katerine, "Le 20.04.2005"

(1) 17.12.2010
(2) 18.12.2010
(3) Le Vif, 22.10.2010